Frölunda
Chapitre I - Quand le hockey convainc le plus méfiant
Le Västra Frölunda IF, le club du quartier ouest de Göteborg, a été fondé en 1930 avec une vocation omnisports. Ses principales spécialités sont le football, le handball, le bandy et l'athlétisme. Dès les premières années, certaines sections comme la boxe, la lutte et la gymnastique ont été abandonnées.
"Bittan", comme on appelait sa sœur...
Une section supplémentaire ? Ce serait la ruine du club, mon bon Monsieur... Voilà le raisonnement de son trésorier, Bengt Johansson, que tout le monde appelle "Bittan". Ce surnom remonte à son enfance et était en fait... celui de sa sœur. Lorsque sa mère appelait la famille à table, le petit Bengt était en effet chargé de retrouver sa petite sœur Birgit, souvent partie en vadrouille. On l'entendait alors hurler "Bittan" dans tout le quartier, ce qui avait conduit ses camarades de classe à le surnommer ainsi.
"Bittan", à contrecœur...
Dans le monde sportif, on ne l'a jamais connu sous un autre nom que "Bittan" Johansson. Inscrit à Västra Frölunda depuis 1935, il a intégré le bureau deux ans plus tard car il en est l'un des membres les plus assidus. Bon coureur de demi-fond, il est le meilleur joueur de tennis du table du club et le gardien de l'équipe de handball. En 1939, il est coiffé d'une casquette de plus en devenant le dirigeant de la section bandy.
C'est l'année où la fédération suédoise de hockey sur glace décide de mener une grande campagne de promotion dans tout le pays : sachant que la pratique de son sport est essentiellement concentrée autour de la capitale Stockholm, elle envisage une expansion vers l'ouest. Göteborg, la deuxième ville du pays, est évidemment la cible privilégiée. Le moyen de promotion, la fédération le conçoit en nature : elle envoie un jeu de crosses plates à divers clubs ciblés qui pratiquent déjà le bandy, dont Västra Frölunda, qui est ainsi officiellement affilié.
Le président du bandy "Bittan", alors âgé de 21 ans, est à la réception du colis. Le trésorier en lui, qui menaçait de démissionner si l'on incluait une nouvelle section aussi coûteuse que le hockey, trouve ce cadeau bien encombrant. Pour s'en débarrasser, il prête ces crosses aux pilotes de chasse de la base voisine de Säve, qui disposent de leur propre patinoire. Cela retarde l'échéance de plusieurs années.
En 1944, "Bittan" lance pour de bon la section hockey, mais il ne le fait que par amitié pour les joueurs de bandy qui lui en font la demande. Il répond à ce caprice qu'il pense passager et n'imagine pas alors qu'il façonnera pendant le reste de sa vie l'un des plus grands clubs suédois du hockey sur glace, sport envers lequel cet amoureux du bandy était si réticent au départ...
..."Bittan", de tout son cœur
Dans une interview accordée à SE en 1974, "Bittan" rappellera ce qui signifiait diriger l'équipe en ces temps héroïques : "À l'époque, il n'y avait pas de voitures, et pas d'essence non plus d'ailleurs, mais à chaque fois qu'il y avait un match j'emballais l'équipement de toute l'équipe dans un grand sac et je la faisais tenir sur mon vélo en direction de la station Nya Varvets. Là, je devais essayer d'entrer dans le tram, et au terminus Mölndal, je devais porter le sac sur mon dos pendant le dernier kilomètre jusqu'à la patinoire. Alors, on encaissait une défaite du genre 0-8 ou 1-11, je remballais le tout et je faisais le chemin inverse."
En raison des hivers cléments, il faut attendre deux ans après l'inscription de l'équipe en compétition pour qu'elle dispute enfin son premier match. Il a lieu le 25 janvier 1946 contre un autre club de la ville (IK Fellows) devant 160 spectateurs, et il est logiquement perdu 1-8. Pour tous les joueurs de Västra Frölunda sauf un (Gunnar Gerdne), il s'agit de leur premier match de hockey, puisqu'ils viennent du bandy. Björn Andersson marque le premier but de l'histoire du club.
La première victoire arrive dès le deuxième match contre Chalmers (2-1). Troisième - sur quatre équipes - dès sa saison inaugurale, Västra Frölunda progresse rapidement. En 1947, il est devancé par Hisingen après avoir dû affronter cette équipe avec trois joueurs malades et un blessé (Andersson) qui s'est cassé le nez en fin de première période. Le VFIF a donc joué les deux tiers du match (perdu 4-7) en infériorité numérique ! En effet, l'équipe "au complet" se résume au strict nécessaire : un gardien, deux défenseurs et deux lignes d'attaque. Quand il y a trois absents, il n'y a donc plus le moindre remplaçant si quelqu'un ne peut plus jouer.
Une rivalité "au stade naissant"
Västra Frölunda finit par remporter la Klass B en 1950 et enchaîne avec la Klass A l'année suivante. Le club quitte ainsi le championnat local de Göteborg et intègre la division 3 nationale. Avec un effectif qui mène deux championnats de front (bandy et hockey), il y passe deux ans, avant de connaître sa première relégation. "Bittan" réagit alors avec les premiers recrutements du club : il engage Åke Schön et Rolf Ek, qui évoluaient au Uddens IF, le pionnier local qui a joué le premier match de hockey à Göteborg en 1938. Avec ces recrues, Västra Frölunda écrase tout sur son passage pour remonter en division 3 et s'impose donc comme la meilleure équipe de la ville. Mais il s'est aussi attiré l'inimitié de Bertil Rönnberg, le président d'Udden. Premier dirigeant sportif à avoir cru au hockey sur glace à Göteborg dans les années trente, il accepte mal de laisser l'ex-sceptique "Bittan" marcher sur ses plates-bandes.
En cette année 1954, le hockey change d'ère à Göteborg avec la création d'une glace artificielle à l'Ullevi, le stade de football de la ville. C'est seulement la deuxième du pays (après Stockholm), et elle signifie forcément que le hockey local est amené à devenir de plus en plus important, maintenant qu'il ne sera plus dépendant de la rigueur de l'hiver.
Puisque le football et le hockey cohabitent dans le même lieu et se partagent les saisons sportives (l'été pour les uns, l'hiver pour les autres), il est logique que certains cherchent des synergies. En l'occurrence, le champion de Suède en titre en football est un club de Göteborg, le GAIS. Il incorpore alors la section hockey de l'Uddens IF, ce qui lui permet de débuter en Klass A à la place de cette équipe, un privilège mal vu : les autres clubs de cette division envoient une lettre de protestation à la fédération, en vain.
Bertil Rönnberg est évidemment la clé de ce rapprochement qui lui permet de disposer de moyens financiers inconnus jusqu'alors. Il envoie en chasse son fidèle directeur Mauritz Carlsson avec lequel il travaillait sous les couleurs d'Udden. Désormais mandaté par le GAIS, celui-ci se venge alors de Frölunda en lui prenant deux joueurs, Thor Englund et Rolf Ek (qui est donc "récupéré"). Mauritz se fait rapidement une réputation de chasseur de têtes redouté dans les autres régions et fait venir à Göteborg - en quatrième division ! - des joueurs d'élite comme Kjell Adrian (ex-Forshaga).
Une rivalité est née qui va marquer les années à venir. Le GAIS et Frölunda ne jouent pas encore dans la même division, mais ils se croisent en championnat de district (DM), une compétition à élimination directe propre à chaque district du pays. Ils se retrouvent en finale et le GAIS s'impose 5-1.
Prière pour une défaite
Frölunda ne s'en laisse pas compter et a bien progressé dans sa division 3. Il se retrouve en finale contre Trollhättän, et pourtant "Bittan" Johansson ne souhaite pas la victoire. Dans son interview de 1974, il avouera : "J'ai prié Dieu pour que nous ne gagnions pas. Parce que nous n'étions pas prêts pour la division 2 et que nous n'avions pas les finances pour effectuer les déplacements qu'implique ce championnat. À deux minutes de la fin, notre centre s'est retrouvé seul devant le gardien et j'ai presque pleuré de joie quand il a tiré à côté. Nous avons été battus 1-0."
Västra Frölunda peut-il se permettre ce manque d'ambition avec le GAIS qui arrive lancé à toute allure ? La fédération régionale l'incite fortement à se rapprocher de l'IFK Göteborg, l'autre grand club local de football, encore plus riche que le GAIS, pour former un second super-club. "Bittan" met fin à ces discussions. Il ne veut pas que son équipe de Frölunda se dissolve dans une nouvelle entité et disparaissent corps et biens.
A-t-il tort de refuser cette fusion ? Ne risque-t-il pas d'être mangé tout cru par le GAIS qui l'a rejoint en division 3 ? Battu en finale du championnat de district (5-3) et au match aller en championnat (5-1), Frölunda réussit à battre son grand ennemi 3-2 au match retour. Une victoire courageuse qui renverse tous les pronostics, mais qui ne suffit pas. Le GAIS termine premier au classement et monte en division 2.
Dépassé par des privilégiés ?
La saison suivante, en 1956/57, Frölunda se retrouve sans autre rival. Il gagne toutes ses rencontres, la plus serrée contre Sågdalen (3-1) et monte à son tour en division 2. Mais le GAIS n'a pas perdu de temps : il a réussi sa troisième promotion en trois ans et devient donc le premier représentant de Göteborg au plus haut niveau.
Une ascension cométaire qui a motivé ses rivaux, comme le confiera "Bittan" au magazine Tidningen Rekord quatre ans plus tard : "J'ai fortement réagi contre la façon dont ils sont montés. Je trouvais qu'ils obtenaient tout gratuitement, pendant que nous peinions sur nos petites patinoires d'entraînement. Nos joueurs ont donné tout leur temps libre et beaucoup de leurs économies pour amener notre club jusque dans la lumière. Pensez à ce qu'a fait un garçon comme Rune Johansson [capitaine de l'équipe première depuis ses débuts]... Oui, nous n'étions pas contents que le GAIS soit favorisé. Mais c'est peut-être ce qui nous a encouragés. Je peux dire que c'est largement grâce à l'esprit que le GAIS a créé dans notre équipe que nous avons réussi à monter dans l'élite."
En 1957/58, les deux rivaux ont échoué. Découvrant l'élite, le GAIS n'a pu éviter la redescente immédiate. Pour sa part, Västra Frölunda est devancé à la différence de buts par Kil dans sa poule de division 2. Les joueurs, qui ont parfois dû jouer un match de hockey et un de bandy le même jour, ont cédé en fin de saison par fatigue.
Les deux clubs en sont donc au même point à l'automne 1958, au moment où se produit une rencontre capitale dans un train...
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