Frölunda

Chapitre II - Le transfert du siècle

 

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C'est au hasard d'un voyage en train que se produit une rencontre qui va bouleverser à jamais le hockey suédois. D'un côté, "Bittan" Johansson, l'incarnation du dirigeant bénévole dévoué de petit club. De l'autre, Anders Bernmar, président à succès dans le football, où il s'est occupé de Djurgården (champion de Suède en 1955) puis de l'IFK Göteborg (champion l'année après son départ). Un mariage détonant entre deux personnalités complémentaires. Chacun racontera ensuite que c'est l'autre qui a fait le premier pas. On ne saura jamais la vérité... En tout cas, une chose est sûre : les deux hommes tombent d'accord, et ils vont travailler ensemble à la construction d'un grand club.

Comme chaque année, Frölunda est battu dans le championnat de district par son ennemi juré du GAIS. Mais les confrontations les plus importantes en cette année 1959, ce sont celles de la poule de promotion. À l'aller, face à un adversaire qui domine sans concrétiser, le défenseur et capitaine Torsten Basth - un ancien du GAIS - égalise à 1-1 pour ramener un point important. Frölunda, qui avait déjà perdu le premier match à Tranås, ne pouvait pas se permettre une seconde défaite. Il reste invaincu par la suite, bat le GAIS 5-3 au retour devant 2944 spectateurs, et monte donc en division I. Basth est élu meilleur joueur de Frölunda par le journal local.

Frölunda prend donc au GAIS son statut de club d'élite, et il lui prend aussi un de ses joueurs, Stig Hylland, un attaquant originaire de Munkfors qui a une technique de crosse de niveau international (mais un patinage moyen). Hylland devient le meilleur marqueur de Västra Frölunda pour sa première saison dans l'élite en 1959/60, avec 11 buts et 6 assistances, mais ne peut pas empêcher la redescente immédiate de la plus mauvaise défense du championnat. En coulisses, cependant, on a activement préparé la suite...

À la pêche au gros

Dans le viseur, une très célèbre ligne de l'équipe nationale de Suède, qui a été formée dans un match contre la Norvège en janvier 1955 à... Göteborg. Ce jour-là, une commotion cérébrale de Tjalle Mild dans un choc à l'entraînement avait permis à Ronald "Sura-Pelle" Pettersson, qui avait commencé sa carrière internationale en défense, de passer à l'aile droite aux côtés de Nils Nilsson et Lars Eric Lundvall. Le trio constitué ainsi par hasard rentrera dans l'histoire comme la "ungdomskejdan" (la "ligne des jeunes"), la meilleure de sa génération.

Les stades Ullevi (le "Nya Ullevi", le nouveau, a été construit à côté du "Gamla Ullevi", l'ancien, pour la coupe du monde de football 1958) étant un des terrains de jeu favoris de la Tre Kronor, qui revient donc fréquemment à Göteborg. C'est lors d'un banquet après une de ces rencontres internationales, début 1959, que le président Bernmar a rencontré pour la première fois les trois joueurs. "Nisse" Nilsson est un peu réticent, mais ses deux camarades se montrent spontanément enthousiastes.

Il faut dire que Lundvall et Pettersson prennent souvent leurs décisions en commun. Ils sont devenus inséparables depuis qu'ils sont arrivés en même temps à Södertälje quatre ans plus tôt. "Bittan" et Bernmar les invitent au printemps à venir goûter les charmes de la côte ouest en louant un bateau dans l'archipel d'Öckerö, au large de Göteborg : qui sait si, en partant ainsi à la pêche, on ne pourrait pas ferrer deux gros poissons ? Cette journée pour prendre connaissance se passe idéalement, jusqu'au moment où les quatre hommes attendent le ferry de retour pour rentrer en ville. Catastrophe : ils voient approcher le grand ennemi Bertil Rönnberg, le dirigeant du GAIS, qui a sa résidence d'été dans le secteur. Pourtant, ils réussissent à échapper à ses yeux de lynx. Il aurait pu tout faire capoter...

Au cours de l'été 1959, on n'éprouve plus le besoin de se cacher. Les dirigeants de Göteborg louent une maison dans les îles et invitent "Sura-Pelle" et "Lasse" avec leurs familles. Les journalistes commencent à poser quelques questions, mais les internationaux répondent tranquillement qu'ils sont simplement invités en amis et qu'ils sont venus profiter du beau temps. Tout le monde les croit bien volontiers. Les Jeux Olympiques sont dans neuf mois, et le meilleur duo du pays ne va pas remettre en cause son statut en rejoignant un petit club inconnu...

Deux tigres dans le moteur

Et pourtant, quelques semaines plus tard, la nouvelle de l'improbable transfert qui se prépare fuite... juste avant un match de championnat entre les deux clubs concernés ! Le résultat, c'est que Södertälje se venge de la perte annoncée de ses deux vedettes. 19-3, c'est la plus lourde défaite de l'histoire de Frölunda. Le tranquille Ronald Pettersson, pas décontenancé pour un sou, marque six buts comme si de rien n'était. Il sera même élu joueur de l'année, et c'est donc le meilleur hockeyeur suédois qui rejoindra à l'intersaison suivante une équipe descendue en deuxième division !

Comment Frölunda a-t-il réussi ce coup, vite baptisé le "transfert du siècle"  ? Le club ne roule vraiment pas sur l'or à cette époque, il aide simplement les joueurs dans leur déménagement et leur installation. Ses dirigeants ont cependant réussi à fédérer beaucoup du monde autour de leur projet un peu fou : le conseil d'administration du Västra Frölunda omnisports, la ville de Göteborg, mais aussi le club de foot de l'IFK. En plus d'être un hockeyeur exceptionnel, Ronald Pettersson a en effet été international en football. L'IFK Göteborg espère donc en profiter un peu, et il en profitera... un peu. "Sura-Pelle" jouera 13 matches pour lui, y compris en Coupe d'Europe, avant de se rendre compte que le cumul des deux sports est devenu vraiment trop difficile.

Mais le contact décisif est venu des dirigeants du pétrolier Esso. En effet, le hockey est loin d'être rémunérateur en Suède dans ces années soixante. Pettersson et Lundvall réfléchissent à un projet professionnel qu'ils pourraient mener en parallèle, et c'est là que les dirigeants de Frölunda leur offrent en paquet cadeau une station service en plein centre de Göteborg. Ils ont appuyé la candidature des deux hockeyeurs, car la place vacante de gérant est convoitée.

"Lasse" et "Sura-Pelle" se retrouvent donc à diriger une station essence. Ils ont une relation très différente à l'automobile, qui illustre à merveille leurs caractères très différents. L'exubérant Lars-Erik Lundvall, toujours habillé à la mode, possède plusieurs voitures et aime faire des rallyes dans les forêts du Värmland. Le discret Ronald Pettersson, pour sa part, n'a même pas le permis à cette époque !

C'est sur la glace que la complémentarité entre les deux hommes se révèle, en parfaite synchronisation. Pettersson, qui est le premier attaquant suédois à vraiment jouer dans les deux sens, revient souvent dans sa zone récupérer les palets - ce qui peu usuel en ce temps - et servir d'une longue passe Lundvall qui sait à quel moment partir en contre-attaque.

Avec Frölunda, "Lasse" Lundvall est engagé à la fois comme entraîneur-joueur et comme capitaine, et il peut donc exercer ses qualités naturelles de leadership. Sura-Pelle, lui, est le tacticien qui ne joue jamais pour la galerie, mais est toujours en recherche d'efficacité permanente pour l'équipe, que ce soit par des passes, des tirs ou des discussions avec les arbitres. Il surprend sans cesse avec son sens du jeu exceptionnel et sait toujours mettre la bonne humeur dans le vestiaire.

La saison des records

Les deux hommes sont les recrues dont tout club rêverait : ils ne se prennent pas pour des stars et ont une influence très bénéfique pour les jeunes. Par contre, ils attisent l'intérêt du public et passionnent les spectateurs. Le déficit dans les comptes du début de saison n'est plus qu'un mauvais souvenir lorsque le public afflue en masse. Un record de 5658 spectateurs est atteint pour un match Frölunda-Färjestad de division 2. Le hockey sur glace détrône ainsi le handball comme sport hivernal de Göteborg.

Dans sa poule "ouest B", Västra Frölunda bat le record de D2 en remportant toutes ses rencontres avec 171 buts marqués pour seulement 35 buts encaissés. Alors que beaucoup pensaient Lundvall et Pettersson perdus pour la Tre Kronor à cause du rythme inférieur du jeu et de l'entraînement dans la division 2, ils restent des piliers de l'équipe nationale.

Justement... Début février 1961, lors d'un match international Suède-Canada, Lars Erik Lundvall reçoit une mauvaise charge du lourd défenseur Don Fletcher et son genou est dans un très sale état. Les ligaments sont touchés, le ménisque aussi. L'opération sera prise en modèle dans les études de chirurgie. Mais lorsqu'il quitte l'hôpital, les médecins le préviennent qu'il ne doit pas espérer rejouer au hockey un jour. C'est sans compter sur la volonté bien ancrée de Lundvall : après 85 jours d'arrêt, il se livre à un entraînement rigoureux et intensif pour être de retour sur la glace la saison précédente.

En attendant, Frölunda doit jouer une poule de promotion capitale en étant privé de son entraîneur-joueur. "Sura-Pelle" a lui aussi pris quelques coups contre les Canadiens et n'est plus aussi souverain. La deuxième ligne Rolf Eklöf - Stig Hylland - Kjell Jönsson prend alors le relais et se hisse à la hauteur de l'occasion. La seule défaite de la saison (contre Tranås) survient alors que la montée est déjà assurée.

Numéro un en ville

Lorsqu'un journaliste vient voir Bernmar pendant l'été au sujet d'une rumeur selon laquelle Lundvall et Pettersson seraient sur le point de partir au GAIS, sa réplique est assurée : "si c'est vrai, je promets de marcher sur les mains de la place Gustav Adolf jusqu'au stade Ullevi." Une promenade de santé qui fait plus d'un kilomètre. Si le président est si confiant, c'est que le vent a tourné. La présence des deux vedettes a fait de Västra Frölunda le numéro 1 en ville. Le GAIS végètera en division II et sa section hockey, après avoir pris son autonomie, sera dissoute en 1968.

Il y a maintenant 150 hockeyeurs à Västra Frölunda, soit la moitié des membres du club omnisports, dont il était pourtant le dernier rejeton accouché dans la douleur. Le hockey sur glace a pris une telle importance que la section bandy est dissoute en cet été 1961. Un vrai crève-cœur pour "Bittan" dont c'était la famille d'origine.

Il est cependant un manager comblé qui, comme son compère Bernmar, est contacté presque chaque jour par des joueurs qui espèrent venir à Göteborg. Ils ont l'embarras du choix avec tous les candidats potentiels, et font venir deux internationaux de plus. L'un est Ulf Sterner : il rejoint son frère Owe qui sert déjà de centre à "Lasse" et "Sura-Pelle" depuis un an. L'autre est Gert Blomé : ce défenseur qui a déjà connu le titre de champion avec le GIK de Gävle deviendra le pilier de l'équipe, toujours serein même dans le feu de l'action. Son talent pour bloquer les tirs adverses rentreront dans la légende.

Parmi tous ceux qui pensaient rejoindre l'Eldorado, il y a donc eu des déçus. Ceux qui sont surtout intéressés par l'argent se font vite rembarrer. Ils pensent sans doute que Västra Frölunda est assis sur un puits de pétrole, mais ce n'est pas le cas... Il y a juste une fameuse station essence ! Même Pettersson et Lundvall ont payé leurs licences pour s'entraîner la première saison, ce qui ne leur était jamais arrivé dans leurs clubs précédents.

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