HC Fribourg-Gottéron

Chapitre IV - Enfin la LNA

 

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Les promus fribourgeois deviennent vite la terreur de la LNA 1980/81. Dans leur patinoire des Augustins, ils font tomber tour à tour Berne, Arosa (qui menait 3-0), le favori Bienne et le prestigieux HC Davos. Si les joueurs locaux se réjouissent de la grande proximité avec le public, la présence des spectateurs à cinquante centimètres de la glace impressionne plus encore les visiteurs, qui n'apprécient guère les déplacements dans cette ambiance hostile.

Une équipe proche du peuple

Ces succès de Fribourg-Gottéron déclenchent une passion qui dépasse le cadre du sport et est souvent décrite comme un phénomène social. Le club de hockey fait la fierté des quartiers pauvres de la ville, des "enfants de la Basse" qui apprécient d'en remontrer à ceux qui habitent sur les hauteurs. Ils sont plusieurs dans l'équipe, parmi lesquels l'amical gardien Robert Meuwly, fumeur invétéré. Son retour en équipe nationale est symptomatique d'une époque où l'on pouvait être sélectionné sans nécessairement s'astreindre à une grande hygiène de vie.

Jean Lussier garde ases meilleurs souvenirs de cette époque où les joueurs étrangers eux aussi étaient "proches du peuple". Comme on a le droit à deux "mercenaires" en LNA, l'attaquant canadien a désormais un compatriote, Jean Gagnon, meilleur défenseur de Flint en IHL et déjà passé par Neuchâtel. Les deux Jean sont évidemment les pièces maîtresses des succès fribourgeois, mais des joueurs suisses se révèlent également, à l'instar de Jakob Lüdi (un des enfants de la vieille ville) et de Fredy Lüthi (un jeune centre formé à Thoune) qui sont appelés en sélection nationale.

Le 8 novembre 1980, les promus prennent la tête du championnat en battant la lanterne rouge Lausanne 6-3. et ils défendent même cette première place trois jours plus tard chez leur dauphin Bienne en arrachant le nul 3-3 à deux minutes de la fin. Cette période de grâce ne peut durer éternellement, et Fribourg-Gottéron terminera la saison à la quatrième place. Mais pour un débutant à ce niveau, cette performance est déjà inespérée.

En perspective du championnat 1981/82, Fribourg-Gottéron se renforce encore avec Éric Girard et surtout Riccardo Fuhrer, pris chez le rival local Berne qui avait été battu deux fois à l'Allmend pour la saison inaugurale de LNA. Et dès la première réception des joueurs de la capitale, Fuhrer devient le héros de la soirée en égalisant à 5-5 à trente-trois secondes de la fin.

Si les derbys bernois sont naturellement chauds, ils sont loin d'atteindre en matière de rudesse les Fribourg-Davos. Dès la première confrontation aux Augustins, une bagarre générale éclate au troisième tiers-temps. Chacun des rendez-vous entre les deux équipes vire ensuite à la bataille rangée. Il est évident que le dernier match n'échappera pas à la règle. Le protagoniste majeur en sera Jeff Bandura, un Canadien recruté en décembre quand Jean Gagnon s'est fissuré le péroné dans un choc contre la bande. Il a bien eu mal à faire oublier Gagnon sur la glace, et on a vu la différence lors de la rentrée triomphale de ce dernier. Et cependant, Bandura va marquer l'histoire du club à sa façon. En cette veille de la Saint-Valentin 1982, ce n'est pas pour l'embrasser qu'il se rue sur le Davosien This Fergg... lors de l'échauffement ! Nul ne pensait que les hostilités seraient déclenchées si tôt. Les arbitres infligent une pénalité de match bien que le coup d'envoi n'ait pas été donné... Il ne le sera d'ailleurs jamais. Jamais les deux équipes ne s'accordent pour commencer et le public des Augustins assiste simplement à deux heures de palabres procédurières. Davos aura match gagné par forfait.

Cette journée bizarre est un des derniers souvenirs de la patinoire des Augustins, car on sait depuis deux ans que son toit doit être enlevé après un recours devant le Conseil d'État du canton. Les habitants de l'Auge tiennent à ce que la nouvelle patinoire soit construite dans leur quartier, mais c'est le projet de Saint-Léonard et de ses sept mille places qui s'est imposé.

Professionnalisation et identité

Avec ce déménagement, Fribourg-Gottéron tourne aussi la page des années d'amateurisme. Dans une LNA en voie de professionnalisation, le club change lui aussi. Patrice Brasey, joueur formé au club que Gaston Pelletier a fait débuter en équipe première à 17 ans, ne regrettera pas d'avoir franchi ce pas comme il le rappellera dans une interview à La Gruyère : "Je dois être l'un des premiers à avoir décidé de devenir professionnel. Je gagnais 10000 francs par année et je considérais cela comme un apprentissage. Je m'entraînais deux fois par jour, j'habitais chez mes parents et, finalement, je gagnais bien plus qu'un apprenti. Je ne regrette pas mon choix, car si j'avais fait un apprentissage, aujourd'hui il ne me servirait plus à rien. Le Commodore 64 n'a plus vraiment la cote !"

Parce qu'il a laissé une partie de son âme aux Augustins, le club doit aussi s'assurer qu'il ne perdra pas son identité à Saint-Léonard. Un artiste va l'y aider : Hubert Audriaz. Cet ancien étudiant des Beaux-Arts de Paris est à la fois peintre, sculpteur, créateur d'animations pour les enfants, et il fourmille toujours d'idées pour sa ville. Mais il est aussi hockeyeur. Il a commencé ce sport à seize ans et a joué avec l'équipe première de Gottéron dans les années soixante, jouant même pendant deux ans à Bienne en percevant une rétribution. Désormais entraîneur dans le hockey mineur, c'est lui qui dessine le dragon, nouveau symbole du club. Il l'a choisi en référence à la légende du Dragon de Gottéron, dont on entend parfois le cri dans les grottes de la vallée. Pour succéder à l'atmosphère intime et populaire des Augustins, la nouvelle patinoire de Saint-Léonard se forge une identité propre par un rituel : les joueurs entrent sur la glace en sortant de la gueule du gros dragon en PVC construit par Audriaz. C'est aussi lui qui fonde en 1982 le HC Vannerie Fribourg, la première équipe féminine officiellement inscrite à la LSHG.

Sur le plan sportif, les années Saint-Léonard se distinguent aussi des précédentes par un changement de figure de proue : Gaston Pelletier est parti, et son remplaçant pour la saison 1982/83 est Paul-André Cadieux, qui a conduit Berne jusqu'au titre et a fait monter Davos en LNA. Cet entraîneur-joueur a toujours su prêcher par l'exemple et motiver son équipe par son charisme. Cependant, le déclin du duo Gagnon/Lussier est trop marqué par rapport à la qualité des étrangers des autres candidats au titre. Les Fribourgeois terminent à une belle deuxième place, mais sans avoir pu concurrencer Bienne.

Dès la saison suivante (1983/84), Fribourg-Gottéron prend le dessus sur les Biennois et devient le meilleur club romand, ce qui renforce encore son statut de club-culte. Cette primauté régionale ne suffit cependant plus, car le club dominateur du championnat suisse se nomme désormais Davos.

Deux hommes freineront en grande partie le déclin inexorable des Dragons, dépassés par de nouveaux ambitieux.

Le premier, c'est Patrice Brasey. Un accident de moto lui laisse la jambe dans un sale état, alors qu'il n'a que vingt ans. On le croit perdu pour le hockey, mais le préparateur physique du club, Bernard Monney, est à ses côtés pour l'aider à revenir. Non seulement il fera son retour au jeu, mais il s'imposera comme un des arrières suisses les plus complets, à la fois créatif offensivement et sans concession défensivement. Ses qualités de battant ne sont plus à démontrer depuis l'accident.

Le second, c'est Gil Montandon. Ce centre formé aux Young Sprinters de Neuchâtel et passé une saison par joue déjà en première ligne à 20 ans quand il arrive en 1984. Mais le qualificatif de "précoce" serait déplacée à son propos car sa carrière sera surtout marquée par sa phénoménale longévité. Montandon joue à la gnac comme un Canadien et sait gagner les mises au jeu importantes et les batailles pour le palet. Le public de Saint-Léonard lui sera rapidement acquis.

En quête d'un buteur

Mais c'est une autre recrue qui est pour l'instant attendue comme le Messie. Le diagnostic des carences était clair : il manquait un grand buteur étranger, comme en disposent les prétendants au titre. Alors, on fait venir ni plus ni moins que Richmond Gosselin, meilleur marqueur du championnat ces deux dernières saisons avec Bienne. Mais la production de Gosselin dégringole de moitié sur les bords de la Sarine. C'est de justesse que Fribourg-Gottéron défend une quatrième place au championnat 1984/85, mais personne n'est dupe. La démission de l'entraîneur-joueur Paul-André Cadieux marque la fin de l'euphorie qui a entouré ces premières saisons de LNA.

C'est à cette même époque, en juin 1985, que René Fasel, président de la ligue des arbitres depuis 1982, devient président de la fédération suisse. Le dentiste de Fribourg a soigné plus d'un hockeyeur de Gottéron dans son cabinet. Le champion toutes catégories est Jean-Charles Rotzetter, l'ailier dur au mal qui a laissé sur la glace huit dents, son nez, ses poignets et son genou droit.

Après une saison presque blanche, il revient fort en 1985/86, sur la première ligne, en complément défensif dévoué des buteurs Gosselin et Montandon, qui marquent 27 fois chacun (quand toutes les autres équipes hormis le relégué Zurich ont un joueur à trente buts). Un nouvel entraîneur canadien est arrivé, Kent Ruhnke. Cette saison est un tournant dans le championnat suisse, car pour la première fois, des play-offs sont mis en place. Malheureusement, Fribourg-Gottéron n'y participe pas, laissant la place dans le dernier carré et le titre de meilleur représentant romand à Sierre. Les Dragons se consoleront avec le trophée du fair-play.

Le gros marqueur se fait toujours attendre... mais voilà qu'arrive, en provenance directe de NHL, Jean-François Sauvé, qui reste sur une saison à 56 points avec les Nordiques de Québec. Il devient effectivement le meilleur marqueur du championnat 1986/87, et à ses côtés le tir précis au déclenchement rapide de Gil Montandon n'a jamais été aussi efficace. Sauvé établit un record en réussissant huit assistances dans un même match, alors que Montandon réussit un match à cinq buts. Mais l'effectif est mal équilibré. Pendant ces années passées à chercher le buteur, la meilleure défense du championnat quatre ans plus tôt est devenue aujourd'hui presque la pire. Un des problèmes réside dans les cages, où six gardiens différents sont alignés lors des dix premiers matches. L'entraîneur Kent Ruhnke est licencié à sept journées de la fin, mais son successeur Bengt Ohlson ne fait pas mieux avec trois points en six rencontres. Le Suédois recommande donc son propre renvoi avec cette formule extrême : "Trouvez-moi une corde pour me pendre" !

Sauvez Gottéron

La saison est bouclée avec un déficit de 460 000 francs suisses. Le club est en danger et le gardien Dino Staecher montre l'exemple en proposant de réduire son salaire de 10 % et de supprimer certaines primes. Pendant le championnat 1987/88, on s'active en coulisses pour une véritable mobilisation générale. Une opération "Sauvez Gottéron" est lancée pour collecter des fonds. Elle se conclut par un grand gala le 31 janvier 1988, au cours duquel 6500 spectateurs payent un ticket d'entrée à des sommes mirobolantes (entre 50 et 100 francs) dans le but de renflouer le club. Le spectre de la redescente brutale au bas de l'échelle, en 4e ligue, n'est plus qu'un mauvais souvenir, mais le club ne paraît pas encore sorti de l'auberge.

Certaines des figures ont en effet pris leur retraite. À trente ans, Rotzetter, qui a tout donné au club et ne l'a jamais quitté, raccroche les patins à trente ans et devient un commentateur pétillant des matches de Fribourg-Gottéron sur une radio locale.

Malgré le succès de "Sauvez Gottéron", l'image du club est plombée par ses tourments financiers au moment où Jean Martinet en devient le président. Âgé de quarante-trois ans, il ne connaît alors strictement rien au hockey sur glace, mais comme il se donne à fond dans tout ce qu'il fait, il déploie toute son énergie dans sa nouvelle fonction. Mais si sa première saison en 1988/89 est marquée par les premiers play-offs, c'est uniquement parce que ceux-ci commencent maintenant en quarts de finale et non plus en demi-finale. En réalité, les Fribourgeois n'ont toujours pas décollé de la huitième place. En plus, Patrice Brasey, élu dans l'équipe-type du championnat, part pour Lugano pour goûter ailleurs aux joies d'un titre.

Fribourg-Gottéron annonce treize arrivées pour 1989/90, mais Gottéron se traîne toujours dans les mêmes eaux au classement, et les autres cadres du club, les Rottaris, Balmer et Brodmann, sont prêts à leur tour à partir. Et en quelques mois, tout change. Le 10 janvier 1990, le club et l'entraîneur Mike McNamara, le sauveur de l'année précédente, se séparent à l'amiable. Paul-André Cadieux, qui était revenu comme simple adjoint en février 1989, reprend alors les rênes d'une équipe de plus en plus à la peine. Parallèlement au redressement financier, il faut un sauveur sportif. Il y aura deux messies, et ils viendront de Moscou...

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