Philippe Bozon
Parce qu'il a marqué 96 buts en équipe de France, ou encore parce qu'il a été le premier joueur français à avoir évolué en NHL, Philippe Bozon restera à jamais dans l'histoire du hockey tricolore.
Mais ces faits et chiffres ne suffisent pas à résumer ce qu'il a représenté pour toute une génération. Il a toujours été le meneur qui tirait ses équipiers dans son sillage, celui qui prêchait par l'exemple avec sa détermination sans faille, en donnant tout pour ses couleurs.
Il fut la figure emblématique d'un sport confidentiel dans son pays natal. Il fut aussi un second rôle de devoir dans une ligue nord-américaine parfois déshumanisante pour ses cols-bleus. Dans les deux cas, et pour des raisons différentes, il évoluait donc dans l'ombre, même s'il jouissait déjà du respect de ceux qui savent reconnaître les mérites d'un athlète. Ses performances en équipe de France n'étaient pas passées inaperçues, et il avait déjà marqué les esprits de beaucoup de gens dans le hockey international.
Mais ce sont ses passages en Allemagne et en Suisse qui lui ont permis de ressentir vraiment, au contact des supporters, cet engouement qu'il a suscité partout où il est passé. Bozon se distingue nettement par son incomparable générosité dans l'effort, et il joue avec tant d'émotion qu'il fait chavirer les c urs. Avec lui, la reconnaissance de ses pairs et le respect de ses entraîneurs vont de pair avec l'admiration du public.
Les professionnels
"Professionnel". Ce qualificatif colle à la peau des Bozon, de père en fils. Il montre combien un même mot peut être connoté très différemment selon le contexte, et selon la génération.
C'est quelques mois après la naissance de son fils Philippe (venu au monde le 30 novembre 1966) qu'Alain Bozon quitte Chamonix pour Gap. Il part de son club formateur pour le salaire que lui valent ses qualités de probable meilleur hockeyeur français du moment, et il restera deux saisons dans les Hautes-Alpes avant de s'installer à Megève, comme joueur puis comme entraîneur et formateur. Alain, qui porte le n 12 repris ensuite par son fils, est ainsi le premier "professionnel" français dans un monde d'amateurs, et quand on emploie alors ce mot, on sous-entend qu'il est perverti par l'argent et perd de vue les valeurs de son sport.
Au contraire, quand on qualifiera Philippe de "professionnel" quelques décennies plus tard, dans un environnement pro cette fois, il s'agira d'un compliment pour louer son dévouement à son équipe, son engagement total, son caractère de battant. On signifiera alors qu'il incarne mieux que quiconque les valeurs de son sport, qu'il ne les a pas oubliées pour l'attrait de l'argent facile, mais qu'il sait payer de retour la confiance que l'on met en lui.
La passion de Philippe Bozon pour le hockey est précoce. À dix-huit mois, il reçoit une mini-crosse, et sa mère Geneviève, ancienne enseignante, ne tarde pas à constater les dégâts, comme elle l'avoue dans Slap : "La moitié de nos cadeaux de mariage y est passée. Il se déchaînait, crosse en main, contre tout ce qui pouvait se lancer : boîtes, chaussures, balles, etc." L'enfant sage dissimule donc déjà un caractère certain lorsqu'il est mis en présence de certains accessoires... Lorsqu'on lui offre ses premiers patins, à quatre ans, il rechigne déjà à les enlever. Dès son enfance, le hockey est le centre de sa vie. En plus des entraînements et des matches avec le club de Megève, où il est inscrit dès cinq ans, le petit Philippe dispose d'une patinoire naturelle aménagée par son père juste devant le restaurant familial. Il y passe jusqu'à cinq heures par jour. Il s'impose naturellement comme le meilleur joueur de son équipe de Megève, elle-même dominante dans sa génération sur le plan national : championne en poussins, en benjamins, puis en minimes, elle ne s'incline qu'en cadets face à Viry-Châtillon.
International, champion et expatrié à 17 ans
Déjà d'autres objectifs s'ouvrent : cette équipe première de Megève dont il ne manquait pas les matches en tant que spectateur. Il y est intégré à 16 ans, à la fin de la saison 1982/83. Il marque ainsi son premier but en Nationale A au troisième tiers-temps d'une large victoire 13-5 sur Gap. La saison suivante, Megève remporte à la surprise générale son premier titre de champion de France, et ses internationaux juniors n'y sont pas étrangers : le grand buteur Franck Pajonkowski, bien sûr, mais aussi le tout jeune Philippe Bozon, assurément l'espoir n 1 du hockey français. Il est même intégré à l'équipe de France senior en février 1984 contre la Hongrie, à tout juste 17 ans.
Paulin Bordeleau, l'entraîneur-joueur de Megève qui évoluait chez les Canucks et les Nordiques avant d'arriver en France, soutient Philippe Bozon dans la poursuite de son rêve : devenir lui aussi "professionnel". Pour cela, il utilise comme étape la Ligue de Hockey Junior Majeur du Québec. Repéré par l'entraîneur Yvan Gingras, il a déjà fait trois semaines de camp au Canada avant la saison du titre de Megève, ce qui lui a permis de découvrir le rude traitement sans concession infligé au petit Français. Mais cette fois, il part pour de bon. Il s'acclimate au rythme plus soutenu et au jeu plus physique, puisqu'en janvier 1985, il est élu joueur du mois en LHJMQ. Honneur supplémentaire, la distinction lui est remise par Guy Lafleur en personne, un homme dont il a pu mesurer l'incroyable popularité quelques semaines plus tôt. En allant assister à un match au Forum, le jeune Bozon a en effet ressenti une émotion intense en entendant 18000 personnes scander le nom de leur idole à chaque fois qu'elle touchait le palet.
En septembre 1985, Philippe Bozon signe un contrat avec les Blues de Saint-Louis. Il joue même deux matches de pré-saison contre les Edmonton Oilers de Wayne Gretzky, mais les Blues le ballottent entre le junior majeur et leur équipe-ferme de Peoria. Durant la saison 1986/87, les incessants allers-retours entre le Québec et l'Illinois, pour lesquels il doit toujours se débrouiller tout seul pour régler les détails, finissent par affecter son moral, d'autant plus qu'il est atteint d'une mononucléose. Il revient en France afin de disputer les JO de Calgary. Au Québec, on lui avait proposé de se naturaliser pour les jouer avec le Canada, mais les Bleus ont progressé entre-temps et se sont qualifiés. Le retour de Bozon après ses trois saisons nord-américaines ne fait d'ailleurs pas toujours plaisir aux joueurs en place.
Déclics olympiques
Pendant son absence, l'équipe de Megève s'est fondue dans le Mont-Blanc, une formation où les performances de Bozon sont jugées décevantes dans les premiers mois. Le fils prodigue n'est plus prophète en son pays. Pas si exceptionnel, ce joueur qui revient d'Amérique, entend-on dans les tribunes. Avait-on placé les attentes trop haut en le prédisant meilleur marqueur ? Puis vient le déclic, pendant le tournoi olympique de Calgary. Trois buts marqués contre le Canada, devant tous les observateurs. Bozon reprend confiance en son potentiel et relève la tête en championnat. Il s'impose comme le meilleur joueur des play-offs sur sa ligne avec Dupuis et Pampanay. Et la saison suivante, en 1988/89, il est un indiscutable joueur-clé dans le nouveau titre des Aigles du Mont-Blanc, qui disparaissent à l'intersaison.
Philippe Bozon rejoint alors Grenoble, où il forme avec le Gapençais Christian Pouget et le Tchèque Karel Svoboda une ligne aux évolutions inoubliables sur la glace. Il remporte ainsi pour la première fois le trophée de meilleur joueur français, mais ne répond pas aux rêves de titre du public grenoblois. Lors de la deuxième et malheureusement dernière manche de la finale, dans une patinoire de Clémenceau où s'entassent 4000 personnes, il ne peut rien faire face à des Dragons de Rouen lancés vers leur premier titre, et il quitte même tristement ses coéquipiers en début de troisième tiers avec une pénalité de méconduite. La pression était trop forte sur ce trio magique dont on attendait tout. En 1990/91, Grenoble densifie donc son effectif en recrutant Christophe Ville et Yves Crettenand. Les responsabilités sont mieux partagées, le premier trio moins surmené, et le titre revient en Isère à l'issue d'une finale mémorable. Un souvenir fort, intimement lié chez tous les suiveurs du hockey grenoblois à la cruelle déception de voir cette formidable équipe disparaître pendant l'été, faute de soutien financier de la mairie...
Bozon et Pouget, désormais inséparables, prennent la direction de Chamonix, où ils font équipe avec l'espoir Yannick Charlet. En équipe de France, ils évoluent aussi sur la première ligne, avec le capitaine Antoine Richer comme centre. Et la sélection nationale va se révéler à tout un pays lors des Jeux olympiques d'Albertville de 1992, l'objectif préparé depuis si longtemps. Il n'y a pas que les téléspectateurs français qui font connaissance avec Philippe Bozon. Sa performance lors du match d'ouverture France-Canada ne passe pas inaperçue outre-Atlantique. Juste après les JO, Saint-Louis le rappelle. La perspective de jouer en NHL n'est plus lointaine, elle est concrète : les Blues ont besoin d'un ailier gauche rapide qui puisse prendre place sur leur deuxième unité de jeu de puissance. C'est pour tout de suite, pas pour plus tard.
Le moment ne tombe pas forcément bien pour Philippe Bozon. Son épouse, l'ancienne championne de ski Hélène Barbier, est sur le point d'accoucher. Et cela signifie qu'il faut lâcher Chamonix dans la dernière ligne droite alors que le club est au coude-à-coude avec Rouen pour le titre. Le président Alain Mazza donne pourtant son feu vert. Personne ne s'opposera à cette opportunité unique qui se présente à Philippe Bozon : devenir le premier Français à jouer en NHL.
Pionnier en NHL
Bozon fait ses débuts contre les North Stars du Minnesota, sur une ligne avec Rich Sutter et Nelson Emerson. L'adaptation n'est pas toujours aisée, même s'il savait à quoi s'attendre physiquement depuis son expérience québécoise. Quand il a des difficultés en anglais, il est aidé par l'autre francophone Stéphane Quintal, arrivé en même temps que lui à la suite d'un échange. Et dans le dernier match de la saison régulière, encore contre Minnesota, Philippe Bozon marque son premier but en NHL.
Cela ouvre son appétit pour une deuxième saison qui lui apportera pourtant son lot de déceptions. Un coup de crosse involontaire de son gardien lui laisse deux plaies sur le nez, puis un réveil de sa mononucléose lui occasionne un tas de soucis de santé et lui fait manquer deux mois complets. Cela l'oblige à un bref passage en ligue mineure à Peoria pour se requinquer. Alors, en 1993/94, Bozon n'a qu'une idée en tête : enfin disputer une saison complète. À quatre matches près (blessure à l'épaule), l'objectif est rempli. Il se rend indispensable dans le travail défensif qui lui est confié, en infériorité et à égalité numérique. Sa combativité de tous les instants et le c ur qu'il met à tuer les pénalités en font un des joueurs les plus appréciés par le public de Saint-Louis. Il a même la chance de jouer le dernier mois de la saison régulière avec des compagnons de ligne de grand prestige, Peter Stastny et Brett Hull.
Pendant ce temps, il a forcément manqué des échéances importantes avec l'équipe de France : la découverte du Mondial A et les Jeux Olympiques de Lillehammer. Mais, comme Saint-Louis est sèchement éliminé en quatre manches par Dallas au premier tour des play-offs, il arrive en renfort avec les tricolores pour les championnats du monde 1994 en Italie. Certains contestent qu'on bouleverse ainsi les lignes et qu'on lèse d'autres joueurs qui ont fait toute la préparation pour faire place à ce joker de dernière minute.
Philippe Bozon saura s'en souvenir pour la saison qui s'annonce, où un "lock-out" empêche la saison de NHL de redémarrer, faute d'un accord entre joueurs et propriétaires. Chamonix, le club avec lequel il s'est entraîné l'été, dispose de quatre lignes complètes. Ne voulant pas prendre la place d'un autre, le Boz' choisit donc de revenir à Grenoble, où un ami peut le loger. C'est un club qui a un effectif moins conséquent, surtout que la qualification du renfort biélorusse Bekbulatov se fait attendre. Si Bozon a pour mission en NHL d'aller maltraiter les meilleurs joueurs adverses, c'est lui qui doit maintenir avoir des sangsues sur le dos en championnat de France. Pour ajouter à son infortune, lors d'un match contre Brest, il se fait une entorse du genou dans un choc avec son coéquipier Arcangeloni et reste absent trois semaines.
Un mois plus tard, il reçoit l'information attendue : le conflit est terminé, la NHL va reprendre. Bozon a hâte de revenir à Saint Louis, une équipe que l'on place parmi les candidates au titre depuis qu'elle a engagé dans des circonstances controversées Mike Keenan, l'entraîneur qui vient de gagner la Coupe Stanley avec les Rangers de New York. Il s'agit du dernier spécimen de coach à l'ancienne dans la ligue, autoritaire et sûrement pas féru de psychologie. Il est connu chez les Rangers pour avoir donné un coup de poing dans le foie à ses joueurs sur le banc pour les "remonter". Le Français dit ne pas craindre a priori cet homme qu'il croit "dur mais juste". Bien sûr, il s'attend à ce que son temps de jeu soit réduit, puisque les Blues ont engagé Esa Tikkanen, un des meilleurs spécialistes en infériorité numérique, son domaine de prédilection. Mais il pense que ses mérites suffiront à garder une place de titulaire. La réalité est différente. Keenan a décidé de remodeler l'équipe pour marquer son territoire, et Bozon ne fait plus partie du paysage. Il fait deux présences sur la glace au premier match, et est envoyé ensuite en tribune.
L'aventure nord-américaine de Philippe Bozon s'achève donc en queue de poisson. Spécialistes et spectateurs reconnaissent qu'il remplissait bien son rôle, mettre des mises en échec et user l'adversaire physiquement. Mais voilà, ce genre de travail peut aussi être fait par d'autres, et le monde ingrat de la NHL le jette sans plus de considération. Définitivement. Keenan n'est pas du genre à changer d'avis. Bozon, qui a déjà donné pour ce qui est de l'IHL, choisit donc l'autre possibilité qu'on lui offre, revendre son contrat aux Blues et rentrer à Grenoble.
Il redevient ainsi entièrement disponible pour l'équipe de France et s'impose désormais comme son meilleur joueur incontesté. Il est partout, dans tous les compartiments du jeu, dans les bons moments - la qualification en quart de finale des Mondiaux 1995 - comme dans les mauvais. Le "montagnard", comme il se définit lui-même, force sa nature renfermée et assume un rôle de leader vestiaire en poussant un vif coup de gueule dans les vestiaires lors des barrages de relégation des Mondiaux 1996, lorsqu'il sent que ses coéquipiers sont trop peu concernés et que leur entraîneur Tamminen leur a lâché la bride.
Le sélectionneur national suivant, Dany Dubé, expliquera sur la radio canadienne CKAC la différence de traitement qu'il appliquait au Bozon de cette époque, si supérieur aux autres qu'il déclarait à ceux-ci : "Lui, il revient au banc quand il veut ! Mais vous, vous revenez au banc quand je vous appelle !"
Adulé en Allemagne
Bozon n'a pas abandonné sa carrière en club. Craignant de se laisser endormir à un certain confort s'il reste en France, il part en Suisse, dans un pays où un joueur étranger doit faire face à des attentes importantes, même en Ligue B. Il y donne un nouveau gage de son professionnalisme : il fait monter La Chaux-de-Fonds en LNA en remportant les barrages de promotion/relégation, notamment face à Lausanne... alors qu'il a signé depuis plusieurs semaines avec le club adverse. Sous les sifflets du public qu'il refusera de saluer à la fin, il signe un match phénoménal avec 3 buts et 3 assists dans un match décisif qui relègue Lausanne. Par respect du maillot, celui qui répètera à la fin de sa carrière qu'il veut qu'on se souvienne avant tout de lui comme "un joueur honnête" se condamne ainsi personnellement à rester une autre saison en LNB. Isolé au fond du vestiaire, il se confie : "Je l'ai fait pour l'équipe, pas pour moi. Tout ce qui a été dit sur moi ces derniers jours m'a fait mal, très mal. Je ne peux pas rester dans ce club après ce qui s'est passé, mais je vais me battre jusqu'au bout pour que le HCC monte en LNA." Il tient parole trois jours plus tard en allant décrocher la montée chez les Grasshoppers. Il est porté en triomphe par les supporters mais garde une forte rancune envers son coach Riccardo Fuhrer et refuse donc d'envisager une volte-face.
Il se retrouve donc toujours en LNB avec Lausanne, mais son nouveau club connaît des problèmes financiers. En janvier, une opportunité se présente : rejoindre son collègue Christian Pouget à Mannheim, qui lui fait les yeux doux depuis des mois. L'expérience est plus que réussie. En marquant trois buts à son premier match, Bozon est adopté d'entrée. Il a tout ce que le public attend d'un joueur de classe mondiale. Bernd Haake, l'entraîneur-adjoint de Cologne, déclare même : "Mannheim a pratiquement acheté le titre en recrutant Bozon.
Cette admiration est réciproque Bozon expliquera à L'Équipe Magazine sa découverte ébahie du hockey allemand : "J'ai fait beaucoup de trucs dans ma vie, mais, même en Ligue Nationale, je n'ai jamais vu ça. La finale à Mannheim contre Kassel, c'était grandiose. Incroyable. Il faut vraiment l'avoir vécu pour comprendre. Les gens attendaient ça depuis dix-sept ans là-bas. Ils étaient peut-être 10 000 dans la patinoire et 3 000 dehors. En NHL, il y a plus de monde dans les patinoires parce qu'elles sont plus grandes, mais c'est davantage un spectacle. À Mannheim, les supporters sont là deux heures avant le match pour chanter et ils continuent longtemps après. Toute la ville est derrière le club. La fête a duré une semaine. Je suis franchement surpris par l'intensité de jeu et l'enthousiasme dans le championnat allemand." Des titres, des émotions, des parades dans les rues de la ville, Philippe Bozon en connaîtra d'autres, puisqu'il remporte trois titres de champion d'Allemagne en deux ans et demi. Son nom reste ainsi associé à la plus belle dynastie de l'histoire du club. Il a ainsi eu raison de rester même quand les Toronto Maple Leafs l'ont invité à leur camp d'entraînement en 1998 : à 31 ans, il ne veut pas retourner en NHL sans une proposition de contrat ferme, sans mise à l'essai.
Avec Mannheim, Bozon côtoie pour la première fois l'élite européenne en disputant l'EHL (European Hockey League). Il avance plus loin dans la compétition chaque année, mais c'est avec Lugano qu'il connaît son meilleur parcours, ne ratant l'accès à la finale qu'en prolongation. Les performances du club suisse prouvent cependant une chose : la ligne formée de Philippe Bozon, Christian Dubé et Régis Fuchs est une des meilleures en Europe. Cela restera le trio marquant de la carrière en club de Bozon, derrière tout de même la ligne Bozon-Richer-Pouget en équipe de France qui symbolisait pour lui l'époque du pur plaisir de jouer.
Ses émotions, Bozon les laisser tellement transpirer que le public peut les percevoir et les ressentir. Cela le fait rentrer dans les cœurs des supporters, comme aucun autre joueur, mais cela peut aussi se retourner contre lui. En finale du championnat suisse 2000 avec Lugano, il se laisse emporter par ses émotions et récolte une pénalité de match coûteuse. Puis lors des play-offs 2001, il est laissé en tribune pendant quinze jours comme étranger surnuméraire, et il a autant de mal à cacher sa déception qu'à masquer sa volonté sur la glace. Il est déjà devenu l'enfant chéri du public qui prend fait et cause pour lui. Or, un joueur aussi aimé peut devenir un joueur jalousé par ses coéquipiers, un élément plus difficile à gérer pour son entraîneur. Celui-ci, Jim Koleff, est forcé bon gré mal gré de le réintégrer, vu que le défenseur suédois Peter Andersson est suspendu. Bozon marque un quadruplé puis un doublé, se rendant incontournable. Lugano n'est plus alors qu'à une manche du titre... et perd trois fois de suite.
Respecté en Suisse
La rumeur se répand pendant l'intersaison : Bozon ne serait plus désiré à Lugano. Puis on fait savoir que Genève-Servette, qui vient d'être repris par le groupe américain Anschutz, est intéressé par ses services. Le joueur se défend farouchement : il n'a pas l'intention de rejoindre cette équipe, il veut rester dans le Tessin où il lui reste une année de contrat. Peine perdue ! Pour mieux faire passer le message, Lugano engage un nouvel étranger à sa place, Mike Maneluk. Manière de faire comprendre qu'il ne figure plus dans les plans du club et de Jim Koleff. On est mi-juillet et l'attaquant français n'a d'autre choix que d'accepter la proposition genevoise.
Arriver ainsi à contrec ur dans un club de LNB pourrait être un motif de démotivation. Pas pour Bozon. Même dans ce hockey-business dans lequel il ne se reconnaît plus toujours, il tient à rester fidèle à ses valeurs : se remettre en question et ne pas se lamenter sur son sort. Il mouillera le maillot grenat, comme les autres, et sera très vite admiré dans la patinoire des Vernets, comme partout. Il reçoit encore des lettres et des témoignages de sympathie de supporters de Mannheim et Lugano qui ne l'ont pas oublié...
L'image de Genève-Servette est de plus en plus liée à celle de son entraîneur canadien Chris McSorley. Entre lui et Bozon, ce sont deux caractères bien trempés qui se retrouvent face-à-face. Malgré des débuts houleux, avec l'expérience, les deux hommes finissent par composer. Leurs fortes personnalités seront même le cœur d'un film documentaire tourné sur les play-offs de LNA, Les règles du jeu. Et un des plus beaux hommages rendus à Bozon viendra de la bouche de McSorley : "Sincèrement, en quinze ans de carrière, Philippe est le plus grand joueur que j'ai jamais coaché. J'emmènerai mon respect pour lui dans ma tombe..."
En cette époque où Anschutz investit à gogo, avant de se retirer du club, la progression du GSHC est fulgurante : montée en LNA, accession d'entrée aux play-offs, puis qualification en demi-finales pour la troisième saison de Bozon à Genève. Celle-ci est la plus difficile pour le Français : blessure aux ligaments latéraux du genou droit en septembre, fracture de la pommette en quart de finale, puis nouvelle blessure qui lui fait manquer la demi-finale... Et, comme un étrange rappel de ce qu'il a vécu à Lugano, on apprend dans le même temps que le club ne souhaite plus le compter parmi ses renforts étrangers.
Finalement, et contre l'avis de McSorley, il est conservé comme semi-retraité. Tout en commençant sa reconversion en entraînant les petites catégories du club, il reste disponible en cas de besoin, match par match, pour l'équipe première... Bien loin de son statut initial d'étranger de transition en attendant une hypothétique recrue, il portera le casque de "Top Scorer" de son équipe ! C'est donc en pleine gloire - hormis des play-offs suisses encore décevants au contraire de ce qu'il a connu en Allemagne - qu'il annonce sa retraite "définitive". Il avoue sa saturation mentale et indique qu'il est temps, pour lui et pour sa femme, de raccrocher.
Bozon gagne en responsabilités dans le hockey mineur genevois mais ressent un manque. Il tente de se "désintoxiquer" en n'allant pas assister trop souvent aux matches des seniors, mais il rechausse les patins une première fois en novembre. Puis en janvier, il revient au jeu comme septième étranger, pour cinq places. Même s'il assure un but en prolongation important en barrages de maintien, il aurait pu s'épargner ce retour déraisonnable, même si cela lui était peut-être nécessaire pour tirer une croix sur son expérience de joueur qui lui aura donné tant d'émotions.
On retiendra comme véritable fin de carrière ses adieux émouvants de 2005, qui sont alors un évènement du hockey suisse. La Télévision Suisse Romande en fait son invité principal pour son magazine sportif dominical. Son équivalent français, Stade 2, se contente d'évoquer sa retraite durant dix secondes... Un traitement qui illustre le déficit médiatique du hockey sur glace en France.
Las des promesses non tenues comme toute la génération Albertville, le Boz' en a conçu une méfiance bien ancrée pour les dirigeants français. Après sa retraite de l'équipe nationale à la suite de ses quatrièmes Jeux olympiques en 2002, il a gardé ses distances avec un hockey de France qu'il ne suit plus que de loin, et sans trop d'illusions. Après l'indépendance de la nouvelle Fédération Française des Sports de Glace, cela prendra du temps de le convaincre de s'engager, d'abord comme sélectionneur des moins de 20 ans. Il reviendra ensuite peu à peu en tant qu'entraîneur de club, d'abord à Épinal, qu'il amène en finale en 2015 avant de claquer la porte, puis un an plus tard à Bordeaux. En 2018, il connaît la consécration : il est nommé sélectionneur de l'équipe de France.
Marc Branchu
Statistiques
(saison régulière) (playoffs) MJ B A Pts Pén MJ B A Pts Pén 1982/83 Megève France 14 6 1983/84 Megève France 36 38 1983/84 France Amicaux 6 3 1 4 1984/85 France Amicaux 1 1984/85 Castors de St-Jean LHJMQ 67 32 50 82 82' 5 0 5 5 4' 1985/86 Castors de St-Jean LHJMQ 65 59 52 111 72' 10 10 6 16 16' 1985/86 Peoria Rivermen IHL 5 1 0 1 0' 1986/87 Peoria Rivermen IHL 28 4 11 15 17' 1986/87 Castors de St-Jean LHJMQ 25 20 21 41 75' 8 5 5 10 30' 1987/88 Mont-Blanc France 28 26 22 48 40' 4 9 2 11 4' 1987/88 France Amicaux 10 1 2 3 1988 France J.O. 6 3 2 5 0' 1988/89 Mont-Blanc France 29 22 36 58 56' 1988/89 France Amicaux 10 11 0 11 1989 France Mondial B 7 8* 3 11 10' 1989/90 Grenoble France 36 45 38 83 34' 5 4 3 7 2' 1989/90 France Amicaux 10 4 3 7 1990 France Mondial B 7 4 2 6 4' 1990/91 Grenoble France 26 22 16 38 16' 10 7 8 15 8' 1990/91 France Amicaux 8 5 4 9 1990/91 France Mondial B 7 5 5 10 0' 1991/92 Chamonix France 22 30 19 49 40' 1991/92 St. Louis Blues NHL 9 1 3 4 4' 6 1 0 1 27' 1991/92 France Amicaux 11 3 2 5 1992 France J.O. 7 3 2 5 4' 1992 France Mondial A 3 1 1 2 4' 1992/93 Peoria Rivermen IHL 4 3 2 5 2' 1992/93 St. Louis Blues NHL 54 6 6 12 55' 9 1 0 1 0' 1993/94 St. Louis Blues NHL 80 9 16 25 42' 4 0 0 0 4' 1994 France Mondial A 3 0 0 0 2' 1994/95 St. Louis Blues NHL 1 0 0 0 0' 1994/95 Grenoble France 14 6 16 22 12' 7 2 4 6 30' 1994/95 France Amicaux 4 1 2 3 22' 1995 France Mondial A 6 2 3 5 0' 1995/96 La Chaux-de-Fonds LNB 29 31 28 59 48' 7 8* 5 13* 6' 1995/96 France Amicaux 9 2 3 5 0' 1996 France Mondial A 7 4 2 6 4' 1996/97 Lausanne LNB 23 17 15 32 89' 1996/97 Mannheim DEL 22 11 7 18 18' 9 6 9 15* 2' 1996/97 France Amicaux 5 0 1 1 12' 1997 France Mondial A 8 2 4 6 27' 1997/98 Mannheim DEL 41 20 17 37 36' 10 5 5 10 16' 1997/98 Mannheim EHL 5 2 4 6 14' 1997/98 France Amicaux 1 0 2 2 2' 1998 France J.O. 4 5 2 7 4' 1998 France Mondial A 3 2 1 3 2' 1998/99 Mannheim DEL 51 17 30 47 66' 12 4 5 9 30' 1998/99 Mannheim EHL 6 1 3 4 4' 4 0 2 2 2' 1998/99 France Qualif CM 3 2 1 3 2' 1998/99 France Amicaux 1 0 0 0 0' 1999 France Mondial A 3 1 0 1 4' 1999/00 Lugano LNA 44 13 31 44 73' 12 9* 6 15 37' 1999/00 Lugano EHL 6 3 2 5 10' 4 1 6* 7 2' 1999/00 France Qualif CM 3 0 1 1 0' 1999/00 France Amicaux 4 4 6 10 0' 2000 France Qualif JO 3 3 4 7 0' 2000 France Mondial A 6 1 2 3 6' 2000/01 Lugano LNA 41 18 26 44 42' 10 7 2 9 6' 2000/01 France Amicaux 3 3 1 4 2' 2001 France Qualif JO 3 0 3 3 4' 2001 France Mondial B 5 8* 1 9 6' 2001/02 Genève-Servette LNB 31 24 35 59 22' 8 8 9 17 6' 2001/02 France Amicaux 8 3 7 10 25' 2002 France J.O. 4 3 3 6 2' 2002/03 Genève-Servette LNA 43 19 19 38 47' 6 0 2 2 10' 2003/04 Genève-Servette LNA 43 12 28 40 18' 6 1 0 1 4' 2004/05 Genève-Servette LNA 38 12 27 39 55' 4 1 2 3 0' 2005/06 Genève-Servette LNA 9 2 0 2 6' 6 2 3 5 2' Totaux NHL 144 16 25 41 101' 19 2 0 2 31' Totaux EHL 17 6 9 15 28' 8 1 8 9 4' Totaux DEL 114 48 54 102 120' 31 15 19 34 48' Totaux LNA 179 76 131 207 241' 38 18 12 30 57' Totaux équipe de France 189 97 76 173 148'
Palmarès
- Champion d'Allemagne 1997, 1998, 1999
- Champion de France 1984, 1988, 1989, 1991
- Champion de France minimes 1980
- Champion de France benjamins 1978
- Champion de France poussins 1976
Honneurs individuels
- Meilleur joueur français du championnat (trophée Hassler) 1989/90
- Meilleur attaquant du Mondial B 1991
- Première équipe-type de DEL 1996/97
- Deuxième équipe-type de LHJMQ 1985/86