Mémoires de Mimi Cailler

 

Un surnom qui a fait oublier son prénom

Je suis né René Cailler à Chamonix le 22 avril 1932. C’est ma mère qui m’a surnommé Mimi quand j’étais petit et cela m’a suivi toute ma vie. On ne me connaît pas sous le nom de René.

J’ai commencé le hockey à 7 ou 8 ans. On pensait que l’on était déjà bon au hockey. On jouait contre Saint-Gervais, Megève. Cela restait local. Je me souviens que pendant la guerre, les parents n’osaient pas trop nous envoyer à l’extérieur car ils avaient peur d’une rafle.

Paul Rovoyaz et mon demi-frère Jean Pépin étaient plus grands. On prenait exemple sur eux car ils étaient forts au hockey. Léon Quaglia, Albert Hassler, Pierre et Marcel Claret étaient des figures de Chamonix. J’habitais à 100 mètres de Léon et d’Albert, je les voyais presque tous les jours. C’était vraiment des Messieurs. Ils étaient simples et bons.

Le demi-frère Jean Pépin

Mes relations avec mes deux demi-frères, Jean et Joseph, étaient très bonnes. On se voyait pratiquement tous les jours. Joseph était l’aîné. Il est parti à Grenoble. Jean a joué dans beaucoup de club comme à Paris, Lyon, Briançon, pour des raisons pécuniaires.

Jean avait 6-7 ans de plus que moi, issu d’un premier mariage. Jean a fait du patinage de vitesse, il était doué et s’entraînait avec Léon Quaglia. Il a fait de bons résultats comme à Davos. Pour les Championnats du Monde de bobsleigh, c’est mon frère Jean Pépin qui a fait l’ouverture de la piste en patinage de vitesse. Mon frère était très doué en vitesse et en hockey. Moi, je n’ai jamais fait de patinage. J’aimais mieux le jeu d’équipe que les sports individuels.

Hop, au boulot !

C’est Rémi Martinetti, le droguiste, qui m’avait repéré pour jouer en équipe première. Je me souviens de mon premier match. J’avais 16 ans. Martinetti habitait à côté de chez moi et il vient me voir et me dit : « allez hop, au boulot ! ». J’étais un peu surpris. Je crois que c’était contre Villard-de-Lans. Ça fait drôle de rentrer comme ça dans l’arène mais ça s’est bien passé.

Puis très vite, j’ai joué en équipe de France, notamment aux Championnats du monde 1951 à Paris. On avait une bonne équipe mais les autres équipes étaient très fortes. On jouait au Vel' d’Hiv', cela marque.

Je me souviens de l’inauguration de la patinoire d’été en 1950 (photo de droite). C’était une toute petite patinoire. On jouait à 3 contre 3 dans le champs. C’était l’été. On voit de l’eau sur la glace tellement il faisait chaud.

Partir pour un petit pécule

J’avais mon travail d’électricien à Chamonix et, jeune, cela ne m’intéressait pas de partir. On était bien vu par la population. On faisait partie de la grande famille de Chamonix. Dans l’équipe, on était tous copains. Une équipe de copains. On étais tous chamoniards.

J’ai joué une saison à Lyon. Je partais tous les vendredis soir avec René Giacomotti, on allait renforcer l’équipe de Lyon. Je montais aussi le vendredi soir à Paris en train de nuit pour aller jouer avec l’ACBB au Vel' d’Hiv' mais seulement en matchs amicaux et non pas en match officiel car c’était Chamonix mon club officiel. On informait notre club. On avait l’accord de notre club, cela nous faisait un peu de pécule. J’aimais bien aller jouer à Paris, c’était sympa. C’était tous des copains.

On n’avait pas d’argent. On vivait pauvrement. À Chamonix, le hockey ne rapportait pas trop. Ils n’ont jamais été larges. Le club payait pourtant les renforts étrangers, et nous zéro. C’est pour ça que je suis parti plus tard jouer à Saint-Gervais. C’était pour avoir un peu plus d’argent. Pierrot Cattela était venu me voir. C’était la guerre ici lorsque je suis parti. Des questions de derby. J’étais mal vu ici mais je suis revenu jouer deux ans plus tard avec Chamonix.

Le buteur

J’étais buteur, il fallait mettre le palet dedans. J’ai même marqué 6 buts [en fait 4] pour lors du Championnat de France en 1958. C’est un bon souvenir, peut-être mon meilleur souvenir de hockey. Je me rappelle très bien de ce match. « Ça rentrait tout seul ». J’avais marqué les buts mais c’était l’équipe qui gagnait. Mais j’étais fier, c’était une finale et contre Paris.

C’est comme ça, le buteur, c’est le buteur. C’est tout. Il fallait trouver le petit trou. Edmond Cochet, le gardien de Paris, me disait : « Quand tu arrives vers moi, tu me fais chier. Où est-ce que tu vas me le mettre ? » J’étais grand copain avec lui. C’est le coup de chance aussi. J’avais plus de mal contre par exemple les gardiens tchèques, des tout forts.

Les grands tournois

Un autre bon souvenir, ce sont nos deux victoires dans le tournoi de Fribourg (1956/57 en début de saison contre de très bonnes équipes. Le tournoi de Cortina aussi était très relevé. On l’a aussi gagné.

J’ai été assez rarement blessé. Surtout l’épaule aux Championnats du Monde 1961 à Genève - Lausanne. Par un arrière anglais. Un petit gros costaud qui m'a démonté l’épaule. J’ai joué beaucoup d’années sans casque.

Le voyage aux États-Unis à Colorado Springs en 1962 étaient intéressants. Un beau voyage. On avait visité un village d’Indiens habillés traditionnellement. C’était joli, beau. On a vu autre chose, la découverte de l’Amérique.

Les Canadiens

Paul Provost était très sympathique et c’était un gagneur. Il était bien vu à Chamonix et connaissait tout le monde même les anciens qui ne jouaient pas au hockey. Il jouait 60 minutes, tout le match. Il fumait le cigare.

Le meilleur joueur avec qui j’ai joué, c’était un Italo-Canadien, Bob Bragagnola, la grande classe. Et aussi un canadien anglais, Scully. Les Canadiens étaient d’excellent joueurs. Ils sont arrivés à 5 joueurs à Paris. Camil Gélinas, Gaston Pelletier, Larry Kwong le Chinois... C’est un rêve de jouer avec eux. Gélinas était un bon distributeur, avant-centre. Je me suis bien inspiré de Pete Laliberté.

Chamonix, le refuge

La patinoire inaugurée en 1962 était un bel outil mais il faudrait penser à qu’ils la refassent maintenant ! Marcel Claret connaissait beaucoup de monde et grâce à lui, beaucoup d’équipes étrangères venaient jouer. Les Diavoli Milan ont été peut-être l’une des meilleures équipes contre qui j’ai jouée. La patinoire étaient remplie. Les équipes françaises avaient peur de Chamonix. On partait trop facile, on va leur en mettre une et puis ça y est. Chamonix, c’est Chamonix ! On avait pris sérieusement la première édition de la Coupe d’Europe contre Cortina d’Ampezzo en 1965.

Les Tchèques Paul Lang et Yvan Guryca, on les avait embarqués un soir. On les avait planqués à Argentières chez Binet pendant une dizaine de jours. Le soir même, j’avais la police tchèque chez moi qui les cherchait. Ils étaient militaires. C’était grave. Comme les Canadiens, Lang et Guryca étaient très bons. La difficulté des Tchèques étaient qu’ils ne parlaient pas un mot de français ni l’anglais mais ils ont vite appris en deux mois.

La fin de carrière

Pour les JO de 1968, ils nous avaient trouvé trop vieux : Jean-Claude Guennelon, Alain Bozon et moi. Surtout moi ! Pour Bozon et Guennelon, c’était dur. Ils ont été shootés. On était pourtant une ligne complète avec nous trois. Un règlement de comptes certainement. Ils ont surtout pris les copains des copains… parisiens.

J’ai arrêté le hockey car j’en avais marre. J’avais 39 ans. Les voyages tout ça, les déplacements. Cela ne me convenait plus. Je ne regrette rien. Après avoir joué à Chamonix, j’ai pris l’équipe des Houches en main pendant deux années. La seconde année à mieux marché mais on n’avait pas de défense. En 1977, on arrive en finale de 2e série et je me suis dit qu’il fallait que je trouve des gars. En rigolant, je dis à Claude Dufour qui était un bon joueur : « tu ne veux pas venir jouer les finales avec nous » et il m’a dit oui. J’ai aussi demandé à Raymond Gilloz qui me répond « pas de problème ». Sans entraînement, rien du tout, on a gagné contre Lille me semble-t-il [NDLR : Dunkerque]. On a donc été champion de France de 2e division avec les Houches.

Après le hockey

L’un de mes fils, Christophe, était bon au hockey. Il aimait bien le hockey. J’allais voir les matches de Chamonix et je me rends encore très souvent à la patinoire. Mais aujourd’hui, on ne connaît plus personne. Des vrais Chamoniards, il n’y en a plus. Ce sont beaucoup des étrangers. Ils font du bon hockey quand même. J’ai plaisir de retourner à la patinoire, de revoir des gens que l’on connaît dans le public.

Maintenant les jeunes, ils ne veulent plus transpirer. Ils ne sont pas mordus comme nous l’étions. Mon petit-fils Arnaud jouait pas mal. Un bon avant-centre. Et un jour il m’a dit « j’arrête de jouer au hockey ». Il en avait marre de prendre des coups, transpirer.

En dehors du hockey, j’étais un passionné de ski. On n’avait pas le droit de faire du ski à cause du risque de blessure, on en faisait en cachette. Charles Bozon était mon classard, un grand copain. Champion du monde. Ça tourne tout seul. Son décès en juillet 1964 avec 13 autres personnes dans une avalanche a provoqué une grande émotion à Chamonix. La benne était partie, elle s’est arrêtée, et est revenue en arrière pour le prendre. C’était son heure… François Bonlieu, champion olympique, je le voyais souvent aux Gaillands mais lui était un solitaire. J’ai arrêté il y a deux ans. J’aimais skier à Chamonix mais aussi avec les Vieilles planches à Val d’Isère, l’Alpe d’Huez, Saint-Gervais et Megève. L’été, on faisait beaucoup de randonnées en montagne. Aujourd’hui, à 88 ans, je ne peux plus.

Elles sont belles les photos du livre. C’est une bonne chose de retracer l’histoire du Chamonix Hockey Club. Chamonix a été un grand club. On était invité partout au moment de la bonne équipe. La période où il y avait Gélinas, Pelletier et Provost. C’était le bon temps.

Propos recueillis par Rémy Naville, juillet 2020

 

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