Canada - Tchécoslovaquie (15 septembre 1976)

 

Deuxième manche de la finale de la Coupe Canada 1976.

Avant ce deuxième match, le public de Montréal a le choix et peut affirmer ses préférences ou oser un pronostic : soit il assistera à une rencontre de très haut niveau, serrée et palpitante, comme lors de la première confrontation du tournoi entre les deux pays dans ce même Forum, soit il verra une nouvelle démonstration de son équipe et une large victoire, comme lors de la première manche de cette finale jouée à Toronto. Dans les deux cas, il en aura eu pour son argent.

En fait, il aura même droit à un mélange des deux. Même si le niveau de jeu n'atteindra pas ici celui du match de poule, il reste très haut, et surtout, il n'a rien à lui envier au niveau du suspense. Et par rapport au premier match de la finale, celui-ci présente bien des similitudes dans les premières minutes, avec une nouvelle entame catastrophique de la Tchécoslovaquie. Après le plantage de Dzurilla la veille, Jirí Holecek a retrouvé sa position de n°1... mais il encaisse deux buts en guère plus de trois minutes, humiliation pour lui dans ce tournoi décidément à oublier !

Gilbert Perreault ouvre en effet le score à la conclusion d'un joli et rapide mouvement collectif, puis un palet intercepté en zone adverse par Steve Shutt met une forte pression sur la défense tchécoslovaque qui ne parvient pas à écarter le danger et cède sur un tir du poignet de Phil Esposito. On procède donc à un changement de gardien encore plus précoce qu'avant-hier, et dans le sens inverse. L'effet est le même car le rentrant, aujourd'hui Vladimír Dzurilla et son calme à toute épreuve, fait meilleure figure que le sortant. La différence est que le remplacement a eu lieu assez tôt pour que la Tchécoslovaquie puisse envisager de revenir dans le match.

Et c'est ce qu'elle fait. Tout d'abord, elle tire profit de l'indiscipline de Bill Barber, qui veut se faire justice lui-même à cause d'une mise en échec qui avait fait saigner son nez quelques minutes plus tôt. Sa charge vengeresse contre la bande lui vaut une pénalité, que Vladimír Martinec exploite en décalant Milan Nový, le meilleur joueur tchécoslovaque de la compétition. Son but déclenche une immédiate riposte canadienne, mais Dzurilla est à la parade face à Orr ou à Esposito.

Il n'y a plus qu'un but de retard à l'orée de la troisième période, mais le palet glisse hors de portée d'Ivan Hlinka alors que celui-ci a magnifiquement feinté Rogatien Vachon. C'est donc finalement Jaroslav Pouzar qui marque le but égalisateur après un superbe jeu en triangle. Les Tchécoslovaques se précipitent sur la glace pour féliciter le héros, mais ils ont tort de se déconcentrer car le match n'est pas fini. Le Canada le leur fait comprendre en reprenant le contrôle, et un but est même refusé à Bobby Hull car l'arbitre venait tout juste d'arrêter le jeu. Ce n'est que partie remise puisque, alors que Milan Kajkl est en prison pour un coup de coude sur Peter Mahovlich, Bobby Clarke trouve un trou entre les jambières de Dzurilla pour reprendre l'avantage.

Les actions ne s'arrêtent plus de part et d'autre, et le dénouement est incroyable. En l'espace d'une minute, le Canada semble tout perdre sur des buts de Josef Augusta, pendant une pénalité contre Potvin, et de Marian Štastný. Malheureusement pour les Tchécoslovaques, leurs gardiens sont toujours aussi irréguliers. Vladimir Dzurilla perd son habituel sang-froid sur un dégagement, où il offre le palet directement à Bill Barber, qui n'en demandait pas tant pour faire oublier son passage en prison lourd de conséquences, et qui ramène les deux formations à égalité.

Il faut donc retenir son souffle pour une prolongation qui n'est pas moins haletante. Vladimir Martinec aurait pu marquer le but de la victoire, mais Rogatien Vachon, toujours sur son nuage, l'en empêche par un arrêt de la mitaine aussi extraordinaire que décisif. Le petit attaquant de Pardubice vient féliciter le gardien, il n'y a plus que ça à faire. Le Canada a à son tour une énorme occasion de but sur un débordement de Guy Lafleur, mais Ivan Hlinka revient en catastrophe et déloge la cage de ses gonds. En conséquence, il est envoyé en prison pour retard de jeu. Les Tchécoslovaques se retrouvent en infériorité et sont placés sous une grosse pression. De la bleue, le tir à ras la glace de Guy Lapointe trompe Dzurilla masqué et glisse vers la ligne de but... qu'il franchit alors que la sonnerie vient juste de retentir.

En effet, la prolongation a commencé depuis dix minutes, et il est l'heure de changer de côté selon les règles internationales du moment. Tout est à refaire. Marcel Dionne sert Darryl Sittler, lancé à plein élan, qui parvient à passer la muraille Bubla et à se présenter devant Dzurilla. Il feinte le slap pour fixer le gardien, puis s'écarte de lui et inscrit dans un angle fermé le but de la victoire.

L'année 1976 sera ainsi à marquer d'une pierre blanche dans la carrière de Darryl Sittler. L'attaquant des Toronto Maple Leafs n'a rien gagné jusqu'ici et il figure plutôt au second plan parmi les stars de NHL, mais il a doublement marqué l'histoire en quelques mois. En février, il a battu le record de tous les temps du nombre de points inscrits dans un match de NHL (10, à savoir 6 buts et 4 assists), et surtout, il marque ce but en prolongation qui le fait entrer dans la légende du hockey canadien, obtenant du même coup son unique grand titre personnel.

C'est donc au pays qui l'a initiée et qui lui a donné son nom que la première Coupe Canada est remise par le premier ministre canadien Pierre Trudeau. Au cours de cette cérémonie, le grand Peter Mahovlich échange son maillot avec un adversaire et est bientôt imité par tout le reste de l'équipe. Si cette pratique est courante en football, elle est rare en hockey et cette initiative spontanée étonne certains joueurs canadiens qui auraient parfois préféré garder leur sacro-saint chandail. Elle conclut en tout cas un tournoi qui a fermé le ban de la série du siècle et de l'opposition bipolaire Canada-URSS sur fond de guerre froide, pour faire découvrir aux spectateurs canadiens que le hockey s'internationalise et ne saurait se résumer uniquement à ce duel.

Élus meilleurs joueurs du match : Darryl Sittler pour le Canada et Vladimir Dzurilla pour la Tchécoslovaquie.

Commentaires d'après-match

Milan Nový (attaquant de la Tchécoslovaquie) : "Je suis heureux, nous avons réparé notre réputation écornée. J'ai eu la chance de marquer le but de la victoire, je me suis présenté devant Vachon, mais au moment où j'ai voulu tirer, un défenseur canadien est revenu me soulever la crosse."

Darryl Sittler (attaquant du Canada) : "Dzurilla sort tout le temps comme ça face à l'attaquant pour boucher les angles. Nous en avions parlé auparavant. L'entraîneur-adjoint Don Cherry nous a dit que si l'un de nous se retrouvait seul face à lui, il faudrait s'écarter pour le contourner au large, et c'est exactement ce que j'ai fait."

Serge Savard (défenseur du Canada) : "Il se produit des changements significatifs dans le hockey. Nous avions cinq entraîneurs avec nous au camp, chacun se concentrant sur des techniques particulières ou sur les unités spéciales. L'attitude par rapport au camp d'entraînement était bien différente de notre approche de la série du siècle. Nous savions tous que l'opposition serait forte. Il n'était plus question de juste se montrer et de gagner, à la place il y avait la peur de perdre."

Denis Potvin (défenseur du Canada) : "Dans ma carrière, je n'avais jamais vécu un tel combat ni une atmosphère si chaleureuse après un match. C'était quelque chose de fantastique. Je n'avais jamais rien gagné, que ce soit en bantam, en midget ou en junior, et je peux maintenant vous dire que c'est un merveilleux sentiment."

 

Canada - Tchécoslovaquie 5-4 a.p. (2-0, 0-1, 2-3, 1-0)
Mercredi 15 septembre 1976 au Forum de Montréal (CAN). 18040 spectateurs.
Arbitrage d'Ove Dahlberg (SUE) assisté de Vladimír Subrt (TCH) et John D'Amico (CAN).
Pénalités : Canada 10' (6', 2', 2', 0'), Tchécoslovaquie 14' (4', 6', 2', 2').
Tirs cadrés : Canada 46 (9, 11, 14, 6), Tchécoslovaquie 30 (8, 6, 7, 5).

Évolution du score :
1-0 à 01'25" : Perreault assisté de Lafleur et Potvin
2-0 à 03'09" : Esposito assisté de Potvin
2-1 à 29'44" : Nový assisté de Martinec et Machac (sup. num.)
2-2 à 42'14" : Pouzar assisté de M. Štastný et Chalupa
3-2 à 47'48" : Clarke assisté de Hull et Perreault (sup. num.)
3-3 à 55'01" : Augusta assisté de Machac et Martinec (sup. num.)
3-4 à 56'00" : M. Štastný assisté de Holík et Bubla
4-4 à 57'48" : Barber assisté de Leach et Clarke
5-4 à 71'33" : Sittler assisté de Dionne et McDonald

 

Canada

Attaquants :
Bobby Hull - Gilbert Perreault - Guy Lafleur
Bill Barber (2') - Bobby Clarke - Reggie Leach (2')
Steve Shutt (2') - Phil Esposito - Pete Mahovlich
Bob Gainey (2') - Darryl Sittler - Lanny McDonald
Marcel Dionne

Défenseurs :
Serge Savard - Bobby Orr
Guy Lapointe - Denis Potvin (4')
Larry Robinson

Gardien :
Rogatien Vachon

Tchécoslovaquie (2' de banc mineur)

Attaquants : Bohuslav Štastný (4') - Jirí Novák - Vladimír Martinec
Jirí Holík - Ivan Hlinka - Bohuslav Ebermann
Josef Augusta (2') - Milan Nový - František Cerník (2')
Jaroslav Pouzar (2') - Peter Štastny - Marian Štastný

Défenseurs :
František Pospíšil - Oldrich Machac
Milan Kajkl (2') - Jirí Bubla
Miroslav Dvorák - Milan Chalupa

Gardien :
Jirí Holecek puis Vladimír Dzurilla à 03'09"

 

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