Canada - URSS (4 septembre 1972)

 

Deuxième match de la série du siècle.

Cette série devait être une preuve de la supériorité de la NHL, mais c'est l'inverse qui se produit. Après leur éclatante victoire contre la crème du hockey canadien, les Soviétiques ont gagné le respect, et lorsqu'ils sont montés dans l'avion qui les a conduit à Toronto pour le deuxième match, tous les passagers se sont levés comme un seul homme pour les applaudir.

De plus, les Russes, modestes, laissent une bonne impression. Après leur entraînement, comme ils l'ont appris depuis tout petits chez eux, ils ramassent eux-mêmes les palets utilisés, au grand étonnement des organisateurs canadiens. Cliff Phillips, vice-président de l'Ontario Hockey Association, soupire : "Nous n'arrivons même pas à ce que nos pee-wees en fassent autant."

Tout les observateurs qui avaient prédit une victoire canadienne totale sont obligés de manger leur chapeau... et pas tous au sens figuré. Dick Beddoes, le chroniqueur-vedette du Globe and Mail, avait en effet écrit que, si les Russes parvenaient à remporter ne serait-ce qu'un seul match, il mangerait son article râpé dans du bortsch sur l'escalier de l'ambassade d'URSS. Il a finalement tenu parole et s'est présenté avec son bocal de bortsch à l'hôtel des joueurs soviétiques sympathisants, qui l'ont aidé dans sa pénitence. Vyacheslav Anissine lui a émietté le journal, et Valeri Vassiliev s'est indigné avec le sourire que l'on puisse ainsi manger du bortsch sans pain, allant donc en chercher plusieurs morceaux.

Après le désastre du premier match, il n'est plus question pour les Canadiens de faire une démonstration, mais de regagner la confiance de leurs supporters. Comme on pouvait s'y attendre, Harry Sinden opère de nombreux changements. Lui qui avait bien imprudemment aligné seulement deux paires de défenseurs avant-hier joue aujourd'hui à six arrières. L'apport de Pat Stapleton se fait particulièrement sentir, non seulement par ses montées offensives cheveux blonds au vent, mais surtout par le ménage qu'il effectue dans son enclave.

Le Canada a en effet décidé de muscler son jeu. La rencontre de samedi ayant prouvé qu'il faut le surveiller comme le lait sur le feu, Valeri Kharlamov se voit attribuer une ombre, Ron Ellis, qui est chargé de ne pas le lâcher d'un pouce. Phil Esposito est flanqué de deux nouveaux ailiers chargés du travail dans les coins, Jean-Paul Parisé et Wayne Cashman. Vainqueur de la Coupe Stanley quelques mois plus tôt avec son équipe de Boston, Cashman a pour fonction de faire feu sur tout ce qui bouge et qui porte un maillot blanc, sans s'embarrasser de scrupules. Quand on lui demandera à la fin du match quel était son rôle sur la glace, il éludera la question en répondant innocemment "ailier droit"...

Jamais avares de mises en échec, les Canadiens n'hésitent pas à utiliser de méthodes plus ou moins licites, charges avec la crosse comprises, pour étouffer les Soviétiques. Mais ils améliorent aussi très nettement leur placement défensif par rapport à samedi. Le nouveau gardien titulaire Tony Esposito fait le reste en première période, avec en particulier un arrêt miraculeux face à Valeri Kharlamov.

Les Esposito ont décidé de faire de ce match une histoire de famille, et Phil marche sur les traces de son frère en deuxième période. Alors que Yakushev l'a fait trébucher, il se relève, continue son action et la conclut par un but. À six secondes de la fin de ce tiers-temps, Liapkin est pénalisé pour cinglage, et une réflexion de Kharlamov lui vaut dix minutes de méconduite. Les Canadiens commencent donc la troisième période en supériorité numérique, et Yvan Cournoyer la concrétise grâce à sa vitesse fulgurante.

Mais Aleksandr Yalushev n'a pas dit son dernier mot. Il avait déjà raté une occasion au premier tiers face à l'excellent Tony Esposito, mais il ne manque pas la seconde alors que Bobby Clarke est en prison pour cinglage. Vingt-et-une secondes plus tard, Pat Stapleton est pénalisé à son tour pour accrocher, et les Soviétiques se retrouvent à nouveau en supériorité numérique. C'est le tournant du match... mais en faveur de l'équipe locale.

Pete Mahovlich met en effet le turbo pour récupérer un dégagement de Phil Esposito juste avant la ligne rouge. À son entrée en zone offensive, il fait si bien mine de décocher un de ces puissants slaps dont il a le secret qu'il feinte à la fois le défenseur Evgueni Poladiev et... le preneur d'images canadien, qui déplaça rapidement sa caméra pour montrer la cage. Or, le cadet Mahovlich n'avait pas tiré, il avait mis l'arrière russe dans le vent pour revenir sur son revers et glisser le palet dans les filets.

Comme c'est la journée des fratries, les Mahovlich décident de ne pas être en reste des Esposito. L'aîné, Frank, trouve deux minutes plus tard la lucarne de Tretiak, après que le forechecking de Mikita, qui retrouve l'agressivité de ses débuts, a dépossédé Anissine du palet. Le Canada a remis les choses au point. Ce ne sont pas les Soviétiques qui ont baissé de pied, mais c'est lui qui a su élever son jeu au niveau requis pour les battre.

En revanche, une chose n'était pas très au point, l'arbitrage. Les Soviétiques ne sont pas du tout contents des multiples mauvais gestes qui n'ont pas été sifflés. Quant aux Canadiens, ils font à juste titre remarquer que le jeu est trop rapide pour seulement deux arbitres. Dans les négociations menant à l'organisation de cette série, il avait été décidé d'appliquer les règles internationales. Or, celles-ci prévoient qu'une rencontre est dirigée par deux officiels, au lieu d'un arbitre central aidé de deux juges de ligne comme c'est le cas en NHL. C'était à l'évidence un point sur lequel il aurait fallu revenir, car la fédération internationale doit se convaincre que le système de l'arbitrage à trois est bien meilleur. Les deux Américains de ce soir n'ont pas vu tous les hors-jeu, et ils ont semblé dépassés, les problèmes de communication avec les Russes n'arrangeant rien.

Élus meilleurs joueurs du match : Phil Esposito et Tony Esposito pour le Canada et Vladislav Tretiak pour l'URSS.

Commentaires d'après-match

Gary Bergman (défenseur du Canada) : "Les machines ne transpirent pas, les machines ne pleurent pas, mais on peut les arrêter si on se place devant elles."

Vsevolod Bobrov (entraîneur de l'URSS) : "Le premier match a été bien arbitré, je ne comprends pas la raison de certaines des pénalités qui ont été sifflées, ni l'indulgence des arbitres envers Wayne Cashman. Si le match avait été joué en Europe, il aurait passé le match entier sur le banc de la prison."

Aleksandr Gusev (défenseur de l'URSS) : "Wayne Cashman m'a coupé au visage et j'ai eu deux minutes de pénalité. S'il m'avait fait un œil au beurre noir, j'aurais sans doute écopé de cinq minutes..."

 

Canada - URSS 4-1 (0-0, 1-0, 3-1)
Lundi 4 septembre 1972 au Maple Leaf Gardens de Toronto (CAN). 16485 spectateurs.
Arbitrage de Steve Dowling et Frank Larsen (USA).
Pénalités : Canada 8' (2', 2', 4'), URSS 16' (0', 6'+10', 0').
Tirs cadrés : Canada 36 (10, 16, 10), URSS 21 (7, 5, 9).

Évolution du score :
1-0 à 27'14" : P. Esposito assisté de Park et Cashman
2-0 à 41'19" : Cournoyer assisté de Park (sup. num.)
2-1 à 45'53" : Yakushev assisté de Liapkin et Zimin (sup. num.)
3-1 à 46'47" : P. Mahlovich assisté de P. Esposito (inf. num.)
4-1 à 48'59" : F. Mahovlich assisté de Mikita et Cournoyer
 

Canada

Attaquants :
Jean-Paul Parisé - Phil Esposito - Wayne Cashman
Ron Ellis - Bobby Clarke - Paul Henderson
Frank Mahovlich - Stan Mikita - Yvan Cournoyer
Pete Mahovlich - Bill Goldsworthy

Défenseurs :
Pat Stapleton - Bill White
Gary Bergman - Brad Park
Guy Lapointe - Serge Savard

Gardien :
Tony Esposito

Remplaçant : Ken Dryden (G).

Union Soviétique

Attaquants :
Valeri Kharlamov - Vyacheslav Starshinov - Aleksandr Maltsev
Evgeni Mishakov - Vladimir Petrov - Boris Mikhaïlov
Aleksandr Yakushev - Vladimir Shadrin - Evgueni Zimin
Vyacheslav Anisin

Défenseurs :
Aleksandr Ragulin - Guennadi Tsygankov
Aleksandr Gusev - Viktor Kuzkin
Yuri Liapkin - Evgueni Paladiev
Vladimir Lutchenko

Gardien :
Vladislav Tretiak

Remplaçant : Viktor Zinger (G).

 

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