Kazakhstan - Russie (18 février 2006)

 

Jeux Olympiques de Turin 2006, groupe B.

Turin terre de contrastes... Ce match du tournoi olympique est, à priori, le plus déséquilibré de la quinzaine. D'un côté les étoiles russes du grand cirque de la Ligue Nationale de Hockey qui viennent lors d'un show époustouflant de mettre à terre leurs homologues suédoises, de l'autre le pauvre Kazakhstan, qualifié de dernier minute, et sans classe, contre les Français encore plus pauvres qu'eux, et qui a débuté ce tournoi olympique par deux défaites, une claque 7-2 contre la Suède et un moins sévère 4-1 face aux diesels américains. A priori donc, comme à Salt Lake City où les Russes avaient battu les Kazakhstanais 9-2, on devrait assister à un parcours de santé des joueurs managés par Paul Bourret (pour écrire Pavel Bure selon l'orthographe de ses ancêtres francophones...).

Sauf que... Sauf que la Russie n'a jamais brillé, ni par sa constance, ni par la capacité de ses joueurs majeurs de rester concentrés contre plus faibles qu'eux. Sauf qu'en face, les Kazakhstanais connaissent parfaitement leurs adversaires d'un jour. Les vingt-trois joueurs du Kazakhstan sont tous russophones (d'origine russe ou ukrainienne), et s'ils sont nés dans le pays des steppes, ils jouent tous, ou ont tous joué à un moment de leur carrière en Russie. La seule touche typiquement kazakhe, c'est l'inscription "Kazakhstan" sur le maillot écrite en kazakhe, cette langue turco-mongole.

Mais attention, cela ne signifie pas que les joueurs venus des steppes ne se sentent pas citoyens kazakhstanais (le mot kazakh correspond à l'ethnie majoritaire du pays et à sa langue, le mot kazakhstanais s'applique aux citoyens de la République du Kazakhstan). Dans une interview accordée à un quotidien russe, après le triomphe de son club, le Dynamo de Moscou en coupe d'Europe, le gardien de l'équipe nationale du Kazakhstan, Vitali Eremeïev, avait répondu clairement à ce sujet. À la question : "Ne regrettez-vous pas de ne pas jouer pour la Russie ?", il avait répondu ne pas regretter du tout de jouer pour le maillot du pays où il était né, que c'était son pays et qu'en conséquence, il ne voyait pas où était le problème.

La motivation de ces joueurs est d'ailleurs là. Ils sont tous originaires de la même ville et du même club : Oust-Kamenogorsk (Öskemen en kazakh), et ont été formés au Torpedo de la ville. Même s'ils sont, en tant que joueurs professionnels, amenés à évoluer bien loin de là, ils n'en oublient jamais leurs racines. Toujours dans cette même interview, Vitali Eremeïev, ajoutait d'ailleurs, que pour lui, Evgueni Nabokov était le meilleur gardien russe... et pas uniquement parce qu'il est également originaire d'Oust-Kamenogorsk. C'est d'ailleurs l'une des originalités de ce match, Nabokov a été international junior pour le Kazakhstan, avant de choisir la citoyenneté et le maillot de l'équipe nationale russe. Même si ce cheminement a pris des années.

On comprend mieux que ce match est à part. D'ailleurs, surprise, ce sont les Kazakhstanais qui sont les mieux en jambes au tout début. La première ligne des blancs, emmenés par son extraordinaire doublette des Krylia Sovietov de Moscou (ben quoi ?) Konstantin Chafranov - Andreï Ptcheliakov, met la pression d'entrée sur la défense russe, mais Evgueni Nabokov veille face à ses anciens compatriotes. Il faut même attendre la deuxième minute pour voir le premier tir russe, mais là aussi, Vitali Eremeïev est à la parade. Une troisième minute qui voit la première pénalité, d'Alexeï Vassilchenko, le défenseur du club tatar de Superliga russe, le Neftekhimik Nijnekamsk.

C'est l'occasion, saisie par les rouges pour secouer le cocotier kazakh, bien qu'aucun cocotier n'ait jamais poussé dans les steppes glacées d'Oust-Kamenogorsk. Mais, malgré une rondelle qui tourne bien dans la zone, les Russes ne parviennent pas à ouvrir le score. Cela leur permet cependant de se mettre dans la partie et ils poursuivent ainsi leur domination, sans pour autant être à l'abri d'un contre rondement mené par un Dimitri Oupper (CSKA) ou par les frères Korechkov (anciens champions de Russie et d'Europe avec Magnitogorsk). Le problème pour les Kazakhstanais est que les arbitres ne laissent passer aucune faute dans ce tournoi. Du coup, Ptcheliakov est à son tour sanctionné à la septième, puis de nouveau Vassilchenko à la onzième. Mais la Russie n'en profite toujours pas et au contraire, les Kazakhstanais peuvent respirer après que l'arbitre suédois a envoyé Alexandre Ovetchkine se calmer pendant deux minute après une charge plus que limite. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois dans ce tournoi que la merveille du Dynamo désormais à Washington, se laisse aller à des charges virulentes. Peut-être le complexe du "rookie" qui veut se faire respecter de ses aînés. Franchement, Sacha, tu n'a pas besoin de cela, laisse ton immense talent simplement parler pour toi !

Mais les Kazakhstanais ne parviennent pas à profiter de cette première supériorité du match, car juste après, Andreï Koledaiev, du Sibir Novossibirsk est à son tour sanctionné. Les pénalités se succèdent, et on voit même l'autre jeune merveille de la Russie, Evgueni Malkine, se rendre coupable, comme son homologue dans la classe Ovetchkine, d'une charge pas classe du tout, elle. Un coude franchement haut qui est immédiatement sanctionné. Mais tout cela ne change pas grand-chose au score. Vitali Eremeiev est impérial dans sa cage, et Evgueni Nabokov fait très bien le peu qu'il a à faire. Le championnat des gardiens d'Oust-Kamenogorsk se termine donc par un 0-0 à la première pause.

Et il va avoir du travail dans la deuxième période, le gardien du Dynamo de Moscou... Sa défense, malmenée, est "forcée" de faire beaucoup de petites fautes, toutes sanctionnées. Le Kazakhstan se retrouve donc pour la première, mais pas pour la dernière, fois en double infériorité dès la quatrième minute de ce tiers. Une obstruction de Maxime Afinoguénov à la fin de ce premier supplice du match à trois contre cinq permet au moins aux Kazakhstanais de souffler un peu. À la mi-match, les petits poucets de la steppe résistent toujours face à l'ours russe. Pas pour longtemps. À la trente-deuxième minute, c'est fini, la Russie a ouvert le score. Un tir puissant de Maxime Souchinski est renvoyé par son coéquipier de club, mais Vitali Eremeiev n'a pas le temps de se remettre en place dans sa cage, il est un peu avancé, ce dont profite son autre coéquipier, Alexandre Kharitonov, placé derrière le but, pour contourner la cage et loger la rondelle le long du poteau gauche de son camarade de club (0-1 à 31'38"). Il a fallu attendre la moitié du match pour voir le Kazakhstan fléchir.

La suite de ce tiers va être un long calvaire pour la meilleure équipe d'Asie. Les Kazakhstanais doivent, pour ne pas couler faire des fautes, et ils accumulent les minutes à trois contre cinq : l'attaquant d'Oust-Kamenogorsk (enfin, ils viennent tous de là, mais lui y joue encore actuellement...) Andreï Ogorodnikov est tout d'abord sanctionné, son coéquipier Andreï Trochtchinski le rejoint une minute plus tard. Ouf, se dit Vitali Eremeïev lorsque Ogorodnikov sort de prison, sans qu'il y ait eu de dommage pour le score... sauf qu'à ce moment-là, Evgueni Korechkov est à son tour sanctionné. Et cela repart pour un tour. La Russie fait le siège, mais Eremeïev renvoie tout, tout, tout et ratatout.

On respire un peu du côté du Kazakhstan, lorsque la Russie, qui n'arrive pas à faire la décision, se fait sanctionné pour un surnombre (une "habitude" puisque cela avait déjà été le cas lors du premier match contre la Slovaquie). Mais si cela permet au moins aux Kazakhstanais de gagner un peu de temps et de souffle, cela ne dure pas car à la dernière minute du tiers, deux autres joueurs d'Asie centrale sont sanctionnés, Argokov et Oupper, sont sanctionnés à dix secondes d'intervalle. Cependant, Vitali Eremeïev est partout et son poteau l'aide "un peu" lors de cette ultime minute du tiers...

Les Russes ont encore une possibilité d'enfoncer le clou sur la fin de cette double supériorité numérique en début de dernier tiers, mais cela ne passe toujours pas. Un dernier tiers où les Kazakhstanais prennent beaucoup moins de prison, juste une pour Dimitri Oupper en fin de match, mais le remuant attaquant du CSKA est également l'auteur d'une superbe échappée, tout autant magnifiquement détournée par Evgueni Nabokov. Dans les dix dernières minutes, on les voit même mettre un peu plus le nez à la fenêtre, en menant des raids, parfois dangereux, en particulier, un beau slalom d'Alexandre Korechkov, une fois encore parfaitement annihilé par Nabokov. Ce n'est pas que le Kazakhstan met vraiment en danger la Russie, mais ces attaques sèment quand même le doute dans les esprits russes, qui se disent qu'une seule réussite les mettrait dans le pétrin. Alors, ils resserrent la garde, Darius Kasparaitis est même à deux doigts, fidèle à sa réputation, d'en coller une à un adversaire, mais, malgré une inefficacité "impressionnante" en supériorité numérique (sept tentatives et autant d'échecs), la Russie parvient sans trop d'encombre à conserver son petit but d'avance jusqu'à la sirène finale.

Tout le monde est content. Les joueurs du Kazakhstan ont montrés à leurs employeurs russes qu'ils avaient du cœur et à leurs supporters qu'ils étaient capables d'éviter d'accumuler les claques dans un tournoi olympiques où ils ont leur place. Vitali Eremeïev a prouvé à son entraîneur de club, Vladimir Krikounov, également entraîneur de la Russie, qu'il n'avait rien perdu de son talent, puisque son coach avait déclaré n'avoir pas reconnu son gardien lors de la déroute kazakhstanaise contre la Suède. Enfin, Evgueni Nabokov a enchaîné deux blanchissages de suite. Cela signifie que, depuis qu'il est gardien de l'équipe nationale de Russie, la Sbornaïa n'a toujours pas encaissé de but... La Russie a peut-être trouvé son porte-bonheur.

Un match qui se termine sur un beau geste, Nabokov qui tombe dans les bras de Eremeïev. Comme à l'époque du Torpedo Oust-Kamenogorsk...

Compte-rendu signé Bruno Cadène

 

Commentaires d'après-match

Nikolaï Myshagin (entraîneur du Kazakhstan) : "Je souhaite que la Russie aille en finale et soit championne olympique. Je suis content de la combativité et du jeu de mon équipe. C'était l'anniversaire de Nikolaï Antropov aujourd'hui, et les joueurs ont fait un bon match à cette occasion. Hélas, il y a encore eu trop de prisons. Nous avons pris 70 minutes en trois matches, on peut dire que nous avons passé un match entier en infériorité. Les joueurs les plus talentueux évoluent dans les deux premières divisions russes. Nous les rassemblons juste avant les compétitions. Nous sommes arrivés ici avant les autres, le 7 février, et nous avons essayé de nous habituer aux nouvelles règles, mais nous connaissons d'énormes problèmes avec elles. Mais heureusement, les bons joueurs existent, et nous allons emmener six nouveaux dans notre effectif au Mondial de Riga. Jusqu'ici notre chemin de développement me fait penser à la Finlande."

Vladimir Krikunov (entraîneur de la Russie) : "Nous savons qu'il est difficile de jouer contre d'autres républiques post-soviétiques : nous avions vécu le même genre de combat aux derniers championnats du monde. Pour les joueurs arrivés d'Amérique du nord, c'est aujourd'hui qu'a commencé le moment le plus difficile, le quatrième jour d'acclimatation. Nous avons quand même fait cinquante tirs, mais Eremeïev a bien joué. Cela me réjouit en un sens, puisqu'il joue dans mon club. Le fait que nous ayons pu préserver ce score minimal est le mérite de Nabokov. Je voulais faire jouer Sokolov demain, mais il faudra se demander si nous avons le droit de changer un gardien après deux blanchissages. Peut-être qu'Evgeni va établir un record aux Jeux Olympiques ?"

 

Kazakhstan - Russie 0-1 (0-0, 0-1, 0-0)

Samedi 18 février 2006 à 11h35 à Torino Esposizioni. 3660 spectateurs.

Arbitrage de Christer Lärking (SUE) assisté de Stefan Fonselius (FIN) et Thomas Gemeinhardt (ALL).

Pénalités : Kazakhstan 26' (8', 14', 4'), Russie 12' (6', 4', 2').

Tirs : Kazakhstan 24 (10, 7, 7), Russie 50 (15, 23, 12).

Évolution du score :

0-1 à 31'38" : Kharitonov assisté de Sushinsky et Malkin

 

Kazakhstan

Gardien : Vitali Eremeïev.

Défenseurs : Alekseï Koledaïev - Artyom Argokov ; Alekseï Vassilchenko - Evgueni Pupkov ; Oleg Kovalenko - Vladimir Antipin ; Denis Shemelin.

Attaquants : Konstantin Shafranov - Andreï Pchelyakov - Dmitri Dudarev ; Andreï Ogorodnikov - Evgueni Koreshkov - Aleksandr Koreshkov ; Andreï Samokhvalov - Dmitri Upper - Nikolaï Antropov ; Sergueï Aleksandrov - Fedor Polishchuk - Andreï Troshchinsky.

Remplaçant : Vitali Kolesnik (G). Absent : Evgueni Blokhin.

Russie

Gardien : Evgeni Nabokov.

Défenseurs : Andreï Markov - Daniil Markov ; Fedor Tyutin - Anton Volchenkov ; Darius Kasparaitis (A) - Sergei Gonchar ; Vitali Vishnevsky - Sergei Zhukov.

Attaquants : Ilya Kovalchuk - Pavel Datsyuk - Alekseï Kovalev (C) ; Aleksandr Ovechkin - Alekseï Yashin (A) - Maksim Afinogenov ; Aleksandr Kharitonov - Evgeni Malkin - Maksim Sushinsky ; Aleksandr Frolov [puis Ovechkin à 40'00"] - Viktor Kozlov - Aleksandr Korolyuk.

Remplaçant : Maksim Sokolov (G).

 

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