Lokomotiv Yaroslavl - Ak Bars Kazan (22 mars 2005)

 

Quart de finale de la Superliga russe 2004/05, quatrième manche.

Le match de la mort. Le Tatarstan prie pour la victoire et le reste de la Russie soutient le Lokomotiv en espérant une chute de la sélection mondiale. Mettre beaucoup (mais vraiment beaucoup...) d'argent dans une équipe condamne à la réussite, sinon, c'est l'humiliation des rires bien gras...

Battus deux fois dans son Sport Saraï de Kazan, Ak Bars a réussi à entretenir l'espoir la veille dans l'Arena-2000 de Iaroslavl en s'imposant aux tirs au but, après un bien triste 0-0 conservé par son portier canadien Fred Brathwaite, qui a étonnamment remplacé Nikolaï Khabibulin - pourtant décrit comme le meilleur gardien du championnat par son entraîneur à la veille des play-offs - avant le match d'hier. Personne n'est cependant convaincu par cette victoire. Jamais les Verts ne sont allés la chercher, ils ont attendu que cela se termine en mettant tous leurs espoirs dans la loterie des penalties. Un peu triste comme "philosophie" de jeu, mais il semble que l'équipe de Bilialetdinov ne puisse offrir autre chose...

On espère cependant qu'au pied du mur Kazan et sa multitude d'étoiles dignes d'un conte des mille et une nuits se mettent enfin a produire du jeu, du beau et du bon. Le début de la rencontre le laisse espérer. Les premiers instants sont tatars avec la première flèche décochée par celui qui se prénommerait Ivan si ses parents s'étaient appelés Ivanov, mais comme son nom de famille est Denissov, son petit nom est Denis... (ça marche aussi avec Mikhaïlov). Mais le parfait Marc Lamothe est présent d'entrée de jeu. Cela encourage cependant les visiteurs. Même s'il n'y a pas vraiment de danger devant la cage, cela dénote cependant une bonne volonté (une envie ?).

Le problème, c'est que tout cela s'effondre à la première bêtise de Darius Kasparaitis. Celui-là, depuis que je le vois jouer (Méribel 1992), je me demande parfois à quoi il sert, à part à mettre son équipe en difficulté par des fautes stupides. À la sixième minute, il met une charge dans le dos d'un attaquant du Loko, et en prenant de l'élan... En plus, il trouve le moyen de faire un geste de dépit en direction de l'arbitre qui le sanctionne pourtant bien légèrement de deux petites minutes. C'est rare de voie un joueur qui part en prison sans jouer les innocents injustement condamnés, mais chez Kasparaitis, c'est devenu une seconde nature. La télé remontre le ralenti, et si j'étais lui, je me cacherais de honte... Cette prison change tout, le Loko investit le camp de Kazan et imprime un bon rythme pendant les minutes suivantes. Un bel effort, également interrompu par une prison.

Le problème dans ce match, c'est que tout le monde a peur. Kazan d'être éliminé, Iaroslavl de refaire un non-match comme la veille et de se faire piéger en retournant jouer au Tatarstan, et surtout l'arbitre qu'on lui reproche quelque chose, du genre d'avoir éliminé à lui tout seul la sélection mondiale. Alors, Monsieur Ravodine ne se mouille pas. Dans un premier temps, il laisse faire, en particulier les fautes d'énervement des Verts de Kazan. Il s'aperçoit alors que cela n'est pas tenable, car le jeu risque de dégénérer. Alors il sanctionne, mais par crainte d'enfoncer Kazan, il "équilibre" les pénalités. Vieille méthode. Alexeï Kovalev fait une faute (14e) sur le défenseur tchèque Karel Rachunek, et même si ce dernier réplique à peine, il envoie les deux en prison. Bon. L'ennui, c'est qu'il remet cela quatre minutes plus tard. Il envoie d'abord le remuant (et excellent) attaquant Ivan Tkatchenko sur le banc (18e), sur une faute bof... Alors, il doit s'apercevoir qu'être accusé d'avoir enfoncé le Loko n'est pas mieux que d'être accuse d'avoir sauvé Kazan... Il sanctionne donc Alexeï Jitnik juste avant la première pause.

Petits calculs arbitraux et grandes conséquences. À quatre contre quatre, le Loko poursuit sa pression et ça paie. À seize secondes de la fin du tiers, le défenseur Ilia Gorokhov envoie un missile depuis la ligne bleue qui passe entre les jambes de Fred Brathwaite. Boum ! 1-0 ! Juste avant la pause. Explosion de joie des 9046 spectateurs (il y a 9046 places dans l'Arena-2000) et tempête de crânes sous les casques tatars, qui n'avaient pas besoin de cela pour douter encore un peu plus.

Le deuxième tiers démarre sous les mêmes auspices que le premier s'était terminé. Monsieur Ravodine ne veut toujours pas d'ennuis ! Dès la première minute, il envoie à la fois le joueur visiteur Viatcheslav Kozlov et l'attaquant local Ivan Nepraïev en prison. Puis une minute plus tard, idem pour Kovalev (Kazan) et Gorokhov (Iaroslavl). Heu, monsieur l'arbitre, faudrait quand même prendre un peu vos responsabilités, il y en a quand même toujours un qui fait la faute en premier...

Monsieur Ravodine se décide enfin lorsque Sergueï Zinoviev met une vilaine charge et prend deux plus dix. Le Loko en profite pour asseoir un peu plus sa domination, même si la plus grosse occasion du tiers est à l'actif des visiteurs. Le Moscovite krylien de Kazan, Alexeï Morozov, sème la panique dans la défense des locaux du Loko en partant de derrière la cage. Son tir en coin passe derrière Marc Lamothe, longe la ligne de but, mais ne rentre pas, le gardien québécois s'étant in extremis couché sur le palet. C'est la seule action dangereuse du tiers pour Kazan...

Autrement, l'arbitre reprend sa bonne habitude d'envoyer un joueur de chaque côté en prison en même temps. Ce sont Nepraiev (Loko) et Epantchintsev (Ak Bars) qui sont pris par la patrouille. Ils finissent de purger leur peine et l'on pense que le tiers va se terminer ainsi. Sauf que comme à la première période, on entend siffler le train... Un contre très rondement mené en une-deux entre Anton Bout et Vladimir Antipov, un tir violent détourné devant la cage par le défenseur tchèque Karel Rachunek, et cela fait 2-0 à vingt-trois secondes de la fin du tiers. Alors là ! Gros plan de la télé sur le visage livide de Zinetoula Bilialetdinov. L'entraîneur de Kazan est pâle comme un linge...

Cette fois-ci, a vingt minutes de la fin du match, va-t-on enfin voir ce que l'on attend depuis le début de la saison ? Une révolte, un moment de folie de la part de cette équipe de Kazan ? N'est-il pas possible qu'il n'y ait pas un brin d'orgueil chez ces joueurs ? Surtout que d'entrée de jeu (19 secondes), Ak Bars est en supériorité suite à une pénalité infligée à Ivan Nepraiev. Kazan a toutes les cartes en main pour sonner le clairon de la révolte.

Bof... Certes, la domination est verte, certes, cela tire plus sur la cage de Marc Lamothe, mais cela n'est pas bien impressionnant. Toute l'équipe de Iaroslavl est tendue vers le même objectif, "tenir, gagner du temps et placer des contres meurtriers..."

Et effectivement le temps passe, Iaroslavl tient et aucune envie monstrueuse de gagner ne semble submerger les joueurs de Kazan. Bilialetdinov crie même à ses joueurs "Ne dormez pas !" Et pourtant, c'est bien le sentiment que l'on a. D'une si longue sieste, d'une hibernation. En plus, Kasparaitis trouve le moyen de retourner en prison a moins de cinq minutes de la fin. Bien joué ! Même si juste après, c'est le défenseur Ilia Gorokhov, auteur du premier but, qui fait la faute à ne pas commettre à 57'51. Fred Brathwaite sort de sa cage. C'est le moment de vérité ! Sauf que Dany Heatley, l'auteur du tir au but décisif hier, fait à son tour une faute stupide à trente et une secondes de la fin. Brathwaite revient sur la glace... mais c'est le moment où Vitali Prochkine place un missile depuis pratiquement la zone neutre qui laisse pantois Marc Lamothe. 2-1 à dix secondes de la fin ! Brathwaite ressort... Engagement dans la zone d'attaque de Kazan. Rien. 2-1 pour le Lokomotiv Iaroslavl qui gagne la série trois victoires a une et qui rejoint en demi-finale le Dynamo Moscou et le Lada Togliatti.

Ak Bars Kazan est donc sorti, sans gloire, dans la honte dès les quarts de finale, après n'avoir même pas pu faire mieux que quatrième de la première phase. Cette équipe est morte, déclare le président du club tatar. Milles condoléances, titre Sport Express. Que dire à part ces évidences. Jamais cet effectif n'a joué en équipe. Jamais il n'y a eu d'âme. Une sélection de grands joueurs a été humiliée par un club. Car le Lokomotiv a joué en club. Des 9000 (9046 !) supporters au gardien remplaçant, tout le monde a tiré dans le même sens. Finalement, c'est moral !

Quant au millième anniversaire de la ville de Kazan, les autorités tatares auraient peut-être mieux fait de miser... sur le volley-ball. La beaucoup plus modeste équipe de Transtatnefgaz Kazan s'est qualifiée pour les demi-finales de la Superliga de volley en compagnie des trois géants du volley russe : Belgorod (champion de Russie et champion d'Europe), Odintsevo (vainqueur de l'autre coupe d'Europe) et le Dynamo Moscou du capitaine de l'équipe de France Dominique Daquin.

Une bonne leçon à méditer. Eh oui, l'équipe 2005 d'Ak Bars Kazan est morte... et tout le monde s'en moque, c'est ça le pire...

Étoiles du match : *** Alekseï Yachine (Iaroslavl), ** Karel Rachunek (Iaroslavl), * Marc Lamothe (Iaroslavl).

Compte-rendu signé Bruno Cadène

  

Commentaires d'après-match (dans Sovietsky Sport)

Kari Heikkilä (entraîneur de Yaroslavl) : "Hier, j'avais dit que nous n'étions pas prêt à battre Ak Bars trois fois de suite. Aujourd'hui, nous avons su conclure. En première période, nous avons joué notre meilleur hockey de la saison. Les buts inscrits dans les fins de tiers-temps nous ont donné confiance psychologiquement. Je ressens une profonde satisfaction. [...] Alekseï Yashin est une personnalité saillante, en tant que joueur et en tant qu'homme. C'est le vrai leader de l'équipe. [...] Je ne suis pas rassasié de victoires, j'ai toujours faim."

Zinetula Bilyaletdinov (entraîneur de Kazan) : "Nous avons pris trop de pénalités, qui ont cassé notre rythme. Nous avons été mauvais en attaque, nous n'avons pas utilisé nos têtes. Si Khabibulin n'a pas joué, c'est parce qu'il est blessé. Cette saison a été indiscutablement difficile. J'aurais aimé gagner et faire ce cadeau d'anniversaire à Kazan pour ses mille ans, mais... Je peux seulement dire que j'ai acquis une expérience très profitable. Il faut beaucoup de patience pour travailler avec de tels champions. C'est le sport. Personne ne m'a enjoint de gagner absolument. Bien sûr, il était souhaitable de remporter le titre pour l'anniversaire, mais personne ne peut exiger la victoire à tout prix."

Ilya Kovalchuk (attaquant de Kazan) : "Que dire ? Les joueurs de Yaroslavl étaient plus forts que nous. Ils ont gagné. Je suis ému, les mots me manquent. Une équipe unique avait été assemblée. Quand en reverra-t-on une pareille ? Juré, tout le monde a essayé et voulait montrer son meilleur hockey. Mais dans cette équipe, il n'y avait personne pour poser le jeu, pour place à temps les combinaisons nécessaires sur la glace. Je ne sais pas pourquoi. [...] Je n'ai aucun plan pour l'instant. Si c'est cet entraîneur [Bilyaletdinov] qui dirige la sélection, je n'irai pas aux championnats du monde. Il faut prendre du plaisir à jouer au hockey, pas souffrir et se forcer. Si entre hommes on ne se comprend pas... Si je dois rester sur le banc 10 ou 15 minutes à la suite... Si je joue seulement à cinq contre cinq... Je considère que nos chemins doivent se séparer."

 

Lokomotiv Yaroslavl - Ak Bars Kazan 2-1 (1-0, 1-0, 0-1)

Mardi 22 mars 2005 à 18h30 à l'Arena-2000 de Yaroslavl. 9046 spectateurs.

Arbitrage de M. Ravodin (Moscou) assisté de MM. Kamurkin et Olenin.

Pénalités : Yaroslavl 18', Kazan 20'+10'.

Tirs : Yaroslavl 29 (12, 7, 10), Kazan 20 (3, 4, 13).

Évolution du score :

1-0 à 19'44" : Gorokhov assisté de Yashin

2-0 à 39'37" : Rachunek assisté de But et Antipov

2-1 à 59'50" : Proshkin

 

Lokomotiv Yaroslavl

Gardien : Marc Lamothe (CAN).

Défenseurs : Curtis Murphy (CAN) - Alekseï Vassiliev ; Karel Rachunek (TCH) - Aleksandr Karpovtsev ; Dmitri Krassotkin (c) - Ilya Gorokhov ; Sergueï Zhukov.

Attaquants : Dmitri Vlasenkov - Igor Korolev - Ivan Nepraïev ; Ivan Tkachenko - Nikolaï Antropov (RUS/KAZ) - Alekseï Yashin ; Vladimir Antipov - Artiom Kryushkov - Anton But ; Piotr Schastlivy - Grigori Shafigullin - Alekseï Mikhnov ; Aleksandr Galimov.

Remplaçant : Egor Podomatski (G).

Ak Bars Kazan

Gardien : Fred Brathwaite (CAN, sorti de sa cage de 57'51" à 59'29" et de 59'50" à 60'00").

Défenseurs : Alekseï Zhitnik - Vitali Proshkin ; Ruslan Saleï (RUS/BLR) - Denis Denissov ; Dmitri Bykov - Darius Kasparaitis (RUS/LIT) ; Andreï Pervyshin - Nikolaï Ignatov.

Attaquants : Enver Lisin - Sergueï Zinoviev - Alekseï Morozov ; Vyacheslav Kozlov - Vincent Lecavalier (CAN) - Alekseï Kovalev ; Ilya Kovalchuk - Vadim Epanchintsev (c) - Dany Heatley (CAN) ; Danis Zaripov - Denis Arkhipov - Alekseï Simakov.

Remplaçant : Nikolaï Khabibulin (G).

 

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