France - Suisse (12 février 1992)

 

Jeux Olympiques d'Albertville 1992, premier tour, groupe B.

En tenant bravement tête aux Canadiens et aux Tchécoslovaques, les Français ont presque banalisé l'exploit que constituerait une victoire contre la Suisse, une équipe qu'ils n'avaient encore jamais battue il y a trois ans et qui ne leur fait maintenant plus peur, portés qu'ils sont par l'euphorie olympique.

Après les deux lourdes défaites initiales de ses hommes, Juhani Tamminen, l'entraîneur des Suisses, a annulé leur séance d'entraînement d'hier pour qu'ils se changent les idées. Il a également choisi de réduire son alignement à trois blocs contre la France. La concentration de ces talents paraît intrinsèquement supérieure aux tricolores.

Tamminen a donné pour consigne de tester Petri Ylönen, jugé vulnérable sur les tirs de loin. Cette tactique transparaît à la septième minute quand Kessler prend un lancer en entrée de zone. Le gardien de Rouen le repousse avec des appuis semblant précaires. La Suisse a un très léger avantage jusqu'à la mi-période, quand, au rebond d'un tir sur mise au jeu de Serge Poudrier, Gil Montandon commet une faute évidente en retenant la crosse de Christophe Ville. Les tribunes ont sifflé, mais pas l'arbitre... Par contre, il ne manque pas de sanctionner Pat Dunn qui à force de rudoyer Fair le fait trébucher derrière la cage. Sur l'avantage numérique, Samuel Balmer prend un lancer de la bleue. Briand, en plongeant crosse en avant, a malheureusement dévié du bout de sa palette cette rondelle qui a pris la trajectoire de la lucarne d'Ylönen (0-1, 12'26"). Les joueurs de Fribourg-Gottéron n'ont pas fini de faire des misères aux Français : Mario Rottaris, en un contre un face à Poudrier, laisse sur place le défenseur franco-canadien par sa magnifique feinte et marque ainsi son premier but en sélection (0-2, 13'28"). Le septième des derniers championnats du monde a rappelé à l'ordre hiérarchique une équipe locale qui n'a jamais connu que le Mondial B.

Le récent naturalisé Keith Fair - le seul de l'équipe helvétique après la blessure de Honegger - vient patiner pas si discrètement devant Ylönen et prend 2'+2' pour faire trébucher. Les spectateurs français semblent se réveiller, même si leurs encouragements paraissent très désordonnés. Désordonnés à l'image du jeu de puissance tricolore, en fait, qui se fait prendre le palet par Künzi, et qui n'arrive ensuite plus à s'installer. Pire, il sort lui-même de la zone offensive par de mauvaises passes en retrait grotesques, comme celle de Pouget qui venait pourtant de remonter seul toute la glace. Mais en quatre minutes d'avantage numérique, il y a le temps de s'améliorer... Après un travail dans le coin de Poudrier et Pousse, le capitaine Antoine Richer ressort le palet derrière la cage et donne à Philippe Bozon à la bleue. Celui-ci redirige bien vers Christophe Ville qui tire au ras du poteau au-dessus de la jambière du gardien, comme Rottaris avant lui (1-2, 18'29"). Un but mérité pour Ville, le joueur français le plus actif, pour gêner la relance adverse ou plus généralement pour aller mettre la pression en fond de zone.

Bien qu'ils aient marqué sur un beau mouvement collectif, les Bleus recourent parfois à une tactique singulière : donner le palet à Bozon et le regarder traverser toute la patinoire. C'est ce que fait Lemoine au début du deuxième tiers-temps, et le Boz', des abords de la cage d'Ylönen, va jusque dans l'enclave adverse où il adresse un bon tir du revers, repoussé de la jambière par Renato Tosio. À 22'19", Fair tient décidément à prouver aux anglophones qu'il porte mal son nom, avec un violent cinglage sur Laporte sous les yeux de l'arbitre. Tosio se fait une grosse frayeur en dégageant un palet directement sur Ville. Au retour à égalité numérique, Brodmann, seul au second poteau, voit arriver le palet sur lui quand un tir sur engagement de Kessler est contré par la culotte de Saunier, mais Petri Ylönen plonge en catastrophe.

Encore une fois, c'est Christophe Ville qui réalise une entrée de zone pleine de punch poursuivie dans le coin. Sa détermination est prolongée par celle de Michel Leblanc dont le tir est contré. Peter Almasy est en embuscade derrière le filet et réalise un tour de cage de fin renard sur son revers (2-2, 27'37").

Tamminen change de stratégie et fait rentrer dès l'engagement la quatrième ligne qu'il avait jusqu'alors cantonné au banc. Une minute plus tard, Benoît Laporte est pénalisé pour dureté, mais la France s'en sort malgré une occasion de Künzi sur une bonne passe de Montandon. Au contraire, la prison de Rottaris pour retenir vaut très cher : Richer centre pour Ville qui voit le gardien Tosio surgir pour repousser le palet, mais Pierre Pousse est juste derrière son coéquipier et marque (3-2, 32'52"). La France a complètement renversé la situation et une ola se déclenche dans les tribunes. Les blancs sont maintenant déchaînés : Babin trouve la mitaine de Tosio, et Bozon élimine Kessler à la bleue sans trouver la passe pour Richer. La meilleure occasion est cependant suisse : Jörg Eberle déborde sur la droite et laisse en retrait dans l'enclave. Ylönen se couche devant Ton, qui ne parvient pas à lever le palet et tire à ras la glace à côté.

Dans la continuité de l'action, Christophe Ville lâche sa crosse en travers du visage de Jörg Eberle en plein élan et s'en tire à bon compte avec une simple pénalité mineure, car le Suisse est plus que sonné. Pendant la prison de son camarade, Bozon s'énerve sur Brodmann et cette pénalité malvenue laisse son équipe à trois pendant une minute. Lourde conséquence. Thomas Vrabec, qui avait pourtant accumulé les gaffes (presque) tout au long de sa présence, prend un lancer de la bleue à une minute de la fin de la première pénalité (3-3, 38'14"). Heureusement pour les Bleus que le cross-check contre la cage de Perez sur Montandon, en train de lever les bras, échappe à l'arbitre, car on sent qu'ils sont en train de retomber dans leurs travers et de ruiner par leur indiscipline un match capital pour le hockey français et si bien démarré. Les nerfs des Suisses lâchent aussi : obstruction de Brodmann sur Ylönen et charge avec la crosse de Howald sur Pouget.

Pendant la pause, Kjell Larsson a pu communiquer son calme olympien à ses joueurs, qui reprennent le jeu à cinq contre trois pour près d'une minute. Mais le lancer de la bleue de Bozon frappe le poteau et la tentative de bis repetita d'Almasy en tour de cage est un peu trop téléphonée. Néanmoins, la Suisse ne refait plus surface. Sa troisième ligne passe une longue séquence dans sa zone défensive face au premier bloc français, à cause de Rottaris qui a perdu le bénéfice du palet en voulant dribbler Richer dans son camp. Entre les Helvètes qui ne passent absolument plus à un contre un et les Bleus qui accumulent les hors-jeu, le rythme décroît. Quand Patrick Howald déborde côté gauche et se fait accrocher par Botteri, c'est une aubaine pour des rouges guère dangereux. La boîte française bien en place tue cependant la pénalité. Sur l'engagement suivant, Bozon perce droit dans la défense et provoque un cinglage de Brasey. Les blancs font bien circuler le palet mais la Suisse retrouve de la gnac au bon moment.

Le match s'emballe enfin. À deux contre un, Pat Dunn choisit le tir mais le rebond dans l'axe ne prend pas la direction la plus favorable. Dans l'autre sens, un palet traînant dans le slot n'est pas plus exploitable après un lancer de la droite de Brodmann. Les deux équipes se neutralisent et on s'achemine vers un score nul... Mais à trois minutes de la fin, Christophe Ville gagne une mise au jeu en zone offensive face à Thomas Vrabec et libère le palet vers Jean-Philippe Lemoine à la bleue. Le grand défenseur donne naissance à un superbe jeu en triangle avec Peter Almasy et Stéphane Barin à la conclusion (4-3, 56'42"). L'arbitre consulte ses juges de ligne car Tosio était dans une position curieuse pendant le tir, mais c'est en fait Vrabec, doublement perdant dans son duel, qui a poussé Ville sur son gardien... À deux minutes de la fin, le centre de Berne a une chance de se racheter de sa médiocre prestation quand il reçoit à la bleue une bonne relance de Bertaggia, mais Denis Perez plonge pour le faucher. La France finit donc à quatre joueurs, mais même à cinq ou à six, les Suisses trouvent le moyen d'être en sous-nombre dans les duels le long des bandes.

Le meilleur joueur sur la glace était suisse : Gil Montandon, auteur du premier tir cadré du match, a été jusqu'à la fin à l'origine de toutes les bonnes présences offensives. Créateur invétéré, pas toujours suivi dans ses inspirations, il était surtout au troisième tiers-temps le seul centre suisse à gagner ses engagements. Sa constance contraste avec le déclin de ses coéquipiers.

Pour construire le jeu en zone neutre, les Français n'avaient personne, eux. Soit ils s'en remettaient à quelques individualités pour passer les deux bleues d'un seul tenant, soit ils lançaient le palet contre la bande pour aller porter le jeu en fond de zone. Mais une fois installés dans le camp adverse, les tricolores au jeu auparavant si primaire sont capables de splendides mouvements collectifs, qui ont amené deux buts. L'énergie et la malice ont fait le reste. C'est une équipe consciente de ses possibilités et de ses limites qui a tracé son chemin vers cette victoire historique.

Étoiles Hockey Archives : *** Gil Montandon (Suisse), ** Christophe Ville (France), * Philippe Bozon (France).

Compte-rendu signé Marc Branchu

 

Commentaires d'après-match (dans L'Équipe)

Christophe Ville (attaquant de la France) : "On a essayé d'envoyer le palet au fond. On savait que les Suisses n'aimaient pas trop le jeu physique. On les a pris à ce jeu-là. Dès qu'on récupérait le palet, on balançait devant, pour passer leur rideau, on courait et on voyait. [...] On peut jouer avec le Canada, les États-Unis, et c'est déjà un gros progrès. Mais, sur les Russes, on a dix ans, vingt ans de retard. C'est un autre monde, on va peut-être s'en prendre sept ou huit."

 

France - Suisse 4-3 (1-2, 2-1, 1-0)
Mercredi 12 février 1992 à la patinoire de la Chaudanne, à Méribel. 6102 spectateurs.
Arbitrage de Seppo Mäkelä (FIN) assisté de Janne Rautavuori (FIN) et Richard Schütz (ALL).
Pénalités : France 12' (2', 6', 4'), Suisse 14' (4', 8', 2').
Tirs : France 31 (7, 15, 9), Suisse 24 (8, 10, 6).

Évolution du score :
0-1 à 12'26" : Balmer assisté d'Eberle (sup. num.)
0-2 à 13'28" : Rottaris assisté de Fair
1-2 à 18'29" : Ville assisté de Bozon et Richer
2-2 à 27'37" : Almasy assisté de Ville
3-2 à 32'52" : Bozon assisté de Ville et Richer (sup. num.)
3-3 à 38'14" : Vrabec assisté de Fair (double sup. num.)
4-3 à 56'42" : Barin

 

France

Attaquants :
Christian Pouget - Antoine Richer (C) - Philippe Bozon
Peter Almasy - Christophe Ville (A) - Stéphane Barin
Pat Dunn - Benoît Laporte - Arnaud Briand
Michaël Babin - Yves Crettenand - Pierre Pousse.

Défenseurs :
Jean-Philippe Lemoine - Stéphane Botteri
Denis Perez (A) - Serge Poudrier
Bruno Saunier - Michel Leblanc.

Gardien :
Petri Ylönen.

Remplaçants : Jean-Marc Djian (G), Gérald Guennelon, Pascal Margerit.

Suisse

Attaquants :
Jörg Eberle [remplacé par Celio de 36'15" à 50'18"] - Thomas Vrabec - Andy Ton
Patrick Howald - Gil Montandon - Peter Jaks
Mario Brodmann - Mario Rottaris - Keith Fair
André Rötheli - Alfred Lüthi - Manuele Celio.

Défenseurs :
Samuel Balmer - Sven Leuenberger
Patrice Brasey - André Künzi
Dino Kessler - Sandro Bertaggia.

Gardien :
Renato Tosio (sorti de sa cage à 58'50").

Remplaçants : Reto Pavoni (G), Andreas Beutler. Absent : Doug Honneger (doigt cassé, rentré en Suisse).

 

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