Interview de Quentin Pepy

 

Le jeune attaquant français Quentin Pépy vient de quitter Caen, où il ne jouait plus, pour Villard-de-Lans, où il a vite été adopté. L'occasion de revenir sur ce choix, et sur son parcours qui l'a déjà vu explorer des pistes à l'étranger.

- Comment s'est passé votre départ de Caen ?

Cela s'est passé dans la douleur. J'ai émis le souhait de partir il y a trois semaines. J'ai d'abord rencontré le président pour lui faire part de ma décision. Il m'a dit qu'il me comprenait, dans la mesure où je ne jouais pas, mais il m'a aussi dit que ce n'était vraiment pas le moment. Il m'a invité à aller parler à l'entraîneur, Rodolphe Garnier. J'ai donc essayé de m'expliquer avec lui, et ça s'est très mal passé. Il a renvoyé toute la responsabilité de la situation sur moi en disant que je ne faisais pas d'efforts, que je n'étais qu'un gars de vingt ans, "de la merde"... Vraiment pas un dialogue constructif.

Sur ce, je suis allé voir le vice-président, ainsi que le trésorier, Jean-Marc Soghomonian. J'étais heureux de trouver des gens qui m'ont un peu appuyé. Ils m'ont dit qu'il y avait souvent des problèmes de communication avec Rodolphe, que c'était un de ces défauts majeurs. Pour eux, la messe était dite, et ils en ont ensuite parlé en interne au sein du bureau. Il ne restait qu'à officialiser ça. J'ai joué un dernier match de coupe de la ligue, à Angers, avant mon départ pour Villard-de-Lans.

- Quelle explication Rodolphe Garnier vous avait-il donné avant de vous reléguer sur le banc ?

Avant le début de la saison, en août, il y a eu des entretiens individuels pour que l'entraîneur fasse un bilan avec chacun. Et là, j'ai remis en cause son recrutement, de son point de vue en tout cas. En fait, j'ai exprimé ma gêne parce qu'il a fait venir un Slovaque [NDLR : Jozef Liska] qui ne parle ni français, ni anglais, ni allemand, aucune langue avec laquelle on puisse communiquer. On devait jouer en aveugle avec lui.

À partir de ce moment, il m'a mis sur le banc. Il me faisait jouer en joker, en dixième attaquant. Quand un mec jouait mal, il me faisait m'échauffer au premier ou au deuxième tiers pour prendre sa place.

Je suis alors parti en stage avec l'équipe de France, un des rares qui se soient bien passés, et cela me donnait confiance. Mais à mon retour à Caen, j'ai trouvé à l'entraînement des coéquipiers qui étaient en bleu, d'autres qui étaient en rouge... et moi tout seul à qui on a donné un maillot jaune. J'ai été mis à l'écart.

- Ces difficultés avec l'entraîneur sont-elles partagées au sein du groupe ?

Personne n'arrive à communiquer avec lui. On le voit en séance vidéo, où il n'écoute aucune opinion contradictoire. Cela dure deux heures comme ça. Brice Chauvel émet de bonnes idées, c'est un joueur qui peut amener des choses avec toute son expérience du championnat, mais Rodolphe n'accepte pas d'alternative à son système de jeu. On se heurte à l'étroitesse d'esprit du coach.

- Avez-vous essayé de faire quelque chose entre joueurs ?

Ce qui est bizarre, c'est qu'il n'y ait pas eu de révolte du groupe. Il s'est laissé driver en fin de compte. Il faut dire qu'il y en a certains qui ne parlent pas français, et il n'est pas possible qu'ils disent ce qu'ils pensent. Sur les étrangers qui étaient là l'an dernier, il y a deux des trois mecs qui n'étaient pas en accord avec le coach, mais s'ils sont encore là, c'est simplement qu'ils n'ont pas trouvé mieux ailleurs. Ils sont restés à contrecœur. C'est triste.

Je ressentais un sentiment d'injustice. On me disait que je n'étais pas assidu à l'entraînement, que je n'en faisais pas assez, et je voyais des étrangers qui jouaient à deux à l'heure et qui étaient parachutés sur telle ou telle ligne. Je n'ai pas été le seul à vivre ça. Pierre Bennett est parti [NDLR : de l'équipe première] pour la même raison avant moi, il ne jouait plus alors qu'il est quand même international junior. Deux autres "87", Jonathan Janil et Jonathan Avenel, ont pris du banc pendant une saison. Eux l'acceptent parce qu'ils sont Caennais et qu'ils ne se voient pas partir. Moi, j'ai moins d'attaches et je ne pouvais pas continuer ainsi.

- Vous sentiez-vous bien dans ce club, entraîneur mis à part ?

Oui, j'aimais bien ce club de Caen, un petit club familial dont je partageais les valeurs. J'aimais l'ambiance dans la patinoire, les spectateurs étaient super-gentils à notre égard et nous soutenaient beaucoup.

- Comment vous êtes-vous retrouvé à Villard-de-Lans ?

Lors du stage de l'équipe de France à Asnières, j'ai parlé à des joueurs qui m'ont dit qu'ils ne comprenaient pas, eux non plus, pourquoi je ne jouais pas. J'ai ensuite parlé à Dave Henderson qui m'a dit que Villard et Dijon cherchaient un attaquant.

Dijon, il y a dix étrangers là-dedans, et surtout il y a le coach Daniel Maric dont on ne m'a pas dit que du bien. Je ne connaissais pas le personnage, et je craignais de partir à l'aventure, surtout dans un club qui n'a pas de junior élite.

Villard avait besoin d'un attaquant après le départ de Trent Campbell, il y avait une équipe junior élite, et toutes les personnes qui m'ont parlé de l'entraîneur Stéphane Barin m'en ont donné une bonne image. J'ai signé pour six mois plus la saison prochaine.

- Comment s'est passée votre intégration ?

J'ai été très bien accueilli, on a bien compris ma décision ici. Le premier match, en Coupe de France contre Chamonix, s'est bien passé, du coup j'ai eu la chance d'avoir le soutien des spectateurs et des gens du village. Il n'y a jamais d'engueulades ici, les choses sont dites calmement.

Je ne connaissais pas la vie dans une station de ski, et c'est vraiment super. Il y a des restos géniaux, on peut aller au golf gratuitement, on dispose d'un forfait de ski avec des pistes à quatre minutes, et puis je suis à une demi-heure de Grenoble où je vais à la fac.

- L'adaptation est-elle aussi facile pour les Nord-Américains ?

Le Canadien et l'Américain qui sont avec nous étaient venus pour cela, ils souhaitaient voir le hockey européen pour leur première expérience pro. En ce qui concerne Trent Campbell, il semble que c'était différent. On m'a dit que sa petite amie lui manquait beaucoup, et qu'il espérait arriver dans une métropole et pas dans une petite station de ski. En plus, son jeu apparemment très physique ne correspondait pas trop au jeu français. Il a retrouvé une place en ECHL, près de sa copine.

- Cet été, vous avez tenté d'intégrer une université américaine...

Au départ, la condition d'admission était de passer un SAT, un test d'entrée en anglais, mais pas très dur, juste pour vérifier qu'on n'est pas illettré et qu'on sait compter. J'ai frappé à la porte de plusieurs universités, mais après un premier contact positif, ils m'ont tous dit que j'avais joué dans une ligue de caractère professionnel.

En son temps, Baptiste Amar ne touchait pas d'argent, il était déclaré en frais kilométriques et en frais de repas. Mais depuis, il semble que les règles se soient durcies. Les règles universitaires, c'est comme le code pénal, c'est plein de petits articles et ce n'est pas facile. Personne ne savait trop me donner une réponse claire et sûre.

J'ai contacté Normand Bazin, assistant-coach du Colorado College, vu que c'était lui qui avait fait venir Baptiste et Laurent [Meunier]. Mais finalement, je n'ai pas eu le temps de déclarer les sommes gagnées en Ligue Magnus sous forme de défraiements et d'envoyer un dossier d'éligibilité.

C'était dur à vivre, parce que c'était mon rêve depuis que j'avais 12-14 ans : jouer en université, y étudier pendant quatre ans, passer mon diplôme, etc.

- Comment vous êtes-vous retourné ?

On m'a proposé un contrat à l'essai à Huddinge, le club suédois avec qui j'avais joué en juniors. Il faut dire qu'entre-temps, mon coach en junior [NDLR : Gustav Ström] a été promu à la tête de l'équipe première. On m'offrait un contrat de deux mois, du 6 juillet au 3 septembre. Malheureusement, cette proposition est arrivée une semaine après que j'avais resigné à Caen. Je m'étais engagé, et puis je ne voulais pas faire de vagues. Avec quinze ans de Ligue Magnus derrière moi, peut-être que j'aurais agi autrement, mais j'ai vingt ans et je ne voulais pas me griller avec le club de Caen. J'ai précipité ma décision, mais à ce moment-là j'avait toutes les raisons de rester à Caen.

- Gardez-vous Huddinge dans un coin de votre tête ?

Quand je vois que dans l'équipe il y a dix joueurs nés entre 1986 et 1988, qui étaient avec moi chez les juniors, forcément ça donne envie. En fait il n'y a que Roger Jönsson, l'ancien joueur de Grenoble, et le gardien qui soient payés. Les autres sont des jeunes et il y a de la place. Huddinge est 18e sur 18 en Allsvenskan, là où Pierre-Édouard Bellemare est 1er avec Leksand, et Nicolas Besch 16e avec Nyköping.

Cela reste un rêve de retourner dans ce pays-là, mais je vais passer au minimum les trois prochaines années ici pour obtenir ma licence d'anglais.

- Pourquoi étiez-vous parti en Suède à l'origine, en 2005/06 ?

C'est une opportunité qui s'est présentée lors du Mondial des moins de 18 ans à Maribor, où j'étais capitaine de l'équipe française. Kjell Larsson [NDLR : l'ex-sélectionneur de l'équipe de France], qui était là en tant que scout pour Columbus, et qui avait entraîné Viry, mon club formateur, m'a donné deux ou trois adresses en Suède et a appuyé ma demande. Je suis donc arrivé à Huddinge, un club de Stockholm, tout en poursuivant mes études en terminale ES au lycée français. J'ai d'ailleurs passé mon bac là-bas.

Au départ, il y avait peu de gars dans l'équipe qui me parlaient, mais j'ai appris qu'on leur avait dit de ne pas être tendres envers le nouveau petit Français. J'ai mis du temps à m'adapter : le jeu allait plus vite, ça frappait plus fort, et j'étais le plus petit joueur de l'équipe, sans doute un des dix plus petits de la ligue. Mais finalement, les joueurs étaient sympas, les gens étaient accueillants, et Stockholm est une très belle ville. Le hockey est partout, à la télé, dans les journaux. Il y a des patinoires découvertes, tout le monde en fait, et c'est vraiment le sport n°1...

- Pourquoi ne pas être resté plus longtemps ?

Je voulais continuer à étudier, c'est important pour le jour où le hockey s'arrêtera. Malheureusement, je n'étais pas bilingue, mon suédois qui suffisait pour la débrouille ne me permettait pas de suivre un cursus universitaire. Et pour pouvoir étudier en anglais en Suède, il faut être boursier. Je n'avais pas ma carte de résident, mais une fois que j'étais revenu en France, en août, j'ai finalement reçu les quatre chiffres qui déterminaient mon identité, mes inscriptions, etc. Il était alors trop tard, la saison allait commencer avec Caen.

- Aviez-vous envisagé de revenir à Rouen, où vous étiez passé ?

Non. Cela n'avait pas d'intérêt. Je vois bien que tous les jeunes qui y sont retournés, comme Thibault Geffroy, n'y ont pas eu de temps de jeu. Je n'avais pas le niveau suffisant pour prétendre à une place sur les trois premières lignes. J'ai passé une bonne saison à Rouen, en jouant à la fois en cadets, en juniors et en D2 [NDLR : avec Le Havre], mais je savais bien qu'il y avait embouteillage à l'étage supérieur. Caen était ensuite le meilleur choix.

- L'équipe de France, vous y pensez ?

Ce n'est pas une fin en soi, mais je sais que cela peut arriver si je parais bien avec mon club. À vingt ans, ce n'est pas encore l'objectif principal, cela s'inscrit plus dans un futur à moyen terme. Pour l'instant, je sais qu'il y a des "85" et des "86" qui sont meilleurs que moi.

J'ai fait un stage à Font-Romeu en juin, puis un autre à Asnières le mois dernier qui s'est mieux passé, parce que j'ai été mis aux côtés de très bons joueurs, Kevin Hecquefeuille et Julien Desrosiers, avec qui c'est facile.

Entre les deux, je suis parti en République Tchèque et en Slovaquie avec l'équipe de France espoirs, des moins de 23 ans. Cela correspondrait plus à un objectif du moment. Elle va jouer le tournoi du Mont-Blanc notamment. C'est "l'antichambre", comme dit Dave.

Propos recueillis le 7 novembre 2007 par Marc Branchu

 

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