Interview de Jean-François Jodoin

 

- Qu'est-ce qui t'a attiré dans le hockey ?

Vous savez, pour moi en tant que canadien, le hockey sur glace est le sport national, on compare souvent avec le foot ici. Tout gamin joue avec un ballon au pied dès l'âge de 4-5 ans, et pour nous au Canada on met des patins, on prend les crosses, on joue avec les palets. Ça part comme ça, c'est en nous, c'est ce qui nous intéresse, tout le monde joue au hockey.

- Quelles sont tes principales qualités sur la glace ?

Je suis le plus âgé du groupe, ça fait onze ans que je joue au hockey professionnellement en France donc l'expérience m'apporte beaucoup sur la glace, et en tant que joueur je prône la régularité. Je ne suis pas un joueur spectaculaire, mais j'essaye d'être constant et d'apporter le meilleur de moi-même à chaque match.

- Pourrais-tu nous parler de ton parcours ?

Comme tout joueur ou presque, j'ai fait mon hockey mineur au Canada dans ma ville natale de Saint-Hyacinthe. Ensuite j'ai évolué au niveau professionnel, je suis donc parti aux États-Unis puis, depuis 1995, je joue au hockey en France et c'est mon sixième club. J'ai fait deux saisons à Villard-de-Lans, une à Angers, deux Amiens. Ensuite je suis allé une saison en Allemagne, Je suis revenu en France à Rouen, ensuite Tours et depuis trois ans maintenant à Briançon.

- Pourquoi avoir choisi la France ?

Tout simplement parce que déjà au départ j'avais cette idée-là quand j'étais junior. Je n'ai pas un physique imposant (1,78m, 82kg). Chez moi, c'est très petit, les joueurs de hockey sont beaucoup plus gros. Le style européen me convient mieux par rapport à ça, c'est beaucoup moins physique ici en Europe que dans le style nord-américain. Dès que j'ai eu la chance - par l'entremise d'un contact de Villard-de-Lans - j'ai sauté sur l'occasion et depuis ce temps j'ai aimé et je suis resté.

- Quel a été le moment le plus fort de ta carrière ?

Il y en a beaucoup. J'ai gagné quelques titres au niveau mineur dans mes années juniors au Canada. Mais sinon, professionnellement, j'ai été champion de France en 1998-99 avec Amiens, ensuite j'ai fait l'European Hockey League et j'ai eu l'occasion d'aller jouer contre le Dynamo de Moscou, puis en Suisse à Lugano. Ce sont des moments vraiment spéciaux parce que ce sont des clubs de très haut niveau où on n'a pas toujours la chance de jouer. Ensuite une Coupe de France à Rouen en 2001. Ensuite, les victoires en coupe nationale à Tours et à Briançon. Donc, tous ces moments-là en particulier sont des bons moments, mais parce qu'il y en a beaucoup d'autres je peux pas les énumérer tous. Je suis quelqu'un qui aime beaucoup jouer au hockey donc j'essaye d'apprécier chaque moment, mais c'est vrai que lorsqu'on gagne une coupe ce sont des moments pleins d'émotions.

- Est-ce qu'il y a des moments que tu n'as pas aimé ?

J'ai plus ou moins aimé mon passage en Allemagne. J'étais dans un club où l'organisation n'était pas terrible (Haßfurt), c'est-à-dire que les dirigeants n'étaient pas sympas, le championnat lui était bien, mais je n'ai pas gardé un bon souvenir d'eux, ils nous ont pas bien traités tout au long de la saison. C'est le seul mauvais souvenir que j'ai dans ma carrière.

- Comment te sens-tu avant un match ?

Il y a beaucoup de tension, il y a un peu de nervosité. On essaye de se concentrer au maximum. Il y a aussi beaucoup de pression, la pression de gagner. La préparation est toujours un peu difficile parce qu'on veut toujours bien faire, faire plaisir aux partisans, on veut aussi se faire plaisir à nous en tant qu'équipe, donc les avants-matchs sont assez hauts en intensité au niveau nerveux.

- Que penses-tu de la grève qui a pesé sur la NHL ?

Ce que j'en pense, c'est que des deux côtés les joueurs et les propriétaires avaient raison. Peut-être que la grève n'était pas nécessaire, mais c'est vrai qu'ils gagnent beaucoup d'argent, et justement quand ces questions-là arrivent il y a beaucoup de mésententes. Ils étaient arrivés à un point où ils n'avaient pas le choix de faire la grève qui s'est déclarée. C'était un mal pour un bien parce que maintenant c'est reparti de plus belle et dans de meilleures conditions, pour toutes les équipes de NHL.

- Est-ce que ton pays te manque ?

Non, pas vraiment. Chaque été je passe les vacances chez moi au Québec et ça me fais énormément de bien : on dit toujours que la maison, c'est la maison. On retrouve la famille, les amis puis les racines. Je suis ressourcé c'est ce qui me permet de rentrer en France au mois d'août pour préparer la saison. L'hiver ne me manque pas parce que c'est quand même assez froid. Il y a l'hiver ici aussi en France mais sans le froid du Canada.

- Comment as-tu accueilli le fait de devenir capitaine cette année ?

C'est quelque chose que j'apprécie beaucoup, car porter le "C" de capitaine sur son maillot c'est une fierté et peut-être aussi une reconnaissance. C'est aussi des responsabilités que je suis prêt à assumer, je pense que j'ai les qualités nécessaires pour être le capitaine de l'équipe. Je suis le plus âgé donc j'ai beaucoup d'expérience : je connais la Ligue Magnus depuis des années et j'accepte donc de porter le "C" des Diables Rouges cette saison et d'apporter le mieux que je peux à cette équipe pour mon leadership. J'essaye aussi de faire évoluer les jeunes.

- Cela fait trois ans que tu es ici, qu'est-ce qui te fait rester ?

Il y a un hiver à Briançon. Lorsqu'il y a de la neige en pleine saison, ça sent le hockey, j'adore me lever le matin, aller à la patinoire, m'entraîner. Donc j'adore Briançon pour ça, et de deux, depuis que je suis là le club a évolué. Je suis bien traité et on a quelques amis ici qui sont formidables. En plus, avec ma famille je suis installé là et tout va bien.

- Pourrais-tu nous parler de Luciano Basile ?

Luciano, depuis qu'il est là, a fait évoluer le club. C'est un professionnel dans l'âme. Il travaille beaucoup chaque jour, il pense hockey à 100% 24 heures sur 24, et puis je pense que Briançon avait besoin d'un mec comme ça justement pour amener le club à un niveau professionnel et pour gagner des matchs. On a besoin d'un entraîneur qui aime son sport et qui aime aussi enseigner aux jeunes. Ça se transmet ensuite sur les joueurs, ce qui fait qu'on a des résultats quand même positifs depuis qu'il est arrivé.

- Sincèrement, quelle place penses-tu possible d'atteindre cette année ?

C'est une question qui est quand même difficile parce que toutes les équipes souhaitent gagner la Ligue Magnus. Il n'y a pas une équipe qui va arriver au mois d'août et dire : ah non, nous on ne vise pas la Coupe Magnus. C'est sur qu'il y en a qui n'ont pas les moyens... Il faut être réaliste et on a des objectifs tout au long de la saison, et pour nous cette année c'est encore une fois faire les play-offs.

- Pourrais-tu nous parler de cette nouvelle équipe, de l'ambiance qui règne entre les joueurs ?

L'effectif a été beaucoup renouvelé c'est clair, il y a sept nationalités différentes. Actuellement ça se passe à merveille, tout le monde s'entend bien avec tout le monde. Les nouveaux se sont intégrés assez facilement, d'une parce que la plupart d'entre eux parle anglais et la plupart parle aussi français, donc leur adaptation a été facilitée. Et puis pour l'instant, l'esprit d'équipe est à un très bon niveau et ça s'est reflété sur la glace jusqu'à maintenant aux matchs amicaux.

La mayonnaise comme on dit est en train de bien prendre. On va dire ça comme ça. [rires]

- C'est vrai que même aux entraînements on voit qu'il y a une bonne ambiance.

Chaque jour, de toute façon, on vient pour travailler mais il faut aussi penser à avoir du plaisir. Des fois il y a des cris sur la glace, il y en a qui se font des blagues et tout ça montre que l'ambiance est très bonne au niveau de l'équipe.

- Comment te présentes-tu pour le match de demain ?

Je vous dirais qu'à chaque match on se présente pour gagner. Que ce soit à Briançon - c'est vrai qu'ici on a peut-être plus de pression pour gagner parce qu'on ne veut jamais perdre chez nous - mais même les déplacements il faut les prendre comme un match à la maison, on y va pour les deux points. De toute façon il n'y a aucun match qu'on prend à la légère, même si c'est Chamonix qui a un peu de difficultés, on arrive là-bas et on se prépare comme un match de finale, donc pour jouer à 100% tout le temps, tout le temps, tout le temps. Trrravail Trravail Trrravail, comme diraient les Russes. [rires]

- Y a-t-il selon toi des équipes favorites pour la coupe Magnus ?

Oui, bien sûr, les grosses cylindrées comme on les appelle. Moi, j'aime bien dire Rouen parce que ça leur met de la pression. Et nous, les petits clubs, on sait qu'on a des chances et on travaille dans l'ombre, et puis tout peut arriver pendant les play-offs. Si on arrive en quart de finale et qu'on puisse battre Rouen, donc que ça ne soit pas eux qui soient champions, tant mieux.

- Que penses-tu de l'année dernière ?

L'année dernière, c'était une très bonne saison, on a bien figuré au niveau du championnat et en plus la finale de Coupe de France, c'est un moment magique. Le hockey, c'est un sport d'émotion, et ce soir-là on a eu beaucoup d'émotions. Tout ça réuni fait que tout le monde était très satisfait de la dernière saison. On a eu une évolution au niveau des joueurs et de la qualité du club.

- Si ça s'était passé autrement à Méribel, aurait-on pu mieux faire aux play-offs ?

Peut-être que oui, peut-être que non, on ne le saura jamais... C'est vrai que, s'il n'y avait pas eu les incidents qu'il y a eu à la fin du match et que nous n'avions pas eu de joueurs suspendus en play-offs, peut-être que la tournure du quart de finale aurait été différente, on aurait peut-être eu une meilleure chance de passer à travers Mulhouse.

- Ressens-tu une pression supplémentaire lorsque tu joues contre les "grosses cylindrées", la préparation est-elle différente ?

C'est vrai que ce n'est quand même pas pareil. On ne ressent pas de pression supplémentaire, la pression est la même et il faut gagner le match. Mais de toute façon, on est beaucoup mieux préparé, chaque joueur individuellement est instinctivement plus prêt. Lorsqu'on joue contre des "petits" clubs, la concentration est moins évidente à aller chercher. C'est quelque chose qu'on ne doit pas faire mais que l'on fait quand même involontairement.

- Qu'attends-tu des années à venir ?

Disons qu'il m'en reste moins qu'il ne m'en restait. Je n'ai plus vingt ans, je vais en avoir trente-cinq au mois de décembre. Quand une carrière de hockeyeur arrive à trente-cinq ans, il ne reste plus beaucoup de saisons. Sauf que moi, j'ai encore l'envie de jouer, j'ai toujours l'envie de me présenter chaque matin à la patinoire pour travailler. Donc, ce que j'attends encore, c'est de faire une, deux, trois ou même quatre saisons. Je vais me fixer un objectif de quarante ans, ça va peut-être garder ma motivation intacte, et espérons à Briançon.

- Aimerais-tu devenir entraîneur plus tard ?

C'est quelque chose que j'aimerais bien aussi, j'y pense déjà depuis quelques années. J'aime le hockey, de toute façon j'ai toujours fait ça dans ma vie. Je ne dirais pas que je ne sais rien faire d'autre, sauf que le hockey c'est en moi, et lorsque la fin de carrière arrivera, j'ai l'intention de poursuivre, de rester dans le hockey.

- À Briançon ?

À Briançon, pourquoi pas. Si c'est comme entraîneur il n'y aura pas de soucis, c'est une chose à laquelle j'ai déjà pensé. Ça peut être ailleurs aussi, mais une chose est sûre, c'est que lorsque je vais arrêter de jouer j'aimerais bien entraîner une équipe professionnelle.

- Un mot pour les supporters briançonnais ?

Évidemment je leur souhaite une bonne saison, de bonnes soirées à la patinoire. Espérons qu'on leur offrira des soirées magiques avec beaucoup d'émotion, et puis qu'ils nous supportent à 100% parce qu'on en a vraiment besoin. Autant ici à Briançon que ceux qui peuvent se déplacer, c'est quelque chose qu'on apprécie beaucoup. On les en remercie d'avance.

Propos recueillis le 9 septembre 2005 par Coline Quinty et Marie-Anne Cavache

 

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