Interview de Damien Fleury

 

Avec son équipe des Red Stars Kunlun de Pékin, Damien Fleury est le premier Français à être allé jouer au hockey sur glace en Chine.

 

" Je voulais montrer que le hockey français existe "

- Comment se passe le début de saison avec Kunlun ?

Collectivement super bien. Nous sommes une toute nouvelle équipe. Nous n'avons jamais joué ensemble donc nous avons plutôt des résultats positifs.

- Quel était ton objectif en venant dans cette équipe ?

Je voulais montrer que j'existais, que le hockey français existait. Pour moi, c'est le haut niveau, c'est ce que je voulais depuis le début de ma carrière.

- Tu visais la KHL en particulier ?

Oui, cela fait longtemps que j'y pense. Je suis dans mes meilleures années, donc c'était pour moi le moment de tenter ma chance. Je ne voulais pas passer à côté quand l'opportunité s'est présentée. C'est comme ça que je me suis retrouvé à Kunlun.

- Tu as une expérience particulière, tu es passé par presque tous les championnats majeurs européens (Allemagne, Suisse, Finlande, Suède), comment caractériserais-tu la KHL ?

C'est vraiment différent. C'est une ligue à part. Déjà sur la glace, ce n'est pas du tout le même jeu : c'est moins direct, ça attaque moins directement la cage ; hormis deux-trois équipes bien sûr. Il y a plus de passes, on ne shoote que quand il faut shooter. Ce n'est pas " on lance à la cage et on va travailler fort ", c'est un jeu différent qui va davantage chercher la passe parfaite pour la cage ouverte. Il faut un temps d'adaptation. Ensuite il y a aussi tous les voyages, les décalages horaires. C'est quelque chose qu'il faut apprendre à gérer aussi, donc c'est assez compliqué.

- Stéphane Da Costa nous expliquait qu'il était parfois difficile de rester dans le match lors des grandes tournées en Extrême-Orient...

Oui, c'est clair. Par exemple, nous étions à Vladivostok puis à Moscou, il y a au moins 5-6 heures de décalage avec seulement une journée pour l'absorber.

- Comment ça se gère ?

Avec un travail de récupération. J'ai des rituels le soir avant de dormir pour trouver le sommeil mais il arrive de se réveiller à 4h ou 5h du matin un jour où tu as un match, et là c'est un peu compliqué.

- Comment se passe la vie au quotidien en Chine ?

C'est pareil : c'est très différent. Pour le moment nous sommes sur Shanghai, qui m'a a paru un peu plus européanisée que Pékin. J'ai l'impression que les gens parlent un peu plus anglais, donc du point de vue de la communication, ça facilite un peu les choses. Mais Pékin n'a rien à voir, c'est un autre monde.

- À Shanghai justement, la patinoire est très peu remplie...

Il n'y a personne. Parfois ça donne l'impression de faire un match amical, alors c'est parfois compliqué de se mettre dans le match. Ce doit être encore pire pour les équipes qui viennent et qui se retrouvent avec le décalage horaire et une patinoire où il n'y a personne.

- Le public chinois s'intéresse au hockey ?

À Pékin, je n'y étais pas car j'étais à la qualification olympique, mais je crois qu'il y avait entre 8000 et 9000 personnes. Le hockey y est plus développé que sur Shanghai donc on va voir ce que ça va donner en fin d'année. Mais je pense qu'il y a vraiment quelque chose de bien et de beau à faire avec le hockey en Chine.

- À propos du hockey chinois, il y a 3-4 joueurs chinois dans l'équipe, 1 ou 2 avec un peu de temps de jeu, dont un qui parvient à marquer quelques points...

Pour eux, ça ne doit pas être évident car ça n'a rien à voir avec le niveau de jeu auquel ils jouaient avant. Il faut qu'ils s'adaptent, c'est plus rapide, plus intense. Pour l'instant, je ne peux pas encore me faire une opinion, mais il y a du potentiel. Ils travaillent fort, c'est un point positif. Ce qui leur manque, c'est encore la rapidité d'exécution.

- Quel style joue le Kunlun ?

Plutôt défensif. Nous sommes solides derrière, nous ne prenons pas beaucoup de buts, les matches sont serrés. Offensivement, c'est plus compliqué, même si on commence à marquer plus de buts. Heureusement que nous avons de bonnes bases derrière, et maintenant il faut trouver la confiance devant.

- Tu as réussi à bien t'intégrer dans l'équipe ?

Oui, on a la chance d'avoir un groupe qui vit super bien ensemble. Nous sommes ensemble 24h sur 24 donc ça aide à s'intégrer. On se supporte beaucoup entre nous et ça explique aussi les bons résultats.

- Est-ce que le SKA a tendance à écraser un peu le championnat grâce à leur manne financière comme Kazan il y a quelques années ?

Oui, c'est une grosse équipe. On est allé chez eux, on s'est pris 3-0. Mais on en aurait pris 6 ou 7 c'était pareil. C'est l'équipe qui m'a le plus impressionné pour l'instant et ils sont vraiment au-dessus du lot.

" J'avais comme objectif de jouer à Grenoble depuis tout petit.. "

- Revenons à ton parcours : Caen, Villard, Grenoble, comment es-tu venu au hockey ?

Apparemment, quand j'avais deux ans et demi, j'ai vu un match à la télé et j'ai demandé à mes parents s'ils pouvaient m'emmener. Puis tous les hivers, nous passions nos vacances à Villard-de-Lans, où de la famille avait un appartement. C'est vraiment un endroit qui me plaisait beaucoup et j'avais comme objectif de jouer à Grenoble depuis tout petit. J'ai commencé un premier palier à Villard, puis tout s'est bien passé et Grenoble est venu me chercher. L'objectif était atteint.

- Puis vient la rencontre avec Mats Lusth.

Oui, j'ai eu la chance d'avoir ce bon coach suédois. Très bon coach, même, qui m'a appris plein de choses et qui m'a clairement dit : tu as fais ce que tu avais à faire en France, maintenant il faut que tu partes en Suède te développer. Je l'ai écouté et je suis parti en Suède.

- Où as-tu le plus appris ?

J'ai beaucoup appris ma première année à Västerås, mais surtout le peu de temps que j'ai passé à Luleå. Je ne suis pas resté là-bas à cause de circonstances personnelles et familiales. Mais j'ai vraiment appris beaucoup de choses dans le hockey ; ça m'a permis de me développer et c'est toujours resté dans un coin de ma tête.

- Comment t'es-tu retrouvé ensuite dans divers clubs ?

J'ai toujours saisi les opportunités. À part Luleå où je suis parti de moi-même pour me retrouver à Timrå, j'ai rebondi à Södertalje, où ça s'est super bien passé. C'est une des meilleures saisons de ma carrière. Je ne pensais pas du tout partir de là-bas parce que j'étais bien. Lausanne, c'est une opportunité qui sortait de nulle part. La ligue A en Suisse, j'ai tout de suite signé. C'était pareil quand je jouais à Vaasa. Djurgården m'a appelé et c'était un rêve pour moi de jouer pour Djurgaården, donc j'ai sauté sur l'occasion.

- Toujours sur une pente ascendante, comme Yohann Auvitu, jusqu'où comptes-tu aller ? Quel est ton objectif à plus long terme ?

C'est toujours plus compliqué quand on a 30 ans que quand on en a 20 ou 25, mais par exemple au dernier championnat du monde, j'ai été approché par une équipe NHL. Donc tout de suite, tu te dis pourquoi pas. Mon objectif est de prendre du plaisir sur la glace, de m'amuser. On verra ce que l'avenir me réserve.

- Pour cela, il faudra déjà cartonner en KHL, tu as quelques points mais une fiche pas terrible, tu arrives à t'épanouir ?

Non, pour l'instant, le jeu est différent, il faut encore que je m'adapte. Le point positif que je retiens, c'est que c'est moi qui ai le plus de shoots dans l'équipe, donc ça veut dire que je me procure des occasions. Maintenant il faut que ça tourne dans mon sens. Quand je vais commencer à en mettre un, deux, ça va rentrer. Mais en ce moment, je ne suis pas en confiance devant le but, ça explique mes stats.

- Justement, quel est ton profil ?

J'aime shooter le palet. J'aime trouver les espaces pour qu'on me donne le palet et que je puisse vite déclencher un shoot. Je patine bien, j'aide bien l'équipe dans le fore-check.

- Un mot sur l'équipe de France, tu fais partie de cette génération de joueurs arrivés au moment où Henderson a ramené le groupe en élite et qui a réalisé de belles performances aux Mondiaux. Quel bilan tires-tu actuellement de ta carrière en bleu ?

Personnellement, ça avait plutôt mal commencé. Je marquais des points en championnat de France, j'étais un joueur offensif avec beaucoup de buts, mais lors de mes premières sélections en équipe de France, j'avais un rôle défensif, qui n'était pas du tout mon jeu. Après en avoir discuté avec Dave, il a commencé à me comprendre et à me faire confiance. Depuis 5-6 ans, ça se passe vraiment bien. Le bilan est bon, l'équipe m'a apporté beaucoup et en retour j'essaye toujours d'apporter le meilleur de moi-même.

- Tu t'es imposé comme l'un des meilleurs (si ce n'est le meilleur) shoot de l'équipe de France...

Je crois que je suis passé meilleur buteur des Bleus en groupe A.

- C'est l'un des aspects de ton jeu les plus impressionnants, un shoot fort, précis, que tu déclenches vite...

Oui, c'est aussi pour ça que les clubs me signent. La rapidité du déclenchement.

" Sur un match, nous sommes capables de battre n'importe qui. Sur un tournoi entier, c'est une autre histoire. "

- Après le quart de finale de Minsk, la France bute sur un palier, que lui manque-t-il ?

Bonne question. Il manque le petit truc. On a un bon esprit de groupe, on a deux grosses premières lignes quand il y a tout le monde. Le problème, c'est qu'on a d'autres joueurs offensifs, qui sont bons dans leurs championnats, mais qu'il y a déjà nos cadres dans l'équipe. C'est un rôle et un jeu différent pour eux. Tout le monde doit accepter son rôle. Le dernier Mondial, on est passé complètement à côté. Peut-être était-ce parce qu'on savait qu'on était déjà sauvé. Là, on a été avertis. On a fait, je pense, une très bonne qualification olympique, même si on n'a pas réussi à se qualifier au bout. On a une échéance énorme maintenant qui nous attend à Paris. À nous de faire un bon coup, parce que si on se loupe, ça va mettre un gros coup au hockey français.

On y pense depuis l'année dernière. Devant nos proches, nos amis, ça va être une expérience incroyable. En plus on joue le Canada.

- Tu as plus de pression en bleu ?

Non, mais ça dépend des matches. Par exemple, à la qualification olympique, tu sens la pression, car au bout il y a l'avènement d'une carrière. Pareil sur un championnat du monde, comme à Prague, lors du dernier match contre les Lettons. La nuit d'avant, tu dors difficilement. C'est ce qui fait la force du groupe. Avec notre caractère, même menés 2-0, on est allé chercher le maintien aux tirs au but. Des fois, ça ne nous sourit pas, comme en septembre.

- Quel est ton meilleur souvenir ?

Il y a le quart de finale à Minsk déjà. Il y a aussi la victoire contre les Russes, parce que c'était tellement inattendu. On savait que si on faisait un bon match, on pouvait les accrocher, mais de là à gagner. Ca m'en donne encore des frissons. Incroyable. Le faire avec ce groupe-là, qui était très soudé. Nous étions tous des potes, ça donne encore plus de saveur à l'exploit.

On s'en est servi, notamment à Minsk dans le premier match, contre le Canada. Il y avait eu un déclic : nous savions que nous pouvions battre une grosse équipe avec Radulov, Kovalchuk et Cie. Sur un match, nous sommes capables de battre n'importe qui. Sur un tournoi entier, c'est une autre histoire. Mais le Canada de Crosby, la meilleure équipe du Mondial, et même la meilleure équipe canadienne depuis un moment au Mondial. Ça fait 8 ans que je fais le Mondial, j'ai jamais vu une équipe aussi forte que celle de Prague. On égalise à 3-3 et on prend un mauvais dans les 5 dernières minutes. Mais on voyait bien qu'ils n'étaient pas bien. Ils essayaient et n'y arrivaient pas. Ca prouve que nous étions capables.

- Avais-tu des idoles étant plus jeune ?

J'aimais bien Theoren Fleury, certainement parce qu'il avait le même nom que moi et que c'était un super joueur. Sur Caen, quand j'allais voir avec mes parents les matches, à l'époque c'était les Léopards, il y avait Éric Lebey. Un petit aussi, le numéro 3, et c'était mon idole. C'était mon coach aussi, j'avais pris le même numéro 3.

- Pourquoi tu joues avec le numéro 9 ?

C'est un numéro que j'aime bien, et quand j'étais petit, je jouais aussi beaucoup au foot, je viens d'une famille de footeux, et le numéro 9 au foot est celui qui marque des buts en général.

- Y'a-t-il des coaches qui t'ont marqué ?

Il y a bien sûr Mats Lusth, comme je le disais. Il y a eu aussi Rodolphe Garnier. Ma première année quand j'avais 17 ans, il m'a appelé et m'a fait confiance dès le début, avec un gros temps de jeu, le power-play. Grâce à lui, je me suis montré, je me suis développé.

- Tu parles suédois ?

Je comprends un peu. Nous avons deux Suédois dans l'équipe. Parfois pour rigoler, je me mets à parler suédois avec eux, et ça les amuse.

- Suis-tu la ligue Magnus ?

Oui, j'aime bien Grenoble parce que j'y ai passé quelques années, j'aime bien Bordeaux parce que j'ai mon pote caennais, Jon Janil, qui est là-bas.

Le hockey français va dans la bonne direction : passer à 44 matchs était super important pour attirer des bons joueurs étrangers. Avant, quand tu voulais signer un bon joueur étranger et que tu lui disais qu'il y avait 26 matches, même avec les coupes de France et de la Ligue à côté, le joueur allait d'abord voir du côté du championnat autrichien par exemple. La ligue devient de plus en plus compétitive. On se rapproche du niveau de l'Autriche, et on peut passer devant dans 1 ou 2 ans, je pense.

- Quels sont les joueurs, avec qui ou contre qui tu as joué, qui formeraient ton équipe-type, en t'y incluant ?

[gardien] Cristobal Huet (Lausanne HC)

Même pas besoin de justifier. C'est Cristo. Il est incroyable, c'est le meilleur gardien que j'ai vu. J'ai eu la chance de jouer avec lui en équipe de France et à Lausanne, je le connais bien. Il est serein, il a toutes les qualités, même en dehors de la glace.

Jonathan Ericsson (Detroit Red Wings)

Avec qui j'ai joué durant le lock-out à Södertälje. Très défensif. Un gros et grand défenseur, à Detroit depuis des années.

Cam Fowler (Anaheim Ducks)

Très bon offensivement, lui aussi est venu lors du lock-out à Södertälje..

[centre] Mikael Nylander (retraité)

Le père de William. On jouait ensemble à Södertälje. Je mettrais en fait toute la ligne avec qui je jouais. On a pris tellement de plaisir à jouer ensemble. On a gardé le contact. Il y avait aussi Carl Hagelin des Pittsburgh Penguins.

[ailier droit] Ziga Jeglic (Slovan Bratislava)

Un Slovène qui est maintenant à Bratislava. On s'entendait bien sur la glace car il aime bien faire des passes, et comme j'ai bien shooter on se trouvait bien. On prenait beaucoup de plaisir tous les jours ensemble.

[ailier gauche] Damien Fleury (Kunlun Red Stars)

 

 

Propos recueillis en novembre 2016 par Benoît Manteel (Twitter @BenoitMantel)

 

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