Interview de Michel Breistroff

 

Depuis le début de l'année président du club de Wasquehal, dans la métropole lilloise, Michel Breistroff revient sur ses derniers mois, ses objectifs et sur le tournoi poussin organisé les 3 et 4 juin en la mémoire de son fils disparu il y a dix ans.

- Le terrain sur lequel évoluaient les Nordiques de Croix a été vendu pour laisser la place à une opération immobilière et naturellement le club s'est dissout. Aviez-vous des fonctions dans le club de Croix ?

J'ai été président des Nordiques pendant quelques mois avant de quitter mes fonctions. Je n'étais pas d'accord avec les orientations prises. Je pensais plus à la formation.

- Le Hockey Club Centre Métropole a été créé en 1995. Comment en êtes-vous arrivé à la présidence ?

Je me suis longtemps écarté du hockey après ce qui m'est arrivé. J'y suis revenu car mon gendre, ancien joueur d'Angers et de Valenciennes, termine sa carrière ici. Cette saison, je suis allé voir le premier match à Béthune (toutes les équipes du club jouaient à l'extérieur car la patinoire n'a ouvert qu'en novembre), match que j'ai quitté après deux tiers car il s'agissait d'une mascarade, du fait de comportements lamentables suivis de suspensions de licences et de menaces contre les arbitres. Je suis revenu voir un match, mais sans plan particulier.

Les dirigeants wasquehaliens ont surmonté des difficultés financières, dont ils n'étaient pas responsables, et des problèmes de glace pendant deux ans. Au début de la saison dernière ils ont pensé chercher quelqu'un qui pouvait s'occuper un peu plus du club car ils travaillent. Ils ont pensé a moi par le biais de mon gendre. J'ai déjeuné avec l'ancien président et un vice-président. Je leur ai exposé ma façon de voir les choses et d'agir. Ils m'ont dit qu'ils cherchaient quelqu'un pour s'occuper essentiellement des relations extérieures et recréer l'existence du club au sein du hockey.

J'en ai beaucoup parlé avec mon entourage, surtout ma femme, et puis je me suis embarqué. Je me suis présenté à l'assemblée générale début janvier, assemblée assez bizarre, ce qui doit être une particularité du club car je ne pense pas qu'elle se soit déroulée dans les règles de l'art, mais je voulais être président.

- Dans quel état avez-vous trouvé le club en arrivant ?

J'ai trouvé un club dans un état financier difficile mais paradoxalement pas en difficulté. Le côté difficile était le coût de la glace. L'équipement a été reconstruit, vu le prix, par la Communauté Urbaine. Nous payons l'utilisation de la glace à la société gestionnaire. La situation est tendue car nous devons régler des factures sans savoir si les promesses seront tenues, alors que le budget est apparemment équilibré.

L'état technique du club était déficient. J'ai observé pendant quelques semaines, expliqué au comité technique pourquoi il fallait des changements sur l'équipe technique. Quant au nombre de licenciés, je trouve que c'est un bon état pour un club qui a débuté en novembre, avec 150 licenciés. Cela montre que les gens qui ont travaillé sans glace ont fait un bon boulot pour garder les gens intéressés au hockey.

- Justement, comment le club a-t-il survécu à deux ans sans glace ?

Le club a survécu grâce aux efforts des dirigeants et parents, qui ont organisé des activités se substituant au hockey, comme le roller, ou permis des déplacements en Belgique ou à Béthune. C'est pour cela qu'à la rentrée 150 membres sont arrivés, et qu'aujourd'hui on doit atteindre les 195 licenciés, avec un apport constant chez les enfants et les loisirs.

Maintenant nous disposons d'une très belle patinoire, comparé aux autres petites patinoires. C'est un outil rénové, mais j'ai l'espoir qu'avec les travaux il sera encore plus fonctionnel pour le hockey. Une deuxième tranche est prévue, probablement pour l'an prochain, avec la rénovation du toit. Dans un vestiaire, trois petites filles qui mettent leur tutu pour faire de l'artistique ne prennent pas de place, alors qu'une équipe de hockey... Les vestiaires sont impeccables mais trop petits, d'autant qu'il y a la place pour les agrandir. D'autres détails seront modifiés, comme le positionnement de la table de marque. Sinon, je suis content de la patinoire, de la montrer, les élus locaux l'ont vue, chaque équipe qui vient en amical ou en championnat trouve que c'est beau, avant la venue du Président de la Fédération.

- Une patinoire rénovée en grande partie grâce à la Communauté Urbaine de Lille Métropole...

Par la CUDL. Un consortium de trois villes avait racheté la patinoire d'entraînement des JO d'Albertville pour la réinstaller à côté du dojo. Les travaux ont été faits sous l'égide de la Mairie de Wasquehal, avec Monsieur Vignoble comme instigateur, de la Mairie de Marcq-en-Baroeul, avec Serge Charles dont la patinoire porte le nom, et de celle de Mouvaux.

Mais des faiblesses techniques, des carences ont fait que les installations ont lâché et provoqué la chute de la patinoire, puis le désengagement du SIVOM. La Communauté Urbaine a repris les travaux à sa charge, avant tout parce qu'elle a écarté entre-temps le projet privé prévu à Lille, pour des raisons que j'ignore. Les élus se sont dit qu'il fallait une patinoire dans une telle agglomération et ont engagé des frais gigantesques (2,5 millions d'euros).

- Vous faisiez allusion au projet d'Yves Fauchart...

Lui-même à la base de la création du HCCM. Un projet magnifique très soutenu par des capitaux privés et par un professionnel (ex-angevin, nantais et caennais), dans le hockey depuis toujours. Il avait créé un club ici avec pour projet de le transférer dans la future patinoire de Lille.

- Comment expliquer les difficultés à implanter une patinoire dans une grande agglomération comme Lille ?

Je vais répondre par une question. Comment expliquer que l'on n'ait pas encore pu créer un stade de football pour un club qui joue la Coupe d'Europe et rivalise avec les meilleures équipes françaises ? Comment un projet peut-il capoter alors qu'un groupe de citoyens proteste contre des entorses à des règlements ? La réponse est tout simplement politique.

- Quels sont les rapports entre le club et les collectivités locales ?

J'ai vraiment pensé qu'il était essentiel d'avoir de bons rapports avec les collectivités et les gérants de la patinoire. Dans les premiers mois, j'ai passé du temps à la Communauté Urbaine, j'ai rencontré des gens à l'écoute qui prennent en compte notre demande.

Avec les autorités de la ville nous avons une collaboration totale, étroite et confiante. La ville de Wasquehal nous apporte énormément de soutien.

- Les seniors ont terminé deuxièmes de leur groupe de Division 3. Que leur a-t-il manqué pour viser plus haut ?

Le sérieux, l'intelligence et la détermination.

Le sérieux car ils se croient détenteurs du projet ultime de leur club et pensent que tout leur est dû. L'intelligence car ils passent du temps à se battre et forcent leurs collègues à jouer à quatre ou à trois. La détermination car quand vous embarquez pour Strasbourg avec dix gars dans un autobus cela ne peut pas marcher.

À leur décharge on ne s'est pas occupé d'eux par le passé car dans ce club il n'y a pas un concept de sport compétition pour une équipe senior. On n'avait rien à leur donner, alors qu'ailleurs on leur donne, et eux attendaient plus.

- Quelles sont les ambitions pour l'an prochain ?

Je leur ai reproché ce résultat lamentable, ce qu'ils n'ont pas compris. Je suis allé les voir au bout de trois jours, et j'ai appris que c'est la première fois depuis longtemps qu'ils voyaient un président dans leur vestiaire. Je leur ai dit qu'ils avaient les moyens de se qualifier pour le tournoi à quatre, même si les difficultés sont énormes.

Pour l'an prochain l'objectif principal est d'avoir une équipe sérieuse. Nous avons modifié les conditions d'entraînement. Un joueur, qui est un professionnel du sport, a décidé d'arrêter de jouer, a étudié et présenté un projet qui a été accepté. C'est un projet rigoureux, sérieux, on va essayer de le suivre et je suis persuadé que cette équipe sera dans le carré final.

On parle toujours des difficultés à monter en D2, à affronter des clubs descendus de l'élite, mieux structurés, mais je n'en suis pas trop sûr. Yves Fauchart a eu un jour une équipe dans ce carré final, y a fait entrer quatre professionnels pour un week-end et n'a pas pu s'en sortir. L'objectif est donc le carré final et la D2. On ne peut pas faire jouer des jeunes sans leur donner un objectif d'ambition. J'étais le seul à y croire. Nous avons eu un résultat catastrophique à Strasbourg, sans lequel on était dans le carré final. J'avais dit aux joueurs que l'on n'avait pas trop d'argent mais que si on était dans le carré final j'aurais les finances.

Je pense qu'avec un entraîneur responsable qui impose une sorte de discipline il n'y aura pas de problèmes. Nicolas Hamoudi est entraîneur depuis deux mois, il travaille beaucoup. Depuis quelques matchs on filme les rencontres pour les étudier, ce qui m'a servi dans une affaire disciplinaire pour défendre un joueur, on a un service de statistiques... Nicolas sait bien qu'il a à apprendre, mais c'est un professionnel, un diplômé de grande compétence. On va appliquer son plan et ceux qui ne sont pas d'accord iront en loisirs ou ailleurs.

- À votre arrivée vous avez insisté sur le fait de développer un club "modeste et ambitieux". Quels sont les grands axes de cette politique ?

La modestie, c'est pour les seniors. Ne pas dire que l'on vise l'élite en cinq ans. Mais ce n'est valable que pour les seniors.

Le projet du club c'est la formation. Il faut recruter des enfants et les instruire dans la pratique du hockey sur glace et la vie, pour se retrouver dans dix ans, même s'il n'en reste que cinq sur dix au départ, avec des enfants qui savent s'entraîner, possèdent une technique au point et connaissent la discipline du sportif sur et hors glace. C'est le côté ambitieux, qu'on fera avec les parents.

- C'est là que vous parlez des "bases éducatives".

Cela commence par le comportement sur la glace, le respect des adversaires, de l'arbitre, du coach. Ailleurs, c'est l'hygiène de vie, le sommeil, le régime, et même si on ne peut l'imposer on va l'indiquer aux parents. Qu'ils arrêtent de manger des frites avant un match...

Les problèmes sont importants car nous n'avons pas de staff technique et on y réfléchit. Grégory Gougeon (ancien joueur élite de Rouen) est exceptionnel pour s'occuper des petits enfants de l'école de hockey. J'ai expliqué et démontré aux gens du club que la formation est mal faite car on va jouer dans des patinoires où il n'y a pas beaucoup plus de moyens et on prend des raclées. Ce n'est pas normal qu'il y ait des carences à l'entraînement, car l'entraîneur que nous avons a été abandonné à lui-même. Des tas de choses ne fonctionnent pas malgré quelques succès. Mais le travail fait ne convient pas à un club qui a un tel outil à sa disposition. Et puis on a la seule patinoire de l'agglomération, avec un réservoir énorme.

- Pour les jeunes, vous avez aussi fait venir Jean-Christophe Rozenthal (le frère aîné des jumeaux)...

Je ne l'ai pas fait venir, je n'ai pas ce pouvoir-là ! Simplement son enfant est au club, et très vite je l'ai rencontré et lui ai dit que j'avais besoin de gens pour renforcer le staff. Je lui ai exposé ce qu'on avait fait et j'ai demandé l'autorisation d'un membre pour lui communiquer des documents du comité. Jean Christophe Rozenthal m'a rappelé et s'est de suite montré intéressé. Je l'ai présenté aux membres du comité, sidérés de le voir venir.

C'est un apport considérable pour le club car il cautionne ce que l'on fait. L'ensemble des clubs qui apprennent que "Rozen" est entré à Wasquehal nous prennent au sérieux, le maire de Wasquehal fait des grands yeux. Il est un apport capital, grâce à lui nous avons doublé d'un coup la notoriété du club !

- Avez-vous des rapports particuliers avec les voisins de Dunkerque et d'Amiens ?

En tant que président j'ai des rapports avec Dunkerque, avec Madame Raffoux. Pas avec Amiens sauf parfois avec d'anciens partenaires de Michel. Il n'y a pas de possibilité d'établir des rapports avec Amiens car les Gothiques sont une entreprise et nous une association. Il y en aura forcément car nous voulons que les enfants sachent qu'ils peuvent aller dans des clubs de plus haut niveau.

Le recrutement se fait en général en douce, ce qui est regrettable. Il y a trois semaines j'ai signé le départ d'un jeune au sport-études de Dunkerque, mais nous avons auparavant rencontré ses parents avec Jean-Christophe. Je sais que des enfants font des essais à gauche à droite, et que leurs parents se bercent d'illusions sur leur niveau et ne pensent qu'à voir leurs enfants être recrutés par Rouen et Amiens. Nous laisserons partir les enfants qui le veulent mais à chaque fois je mettrai les parents en garde contre le danger que cela représente. J'ai vécu une expérience de ce type-là, je sais ce qui est nécessaire aux gamins pour supporter cela.

- Le club fête ses dix ans, a changé de logo, et fait appel à un journaliste d'Europe 2, Romuald Luszcz. La communication est-elle importante ?

Je veux que les gens de la métropole sachent qu'ils peuvent mettre leurs enfants au hockey sur glace. La communication doit être bien faite. Voir un journaliste de temps en temps et lui expliquer les choses pour voir un article n'est pas suffisant, il faut que cela soit constant. On doit par exemple expliquer l'histoire de la banque de matériel que l'on a créée ici pour ne plus qu'ils courent les magasins.

Savoir aussi que le club a un projet, une ligne de direction sur laquelle la CUDL m'interroge constamment, comme le Maire de Wasquehal. La communication, c'est notre intérêt général.

- Le Tournoi poussins Michel Breistroff aura lieu le week-end des 3 et 4 juin, dix ans après le drame survenu a votre fils. Quelle a été la genèse de ce tournoi ?

À l'origine, il y avait un joueur connu et bien aimé au sein de la ligue, qui connaissait une trajectoire extraordinaire. Il avait débuté au club des Patineurs de Croix, avant de passer à Amiens à 14 ans. C'est un choix que l'on avait fait car c'était un très bon club, et on y connaissait une famille. Il travaillait bien, avait un an d'avance à l'école. Il est parti ensuite au Canada, on n'en parlait plus tellement, avant de partir à Harvard, où il a commencé à être connu en France et a intégré l'équipe nationale.

Quand est arrivée la catastrophe la ligue a décidé de créer un petit tournoi en souvenir de ce garçon. Il avait beaucoup de contacts, allait voir les gens, visitait les patinoires, il passait partout. Tout naturellement ils ont décidé de faire ce tournoi et sa mère et moi ne pouvions pas refuser une chose pareille. Le tournoi a commencé comme cela, s'est développé pendant des années, a un peu disparu pendant deux ans puis est reparti.

- Vous avez eu une bonne réponse des différents clubs de la ligue ?

Oui, au début, avant une forme d'oubli. Il y eut une défaillance très regrettable de Valenciennes qui a annulé un jour le tournoi, et Béthune a dû reprendre la main en catastrophe. Compiègne, Dunkerque, Amiens aussi, mais le tournoi n'avait jamais eu lieu ici.

- Beaucoup de joueurs ont fait part de leurs pensées.

C'est Jean-Christophe Rozenthal qui a pris l'organisation en mains et prévu un livret à cet effet. Pour les enfants il fait venir des internationaux.

Souvent, je voyais Antoine Richer, Dave Henderson, Antoine Mindjimba, des anciens copains de Michel qui passaient du temps avec nous. Ces joueurs ont écrit des mots gentils, et les enfants pourront faire signer ce programme, ce qui est génial pour eux.

- Justement, quelle image a votre fils vis-à-vis de ces jeunes joueurs ?

Aucune, car c'est trop loin. Mais l'histoire leur a été racontée pour qu'ils aient conscience de sa réussite en sport et pour les études.

- Les bases éducatives et le sérieux dont a fait preuve votre fils sont importantes à vos yeux.

Je pense que le projet qui se met en place dans ce club était déjà présent dans la tête des gens, car c'est la base de la construction d'un ensemble.

Je suis un ancien sportif (NDLR : Michel Breistroff a échoué de peu aux qualifications olympiques de 1964 et 1968 en athlétisme, et a eu l'occasion de garder les buts du club de football du Lille Olympique Sporting Club) qui n'a pas fait carrière car je n'avais pas le dixième de la volonté de mon fils, avec laquelle je serais monté beaucoup plus haut. Avec lui on a construit quelque chose qui va plus loin que le sport. La position dans la société a aussi son importance : ne pas salir un vestiaire, porter son sac... Tout ce qui n'a rien à voir avec le hockey.

Propos recueillis le 26 mai 2006 par Mathieu Hernaz

 

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