Interview de Yohann Auvitu

 

- Bonjour Yohann, tu reviens du New Jersey, quelle a été ta première impression lors de ce premier contact avec la NHL ?

Beaucoup de choses m'ont paru différentes en fait. Cela m'a l'air plus organisé qu'ici [en Finlande]. Il y a beaucoup plus de membres du staff, donc tu es beaucoup plus entouré dans chaque aspect du jeu. Ce qui permet au joueur de plus se concentrer sur lui-même.

- En quoi consistait le camp de développement en juillet ?

C'est le camp où ils invitent tous leurs prospects, plus des joueurs invités, afin de leur expliquer ce qu'est le monde professionnel. Ce que ça prend pour y arriver et ce que c'est une fois qu'on y est arrivé. C'est super intéressant. J'ai encore appris des trucs, en termes de nutrition, comment gérer les médias, comment gérer le sommeil... Je m'en suis rendu compte parce que j'étais un peu plus vieux que les joueurs qui étaient là, mais entendre ces choses-là à 18 ans, c'est une chance incroyable. D'entendre toutes ces personnes, les anciens capitaines qui viennent nous parler de ce qu'est être un leader, un joueur professionnel. Ils veulent te familiariser avec l'organisation, te faire sentir que tu fais partie de la famille New Jersey... même si je sais bien que ça se gagne sur la glace.

- C'est un tournant de ta carrière ?

Complètement. J'ai l'impression d'être revenu 8 ans en arrière quand je suis parti de France pour aller en Finlande. Là-bas, tu leur dis la Finlande, ils ne savent pas, c'est un peu inconnu pour eux. Il y a tout à redémontrer, tout à "refaire", bien que je parte d'ici avec des bases beaucoup plus solides que quand j'étais parti de France.

- Content de partir ?

Oui, évidemment. J'ai fait 8 ans. J'ai appris le hockey professionnel ici, j'ai eu une formation ici, j'ai beaucoup appris mais il y a aussi certaines limites. C'est un petit pays.

- Quel souvenir garderas-tu ?

Le titre en 2012, cette année la médaille d'argent... et toute la formation que j'ai reçue à Jyväskylä d'une manière globale.

- Quel bilan de ces 8 saisons en Finlande ? Tu es devenu un hockeyeur finlandais ?

Non, je resterai toujours un hockeyeur français, peut-être juste avec une petite touche finlandaise. D'une manière globale, je suis arrivé à Jyväskylä comme un adolescent du hockey, je suis parti pour HIFK comme un jeune avec beaucoup de potentiel mais qui n'a pas complètement été exploité, et je pars de Helsinki en étant prêt maintenant. Un homme, entre guillemets.

Plus spécifiquement, ma première année en junior a été une année un peu d'adaptation au pays et au hockey surtout. Le hockey était complètement différent, beaucoup plus dur. Les entraînements étaient vraiment durs en junior ainsi que les matchs. Ensuite pendant 4 ans, je faisais l'ascenseur entre JYP et D-Team [ancien club-ferme de JYP en Mestis] tout le temps. Même quand je ne jouais pas en Mestis, je passais mes journées à la patinoire. C'était un classique : l'entraînement de Liiga était le matin et celui de Mestis en fin d'après-midi. Et moi je faisais les deux et j'aimais bien. Je ne déchaussais quasiment plus les patins. Cela m'a permis de me former physiquement. Il y avait vraiment un écart. JYP était au top du top en Finlande entre 2009 et 2013, et moi, j'avais la chance d'aller m'entraîner avec eux. Rien que ça, cela m'a fait progresser énormément. Le matin sur la glace, ça allait tellement vite, et l'après-midi, le fait de retourner en Mestis, il y avait un cran flagrant. De jour en jour, tu te sentais de plus en plus "confortable" quand tu allais en Mestis. Mais le plus dur, c'est pas forcément d'aller en Liiga, c'est d'y rester. Ça, ça a été difficile.

- C'est bon signe, signe d'un potentiel et d'une progression ?

Oui si on regarde l'ensemble, il y a toujours une progression assez stable et constante. Maintenant, le plus dur arrive dans les prochains mois, j'en suis conscient.

- Visiblement la progression a continué ?

Oui, mais ce n'était pas gagné d'avance. Ce sont deux équipes du top-4 mais c'était un pari de venir ici. Mais ça faisait 6 ans que j'étais à Jyväskylä, j'avais fait un peu "le tour" de Jyväskylä. Toute ma vie, ils m'auraient vu un peu comme un jeune. Ici à Helsinki, c'est tout ce qu'il y a autour. La distraction de la ville, l'attention des médias, c'est beaucoup plus dur à gérer ici. J'ai l'impression qu'il y a moins de place pour les jeunes à HIFK, la concurrence est plus rude pour les joueurs qui sont à maturité.

- Et la progression a continué au point de se faire remarquer lors du Mondial ?

Je ne pense pas que c'est au championnat du monde qu'on se fait remarquer. C'est lors de la saison. Si Bellemare est en NHL, ce n'est pas grâce aux championnats du monde. Si je vais en NHL, ce ne sera pas grâce aux championnats du monde. Les championnats, c'est la cerise sur le gâteau, mais le problème c'est que le gâteau à faire avant est tellement énorme... La petite cerise à la fin, c'est le petit truc sucré qui fait plaisir, mais ce n'est pas comme ça que tu bâtis un contrat NHL. Loin de là. Il faut oublier cette idée.

- Quel est ton objectif maintenant ?

Faire l'équipe. Tout simplement. Quand tu signes, il y a toujours un peu l'euphorie, l'enthousiasme qui sort pendant 2- 3 semaines quand même, c'est assez long. Puis après, on redescend sur terre. On se dit que maintenant il va falloir assumer, et ce n'est pas facile. Je m'en suis rendu compte lors du camp de développement. Tu sors de ta zone de confort. J'avais une sorte de zone de confort ici en Finlande, et là-bas, les gens te voient arriver et ne savent pas quel joueur tu es. Du coup, tout est remis à zéro. Tout à prouver.

- C'est ce qui te motive également ?

Oui, c'est ma personnalité qui est comme ça. C'est même plus facile comme ça que s'il y avait d'énormes attentes. Là, j'ai tout à gagner. Ils ne me connaissent pas. Il y a 4 ans de ça, je n'avais pas un profil avec un potentiel NHL, donc les scouts ne me regardaient pas. Les scouts de New Jersey me connaissaient mais je n'étais pas dans leurs papiers. L'assistant du manager général me connaissait mais il n'avait pas de rapport de scouts, alors que j'ai l'impression qu'ils marchent beaucoup comme ça. C'est vraiment le head coach et le manager général qui ont montré le plus d'intérêt. Donc pour eux comme pour moi, on est tous un peu dans l'inconnu. Mais c'est excitant, parce que j'ai tout à leur prouver.

- Cela te laisse aussi une plus grande marge de liberté dans la façon dont tu vas jouer ?

De toute façon, je vais rester moi-même, je ne vais pas changer le joueur que je suis à 27 ans. On m'a donné quelques indications, mais on ne m'a pas encore donné de rôle précis, en me disant tu vas faire exactement ci et ça. Il y a une certaine liberté, et c'est ça que j'ai aimé chez le coach John Hynes. Il a l'air strict. Comme tous les coachs, ils ont besoin d'une certaine rigueur, ce qui est normal, mais il laisse quand même une certaine liberté et une certaine autonomie de créativité et ça j'aime bien. Je trouve ça important.

- Hynes est une figure montante des coachs américains...

Apparement puisqu'il va avec les États-Unis à la Coupe du monde.

- Il était déjà assistant-coach de Yorick Treille et Laurent Meunier à Lowell en NCAA en 2001...

D'ailleurs ce sont Yorick et Laurent qui ont fait un peu l'intermédiaire lors des présentations. Nous étions tous dans le même hôtel lors des championnats du monde. Cela s'est fait tout simplement.

- Tu as donc rencontré aussi Ray Shero...

Oui, après Lou Lamoriello qui est resté pas loin de 30 ans manager général de New Jersey, Ray Shero est arrivé récemment. Mais il a de l'expérience aussi. Il a gagné avec Pittsburgh. Il est très calme. Ils ont eu des bonnes années en 2000-2003, les victoires, puis quelques années creuses, ils sont revenus au top en 2010-2012. Quand tu fais la finale, c'est que tu fais une bonne saison. Puis ils n'étaient plus vraiment dans le top les années suivantes.

- Tu avais vu les titres, quand tu avais une dizaine d'années ?

Pas vraiment, je ne sais pas si tu te souviens, mais ça passait sur Canal Plus le jeudi à 3h du mat', alors tu ne le regardais pas, celui-là ! T'avais pas vraiment le droit. Mais j'essayais de les enregistrer, c'était en VHS encore. Aujourd'hui c'est tellement plus facile avec internet. Les jeunes ne se rendent pas compte, mais ils tapent sur internet et en 10 secondes, ils ont les résumés, les techniques d'entraînement, ils ont tout. C'est une chance pour eux.

- Pour en revenir au style de Hynes, New Jersey a été le symbole durant des années de la trappe, du jeu défensif, de grands défenseurs (Stevens, Niedermayer, Daneyko) et du gardien Brodeur. Aujourd'hui, ils ont un jeu plus offensif, quelle réflexion cela t'amène ?

Pas vraiment de réflexion bien précise, chaque coach a son style. Il veut jouer un peu à l'européenne apparemment. Mais qu'est-ce que ça veut dire jouer à l'européenne, conserver plus le palet, oui, mais est-ce que tu peux vraiment l'appliquer là-bas sur des zones restreintes ? La glace est plus petite. Tu sais, j'aime cette question, mais le truc, c'est que je n'ai pas encore vu le hockey nord-américain en fait. C'est difficile pour moi d'avoir une idée bien précise.

- Tu connais les défenseurs ?

Non, pas vraiment, il y a Severson que je connais. J'ai vu Santini au camp de développement. Il y a Moore, Merill. Mais il y a eu beaucoup d'échanges au 1er juillet à New Jersey. Il y a eu de bonnes acquisitions. Mais je ne connais pas trop encore. Je n'ai jamais vu de match de NHL en vrai. J'en ai vu à la télévision mais ça n'a rien à voir. Tu regardes un match de SM-Liiga et tu vas à la patinoire, c'est pareil, ça n'a rien à voir. Il y a beaucoup d'inconnues pour moi encore. Je sais ce que je suis capable de faire et je sais ce que j'ai à améliorer. C'est pour ça que c'était bien d'aller au camp de développement. Quand je vais y retourner, je connaîtrai déjà un peu de monde, l'environnement me sera déjà plus ou moins familier.

- Avais-tu des idoles étant jeune ?

Non, pas vraiment.

- On fait parfois le parallèle entre toi et Brian Rafalski, c'est flatteur…

Oui, carrément, mais ça met la pression, ça (rires). On dit ça parce qu'il a joué à HIFK aussi. Après si j'arrive à faire la moitié de ce qu'il a fait, je signe tout de suite. On en a parlé aussi parce que l'année où il était arrivé en finale avec HIFK, il a marqué 14 points en finale, et moi j'en avais 13. Ils attendaient tous le 14e point pour égaler. Mais de toute façon, je ne suis pas trop à la course des points.

- Si New Jersey fait les play-offs régulièrement, tu ne pourras plus autant participer à l'équipe de France qu'auparavant. Que ressens-tu ?

Avant cela, il y a déjà beaucoup d'étapes. Il faut déjà que je fasse l'équipe, de manière stable et constante, que je reste plusieurs années. Il y a beaucoup de choses qui rentrent en compte. Admettons que tout se passe pour le mieux, les play-offs, 1 tour, 2 tours… Les championnats du monde sont une très bonne expérience. J'imagine que les play-offs NHL sont aussi une expérience à avoir dans une carrière de hockeyeur. Tu loupes quelque chose de grand pour faire quelque chose de grand. À l'arrivée je ne pense pas que tu sois perdant.

- Après plusieurs Mondiaux en bleu, quel bilan tires-tu du dernier Mondial en Russie ?

Difficile, compliqué. Pour un peu tout d'une manière globale. Ça n'allait pas bien, ce n'était pas un bon Mondial. C'est notre pire Mondial depuis 4-5 ans si on regarde bien. Ça se voyait. On ne jouait pas bien, on ne jouait pas ensemble. Il n'y avait pas vraiment de cohésion ou de création. Défensivement on a eu beaucoup de mal. Peut-être parce qu'on savait qu'on ne descendait pas. Mais ce n'est pas vraiment l'image que j'aime donner. On a donné l'image que "on est maintenu, alors on s'en fout". Ça ne me plaît pas. Il a manqué énormément de choses, sur et en dehors de la glace.

- Beaucoup d'absents aussi ?

Il y a toujours des absents. Ça fait 7 ans que je fais un Mondial, on n'a jamais eu l'équipe au complet. Jamais. Dans toutes les équipes, c'est pareil. Pendant la saison, c'est pareil. C'est trop facile de dire qu'il y a des absents. Je n'ai pas fait la préparation cette année parce qu'on est allé loin en play-offs ici, mais ça fait déjà 2-3 ans que notre préparation n'est pas bonne. On peut me dire ce qu'on veut mais il ne faut pas se concentrer sur les résultats en préparation, il faut se concentrer sur la manière. Et la manière, il faut l'améliorer. Si tu joues n'importe comment en préparation mais que tu gagnes et que tu penses que tout va bien, tu arrives au Mondial et tu redescends vite sur terre.

- Que voudrais-tu voir évoluer ?

Que tout le monde, chacun de nous, soit un peu plus professionnel, engagé et respectueux. Dans la manière dont on s'entraîne, dont on se comporte sur et en dehors de la glace. C'est vraiment un comportement individuel, à chacun. Il faut arriver un cran au-dessus par rapport à son niveau en saison et non pas un cran en-dessous. Il y a pas mal de choses que j'aimerais voir évoluer. Un peu plus de respect envers tout. Plus de respect des joueurs entre les joueurs. Plus de respect de la chance que tu as d'aller faire un Mondial en Russie. Tous les joueurs, à part peut-être un ou deux, si on n'était pas français, on ne serait jamais au Mondial. Si on était suédois, on serait loin mais loin d'imaginer qu'on aille au Mondial. On oublie un peu cette chance et cette opportunité. Quand tu oublies ça, tu as tendance à ne pas respecter les choses. Et ça se retourne très vite contre toi. Ça fait un peu 2-3 ans que ça se passe et il faut faire attention.

- L'occasion de rebondir avec le tournoi de qualification olympique ?

Bien sûr, tu peux toujours rebondir, c'est ça qui est beau dans le sport. Ce tournoi est décisif. Après il faut faire attention, le hockey continue après. C'est clair que c'est un objectif qui est primordial. Dans une carrière de sportif, faire les JO, surtout en ce moment alors que se déroulent les JO à Rio, tu as vraiment envie de participer à un événement comme ça.

- Ton forfait…

Je suis vraiment triste, je voudrais être là pour aider mais j'ai un petit pépin [au bas du corps]. Mais je fais confiance aux gars, ils ont les moyens de se qualifier.

- Un pronostic ?

Je suis nul en pronostic. Non, je ne m'attache pas beaucoup aux pronostics.

- Tu es le 5e Français en NHL mais le 1er défenseur, comment vois-tu le potentiel en France dans la formation de défenseurs ?

Il y a un gros chantier à faire en défense. Si tu regardes l'attaque de l'équipe de France, elle est très bonne. Il y a des joueurs excellents, tu as des créateurs, des buteurs, des travailleurs, des joueurs à caractère offensif/défensif. Tu as de quoi faire quelque chose de très intéressant. Mais la défense depuis plusieurs générations, c'est le point faible. Moi-même, j'étais attaquant à la base. Un peu comme tout le monde : en France, quand tu es jeune, t'es en attaque pour marquer des buts. En venant en Finlande, j'étais attaquant, mais en senior ou en équipe de France, j'étais en défense, tout simplement ils manquaient de défenseurs. Moi, ça ne me dérangeait pas. Ça me permettait de jouer. Ça s'est fait sur le tard. Maintenant je suis un défenseur à 100 % mais ces deux dernières années à HIFK sont les deux seules années que j'ai faites sans mettre un pied à l'attaque. Quand j'étais à Jyväskylä, même il y a 3 ans, j'allais faire 5-6 matches à l'attaque.

La formation de défenseur en France n'existe pas. Il n'y a pas de suivi. Admettons qu'à 20 ans tu sors de l'équipe de France U20, ensuite de 20 à 24 ans, tu as une période de progression qui est énorme. Mais tous ces jeunes-là, ils sont laissés dans la nature. Il n'y a rien de mis en place, ni personne qui les suit et qui continue de les développer. Alors que ce sont des années cruciales quand tu deviens défenseur.

- As-tu des regrets au cours de ta carrière ?

Je n'aime pas trop l'idée d'avoir de regrets, car ça signifierait un échec. Peut-être deux années à Jyväskylä, où je n'ai pas été assez investi et engagé sur moi-même, sur un travail individuel qui m'aurait fait progresser et développer plus tôt pour arriver là où je suis maintenant. Là, j'ai 27 ans, mais j'aurais pu/dû y être à 25. Si j'avais mieux travaillé entre 22 et 24 ans, j'aurais gagné du temps. Ma progression aurait pu être plus rapide.

- Si tu devais choisir une équipe-type idéale, en t'y incluant, qui choisirais-tu ?

J'ai du mal avec les gars contre qui je n'ai jamais joué ou que je n'ai jamais vus. Je ne me rends pas vraiment compte.

[gardien] Pekka Rinne

Pour moi, c'est le top du top. Je l'ai côtoyé à Helsinki, parce que l'été tous les gros NHLers viennent s'entraîner ici.

Erik Karlsson [droitier]

Je l'avais vu la première fois à un Mondial en 2010 ou 2011. La même année, il y avait Sami Vatanen qui était avec nous à Jyväskylä et qui était la star montante avec Granlund. Ils dominaient la SM-Liiga à moins de 20 ans. Tout le pays était derrière. Et en arrivant au Mondial, je me suis demandé qui était ce Suédois ? Parce que Vatanen n'est rien comparé à lui, alors que Vatanen était déjà incroyable. J'ai joué contre lui ensuite aux Jokerit. Il se baladait vraiment. T'avais l'impression de voir Stéphane [Da Costa] quand on était poussin.

Yohann Auvitu [gaucher]

À part Duncan Keith ou Roman Josi, dans le top-20 des scoreurs défenseurs, il y a beaucoup de droitiers, il n'y a pas beaucoup de gauchers. Je ne sais pas pourquoi, il doit y avoir une explication, je ne la connais pas. En défense, tu mets un gaucher et un droitier si tu peux, mais si tu n'en as pas, il y en a un qui se retrouve à contre-emploi. Moi je joue défenseur gauche et je suis gaucher. Ça va, c'est simple. Je jouais ici avec un Suédois gaucher qui était très bon [Daniel Grillfors]. Il était tellement fort qu'il était capable de s'adapter. En équipe de France, on a beaucoup de défenseurs droitiers. Manavian, Janil, Moisand, Hecquefeuille, je viens de te donner déjà 4 défenseurs français droitiers. Je peux te dire que nous n'en avions pas 4 cette année à HIFK. Un défenseur droitier, ça a toujours beaucoup de valeur.

[centre] Evgeni Malkin

C'est la base, c'est le nom le plus évident qui me vient à l'esprit. Créativité, puissance, il a tout. C'est un arbre et en même temps il est très technique. J'ai toujours été un fan des Russes. Les mains qu'ils ont, tu le vois au Mondial, la manière dont ils prennent le palet. C'est quelque chose d'autre.

[ailier droit] Patrick Kane

Ailier droit, je mettrais Patrick Kane, pour les "skills" et la "vista", le sens du hockey. C'est incroyable. Il est toujours la tête haute. Quand tu as toujours la tête haute au hockey, tu as toujours un pas d'avance. Mais c'est dur !

[ailier gauche] Stéphane Da Costa

En termes de "skills", je mettrais aussi Stéphane. Il est assez incroyable. Tu peux le mettre ailier gauche, il ne va rien dire. En équipe de France, on a toujours eu beaucoup de droitiers, tu as Stéphane, Fleury, Hecquefeuille, Meunier. C'est une force. Je regardais l'équipe de Finlande, ils n'ont pas de centre droitier. Alors que pourtant ils ont un contingent de joueurs trois fois plus grand.

Il y a beaucoup de bons ailiers, c'est dur de choisir. Si on se limitait à la SM-Liiga, Teemu Ramstedt serait au centre et Kristian Kuusela ailier droit, le petit attaquant casque d'or de Tappara est très fort. Mais les Finlandais sont loin des Russes, même si je ne mettrais pas Ovechkin, car ce n'est pas trop mon style. J'aime les joueurs très techniques. Il est technique, mais moins que d'autres. En NHL, Patrick Sharp, Jamie Benn m'ont l'air assez excellents, très techniques, bien que je n'ai jamais joué contre eux.

- Damien Fleury est passé à Helsinki pour des matches amicaux avec sa nouvelle équipe de Pékin en KHL. Qu'est-ce que ça t'inspire ?

Oui, j'ai passé le week-end avec lui. Le hockey est en train de prendre une dimension plus globale que quand il était concentré dans quelques pays (Russie, Suède, Finlande, Tchéquie, Canada). Pékin, c'est clairement pour les JO 2022 qu'il y a une expansion. Mais ce doit être une expérience de vie incroyable. Des équipes d'expansion en KHL, ça a l'air compliqué en termes de logistique au départ. C'est le début, c'est nouveau pour tout le monde. On se parle souvent, lui sera à Pékin, moi à New York, il y aura 12 heures d'écart, quand il se lèvera, moi je me coucherai, on pourra donc moins se parler.

- Que penses-tu du niveau de la KHL ?

C'est excellent, j'ai vu beaucoup à Jokerit, j'allais les voir. C'est fort. En même temps, j'ai l'impression qu'il y a un sacré écart entre les 10 premiers et les 10 derniers. Ce qui fait qu'il y a un deux poids deux mesures dans cette ligue. Financièrement déjà, et sportivement aussi. Une équipe comme Saint-Pétersbourg est capable de payer Datsyuk et Kovalchuk, mais j'imagine que pour Khabarovsk, c'est inimaginable de payer ces joueurs-là.

Sportivement aussi. Mais c'est du gros hockey. J'ai vu le CSKA avec Stéphane [Da Costa], c'est une machine de hockey. Ça joue, ça va vite, c'est technique, c'est du bon hockey. Je les ai vus en play-offs en plus, c'était vraiment bien, ça jouait très bien au hockey.

- Tu suivais quels championnats, la Liiga, la KHL ?

Oui, plus la KHL que la Liiga.

- La NHL ?

Oui un peu. Je suivais un peu Montréal... un peu comme tous les Français. Mais je le regardais avec un œil distant. Quand je regardais la KHL, je regardais avec un œil plus attentionné, d'expert, parce que je voulais me projeter dedans. Alors que la NHL, je regardais, je me disais "oh, trop bien" mais sans vraiment regarder. Alors que maintenant, je regarde plus comme je regardais la KHL avant, avec une idée précise de ce que je veux voir.

- Et à l'autre bout de l'échelle, tu suis encore le championnat de France ?

Moins que lorsque je suis parti de France. Mais je sais ce qui se passe quand même. Je suis surtout les joueurs de l'équipe de France. Je sais qu'il va y avoir plus de matches, plus de professionnalisme. C'est très bien.

- Tu supportes une équipe ?

C'est difficile parce que quand je suis parti en Finlande, j'étais au Mont-Blanc, mais ça n'existe plus. Maintenant c'est Saint-Gervais-Megève, mais ce n'est plus ce que c'était, ils sont en D2. Si je regarde la France, je regarderais d'abord la Ligue Magnus, ensuite je regarderais le Mont-Blanc, mais c'est plus rare que je regarde. Et avant ça, j'étais à Viry. Viry, c'est pareil, ils sont en D3, c'est encore en-dessous. J'aimerais bien que Mont-Blanc revienne en Magnus. Ça paraîtrait inconcevable un championnat de France sans Mont-Blanc, Chamonix, c'est quand même de là-bas que le hockey s'est fait.

- Quel conseil donnerais-tu à un jeune joueur français ?

Deviens défenseur parce qu'il y a de la place et pars jeune. Pars ailleurs pour te former correctement et avoir l'opportunité de jouer à très haut niveau. C'est malheureux, mais même si ça fait mal de dire ça, tu es obligé aujourd'hui.

- Qu'est-ce qui fait un bon défenseur ?

Mobilité, vison de jeu et les duels, la capacité à gagner les batailles en 1 contre 1. Ces trois points-là sont primordiaux pour moi. Quand je dis vision de jeu, j'inclus une bonne première passe, la capacité à lire et comprendre. Toute la vie, ça se travaille. Quand jouer vite, quand ralentir, quand réaccélérer.

- J'ai vu des photos de toi avec le maillot de New Jersey…

Déjà il faut que j'ai l'honneur de le porter. Au camp de développement, ça ne compte pas. Il y a le nom, il y a tout, mais pour moi, ça ne compte pas. C'est le maillot d'un match officiel qui compte. Et même pas qu'un seul. Il y a énormément de joueurs qui font un seul match de NHL. Mais pour moi, ça ne veut pas dire que tu es un NHLer. Et moi, je veux devenir un NHLer.

Propos recueillis en août 2016 par Benoît Mantel (Twitter @BenoitMantel)

 

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