Bilan des Jeux Olympiques de Beijing 2022

 

Ce sont les Jeux olympiques d'hiver les plus étranges de l'histoire qui ont pris fin. Un tournoi olympique quasiment privé d'ambiance festive à cause de la pandémie, devant de rares spectateurs triés sur le volet et nettement séparés les uns des autres. Heureusement, une fois que les malades asymptomatiques ont été identifiés au départ par les tests chinois ultra-sensibles, il n'y a pas eu de contamination au sein de la bulle sanitaire. Le coronavirus n'a donc pas nui à l'équité sportive et la finale a donc opposé les favoris que nous avions désignés avant le tournoi, avec le vainqueur "prévu".

Ce championnat était aussi le premier à se dérouler sur petite glace (26 mètres de large au lieu de 30), ce qui sera le cas des compétitions internationales des trois prochaines années selon le vœu de l'ancien président de l'IIHF René Fasel. Son successeur à la tête de la fédération internationale, Luc Tardif, n'est cependant pas sur la même ligne : ne sachant que trop - par son expérience en France - les réalités du hockey dans les pays où il est un sport mineur, il se méfie du coût de modification unilatérale des patinoires. Rappelons que des dimensions olympiques de 60 mètres sur 30 sont recommandées pour le patinage artistique et obligatoires pour le short-track (sport où l'on compte les temps).

Si ce tournoi a prouvé une chose, c'est que ce n'est pas la taille de la glace qui fait la qualité du jeu. On n'a retrouvé ni le niveau de jeu ni la priorité offensive qui avaient marqué Vancouver 2010, le précédent tournoi à s'être déroulé sur une "patinoire NHL". On se souvient que la presse nord-américaine réclamait de passer la NHL sur grande glace après la flamboyante démonstration du Suède-Canada à Salt Lake City. Personne ne demandera de passer sur petite glace après la demi-finale Suède-Canada à Pékin, physiquement intense mais affreusement monotone...

Plusieurs mythes souvent propagés ont donc été battus en brèche. Les systèmes défensifs de certaines équipes européennes ne fonctionneraient pas sur une glace NHL, prétendait-on. L'entraîneur danois Heinz Ehlers a prouvé le contraire : son équipe a continué sur sa lancée du dernier Mondial et bétonné pour être la surprise du tournoi. Verrouiller une ligne bleue large de 26 mètres est plus facile que sur 30 mètres, on en a fait l'expérience. L'argument répété comme un slogan en faveur du rétrécissement des patinoires est l'accélération du jeu. Un joueur donné, pressé par un adversaire plus proche sur une surface réduite, va devoir jouer plus vite. Mais c'est vrai uniquement en supposant les joueurs et les tactiques identiques... Si, sur l'argument de la taille de glace, on se prive des joueurs de talent, le raisonnement tient-il ? Beaucoup d'équipes (Suède, Russie) ont ostensiblement choisi d'avoir des joueurs moins techniques parce que la différenciation technique est moins importante sur petite glace : est-ce bon pour le hockey d'avoir un jeu plus stétéotypé ? Heureusement, la Slovaquie a prouvé qu'une autre voie était possible...

Résultats et comptes-rendus des Jeux olympiques 2022

 

 

Finlande (1er) : le triomphe logique

Comme une évidence. L'équipe avec le meilleur entraîneur a gagné. Jukka Jalonen sait donner à la fois une structure et une âme à ses équipes. Il compte désormais trois médailles d'or dans les grandes compétitions (plus un Mondial junior remporté la seule année où il s'est occupé de les moins de 20 ans) et devient un des entraîneurs au palmarès le plus impressionant dans l'histoire du hockey international. Il sait s'adapter aux adversaires et donner des rôles précis à chacun. Un dispositif au point dans lequel Niko Ojamäki, un des huit joueurs déjà champions du monde en 2019, est devenu superflu : après avoir battu le record de buts en une saison pour un Finlandais en KHL, il a perdu sa place après une perte de palet au premier match. Les autres ont eu des temps de jeu équilibré, car Jalonen utilise des joueurs différents en supériorité et en infériorité numérique.

Le petit centre aux initiatives subtiles Sakari Manninen et l'ailier dominant dans les duels Teemu Hartikainen ont mené l'attaque, avec le défenseur offensif Mikko Lehtonen. Ce qui est incroyable, c'est que tous ces joueurs à vocation offensive... n'ont encaissé aucun but ! Et pour cause, la Finlande n'a concédé que deux buts à 5 contre 5 (les deux par Slafkovský au premier match). Le pendant de cette statistique, c'est que les champions olympiques ont étonnamment été classés derniers en infériorité numérique, exercice dans lequel ils ont encaissé six buts (dont cinq avec un autre médaillé d'or 2019 Petteri Lindbohm sur la glace). Est-ce à dire que ces joueurs préposés à tuer les pénalités ont failli à leur travail ? Personne ne songerait à les accuser. Quand le trio-vedette d'Ufa - dont les Russes se méfiaient tant - était contrôlé par le quatrième trio russe en finale, dans une vaine neutralisation, c'est - comme toujours ces dernières années - la quatrième ligne finlandaise qui a fait la différence dans les moments-clés. En plus d'alimenter la possession par sa capacité à prendre les mises au jeu décisives, Hannes Björninen a mis un but et une assist, devenant le nouveau "poster boy" des Leijonat, plus encore que son compagnon de ligne dont il a dévié le tir sur le but décisif : Marko Anttila, le héros du Mondial 2019 qui a récidivé après avoir commencé le tournoi en isolement dans sa chambre d'hôtel (Jalonen avait dénoncé une atteinte aux "droits de l'homme" dans une expression vraiment pas heureuse tant il y a bien plus grave que ça en Chine).

Le rasage de la moustache si de Björninen a été le grand moment de la célébration de la médaille d'or, le lendemain au stade olympique de Helsinki devant 20 000 spectateurs (maximum autorisé dans le contexte sanitaire), en compagnie des féminines qui fêtaient leurs médailles de bronze. Une fête qui s'est déroulée sous des bourrasques de neige, dernières manifestations des tempêtes qui ont frappé l'Europe du Nord ce week-end. Le contexte sanitaire et les conditions climatiques peuvent expliquer que les célébrations aient pu paraître moins folles qu'après les victoires aux championnats du monde, fête populaire par excellence : c'est plus compliqué de se jeter nu dans la fontaine Havis Amanda en février qu'en mai ! A fortiori quand la finale s'achève à l'aube, un peu tôt pour élever son taux d'alcoolémie. Mais la Finlande savoure bien ce titre olympique qu'elle mérite tant : il lui permet de rejoindre au palmarès toutes les autres grandes nations du hockey sur glace, dont elle fait indéniablement partie.

 

Russie (2e) : le hockey russe creuse-t-il sa propre tombe ?

"L'original est toujours meilleur que la copie" : c'était le proverbe-clé d'Anatoli Tarasov, le mentor du hockey soviétique. La Russie a étrangement oublié cette devise qui l'avait portée au sommet. En 2019, le sélectionneur Ilya Vorobyov avait fait une déclaration fameuse selon laquelle la Sbornaïa ne pourrait jamais renier sa culture et jouer comme la Finlande. Cette fois, elle a essayé, et elle a logiquement échoué contre un adversaire qui détient toutes les clés de ces confrontations. Plus gênant encore, la Russie n'a pas assumé. L'entraîneur Aleksei Zhamnov n'a cessé de faire miroiter que l'on reverrait bientôt un hockey offensif digne de la tradition russe. Ce n'est qu'après la défaite en finale qu'il a expliqué ne pas avoir eu d'autre choix, parce que la taille de glace contraignait à un hockey simplifié. Trop simplifié pour battre la Finlande... En début de tournoi, les entrées de zone russes en déviation sur de longues relances fonctionnaient bien, mais les hommes de Jalonen ont totalement bloqué cette arme.

Ce qui est paradoxal, c'est que la Russie se trouve elle-même coincée dans une évolution qu'elle a elle-même précipitée. C'est la KHL - dans sa tendance "anti-tarasovienne" à imiter la NHL pour prétendre lutter avec elle - qui a décidé d'imposer à tous un passage progressif sur petite glace. Pour quel résultat ? Le jeu défensif y règne toujours, et elle n'est pas plus compétitive pour autant.

Le staff russe n'a cessé de louvoyer. Le retour au pays d'Andrei Kuzmenko en fut la meilleure illustration : il a été renvoyé au pays parce qu'il était officiellement blessé, et le SKA Saint-Pétersbourg - qui tenait jusqu'à l'an passé les clés de l'équipe nationale - a aussitôt fait savoir qu'il était en pleine forme et serait aligné en match amical, histoire de bien torpiller la communication du nouveau staff. Quand on sait comment la presse russe se jette sur les entraîneurs comme une horde autour d'une proie, on peut comprendre la difficulté d'engager un débat de fond. Zhamnov s'est plaint de la "négativité" de ses compatriotes journalistes qui ne cesseraiet de monter en épingle des sujets extrasportifs comme la présence d'un voyant nommé Sherzod Ismaïlov comme conseiller occulte de l'équipe.

Soucieux d'éviter la critique, l'encadrement de la Sbornaïa n'a jamais expliqué ses choix. La priorité aux profils laborieux aux dépens des techniciens semblait claire, mais jamais assumée. Il ne restait que deux créateurs, Vadim Shipachyov (photo) et Nikita Gusev, vite séparés puisque leur ligne ne fonctionnait pas. Si Gusev a fini meilleur marqueur de son équipe, Shipachyov a paru perdu, entouré d'ailiers trop différents de lui. En disant en conclusion du tournoi que "Vadim a été le capitaine à la fois dans le vestiaire et sur le banc", Zhamnov a implicitement admis qu'il ne l'avait pas été là où ça importait le plus, sur la glace. Envoyé en tribune il y a quatre ans lors de la conquête de l'or olympique, Shipachyov est cette fois resté jusqu'à la fin, mais il n'a jamais mis l'intensité nécessaire dans le jeu international, pas prêt à pratiquer un hockey qui n'était pas le sien.

 

Slovaquie (3e) : audace, culot et plaisir

Même dans un tournoi qui a fait la part belle à un jeu fermé, l'équipe la plus offensive de toutes a été récompensée par une très belle médaille de bronze. La Slovaquie est aussi - comme par hasard - l'adversaire qui aura le plus fait vaciller la Finlande. Elle a sérieusement bousculé les futurs champions du monde en les pressant pendant dix minutes à leur entrée dans le tournoi, et les a encore malmenés en demi-finale. Elle y est parvenue avec le hockey le plus enthousiasmant du tournoi. Craig Ramsay déteste le jeu prudent et attentiste et a bâti son équipe sur des patineurs rapides. Capables de forechecker à deux, les Slovaques ont aussi su pratiquer des entrées de zone en contrôle du palet, en servant un joueur à pleine vitesse sur des passes-abandons. Il n'a manqué qu'un atout à cette Slovaquie : le jeu de puissance, bon dernier du tournoi, n'arrivant pas vraiment à déclencher ses one-timers dans son positionnement en parapluie.

Un joueur a en revanche trouvé l'efficacité qui fait souvent défaut aux hockeyeurs slovaques : Juraj Slafkovský. Pendant que l'autre joueur de 17 ans - Šimon Nemec - perdait sa place, tout a réussi à l'attaquant du TPS avec 7 buts en 24 tirs (29%)... alors qu'il n'a marqué qu'un but cette saison en Liiga finlandaise avec moins de 2% de taux d'efficacité ! Visage juvénile du culot de cette équipe de Slovaquie, Slafkovský a été élu meilleur joueur de ce tournoi olympique par la presse accréditée, un mois avant de pouvoir enlever sa grille. Il a fini le tournoi sur le premier trio après l'avoir commencé en quatrième ligne aux côtés d'une révélation plus inattendue, Pavol Regenda, qui communiquait lui aussi son énergie inlassable à toute l'équipe. L'autre homme-clé de ce tournoi de rêve, c'est Patrik Rybár : le troisième gardien essayé, fils de l'ex-international Pavol Rybár, a dépassé toutes les attentes en finissant à 96,6% d'arrêts, derrière une défense qui a appris à colmater ses brèches sur les transitions.

Après les deux défaites initiales, un autre homme est arrivé : le président de la fédération Miroslav Šatan. Il a repris son rôle de manager de l'équipe nationale. Lui qui avait participé aux quatre médailles mondiales de la Slovaquie en tant que joueur aura donc participé en coulisses au premier podium olympique. Il a vécu, au retour au pays, la parade dans les rues de Bratislava puis la ferveur populaire sur la place SNP noire de monde. Un accueil qui a émerveillé les joueurs, parmi lesquels seul Libor Hudáček (vice-champion du monde 2012) avait vécu une célébration de médaille. Cette équipe slovaque a redonné le plaisir du hockey, dans son pays et même au-delà.

 

Suède (4e) : le hockey battu par le curling

"Il y a eu beaucoup d'action dramatique, des poignets sensibles, de jolies combinaisons et du vraiment beau mouvement sur la glace. Mais ensuite nous avons quitté la demi-finale de curling pour regarder la demi-finale de hockey." Cette phrase, extraite des articles du site Svenska Fans, est représentative de la perception de cette Tre Kronor au jeu ennuyeux. C'est bien le curling qui a fait les meilleures audiences en Suède pendant ces JO. Le hockey a terminé troisième audience derrière le curling et le ski de fond, il n'est pas aux oubliettes non plus, mais il n'a rien gagné durant cette quinzaine.

La couverture télévisée de la chaîne Discovery+ a elle aussi été critiquée, et l'expert en plateau, le prestigieux Peter Forsberg, n'a pas vraiment convaincu dans ce rôle. Sa critique du sélectionneur Johan Garpenlöv "debout avec ses mains dans les poches" a agacé celui qui fut son coéquipier en équipe nationale et qui a répliqué "qu'il devrait se rasseoir sur son fauteuil et regarder plutôt le match". Après cet échange, l'entraîneur s'est abstenu de répliquer aux critiques qu'il n'avait pas entendues, mais l'agacement était palpable.

Ce ne fut certes pas le fiasco du dernier championnat du monde. La Suède aurait très bien pu aller en finale, à un pénalty près contre la Russie dans une séance qu'elle aura menée. Mais c'était un affrontement entre deux équipes qui n'ont emballé personne avec leur jeu sans imagination. La créativité dans cette Tre Kronor venait du défenseur offensif Henrik Tömmernes, mais pas des attaquants qui n'ont jamais pris de risques. La sélection de profils formatés n'a ramené aucune médaille, et en plus elle a fait bâiller les téléspectateurs.

 

États-Unis (5e) : pas les seuls à être jeunes, rapides et enthousiastes

La première place des États-Unis après la phase de poules était un peu trompeuse. Ses trois victoires furent obtenues contre un adversaire de niveau incertain (8-0 contre la Chine), avec l'aide de trois poteaux contre le Canada (4-2) et dans la douleur en fin de match contre l'Allemagne (3-2). C'était une bonne première phase, on ne dit surtout pas le contraire, mais cela ne faisait évidemment pas des Américains les favoris du tournoi. Cela devait leur donner un adversaire plus facile en quart de finale, mais la Slovaquie a déjoué les pronostics.

Dans leur quart de finale, les États-Unis ont eu six minutes et demie en supériorité numérique (dont 1'22 à 5 contre 3) et n'ont pas su concrétiser. Ils ont peut-être pâti de l'absence Jake Sanderson, arrivé en retard (Covid-19) puis blessé en première période contre le Canada même s'il a ensuite fini le match. En son absence, cinq autres défenseurs ont alterné sur le jeu de puissance sans jamais trouver l'homme-clé. Les Américains ne peuvent se plaindre de leur manque de réalisme en général (ils sont deuxièmes en efficacité aux tirs derrière la Finlande !) mais n'ont pas su mettre un seul de leurs cinq pénaltys. Comme dans chaque cas similaire, le coach David Quinn a été accusé d'avoir mal choisi ses joueurs, et de ne pas avoir lancé Matty Beniers pour tenter un tir au but. C'est vrai qu'il a été le joueur américain ayant réussi le plus d'entrées de et de sorties de zone mais aussi de dribbles, mais aurait-il le sang-froid nécessaire pour exploiter ses qualités techniques face au gardien sous une telle pression ? On ne le saura jamais car on ne refait pas l'histoire.

Une chose est sûre en tout cas : cet échec n'est pas celui de la stratégie américaine d'envoyer une équipe rajeunie avec plus d'universitaires et moins de pros. Les États-Unis ont battu les rivaux plus expérimentés en poule. Ils ont simplement été éliminés par une équipe tout aussi jeune, et encore plus rapide et enthousiaste qu'eux !

 

Canada (6e) : pros méprisés et jeunes surestimés

Le Canada a fait un temps illusion dans ces Jeux olympiques. C'était une très belle illusion, pendant dix minutes excellentes pour assommer l'Allemagne. La suite n'a pas été à la hauteur. Malgré le discours convenu de tous les entraîneurs du monde sur leur équipe qui s'améliore de match en match, ce n'était pas le cas des Canadiens qui ont juste fait monter le score en avantage numérique contre la Chine sans vraiment convaincre. Comme les Américains, ils ont été battu par une équipe qui leur ressemblait, en mieux : la Suède a été plus solide et plus agressive homme à homme dans un combat de tranchées.

Si les Américains n'ont pas perdu à cause de leurs jeunes, les Canadiens ne peuvent pas attribuer leur élimination à leurs vétérans. Dommage pour les causes trop simples... Certes, l'ex-vedette de NHL Eric Staal n'a pas justifié son temps le jeu - le plus élevé des attaquants - et n'a pas mené l'offensive. Mais ce ne sont pas les pros évoluant en Europe qui ont failli dans les moments décisifs, même si l'opinion canadienne les méprise un peu par principe.

Les jeunes espoirs, portés aux nues jusqu'à les surestimer, n'ont pas été dignes des lauriers trop vite tressés par avance. Le numéro 1 de draft de l'an passé, le pilier de la défense Owen Power, a une tendance à l'excès de confiance en gardant trop le palet, ce qui peut ralentir le jeu et lui vaut même parfois de se faire devancer au pressing. Toujours positionné en première ligne, l'autre "super-junior" Mason McTavish n'a guère pesé et a fait de mauvais choix offensifs. Enfin, l'universitaire Jack McBain a commis une énorme erreur éliminatoire sur une action - passe dans le dos à la ligne bleue défensive - qu'un hockeyeur ne devrait jamais se permettre à ce niveau.

 

Danemark (7e) : l'aboutissement et pas la révélation

Les supporters de certains grands pays de hockey s'attendent encore à voir leur équipe écraser le Danemark. Il serait peut-être temps qu'ils se mettent à la page. On avait dit que les hommes de Heinz Ehlers seraient compétitifs et on avait rappelé qu'ils n'avaient jamais perdu de plus de trois buts. Cette fois, ils n'ont jamais perdu de plus de deux buts ! Au lieu de se plaindre des petits scores, la Russie devrait plutôt se féliciter d'être la seule équipe à avoir réussi à battre les Danois. En effet, Tchèques, Suisses et Lettons ne peuvent pas en dire autant...

Un bilan positif de victoires dans une compétition réunissant les 11 meilleures nations de la planète (le Danemark n'ayant pas croisé la route de la Chine) est une performance absolument remarquable. Les Danois ont atteint le meilleure position de leur histoire avec cette septième place. On ne peut nier que Heinz Ehlers a tiré le meilleur de son équipe, et il est plus légitime à adopter un système aussi défensif que des pays qui ont une base de joueurs infiniement supérieure.

Ces premiers Jeux olympiques ont donc constitué un aboutissement pour le hockey danois, mais peut-être un aboutissement insurpassable pour longtemps. Si Frans Nielsen a expliqué qu'il raccrocherait définitivement les patins cet été, aucun joueur n'a annoncé la fin de sa carrière internationale. Pour autant, la pyramide des âges est sans appel, et Heinz Ehlers le sait : "Nous savons que la date d'expiration de quelques joueurs approche. Malheureusement pour nous, ce sont des joueurs incroyablement difficiles à remplacer." Ce changement de générations qui s'annonce délicat sera le grand défi post-olympique du Danemark.

 

Suisse (8e) : un match ne suffit pas à se réjouir

Certains commentateurs suisses malicieux ont comparé ce tournoi au dernier Euro 2018 de football : gagner le seul match qui importait (c'était alors le huitième de finale contre la France) pour parader en tant que quart de finaliste après une prestation désastreuse en poule.

De fait, la Nati n'a gagné qu'une rencontre, celle qui importait, le barrage contre les Tchèques. Pas de quoi clamer que ces JO sont une réussite, pas plus qu'il y a quatre ans. Les médailles ont de nouveau paru bien lointaines. Un seul succès aura paradoxalement suffi à atteindre les quarts de finale, jamais ratés depuis la finale au Mondial 2018. C'est une belle régularité au plus haut niveau, mais elle ne suffit pas à combler les attentes. On attendra mieux du sélectionneur Patrick Fischer et de ses hommes.

Les Suisses ont de nouveau manqué d'efficacité offensive devant la cage adverse (pas devant les leurs avec un généreux total de quatre buts contre leur camp...). L'éternel Andres Ambühl, toujours un des joueurs les plus directs et énergiques, est le seul joueur à avoir mis deux buts. Enzo Corvi a été joueur le plus créatif et le meilleur marqueur. Mais ces deux joueurs de Davos constituent les seules satisfactions offensives. Personne n'a porté l'équipe et le revenant de NHL a été le plus critiqué de tous avec un tournoi complètement raté : Grégory Hofmann a fini avec zéro point et une fiche catastrophique de -8... même s'il est aussi le joueur suisse qui a tenté le plus de tirs cadrés (14). Un manque de réalisme criant.

 

Tchéquie (9e) : un déclin sans émotion

Jamais les Tchèques (ou Tchécoslovaques) n'étaient sortis des sept premières places depuis que les compétitions internationales ont commencé il y a un siècle. Il fallait bien que ça arrive un jour. C'était la seule équipe européenne à ne jamais être tombée aussi bas, il ne reste plus que le Canada qui n'a jamais quitté le top-7 (même si le couperet est passé très près au dernier Mondial avant qu'il ne décroche le titre).

Cela reflète-t-il un déclin inexorable ? "Nous ne sommes plus une grande puissance", a conclu le gardien Šimon Hrubec. Les Tchèques ne sont certes plus au niveau des grands pays, mais se faire battre régulièrement par la Suisse ne reflète pas la formation respective des deux nations quand on regarde les résultats des juniors. La critique est donc inévitable. Hrubec lui-même n'en pas exempt, il a pris des buts sur des tirs ouverts et perdu de vue des rebonds (deux fois contre la Suisse) pour finir avec le moins bon pourcentage d'arrêts des gardiens titulaires (86,5%) alors qu'il a été numéro 1 de bout en bout. Le défenseur Jakub Jeřábek a vécu un naufrage avec une fiche de -4 et de mauvaises pénalités.

On ne peut même pas dire que les vétérans aient failli. Les deux joueurs à plus de 140 sélections ont été précieux en action placée : Roman Červenka par la mise en place de combinaisons et Jan Kovář par son métier y compris pour faire écran devant la cage,. Ils ont permis aux Tchèques d'avoir le meilleur powerplay du tournoi. Mais cette effectif d'expérience manquait un peu de patinage dans le jeu en mouvement à 5 contre 5. David Krejčí a paru mal entouré par des ailiers peu finisseurs (Hyka et Sedlák). Même la révélation offensive Jiří Smejkal, auteur d'un bon tournoi en quatrième ligne avec les frères Zohorna, était en défaut dans le dernier geste. Seul le duo défensif de choc Klok/Knot a fait clic !

Le manager Petr Nedvěd a pris sa part de responsabilté en assumant avoir eu le choix final sur la sélection, comme le font les Nord-Américains. Pour autant, la position de l'entraîneur Filip Pešán semble de moins en moins tenable. En décembre, l'ancien champion Jiří Hrdina écrivait sur twitter : "Pešán a-t-il la moindre émotion ? Il reste immobile comme s'il était vexé, sans parler à personne. Le coach de l'équipe nationale travaille avec des joueurs déjà prêts, il n'a plus rien à leur apprendre, et il devrait être celui qui soutien, encourage, interpelle, pas quelqu'un qui reste debout sur le banc comme Buster Keaton et qui a l'air paumé." Les seules émotions de Pešán se sont exprimées uniquement à l'intérieur de son chewing-gum. Ses deux adjoints avaient plus de langage corporel... mais c'est parce qu'ils laissaient transparaître leur dépit face aux évènements.

 

Allemagne (10e) : les têtes ne se sont jamais libérées

Vice-championne olympique en titre, l'Allemagne a eu du mal à se mettre dans le tempo international et a été prise de court d'entrée par le Canada. La phase de poules n'avait guère était meilleure il y a quatre ans à Pyeongchang, mais cette fois les Allemands ne s'en sont jamais remis. En barrages, ils ont éprouvé les pires difficultés à relancer proprement hors de leur zone face au forechecking slovaque.

Le sélectionneur Toni Söderholm a dit que ces joueurs n'étaient "pas assez libre dans leurs têtes". La pression née des attentes élevées a pu les affecter, de même que l'avenir incertain de leur entraîneur (que la rumeur propagée pendant le tournoi disait en partance pour Mannheim la saison prochaine).

Mais ce que les joueurs ont pointé, c'est la difficulté à transposer leur jeu sur petite glace. Marcel Noebels est devenu deux fois joueur de l'année en DEL en développant son jeu collectif sur grande glace, alors que ses années nord-américaines en avait fait un joueur quelconque. Il l'est redevenu dans cet environnement (zéro point et -3). Les Allemands ont manqué de spontanéité pour jouer vite dans les petits espaces, et semblaient mal préparés. Pourquoi alors avoir fait le camp de préparation à Mannheim, et non à Schwenningen où il y a une petite glace ? Le directeur sportif Christian Künast a balayé cette question comme les autres en disant que deux séances n'auraient rien changé. C'est possible, mais ne pas l'avoir fait expose aux questions. Les interrogations de la presse allemande sont inévitables car l'équipe avait désormais un statut à défendre.

 

Lettonie (11e) : la fin d'un cycle... et peut-être d'un projet

Avec quatre défaites, seule équipe bredouille avec la Chine, la Lettonie ne tirera pas grand chose de ce tournoi olympique. Elle est entrée dans les rencontres avec de l'énergie et une forte intensité mais n'a souvent pas tenu la distance. Elle est excactement à sa place dans la hiérarchie mondiale actuelle, onzième, et semble un peu en fin de cycle. L'ex-sélectionneur Bob Hartley est-il parti juste à temps ?

Renars Krastenbergs a été le meilleur marqueur et a évolué à son meilleur niveau, il représente à 23 ans l'avenir du hockey letton. Mais la relève n'arrive pas forcément assez vite. Les lignes arrières, rajeunies, ont un peu perdu en niveau, et l'attaque pourrait suivre. Si la retraite internationale de Lauris Dārziņš était attendue à 37 ans, c'était peut-être moins vrai de Kaspars Daugaviņš (33 ans). Mais il est là depuis très longtemps - il avait débuté en équipe nationale avec une grille - et il a peut-être devancé la critique après un tournoi décevant (0 point et -4). Il s'agit de lourdes pertes car ils étaient capitaines lors de six des sept dernières compétitions internationales.

Mārtiņš Karsums a imité ses deux camarades le lendemain, lui qui a été le hockeyeur contrôlé positif au Covid-19 le plus tardivement lors de ce tournoi olympique. Daugaviņš a d'ailleurs critiqué l'organisation du voyage vers Pékin en disant qu'il y aurait dû avoir un vol charter séparé pour l'équipe (vol séparé qui avait suscité des critiques inverses en Russie). Ces trois départs en deux jours marquent une vraie fin de cycle pour la Lettonie. Certains rappellent certes qu'Ozoliņš et Cipruss étaient revenus (plusieurs années plus tard...) après avoir annoncé leur départ de la sélection "à chaud" à la suite de la dernière place aux JO de Turin, mais même l'hypothèse d'une volte-face ultérieure ne changerait pas fondamentalement les problèmes de fond.

 

Chine (12e) : le jour où la Chine s'est éveillée

On n'épiloguera pas sur les performances peu intéressantes des joueurs naturalisés de la Chine, qui étaient juste là pour éviter des scores ridicules dont le passage en équipe nationale sera très éphémère. La plupart d'entre eux ont éludé les questions des journalistes sur leurs passeports, mais les Américains Jeremy Smith et Jake Chelios ont tous deux ouvertement déclarés qu'ils n'avaient pas renoncé à leur nationalité américaine. La loi chinoise n'autorise pas la double nationalité, la naturalisation de complaisance est donc extrêmement provisoire.

L'avenir du hockey en Chine dépend des joueurs qui y sont nés, et il est très triste que ceux-ci aient eu aussi peu de temps de jeu alors qu'ils n'ont rien fait de mal sur leurs rares présences. Contrairement à ce que Smith avait cru comprendre et déclaré à la presse américaine, ce n'est pas la "première génération de hockeyeurs chinois". En 1981, la Chine montait dans le groupe B mondial en écrasant notamment 10-3 la France (et ses naturalisés). Mais c'était le début de la fin. C'est à ce moment que le sport chinois avait privilégié les sports à médailles. Avec le passage à l'économie de marché, les activités non rentables étaient éliminées et le hockey était marginalisé, ne fonctionnant qu'à un niveau loisir en plein air sans financement public. Le nombre de pratiquants était retombé à moins de 500 à la fin du siècle.

Le projet de développement des sports d'hiver est passé par là avec l'attribution des Jeux olympiques. La Chine compte aujourd'hui 654 patinoires réglementaires au début de l'année, contre 150 dix ans plus tôt. C'est bien moins que les prévisions, mais c'est une progression énorme et sans équivalent même dans les grands pays de hockey. Un quadrillage a été décidé pour que tout le monde ait accès à une patinoire à moins d'une demi-heure dans les villes du Heilongjiang, la région du Nord-Est où le hockey est implanté depuis toujours. Mais même dans la province du Guangdong (Canton) tout au sud du pays, 20 patinoires ont été construites. La Chine a déjà plus de 5000 jeunes hockeyeurs, son défi est d'empêcher qu'ils arrêtent pour privilégier les études et l'accès au marché du travail, gage de réussite sociale. La pression des parents est énorme en Chine sur la réussite scolaire des enfants, accordant peu de place à l'épanouissement par le sport ou par des activités culturelles. L'enjeu de l'avenir du hockey chinois est là, et non dans quelques passeports.

 

Marc Branchu (photos IIHF)

 

 

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