Bilan des championnats du monde 2009

 

Résultats de la compétition

 

Ce Mondial suisse marque-t-il un tournant dans l'histoire des championnats du monde ? Depuis l'effondrement de l'Union Soviétique, le hockey international n'avait plus de patron. Les Sept Grands semblaient tous capables de s'imposer et les favoris fluctuaient d'année en année à chaque grande compétition selon les circonstances. Dès lors que Suédois, Tchèques ou Canadiens semblaient en mesure de devenir la référence, le cycle s'inversait de nouveau.

Mais une tendance de fond, déjà sensible chez les juniors, est en train de se traduire dans le hockey senior : un retour aux sources, à la grande rivalité Canada-Russie, que pourrait venir titiller la montée en puissance des États-Unis, le troisième gros réservoir de joueurs. Dans ce paysage, les nordiques se défendent toujours bien, alors que l'ex-Tchécoslovaquie connaît une crise profonde.

Bloc contre bloc : les vieux réflexes de la guerre froide reviennent facilement. Comme il est symbolique que le but décisif du championnat du monde ait été inscrit par Aleksandr Radulov, le joueur qui a défrayé la chronique l'été dernier en signant en Russie malgré un contrat en cours en NHL. Le clin d'œil, c'est que deux jours avant cette finale, le Congrès de l'IIHF a décidé que les joueurs sous contrat - y compris en NHL - se verraient interdire de transfert vers tout club européen, les contrevenants s'exposant à des suspensions (joueurs) et amendes (clubs et fédérations). Une loi qui entrera en vigueur en 2010 et empêchera de nouveaux cas Radulov. Une mesure adoptée à l'unanimité moins deux voix... Tretiak et Medvedev.

En effet, cette décision prise pour "normaliser" les relations avec la ligue nord-américaine et préparer la négociation du nouvel accord sur les transferts, la Russie la considère comme inique. Sa presse fait feu de tout bois contre cette fédération internationale accusée d'être à la botte des Nord-Américains alors que ceux-ci n'obéissent pas aux mêmes règles que les autres. Si la Russie est aujourd'hui isolée, c'est que Gazprom tarde à mettre la main à la poche pour financer la Ligue des Champions, tandis que l'IIHF sollicite un nouveau bailleur de fonds qui s'appelle... la NHL ! Qui paye détient le pouvoir...

En ces temps de crise économique, il y a des remous dans les hautes sphères du hockey international. Les accusations formulées par un journal suisse contre le président René Fasel (il aurait poussé Infront, le partenaire marketing de l'IIHF, à engager un de ses amis comme consultant) le jour de la finale en témoignent, tout comme le rapprochement des puissantes fédérations de Suède et de Finlande, qui vont organiser en commun les Mondiaux 2012 et 2013.

 

 

Premier : Russie. Objectivement, les hommes de Bykov avaient toutes les excuses de ne pas défendre leur titre. Les trois candidats - tous russes - au titre de joueur de l'année en NHL (Ovechkin, Malkin et Datsyuk) étaient tous retenus par les play-offs. En plus, ils ont eu trois joueurs blessés au cours du tournoi. D'abord, l'arrière Anton Volchenkov, connu à Ottawa pour le nombre énorme de tirs qu'il bloque, une capacité qui doit être contagieuse car les autres arrières russes, admirables, ont fait barrage de leur corps à sa place durant ce tournoi. Ensuite, l'ailier Danis Zaripov, pour une blessure que le staff russe n'a jamais voulu dévoiler. Maintenant, il y a prescription : c'était une déchirure des ligaments de la clavicule. La perte de Zaripov comptait presque double car Morozov n'avait pas la même efficacité sans son inséparable compère. Enfin, le joker "par défaut" (parce que son équipe a été éliminée par le Washington de l'attendu Ovechkin) Nikolaï Zherdev s'est cassé la main et n'aura fait que passer.

La Russie n'était pas la seule équipe du tournoi à perdre trois joueurs, mais elle était la seule avec le Bélarus à avoir une répartition 9 défenseurs / 13 attaquants (et non 8 / 14), et donc la seule à ne plus pouvoir finir la compétition avec quatre lignes d'attaque complètes. Gagner dans ces conditions relevait de la gageure. Si elle l'a fait, c'est qu'Ilya Kovalchuk, toujours friand de temps de jeu, en a eu jusqu'à l'overdose, en jouant sur deux lignes à la fois. Il a bien mérité son titre de meilleur joueur : l'ancien enfant terrible s'est mué en leader.

Bykov n'a eu de cesse d'insister sur le collectif et de dévier toute question pouvant froisser ou flatter un ego, et il ne s'agissait pas simplement de paroles en l'air. Les vainqueurs de 2009 sont des joueurs de devoir, défensivement responsables, qui ont joué pour l'équipe. La sélection russe a joué de façon très homogène. Tous ont contribué, y compris le gardien Ilya Bryzgalov. À chaque fois que l'équipe nationale lui avait confiance jusqu'ici, cela ne s'était pas bien terminé. Il a connu des moments délicats, et même un remplacement en cours de match en quart de finale, mais il a fini par être décisif en finale.

La transformation la plus impressionnante reste quand même celle d'Aleksandr Radulov. Il y a tout juste un an à Québec, il avait pris un rôle marginal dans la victoire, inversement proportionnel à sa connaissance des bars de la ville où il avait joué en junior. En seulement une saison au pays avec le Salavat Yulaev Ufa, il est devenu un joueur dominant. Et son caractère de cochon n'est pas le moindre de ses atouts sur la glace.

 

Deuxième : Canada. Les ingrédients du succès étaient pourtant les mêmes que chaque année. Pour la cinquième fois en six ans, un Canadien termine meilleur marqueur, Martin Saint-Louis, qui a amassé ses points lors du premier tour. Comme toujours, Dany Heatley a accumulé les buts. Des joueurs de l'ombre (Horcoff et Fisher) ont bien fait leur travail. La puissance physique et la détermination culturellement bien ancrée ont permis de prendre le dessus sur les adversaires dans la plupart des duels. Le jeu de puissance a été destructeur Les gardiens Roloson et Mason ont été solides. Et le meilleur d'entre tous a sans doute été le défenseur offensif Shea Weber.

Mais parmi les deux grands favoris, il ne pouvait y avoir qu'un vainqueur. Les Canadiens, qui ont poussé fort pendant les deux derniers tiers-temps de la finale sans parvenir à faire la différence, sont donc repartis frustrés, pour la seconde année consécutive. Cela ne fait qu'aiguiser leur appétit de revanche pour la grande échéance, les Jeux Olympiques de 2010, chez eux à Vancouver.

S'il n'a pas ramené l'or pour lequel il était venu, le Canada a toutes les raisons d'être confiant pour l'avenir. Sur les trois juniors intégrés à l'effectif, un seul s'est révélé trop tendre, Luke Schenn, victime de la politique du coach Lindy Ruff de n'aligner que six défenseurs et resté sur le banc pendant toutes les phases finales. Son collègue Drew Doughty, en revanche, a éclaté comme un défenseur offensif au potentiel d'exception. Steve Stamkos a quant à lui été très efficace et a confirmé son statut de star de demain.

 

Troisième : Suède. Après deux quatrièmes places, la Tre Kronor retrouve une médaille au bon moment avant l'année olympique. Pour comprendre combien elle l'a savourée, il faut remonter une semaine plus tôt, avant son match contre la Suisse, alors qu'une défaite aurait risquer de l'éliminer des quarts de finale, ce qui ne lui était jamais arrivé.

Quand une équipe perd deux joueurs dans les deux premières rencontres, que son leader défensif (Kenny Jönsson) est diminué et qu'elle a dû disputer un match avec un seul gardien vraiment capable de jouer, on comprend que le bronze fasse figure a posteriori de petit miracle. Heureusement, le jeune gardien Jonas Gustavsson, délégué à la sélection nationale par sa mère malade, a continué sa saison de rêve. Et sa défense, si inquiétante la première semaine, a retrouvé son niveau.

Bengt-Åke Gustafsson avait été critiqué comme toujours par les apprentis sélectionneurs, cette fois pour avoir retenu comme joker défensif Carl Gunnarsson au lieu d'un Douglas Murray, solide l'an passé mais jugé moins utile sur grande glace. Mais le jeune Gunnarsson s'en est bien sorti (sûrement mieux que les vétérans Tärnström et Åkerman), et il a même fini par marquer le but décisif pour la troisième place.

L'attaque a encore dépendu du duo Mårtensson-Weinhandl, séparé en Russie mais qui a vite retrouvé ses automatismes de la saison précédente à Linköping. Le nouveau duo-vedette Harju-Omark a découvert dans la phase finale la difficulté d'imposer ses qualités techniques au niveau international, mais il aura sûrement beaucoup appris. Patrik Berglund a sans doute été le moins bon des attaquants, mais le jeune centre de NHL a une excuse car il a été mal utilisé, à l'aile. La déception vient plus des contre-performances de Huselius et de Wallin qui ont privé la Suède d'une vraie première ligne. Elle est cependant persuadée d'en avoir une (estampillée Detroit) aux Jeux olympiques l'an prochain, et cela lui donne confiance à l'idée de défendre son titre à Vancouver.

 

Quatrième : États-Unis. Cela arriverait forcément un jour. Depuis que les Américains ont commencé à intégrer les fruits de leur récent programme national de formation qui a obtenu tant de succès en juniors, les résultats devaient fatalement se traduire tôt ou tard en senior. Ils ont enfin franchi le mur des quarts de finale où la Finlande s'obstinait à leur faire barrage. Ce n'est pas encore la panacée, puisqu'ils n'ont gagné au total que 3 matches sur 8 (les autres victoires sont celles sur la Lettonie et la France).

Ce bilan ne reflète cependant pas le fait qu'ils sont passés tout près de l'objectif : ils ont perdu la médaille sur deux pénalités subies en troisième période, l'une du bon travailleur T.J. Oshie en demi-finale contre la Russie, l'autre de David Backes pour la troisième place face à la Suède. Détesté de toute la Suisse après sa charge douteuse sur Sprunger, Backes devra corriger sa tendance à prendre des pénalités stupides s'il veut faire partie de l'équipe olympique.

Le plus prometteur pour les États-Unis est le "bilan générationnel" : les joueurs de plus de 25 ans ont globalement déçu, à commencer par les deux joueurs de champ les plus âgés, Jason Blake, inefficace en attaque, et John Michael Liles, qui a perdu trop de palets en défense. Par contre, les moins de 25 ans ont été bons dans l'ensemble, en premier lieu le leader offensif Dustin Brown et l'excellent espoir défensif Jack Johnson.

La qualité réside chez les jeunes, mais l'expérience est indispensable pour gagner : c'est en résolvant ce dilemme que les Américains décrocheront des médailles.

 

Cinquième : Finlande. Après quatre podiums consécutifs dans les grandes compétitions depuis la finale des JO de Turin, la Finlande a expérimenté son premier revers, face à un adversaire qui ne la battait plus depuis neuf matches, les États-Unis. L'inefficacité offensive, sur laquelle le coach Jukka Jalonen avait insisté, n'est malheureusement pas une notion qui peut s'apprendre sur tableau noir. On l'a ou on ne l'a pas. Et le jour dit, dans ce quart de finale où ils ont tiré 49 fois sur Esche pour seulement 2 buts, les Finlandais ne l'avaient pas.

Ils craignaient un peu ce manque de finition avant la compétition, car ils étaient privés du talent de leurs habituels leaders. Pourtant, des joueurs habitués à évoluer dans l'ombre ont formé une première ligne remarquable : le centre défensif Niko Kapanen s'est mué en joueur créatif et intelligent, Niklas Hagman a mieux utilisé que jamais son patinage énergique, et Antti Miettinen a été un parfait complément. Ce trio et le capitaine Sami Kapanen ont bien tenu leur rôle dans une équipe qui n'a donc pas pu se plaindre du manque de leadership. La côte cassée de Petteri Nummelin a cependant privé la défense de son repère en quart de finale.

Les nombreuses absences ont tout de même permis à des joueurs inattendus de se mettre en évidence, comme Topi Jaakola, solide défenseur défensif, ou Leo Komarov, l'émule du provocateur Jarkko Ruutu qui a pu évoluer aux côtés de son idole.

 

Sixième : République Tchèque. Les Tchèques ont reculé à la 6e place au classement IIHF, c'est aussi leur place à ce championnat du monde, et le plus grave est que cela semble refléter le niveau actuel de leur hockey. Les juniors ne font en effet pas mieux. Tout le pays a pris conscience de la crise et de la nécessité d'investir dans la formation, mais qui va le faire ? La fédération est couverte de dettes. Les clubs ont passé les dernières années à recouvrir le moindre centimètre de glace de sponsors, mais ils n'ont fait que financer une escalade salariale dans une Extraliga qui est devenue un championnat de vieilles gloires surpayées.

Où sont les jeunes ? À la moindre opportunité, ils partent outre-Atlantique, beaucoup trop tôt, dès le junior majeur, sur les conseils des équipes de NHL qui se sont adjugé leurs droits. La plupart de ces gamins ne progressent pas autant qu'au pays, et ils ne renouvellent plus un hockey à bout de souffle. Les franchises de NHL elles-mêmes sont les premières à attester l'échec de cet état de fait puisqu'elles ne draftent même plus de Tchèques. Leur nombre fond comme neige au soleil.

Il y avait des excuses plausibles à un mauvais Mondial a priori : la totale inexpérience des gardiens et le forfait de nombreux défenseurs. Sauf que le problème n'était pas là. Le tout jeune Stepanek ne s'en est pas si mal sorti dans les cages et les arrières Blatak, Nemec ou Polak n'ont rien à se reprocher. En revanche, les attaquants présumés talentueux, qui se voyaient peut-être trop beaux, ont été incapables de marquer plus d'un but contre la Suède en quart de finale. Aucun d'entre eux ne s'est totalement mis au service de l'équipe. La cohésion d'autrefois n'est plus qu'un souvenir. Les Tchèques d'aujourd'hui ressemblent un peu trop aux Russes d'il y a huit ou neuf ans... et inversement !

 

Septième : Lettonie. Meilleure performance égalée pour les Baltes. Ils ont battu pour la première fois la Suède, aux tirs au but, et ont lutté jusqu'au bout contre le Canada. Il n'y a pas un supporter grenat pour ne pas se réjouir d'un tel parcours. La présence en KHL du Dinamo Riga semble avoir été bénéfique pour les hockeyeurs lettons, qui tiennent plus longtemps qu'avant le rythme du haut niveau.

La transition générationnelle est en train de bien réussir, même si les meilleurs joueurs ont été les vétérans. La technique d'Aleksandrs Nizivijs et Herberts Vasiljevs a fait merveille en attaque, tandis que Karlis Skrastins a sans doute réussi son meilleur Mondial en se comportant comme un vrai patron en défense.

Mais le nom qui est sur toutes les lèvres, c'est celui d'Edgars Masalskis. À l'automne, il était renvoyé du Dinamo Riga, après avoir déclaré avoir eu la cheville cassée en étant "agressé la nuit par des hooligans". On sait que c'est faux, mais son ancien club est le seul à connaître la vérité puisqu'il a vu les enregistrements des caméras vidéo qui quadrillent les rues du centre ville de Riga. Il y a quelques mois, les dirigeants du Dinamo déclaraient qu'ils chercheraient à recruter tous les joueurs lettons expatriés, sauf... Masalskis et (le goon de NHL) Ivanans. Juste avant le championnat du monde, le président de la fédération Kirovs Lipmans, qui a rarement été sur la même longueur d'onde que les gens du Dinamo, déclarait pour sa part que les meilleurs jours de Masalskis étaient derrière lui. C'est donc avec un certain esprit de revanche que le gardien letton, malgré un premier but fatal au premier match contre les Américains, a réussi le tournoi de sa vie. Et si, maintenant, la "persona non grata" se voyait dérouler le tapis rouge ?

 

Huitième : Bélarus. Tout aurait pu concourir à faire de ce Mondial un désastre : le forfait des frères Kostsitsyn, dont la réticence à faire partie de la même équipe que Grabovsky devra être le point très délicat à régler pour les entraîneurs, et les blessures qui ont gêné la plupart des joueurs-clés.

Et pourtant, ce championnat du monde fut un triomphe. Sportivement, on a retrouvé le système de Glen Hanlon là où il l'avait laissé deux ans plus tôt : une excellente discipline, une tactique défensive très au point... et une inspiration offensive parfois en panne.

Il est un joueur qui a bénéficié de ce retour plus que tout autre. Alors qu'il avait perdu sa place de titulaire au Metallurg Magnitogorsk, Andrei Mezin est le premier joueur depuis dix-huit ans à être élu meilleur gardien du championnat du monde sans avoir participé au carré final. Mais à vrai dire, il aurait pu tout aussi bien mériter ce titre lors des deux autres Mondiaux passés avec Hanlon sur le banc (2005, 2006). Il est clair que le système le met en valeur... Mezin a concédé un mauvais but fatal, celui qui a donné la victoire aux Russes en quart de finale, mais personne ne lui en veut.

Hanlon a maintenant lié son destin à celui du hockey biélorusse, et il a participé à la présentation de la candidature à l'organisation du Mondial 2014. Son discours pour le moins original a consisté à vanter la qualité des légumes au Bélarus (!), la façon qu'il a trouvée de vaincre les préjugés sur sa contrée "d'adoption". C'était la petite touche décalée dans un dossier solide et incontournable, bétonné politiquement par la promesse de permettre aux visiteurs de rentrer dans le pays sans visa pendant ce mois de mai 2014. Choisi à une large majorité, le Bélarus a donc atteint tous ses objectifs. Reste le prochain défi : jouer sur la corde familiale pour convaincre Wayne Gretzky, dont le grand-père est né dans l'actuel Bélarus mais qui ne connaît strictement rien du pays, de venir inaugurer le Mondial de Minsk en 2014...

 

Neuvième : Suisse. La pression avait été mise sur Ralph Krueger, la presse de boulevard zurichoise s'en était chargée. Une interview bien sentie de Marcel Jenni, un des parias de l'équipe nationale expliquant que le sélectionneur laissait tomber les joueurs comme de vieilles chaussettes, assurait de mettre l'ambiance. Après le Mondial, le Blick en a remis une couche : si le but vainqueur contre les Américains est arrivé 13 secondes trop tard (en prolongation) pour se qualifier, Krueger serait resté "un mois de trop".

Le palet est dans le camp de la fédération suisse. Il est difficile de penser que ses nouveaux dirigeants (la Ligue Nationale va y prendre plus de pouvoir par le biais de nouveaux statuts) puissent mettre fin au contrat de Krueger à un an de son échéance. La préparation des JO de Vancouver serait bêtement sacrifiée, et elle aurait plus à perdre qu'à gagner, notamment le dédit financier avec ses 500 000 euros de salaire annuel.

Le grand public, cependant, ne pourra jamais accepter le satisfecit de Krueger qui continue de vanter les progrès accomplis (et indéniables) au lieu d'adapter son discours. Sa rhétorique finit par taper sur les nerfs des plus patients, même s'il a raison sur le fond. En sport, beaucoup jugent sur le résultat à court terme, et dans ce Mondial à domicile, ce résultat était impératif.

Quel que soit le sens dans lequel on retourne le problème, la Suisse en est au même point. Dans un match à enjeu mutuel face à un adversaire plus fort et tactiquement compétent, elle n'a toujours aucune chance, on l'a vu contre la Suède. Dans un match à enjeu pour elle contre un adversaire plus fort mais moins concentré sur son sujet, elle a sa chance, on l'a vu face aux Américains. Et dans un match où elle doit faire le jeu, elle s'échine laborieusement et risque le pire, on l'a vu contre la Lettonie pour une défaite fatale.

Le niveau de jeu des joueurs suisses ne permet pas mieux, telle est la thèse de Krueger. Pourtant, Zurich n'a-t-il pas été champion d'Europe ? Oui, mais chez les Lions, si tout le monde contribuait, ce sont les Canadiens qui finissaient le travail devant la cage. Eux savent trouver les filets, et pas les poteaux comme les joueurs suisses durant cette quinzaine. Cependant, tant que Krueger se prive de tant d'attaquants par choix tactico-relationnel, on ne lui pardonnera pas ce manque de créativité offensive.

 

Dixième : Slovaquie. Comme chez le voisin tchèque, le changement d'entraîneur et le retour d'un coach qui avait fait gagner son pays à l'époque (Jan Filc) n'a pas amélioré la situation actuelle, qui a clairement des raisons plus profondes. Malgré ce nouvel échec, la fédération slovaque s'est donc empressée de confirmer dans ses fonctions Filc, dont le contrat couvre la saison prochaine. Et chacun d'expliquer que les résultats à court terme ne sont pas prioritaires à un moment où il faut rajeunir l'équipe et préparer le Mondial à domicile de 2011.

Que les résultats ne soient pas prioritaires est heureux, car ils ont été catastrophiques. Sept ans après son titre de championne du monde, la Slovaquie a remporté deux petites victoires, à treize secondes de la fin contre une Hongrie qui n'avait jamais joué à ce niveau et en prolongation contre la Norvège. Même si elle n'a pas joué le barrage de maintien cette fois-ci, le bilan général est presque pire que l'an passé. À l'époque, elle avait raté un match-clé, contre l'Allemagne, mais cette fois elle a réussi un seul bon match, la défaite en prolongation contre la Finlande. Les autres confrontations face aux meilleurs ont été terribles. Les Slovaques n'ont pas existé contre le Canada et ont pris un 8-0 humiliant contre les Tchèques, qui se disent certes en crise mais sont à des années-lumière au-dessus de leurs voisins.

Cela a-t-il au moins servi à intégrer les jeunes ? Les... quoi ? La Slovaquie avait neuf joueurs de moins de 27 ans sur vingt-cinq. On ne peut donc pas dire qu'elle avait chassé les anciens, alors que seuls d'entre eux - Bartecko et Handzus - ont été de vrais leaders, bien seuls du reste. Si c'était pour faire ça, le public slovaque regrette d'avoir laissé à la maison Tibor Tatar, le junior le plus prometteur du pays. Ce n'est pas qu'il y en ait tant que ça...

Même si elle essaie aujourd'hui de les garder au pays en créant une équipe nationale junior à plein temps, la Slovaquie a longtemps vus ses jeunes partir très tôt outre-Atlantique. Elle ne les développe plus vraiment à partir de cet instant, et constate ce que sont devenus ces joueurs en les invitant aux Mondiaux. L'an dernier, elle a ainsi eu une bonne surprise avec Andrej Sekera, qui a encore confirmé cette année qu'il serait le leader de la défense slovaque pour les prochaines années. Mais cette année, les deux renforts arrivés de NHL/AHL n'ont vraiment pas eu le même impact : Peter Olvecky a eu un apport très limité sur la quatrième ligne, et le géant Boris Valabik a été le moins bon défenseur, indiscipliné et totalement dépassé. Ce n'est pas que la solution de rester au pays soit bien meilleure : Juraj Mikus a eu beau accumuler les points dans la faible Extraliga slovaque aux côtés de Palffy, il n'a rien fait au niveau international.

Conclusion... Nombre de jeunes joueurs révélés cette année : zéro. Délai d'ici 2011 : deux ans. État général du patient : inquiétant.

 

Onzième : Norvège. Après le coup d'éclat de l'année précédente, les Norvégiens se sont stabilisés à ce qui est leur place actuelle dans la hiérarchie internationale. Leur tactique assez limitée consistant à envoyer le palet dans les bandes était plus efficace l'an dernier sur une petite glace, et ils espèrent qu'elle le sera encore aux Jeux Olympiques de Vancouver. Cette fois, la différence de talent était trop nette face aux meilleures équipes.

La mission offensive avait été confiée à la ligne Thoresen-Vikingstad-Skrøder, l'alpha et l'oméga du hockey norvégien, mais les trois hommes n'auront marqué que trois buts à eux trois. Il serait judicieux de mieux partager les responsabilités car d'autres joueurs méritent tout autant un rôle important : le petit gabarit Mats Zuccarrello Aasen a réussi un bon premier Mondial et Anders Bastiansen est toujours l'attaquant le plus régulier chaque année. Et de nouveaux joueurs se font sans cesse un nom puisque le prometteur défenseur Alexander Bonsaksen a officiellement signé pour deux ans à Modo au cours du tournoi.

On attend que les Norvégiens se lâchent un peu plus - peut-être aux JO où il n'y a rien à perdre ? - même si ce n'est pas dans leur nature. On constatera avec amusement que le but le plus important du tournoi, celui qui a maintenu la Norvège dans l'élite (en prolongation contre le Danemark), a été marqué parce que Tommy Jakobsen a rompu un bref instant avec les consignes tactiques et a quitté son poste de défenseur pour venir chercher le rebond vainqueur. Le capitaine, en équipe nationale depuis les JO d'Albertville, a ainsi prouvé que l'initiative n'est pas toujours un vilain mot.

 

Douzième : France. En gagnant le match qu'il fallait contre l'Allemagne grâce à une solide performance dans sa zone défensive, l'équipe de France est revenue à un classement qu'elle n'avait plus atteint depuis dix ans. Même si ce fut sa seule victoire, on ne peut nier qu'elle a fait un bon Mondial : elle n'a raté qu'un match, contre la Lettonie, où elle n'a pas su gérer de devoir jouer deux fois en moins de 24 heures. Contre les gros calibres (Russie, États-Unis, Suède), elle a connu des débuts de rencontre très difficiles, mais a su ensuite rester dans le jeu jusqu'à la fin et se procurer bien plus d'occasions que prévu.

Un tel résultat était loin d'être évident. En 35 ans, il n'était arrivé qu'une seule fois (aux JO et aux Mondiaux B en 2002) que l'équipe de France joue sans le moindre naturalisé. Et pourtant, privée de ses deux meilleurs marqueurs de l'an dernier Bordeleau et Desrosiers, elle a bien mieux joué qu'à Québec. Une amélioration qui n'est pas due à quelques individualités, mais un progrès général de tout l'effectif. C'est ce qui est sans doute le plus encourageant. Le fait qu'un joueur de quatrième ligne termine meilleur buteur l'illustre : il s'agit de Luc Tardif junior, qui est enfin parvenu à utiliser son physique au niveau international.

Les progrès réalisés entre 2008 et 2009 montrent combien le maintien dans l'élite est important pour acquérir le rythme international. L'exemple de Stéphane Da Costa montre d'ailleurs que ce n'est pas incompatible avec l'intégration des juniors. De plus, le Mondial "A" constitue une formidable vitrine : le temps de jeu et les performances du meilleur défenseur français Baptiste Amar ont retenu l'attention de tous les observateurs suédois, et son envie d'Elitserien a pu se concrétiser par un contrat à Rögle. Pierre-Édouard Bellemare s'était déjà assuré une place dans l'élite suédoise par ses performances sur place, et si Kevin Hecquefeuille avait eu moins de succès en Suède, le Mondial a été mieux qu'une session de rattrapage puisqu'il a tapé dans l'œil de Cologne. Bien sûr, signer un contrat n'est qu'un premier pas pour s'imposer dans une grande ligue, mais au moins le passeport français n'est-il plus un frein.

Les Bleus commencent à avoir un potentiel pour s'établir dans l'élite, car il leur reste une marge de progression. Encore jeunes, les Quessandier, Roussel et Manavian ont su élever leur niveau et rassurer quant à l'avenir de la défense française. Mais alors qu'un problème est en passe de se résoudre, un autre se fait jour : une pénurie de centres, que la retraite internationale de Zwikel va aggraver, et qui a été encore plus patente après la blessure de Meunier, pourtant pas un centre exclusif. Ce sera le nouveau casse-tête des sélectionneurs pour la saison à venir.

 

Treizième : Danemark. Un mal pour un bien : c'est sans doute ce qu'aura été cette nouvelle défaite contre la Norvège pour le hockey danois. L'équipe de Pär Bäckman aurait pu gagner et s'assurer une fin de tournoi tranquille, mais elle a perdu et a dû chercher au fond d'elle-même la force de s'en sortir. Pour une équipe aussi jeune, la plus jeune du championnat du monde, la "poule de la mort" contre la relégation était un vrai challenge.

L'ensemble de l'équipe a alors su progresser et grandir pour terminer à la première place du groupe, la seule qui permettait de se maintenir. La façon dont a été obtenu ce maintien est très importante psychologiquement. Les gardiens avaient été très critiqués en début de tournoi, y compris par leur coach, mais Patrick Galbraith s'est alors montré à la hauteur et a prouvé qu'il était bien le numéro 1 que le Danemark attendait. Il a bien compensé les erreurs de position d'une défense qui ne l'a pas toujours protégé, ce qui était à craindre avec un alignement aussi jeune. Même talentueux, les juniors comme Philip Larsen ont commis des erreurs inévitables mais coûteuses.

L'attaque, longtemps muette, a elle aussi relevé le défi. Le but de Peter Regin, mystifiant Schubert contre l'Allemagne, a peut-être été le plus beau de la compétition. Et c'est tout le groupe qui a renversé une situation qui paraissait très compromise contre l'Autriche. La troisième ligne aura été la meilleure dans ce tournoi. Deux de ses éléments, Julian Jakobsen (Södertälje) et l'excellent patineur Mads Christensen (Iserlohn), ont obtenu des contrats dans des clubs d'élite. Il était important pour eux de partir à l'étranger dans de bonnes conditions, car le championnat danois va régresser l'an prochain en raison des difficultés financières des clubs. Le Danemark a échappé au pire, et pour paraphraser Nietzsche, ce qui ne tue pas rend plus fort...

 

Quatorzième : Autriche. "Nous voulons prouver que nous sommes une des 14 meilleures équipes au monde", avait déclaré l'entraîneur Lars Bergström avant le tournoi. Son objectif a donc été atteint. Malheureusement pour lui, ce qu'il n'avait pas prévu, c'est que cette quatorzième place ne suffirait pas pour se maintenir ! Tout ça parce que l'Allemagne, protégée, finirait en poule de maintien...

Il y a deux ans, la dernière relégation avait été utilisée comme excuse pour supprimer la limitation des étrangers. Cette année, la descente sert d'argument à la fédération pour réclamer le retour d'un quota, mais la ligue, qui a pris son autonomie, n'a pas l'intention d'obéir.

Que peut donc faire la fédération autrichienne ? Maintenant que son équipe a fait cinq fois de suite l'ascenseur, trois fois dans le sens de la descente et deux fois dans celui de la montée, on ne peut que de lui conseiller de demander à Otis ou à Koné de venir la sponsoriser... Cela pourrait régler ses problèmes d'argent, puisqu'elle n'avait pas voulu/pu payer l'annulation des billets d'avion pour les Caraïbes de Manuel Latusa, un joueur qui se pensait en vacances mais que le staff avait espéré rappeler avant le tournoi pour pallier les nombreux forfaits. Il faut dire que la fédération a dû mettre la main au porte-monnaie pour payer l'assurance de Thomas Vanek : l'IIHF verse une aide jusqu'à 20 000 dollars par joueur, mais Vanek a un contrat si énorme en NHL (40 millions de dollars sur les cinq saisons restantes) que l'assurance coûte bien plus cher. Et malheureusement, il n'a pas justifié ce coût. Le leader offensif a pour une fois été Oliver Setzinger, logiquement promu en première ligne en cours de compétition.

Le vrai problème de l'Autriche, ce sont cependant ses défenseurs. Comme souvent, ils ont eu du mal à suivre dès que le jeu prenait de la vitesse. Mais surtout, alors que leur équipe menait 2-0 dans le match décisif contre le Danemark, les expérimentés Darcy Werenka et André Lakos ont commis deux erreurs grossières et offert aux Danois la réduction du score puis l'égalisation, envoyant tout droit les Autrichiens dans les limbes de la division I... où ils devraient sans doute remonter, dans le groupe le plus facile avec l'Ukraine. Et le liftier de réappuyer sur le bouton...

 

Quinzième : Allemagne. On n'a jamais vu une telle vogue d'auto-flagellation dans le hockey germanique. Uwe Krupp - pour qui le respect s'est perdu au point qu'un supporter allemand l'a arrosé de bière après la défaite contre la France - a présenté publiquement ses "excuses" aux Autrichiens parce que son équipe leur a volé leur place aux championnats du monde. Et tous les amateurs allemands de hockey sur glace sont à l'unisson pour estimer que leur équipe n'a rien à faire dans l'élite après une telle prestation et qu'elle ne mérite pas de jouer ses Mondiaux à domicile en 2010. D'où une pancarte à l'humour noir réclamant le "Mondial B" au stade de Gelsenkirchen, où doit se jouer le match d'ouverture l'an prochain devant plus de 70000 personnes. La protection du pays organisateur a troublé la poule de relégation et rendu honteux tout un pays.

Après une préparation convaincante, personne n'imaginait que les Allemands puissent descendre ainsi au niveau de la poule de maintien. Avant d'y traîner leur misère, ils étaient tombés de très haut contre la France, où Christoph Schubert et Frank Hördler ont donné les palets de but à l'adversaire. Leurs partenaires défensifs Sven Butenschön et Andreas Renz ont eux aussi montré leurs limites, trop lents.

Mais c'est en attaque que l'Allemagne a failli, en ratant parfois des occasions incroyables et en terminant dernière au pourcentage d'efficacité (3,3% !). Les ailiers Michael Wolf et Philipp Gogulla, si bons d'habitude, sont passés totalement à côté de leur sujet. Et ce n'est pas le renfort de NHL Jochen Hecht qui a pu compenser, pas plus que Daniel Kreutzer dont le retour - consenti sous la pression médiatique par Krupp ? - a fait un flop. Cette équipe allemande s'est retrouvée sans leaders sur la glace, et on ne sait pas maintenant comment elle va pouvoir digérer cette cruelle déception d'ici les prochains Mondiaux, auxquels elle vient de faire une bien mauvaise publicité. Sa chance, c'est peut-être qu'elle jouera les JO de Vancouver entre-temps.

 

Seizième : Hongrie. Pas de miracles pour les petits nouveaux. Les Hongrois ont réussi une belle entrée en matière, en ne s'inclinant qu'en toute fin de match contre la Slovaquie et en faisant transpirer un Bélarus qui peine à faire le jeu. Entre-temps, évidemment, pour leur test le plus rude contre une grosse équipe (le Canada), ils ont souffert et encaissé un 9-0 sans appel.

Mais même la poule de maintien, où le rythme a été plus haut que les années précédentes, était finalement trop forte pour la Hongrie. Pour une équipe habituée à avoir la possession du palet en division I, il a fallu apprendre à être dominée, à subir le jeu, à mieux jouer sans palet et à ne pas faire de fautes. Cela ne vient pas du jour au lendemain. Cette expérience servira un jour. Les joueurs hongrois ont aussi pu comprendre ce qui leur manque au niveau physique pour rivaliser au plus haut niveau mondial.

Ce championnat n'est qu'une première étape dans le développement du hockey hongrois, et il devait surtout servir à déclencher de l'enthousiasme autour du hockey. De ce point de vue, c'est réussi. Les supporters magyars étaient plus de trois mille et constituaient la plus importante délégation à Kloten, où leur passion a animé le premier tour.

Marc Branchu

 

Retour à la rubrique articles