Russie 2005/06 : bilan

 

Résultats du championnat russe

 

C'est une saison tourmentée qu'a connue la PHL, la ligue professionnelle russe. Menacée à l'automne par le projet de ligue eurasiatique concurrente monté par le ministre des sports Fetisov, elle a réagi en promettant d'améliorer enfin la transparence des clubs et de limiter l'escalade des salaires. Les évènements de la saison ont montré l'urgence de ces réformes avec la multiplication de scandales financiers. Si certaines grandes entreprises sont florissantes - la flambée des hydrocarbures a permis à deux clubs sponsorisés par des compagnies pétrolières d'atteindre la finale - il y a beaucoup de clubs qui n'arrivent plus à payer leurs joueurs. La brutale réduction du budget du Lada Togliatti et la lente agonie de Perm en sont des exemples. Mais c'est le sort de la capitale qui inquiète le plus. Après le départ de Valeri Shantsev à Nijni Novgorod, l'appui politique majeur du hockey a été perdu à la mairie de Moscou, et les moyens des clubs de la ville s'en ressentent. Or, dans un pays très centralisé, ils sont le baromètre de l'image du hockey russe.

Cette situation chaotique qui a écorné la crédibilité de la Superliga était une bonne occasion pour qu'un homme souhaitant taper du poing sur la table puisse le faire avec comme argument l'échec de ces prédécesseurs. Fetisov en a profité pour se mettre en avant à l'automne, avant de se faire plus discret. Autrefois détenteur des deux postes de président de la fédération et de la ligue, son adversaire Aleksandr Steblin en a été chassé, finalement rattrapé par un "détail", sa passion de la boisson. On s'attendait alors à un partage des pouvoirs et des compétences, mais un nouvel homme fort est sorti du bois : l'ancien gardien Vladislav Tretiak. Le député s'est fait élire à la tête de la fédération sans rival à sa mesure, et sa première action a consisté à retirer la délégation à la PHL. La ligue n'existe plus pour l'instant, le temps que Tretiak, qui a surpris tout le monde par son coup de force, dicte ses conditions avec comme priorité l'équipe nationale, jusqu'ici délaissée et soumise à la volonté des clubs. Certains clubs sont déjà réfractaires aux "taxes sur les étrangers" qu'il a annoncées : le nouveau chef remportera-t-il sa première bataille ?

Mais ces à-côtés ne doivent pas laisser croire que l'aspect sportif a été négligeable. Une première historique, la présence d'un entraîneur canadien à la tête d'un club russe, rendait quoi qu'il arrive ce championnat très important dans l'évolution du hockey. Cette saison à la croisée des chemins ouvre des perspectives variées, parmi lesquels il est bien difficile de savoir quelle route la Russie va prendre...

 

Premier : Ak Bars Kazan. Après l'échec de la constellation des Galactiques en 2005, Kazan a réussi à devenir champion un an plus tard avec un effectif intelligemment réduit. Le plus étonnant, c'est que les hommes-clés de ce titre étaient tous présents la saison dernière : le trio Zaripov-Zinoviev-Morozov, le gardien Fred Brathwaite et même l'entraîneur Zinetula Bilyaletdinov, porté au pinacle aujourd'hui alors qu'il passait pour un mauvais gestionnaire il y a un an quand il s'était fâché à la fois avec les vedettes qui n'entendaient pas se laisser dicter leur conduite (Kovalchuk et Kovalev) et avec les anonymes qui s'estimaient traités comme de la viande. Ak Bars a plus purgé que recruté, et l'acquisition la plus coûteuse de l'intersaison a d'ailleurs fait un flop : l'Américain Jeff Hamilton est reparti après huit matches et de piètres statistiques (0 point, fiche de -2 et seize minutes de pénalité) pour retourner aux New York Islanders, où il a fait l'ascenseur entre NHL (8 points en 13 matches quand même) et AHL.

Ce qui s'est passé est simple. Avec le départ des stars indolentes, les joueurs les plus convaincants ont pris un rôle majeur. Kovalchuk, insatisfait de son temps de glace l'an passé, n'aurait sans doute pas renié le gros temps de jeu accordé à la première ligne cette saison. Ce bloc a parfaitement rempli sa mission en effet et a survolé le championnat : l'ailier droit Aleksei Morozov a été plébiscité comme meilleur joueur de la Superliga ; le centre Sergei Zinoviev, déjà contrôlé positif au cannabis il y a deux ans, est sorti "blanchi" d'une nouvelle affaire de dopage en arguant que la testostérone retrouvée dans son organisme était produite naturellement ; l'ailier gauche Danis Zaripov a profité de cet environnement favorable pour gagner sa place dans une équipe nationale paradoxalement boudée par ses deux camarades en conflit avec le sélectionneur ; les arrières Raymond Giroux et Vitali Proshkin ont parfaitement appuyé cette ligne majeure.

La nouvelle patinoire de Kazan a donc été inaugurée de la meilleure des façons. On pouvait s'inquiéter de son remplissage, car l'ancienne n'avait pas fait le plein pour voir Lecavalier, Heatley ou Khabibulin... Mais en baissant les prix des billets de moitié, les dirigeants n'ont eu aucun mal à garnir les tribunes de la Tatneft Arena ouverte en décembre. Kazan a donc fêté dans l'allégresse son... 1001e anniversaire. De toute manière, le soi-disant millénaire de la saison dernière avait été proclamé par décret il y a sept ans, alors qu'une conférence internationale d'experts avait conclu que Kazan avait été fondée au début du onzième siècle, grosso modo vers 1004-1005, parce qu'il fallait une date pour pouvoir organiser des festivités en grande pompe (la date de fondation de la ville était fixée jusque là à 1177...). La célébration du titre de champion d'Ak Bars cette année était finalement bien plus spontanée !

 

Deuxième : Avangard Omsk. Comme Kazan, l'Avangard paraissait moins séduisant sans ses vedettes Jagr et Sushinsky. Comme Kazan, il s'est planté sur son recrutement le plus cher de l'été : Milan Kraft, l'ancien joueur des Pittsburgh Penguins, est rentré en République Tchèque à mi-saison avec un maigre bilan de sept points et -2. Mais comme Kazan, les Sibériens ont réussi de meilleures performances que l'an passé. La progression la plus nette est certainement celle de Kirill Koltsov, qui malgré sa réputation de défenseur offensif a aussi eu le meilleur +/- de l'équipe. "Vautour sans le palet et faucon avec le palet", comme il a été décrit par un journaliste, cet arrière à l'énergie incroyable a été sélectionné à juste titre pour les Mondiaux.

C'est un collectif homogène qui a permis à Omsk d'atteindre la finale. Norm Maracle, le gardien canadien qui a grandi dans une réserve indienne mohawk de l'Ontario, a joué à son meilleur niveau en play-offs, avec sa position d'attente très peu avancée qui est mieux adaptée au jeu russe qu'un style nord-américain plus agressif. Le centre biélorusse Aleksei Kalyuzhny a encore été le marqueur attendu, Artem Chubarov a amené son jeu physique, et l'étonnant Konstantin Gorovikov son hockey à la fois technique et efficace. Enfin, même si sa production offensive est limitée, il ne faut pas négliger Vitali Yachmenev qui abat un travail discret mais précieux comme attaquant défensif. Il est plus utile à l'Avangard que d'autres ex-joueurs de NHL comme un Nikolishin de plus en plus déclinant ou un Svitov qui s'affirme de plus en plus comme... un "ex-espoir".

 

Troisième : Metallurg Magnitogorsk. On a longtemps cru que la première expérience d'un entraîneur nord-américain en Russie serait un succès total, un triomphe sur toute la ligne. Dave King a réussi à appliquer son système précis qui n'autorise pas la moindre erreur - ni la moindre improvisation à la bleue adverse. Mais il y a une vérité que les Canadiens connaissent mieux que personne, c'est que la saison régulière et les play-offs sont deux choses différentes. Magnitka a longtemps été sans rival, et terminer le championnat avec 29 points d'avance (!) l'a peut-être un peu amolli.

Le grand espoir Evgeni Malkin est devenu un joueur dominant, éclipsant les autres centres dont un Kaïgorodov moins à l'aise que l'an dernier. Mais il a terminé assez fatigué sa longue saison (Mondiaux juniors, JO et championnats du monde), et il n'a pas eu la même influence sur le jeu. Ruslan Nurtdinov, qui avait profité de sa présence à côté du prodige pour inscrire quarante points, n'en a plus mis un seul en play-offs. Le gardien Travis Scott, souverain en saison régulière, a précipité la chute de son équipe en encaissant un mémorable but-gag décisif en demi-finale, sur un palet qui lui a rebondi dessus alors qu'il venait de trébucher sur la glace. Finalement, seul le vétéran Dmitri Yushkevich a conservé son niveau dans les moments décisifs. Il est toujours un des défenseurs les plus sérieux du championnat même s'il n'a plus la cote du sélectionneur. Malgré leur talent, les autres cadres manquaient un peu d'expérience.

 

Quatrième : Lokomotiv Yaroslavl. Les caractéristiques du Loko varient peu. Club le mieux structuré de Russie, il continue à disposer d'une équipe très homogène avec des joueurs consciencieux mais limités. L'entraîneur Vladimir Yurzinov, qui commence à se faire vieux et a manqué le début des play-offs à cause d'une pression artérielle trop forte, tient là une réserve utile dans laquelle il a pioché en tant qu'adjoint de l'équipe nationale pour emmener aux JO de parfaits inconnus comme le centre Taratukhin, le discret défenseur Zhukov et l'ailier Nepryaev. Pas forcément un cadeau puisque les deux attaquants, volontaires mais légers, n'ont pas été repris aux Mondiaux.

L'altruiste Taratukhin aurait pu être la révélation de la saison, mais ce statut revient finalement à Aleksei Mikhnov. Ce géant, dont les problèmes de vue avaient seulement été diagnostiqués il y a deux ans lors d'un essai à Edmonton, n'a pas son pareil pour mettre son gabarit devant la cage, mais il est loin d'avoir l'à-propos défensif de ses partenaires. Yaroslavl n'a donc plus ce puissant leader qu'était Kovalenko il y a quelques années. C'est ce talent supplémentaire qui manque à ces joueurs bien formés par Yurzinov. Seule la défense a un leader avec Karel Rachunek, et sa blessure a été préjudiciable en play-offs.

 

Cinquième : CSKA Moscou. Vyacheslav Bykov est un jeune entraîneur, surtout vu l'âge moyen de ses collègues russes, mais il n'est pas impressionnable. Les commentaires de l'an passé sur son style jugé naïf et inefficace ne l'ont pas fait varier de ses principes. Il a continué à prôner un jeu ambitieux et à donner par exemple plus de liberté à ses arrières pour monter en zone offensive. Oui, malgré le bon renfort de l'expérimenté Aleksandr Titov (ex-Lada), le CSKA commet encore son lot d'erreurs défensives. Mais s'il n'a que la douzième défense du championnat, il dispose aussi de la troisième attaque, et cette tactique à contre-pied de la tendance générale de la Superliga a été récompensée par une belle troisième place. Après une saison gâchée par les blessures diverses, Sergueï Mozyakin, "50 kilos avec ses chaussures" (expression signée Sergueï Nikolaïev), a profité de ce contexte favorable pour redevenir un des meilleurs marqueurs du championnat et se montrer digne de son nouveau statut de capitaine. Il a enfin pu jouer un championnat du monde, même s'il a seulement été intégré comme joker pour la deuxième phase.

L'introduction des huitièmes de finale avait tout du piège pour cette jeune équipe, qui était attendue au tournant. Après le désastre du premier match de play-offs contre Cherepovets (0-5), Bykov a encore une fois pris les observateurs de cours en maintenant sa confiance à la surprise générale dans son gardien Peteris Skudra... qui la lui a rendue. Même s'il n'a pas fait le poids ensuite face à Omsk, le CSKA a obtenu un résultat très positif avec cette belle cinquième place, et le projet patient de Bykov semble peu à peu redonner du lustre à l'ancien club dominant.

 

Sixième : Khimik Mytishchi. Mytishchi est un quartier résidentiel de la banlieue nord en plein essor compte tenu des prix de l'immobilier faramineux qui chassent les classes moyennes de Moscou. Un lieu dans lequel le gouverneur de la région de Moscou, Boris Gromov, a voulu développer l'offre de loisirs en installant "son" équipe, le Khimik, dans un bâtiment ultramoderne. Cette patinoire a suscité l'admiration générale tant son standard de confort est incomparable avec ce qui est proposé dans la capitale. Ce cadre agréable attire le public et doit être pris en exemple pour passer les infrastructures russes dans la modernité.

Les investissements ont aussi été réalisés sur la glace pour bâtir une équipe de haut niveau. Après avoir dépouillé Voskresensk de son équipe, on s'est d'abord appuyé sur l'étoile filante Kovalchuk - finalement reparti en NHL après onze journées - puis on a profité des déboires du Lada pour faire venir un wagon complet de renforts (six). Le plus attendu d'entre eux était Aleksandr Semin, mais le talentueux espoir, resté en Russie pour ses obligations militaires malgré un imbroglio juridique avec Washington, a déçu avec seulement neuf points en une demi-saison. Le meilleur marqueur n'a pas été un des nombreux nouveaux arrivants, mais le vétéran Andrei Potaichuk. Cependant, la malheureuse blessure d'Epanchintsev, qui a eu la jambe cassée par un palet juste avant les play-offs, a décomposé la première ligne au mauvais moment. Ce sont alors les deux Tchèques, le gardien Dusan Salficky et le défenseur Jan Hejda, qui ont porté l'équipe jusqu'en quarts de finale où elle a bousculé le Loko.

 

Septième : Salavat Yulaev Ufa. Les progrès du Bélarus n'ont pas échappé au Salavat Yulaev Ufa qui compte de plus en plus sur les joueurs de ce pays. Le gardien Andreï Mezin en est évidemment la clé de voûte, mais cette influence s'est amplifiée cette année avec l'arrivée de la ligne entière Mialeshka-Krutikov-Chupris. L'avantage avec les Biélorusses, c'est qu'ils peuvent facilement changer de passeport. Fin décembre, Chupris et Krutikov avaient déjà leur passeport russe, ce qui a permis à Ufa d'engager deux Tchèques en plus. Mais malgré les nombreux mouvements - quarante joueurs utilisés cette saison ! - le Salavat Yulaev a toujours pour leaders des joueurs formés au club, comme le jeune Igor Volkov mais aussi Andrei Sidyakin qui a connu la meilleure saison de sa carrière.

Si la Bachkirie dispose ainsi d'une vraie équipe couleur locale, c'est parce que son club-phare choisit souvent pour le diriger des formateurs reconnus. En début de saison, l'entraîneur était l'ancien sélectionneur national junior Rafael Ishmatov, mais après une hospitalisation pour des problèmes cardiaques, il a été placé à un poste moins exposé, directeur général du hockey mineur et de la réserve. Son successeur a été un ex-entraîneur d'Ufa il y a 15 ans, Sergei Mikhalev, qui avait été engagé un mois plus tôt comme manager après avoir été victime de la réduction de personnel de Togliatti. Mikhalev, c'est l'actuel entraîneur des moins de 20 ans russes ! Le cumul des fonctions, déjà dénoncé avec les seniors, a des défauts encore plus nets en juniors : Mikhalev était absent durant les Mondiaux juniors et a dû laisser les rênes à son adjoint Gersonsky pendant six journées. Le club a donc demandé officiellement à la fédération de le décharger de sa fonction à l'avenir.

 

Huitième : Lada Togliatti. Après un changement de dirigeants, la compagnie Auto-VAZ a annoncé en octobre une réduction drastique du financement accordé au club de hockey. Avec un budget réduit de moitié, le Lada a dégraissé comme jamais et a vu partir ses meilleurs joueurs (Semin, Metlyuk et les frères Sevostyanov, tous vers le Khimik). Il s'est retrouvé quasiment avec des juniors et paraissait une proie facile. Mais, acculé, il était encore capable de se défendre, en particulier quand le Loko a essayé de "piller" un de ses juniors, Dmitri Vorobiev, et sa plainte a réussi à empêcher cet acte de piraterie. Car Togliatti n'était pas mort : certes l'équipe restante est très jeune, mais le système défensif de l'entraîneur Piotr Vorobiev fonctionne même avec moins de talent. Comme toujours, le Lada a encaissé moins de deux buts par match, et même s'il a encore moins marqué, c'est suffisant pour terminer à une étonnante neuvième place de la saison régulière et pour être le seul "moins bien classé" à passer le premier tour.

Encore une fois, un gardien s'est révélé à Togliatti, et le bon côté de la réduction forcée de l'effectif est qu'il s'agit de la jeune pousse locale de deux mètres Vassili Koshechkin. Il fallait bien cela pour qu'un jeune gardien russe ait sa chance, alors que la situation à ce poste est de plus en plus dramatique. Pourra-t-il conserver une place de titulaire dans d'autres circonstances maintenant qu'il a prouvé sa valeur ? Le Lada a logiquement révélé des défenseurs, en particulier le junior formé au club Alexei Emelin qui est déjà très convoité en Amérique du nord en raison de son jeu très rude et agressif. Désargenté, le Lada est plus que jamais une pépinière, mais pour que celle-ci continue de donner des fruits, il faut quand même que l'avenir en Superliga puisse être assuré. Pour la partie sportive, Anatoli Emelin assurera la succession de Vorobiev dont il est l'adjoint depuis cinq ans, mais il faut que les infrastructures suivent et qu'une nouvelle patinoire soit construite car l'actuelle ne répondra bientôt plus aux normes.

 

Neuvième : Dynamo Moscou. La Coupe d'Europe des Champions reste le seul éclair de lumière dans la ténébreuse saison du champion en titre. C'est le dernier moment où les joueurs ont fait preuve de solidarité, avant que n'éclatent au grand jour les très graves problèmes financiers qui plombent le club. Les salaires n'étaient plus versés depuis des mois, et il ne semblait plus y avoir de capitaine dans le vaisseau. L'entraîneur Vladimir Krikunov, qui devait pourtant avoir d'autres choses à faire avec son poste cumulatif de sélectionneur national, s'est lui-même retrouvé à gérer la crise et à négocier avec des partenaires potentiels.

Les départs en cours de saison se sont limités aux joueurs tchèques : Pavel Rosa, critiqué par l'entraîneur pour un rendement inférieur à l'an passé, puis le joker Vaclav Pletka, privé de son compatriote traducteur et sceptique sur le temps de jeu accordé, sont aussi partis parce qu'ils ont constaté le retard de leurs salaires. Les joueurs russes sont restés jusqu'à la fin du championnat, mais la plupart d'entre eux n'attend que la première opportunité pour quitter le navire. Avec un incroyable trou annoncé de douze millions de dollars, on voit mal comment le Dynamo pourrait rester le leader du hockey moscovite qu'il est depuis une décennie.

 

Dixième : Spartak Moscou. Le Spartak a longtemps occupé une belle position au classement, mais il a glissé en fin de saison et a perdu l'avantage de la glace en play-offs. Dans cette phase cruciale, c'est l'expérience qui a fait défaut à l'entraîneur Valeri Bragin et à ses joueurs. Certes, l'ailier canadien Dave Ling n'en manque pas, en NHL comme en ligues mineures, mais il n'a pas eu l'attitude d'un leader : il a été soupçonné de faire le show à domicile pour devenir le chouchou du public (pari réussi) mais de ne pas s'impliquer de manière très constante.

Avec l'énergie qu'il déploie en permanence sur la glace, le centre Dmitri Semin a par contre été la bonne surprise à 22 ans. Konstantin Barulin, le gardien de Tioumen, a bien percé en seniors : dans un championnat où les Canadiens trustent de plus en plus les places dans les cages, il a piqué celle du vétéran Tyler Moss. Avec cette génération montante, le Spartak était plein d'espoir... sauf qu'il n'est pas sûr d'avoir les moyens de financer la prochaine saison faute de repreneur. Les supporters ont donc écrit une lettre ouverte au maire Yuri Luzhkov, une pétition qu'a même signée Ilya "Judas" Kovalchuk, qui n'a pourtant pas toujours fait l'unanimité chez les partisans du Spartak...

 

Onzième : Neftekhimik Nijnekamsk. Les entraîneurs passent mais le style reste. Vsevolod Yelfimov a été remplacé en janvier par Guennadi Syrtsov. Mais si les têtes changent, Nijnekamsk reste toujours une équipe au profil semblable, homogène et attachée à un style collectif dans la tradition du hockey russe. Ce groupe toujours soudé et volontaire a poussé le Khimik jusqu'à une cinquième manche en huitièmes de finale, mais il lui a manqué un buteur. Il faut dire qu'il a perdu en décembre son meilleur marqueur Maksim Osipov, parti se faire opérer du bras en Allemagne.

La petite ville du Tatarstan est devenue en quelque sorte une petite raffinerie de hockey, alors que ce sont plutôt les hydrocarbures qu'on y raffine d'habitude. Le directeur général du groupe pétrochimique local, Vladimir Busygin, est très impliqué dans le club de hockey, remarquable de stabilité malgré son petit budget. Bien que Nijnekamsk n'ait rien d'attirant en soi, les hockeyeurs refusent parfois les offres des clubs plus huppés pour rester dans cette ambiance familiale où les femmes des joueurs forment une petite communauté. Même les Moscovites se plaisent dans cette province perdue où la passion du hockey n'est pas prête de s'éteindre. La nouvelle patinoire moderne de 5500 places a été accueillie avec bonheur.

 

Douzième : Severstal Cherepovets. Vladimir Plyushchev aime travailler avec des jeunes et leur donner confiance. Il avait peu de joueurs d'expérience à sa disposition, et encore moins quand Samylin a été viré à mi-saison pour des performances insuffisantes. Pourtant, Plyushchev a surpris en laissant venir Andrei Kovalenko, qui est passé en deux ans de la réputation de star du championnat à celle de vétéran difficile à gérer. Il s'est parfaitement relancé et a donné un leader de plus à cette équipe qui n'en manque pas avec le chouchou du public, le petit centre Yuri Trubachev, les solides défenseurs Ladislav Cierny et Vassili Turkovsky, l'international slovaque Radovan Somik et surtout Igor Grigorenko, qui a quasiment retrouvé son niveau et est retourné aux championnats du monde trois ans après son accident de la route.

Malheureusement, cette équipe avait un effectif limité derrière ces noms prestigieux, et un banc assez court. Les hommes de Plyushchev ont donc beaucoup déçu, terminant la saison à une modeste douzième place. L'ancien sélectionneur a été pour sa part viré à six journées de la fin et remplacé par son adjoint Aleksandr Astashev.

 

Treizième : SKA Saint-Pétersbourg. Le danger des greffes, c'est bien connu, c'est qu'elle provoque parfois des rejets. C'est ce qui s'est passé avec le transfert de la moitié de l'équipe de Novokuznetsk à Saint-Pétersbourg. L'intégration d'un morceau aussi gros n'a jamais pu se faire, et le vestiaire était divisé en deux camps, les anciens du Metallurg et les Pétersbourgeois. L'encadrement emmené avec lui par Nikolaï Soloviev n'a pas convaincu son nouveau club, qui s'es empressé de supprimer les postes jugés finalement superflus : celui de directeur sportif, occupé par Oleg Gross, ou celui de l'entraîneur supplémentaire des gardiens Vitali Erfilov (qui avait travaillé avec Tretyak en son temps). Entre l'entraîneur qui estimait qu'on n'est jamais assez nombreux pour encadrer une équipe pro et des dirigeants que les défaites rendaient moins convaincus, le divorce était vite consommé.

Il n'y avait plus qu'à attendre le dénouement évident, qui se produisit fin janvier. Après une nouvelle défaite à Chekhov, un des responsables du SKA rentra dans le vestiaire et annonça aux joueurs que leur entraîneur partirait le lendemain. Son remplaçant, le pur produit du club Sergei Cherkas, a donc pu mener le SKA pour son grand retour en play-offs. Certes, il ne s'y est qualifié qu'à la faveur de l'introduction d'un tour supplémentaire, mais le public de Saint-Pétersbourg, qui n'avait plus connu cela depuis six ans, ne devait pas pour autant bouder son plaisir. En fait, si. Cet unique match de huitième de finale, joué le même soir que le match de Coupe de l'UEFA entre le Zénith et l'Olympique de Marseille, se termina par une défaite 0-3 devant des tribunes à moitié vides.

Le nouveau sponsor majeur Gazprom va devoir brûler du combustible pour ranimer la flamme du hockey dans la capitale des tsars...

 

Quatorzième : Sibir Novossibirsk. Cela aurait pu être une saison tristounette en Sibérie, très comparable à la précédente. Cependant, l'élargissement des play-offs à seize a permis d'y faire un petit tour, et même d'y gagner un match grâce au brio du gardien Aleksandr Vyukhin. L'équipe entraînée par Vladimir Yurzinov junior s'y est inclinée face au Loko de papa.

Même si le public est toujours aussi fervent, le Sibir ne semble pas épargné par les problèmes financiers. On l'a vu ainsi se débarrasser à mi-saison de trois gros salaires, les attaquants Aleksei Koznev et Oleg Boltunov et le défenseur tchèque Martin Cech. Le club n'a justifié ces mouvements que par des raisons sportives, en remplaçant le décevant Cech par Aleksandr Karpovtsev, en rupture de NHL après une fâcherie avec Mike Keenan, qu'il connaît pourtant depuis un bail pour avoir remporté une Coupe Stanley avec lui en 1994. On a eu la surprise de voir Karpovtsev revenir à Novosibirsk, qu'il avait quitté en début de saison dernière en raison déjà d'un conflit avec l'entraîneur (Nikolaïev). La "star" à la forte personnalité n'a pas changé grand-chose à la défense du Sibir.

 

Quinzième : HK MVD. Le club du ministère de l'intérieur a peut-être eu tort de ne pas conserver l'entraîneur de la montée, Tsygurov. En effet, son successeur Sergei Kotov, homme calme et réfléchi, a été viré fin novembre après une défaite contre Severstal, parce qu'on lui reprochait sa mollesse. On a mis à sa place l'entraîneur de la réserve Valeri Panin, qui manquait d'expérience au haut niveau. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le MVD ait pâti de la faiblesse de ses unités spéciales. Elles auraient pourtant été utiles, car cette équipe emmenée par des vétérans (Vyacheslav Butsaïev ou le capitaine de l'équipe du Bélarus Oleg Antonenko) a un jeu sournois qui consiste souvent à accrocher et provoquer l'adversaire pour lui faire perdre ses gonds. Une tactique assez surprenante de la part de la police !

Pas toujours exemplaire sur la glace, ce club un peu spécial ne l'a pas été non plus en coulisses. Il fait partie de ceux qui ont eu de nombreux impayés vis-à-vis de ses joueurs, mais le ministère, qui tient à son image, a assuré que tout rentrerait dans l'ordre. Pas soutenu par les autorités de Tver, où les gens ne se passionnent logiquement pas pour cette équipe de la police qu'on lui a importée, le MVD s'est installé à mi-saison à Podolsk, sur proposition du gouverneur de la région de Moscou. Décidément partout quand il s'agit de monter ses petits clubs d'influence, Boris Gromov a même promis de veiller personnellement à la construction d'une patinoire moderne à Balashikha, une ville de banlieue est où il veut refaire le coup de Mytishchi en utilisant le MVD.

 

Seizième : Metallurg Novokuznetsk. Si le déménagement de masse à Saint-Pétersbourg n'a pas profité au SKA, il a en revanche porté un coup sévère au Metallurg Novokuznetsk, en net recul. Le recrutement slovaque n'a pas compensé les départs. Martin Bartek a une nouvelle fois échoué dans une expérience à l'étranger et s'est fait virer à mi-saison. Richard Kapuš, devenu un indiscutable en équipe de Slovaquie sous Hossa qui apprécie ce centre défensif, est resté jusqu'au bout, mais sa fiche de -10 prouve que son rôle n'a pas vraiment été impeccable.

Si l'équipe a conservé un style de jeu assez offensif (surtout à cause de la faiblesse de ses défenseurs), il a été difficile de faire oublier Soloviev. L'entraîneur qui s'y est essayé, Pyatanov, a été viré en novembre. Mikhaïl Gomberg, capitaine de l'équipe dans les années soixante, a été nommé à sa place, avant qu'une redistribution des rôles en décembre ne le relègue au rang d'adjoint d'Aleksandr Kitov, le directeur sportif du club qui s'est ainsi rapproché du terrain. C'est lui qui a été confirmé pour l'an prochain après avoir un peu relevé Novokuznetsk en fin de saison. À son crédit, une performance honorable dans le duel des Metallurg en play-offs : le dernier qualifié a poussé le grand favori jusqu'aux tirs au but dans une des manches.

 

Dix-septième : Vityaz Chekhov. Aucun club russe n'a été aussi dépendant d'un seul joueur que le Vityaz avec son capitaine Aleksandr Korolyuk. Impliqué dans presque la moitié des buts de son équipe, il en était le seul joueur valable et sa voix était donc prédominante dans le contact avec l'entraîneur. Comme le capitaine n'arrivait pas à percevoir ce que demandait Bogdanov, l'ex-sélectionneur de l'Ukraine ne pouvait pas faire long feu. Il a été le premier entraîneur de la saison à être viré, et il a fallu attendre pour cela la vingt-quatrième journée (délai exceptionnellement long, à croire que les dirigeants russes sont devenu adeptes du zen cet été). Son successeur Aleksandr Bogdunov a réussi à amasser onze points en six matches, mais l'effet psychologique s'est ensuite estompé et le Vityaz s'est contenté de l'avant-dernière place.

Ce club s'est surtout signalé par sa passion pour les bagarres, autrefois inconnues en URSS mais dont l'irruption dans le hockey illustre peut-être certaines dérives de la société russe dans son ensemble... Reid Simpson a établi un "record" en réussissant à amasser 300 minutes de pénalité dans la saison, loin devant son "dauphin" dans son équipe, Andrei Kozyrev (131'). Oui, on parle bien du rude défenseur vu à Gap l'an passé ! Le Canadien ne suffisait même pas aux dirigeants : parce que Simpson avait "perdu" un combat contre l'Ukrainien Sryubko, on lui a même brièvement adjoint (le temps de trois matches et d'une expulsion) le presque oublié Yudin, un joueur dont le retentissement médiatique exagéré ces dernières saisons - pour parler du monde merveilleux des goons dans de longues interviews - est également un symptôme inquiétant. On se rassurera en constatant que le Vityaz a la plus faible affluence de la Superliga. Ce "style de jeu" ne semble donc pas si prisé que ça par le public russe.

 

Dix-huitième : Molot-Prikamie Perm. Le Molot a une fois de plus terminé dernier, malgré l'héroïsme du gardien tchèque Vladimir Hudacek qui a tenu l'équipe à bout de bras. Sa situation financière ne s'arrangeant pas, la ligue a finalement sévi en excluant ce club sans autre forme de procès, à l'étonnement de ses dirigeants. Ceux-ci se lamentaient d'être poussés dehors pour moins d'un million de dollars alors que les clubs moscovites bien plus endettés obtenaient des sursis. S'il est certain qu'il y a deux poids deux mesures "selon que vous soyez puissant ou misérable", il faut bien dire aussi que rien ne pouvait sauver Perm, qui ne devait sa présence en Superliga qu'à la suppression de la descente.

Un avis assez définitif avait déjà été donné par Anatoli Bardin, le président de ce syndicat des joueurs qui a du mal à rassembler d'autres adhérents tant les mentalités des hockeyeurs russes sont devenues individualistes à l'extrême. En visite à Perm en décembre après avoir été alerté des retards de paiement des salaires, il avait dressé une conclusion sans ambages sur la situation de club : "on se croirait revenu dix ans en arrière. Au Molot il n'y a aucune condition correspondant au niveau de la Superliga : ni une nutrition normale ni des vestiaires ni même des équipements convenables. Je ne savais pas qu'il restait dans notre championnat des équipes à ce stade." Une condamnation sans appel. Dans l'état actuel des choses, le Molot est à sa place en Vysshaïa Liga, et il y serait tout naturellement redescendu si la relégation n'avait pas été bloquée depuis deux ans pour permettre une expansion.

 

 

Et en Vysshaya Liga...

Alors que commencent à pulluler certains clubs qui ne sont que des créations artificielles ou des inventions politiques, on peut constater avec plaisir que ce sont deux des plus grands clubs formateurs du pays qui ont obtenu la montée en Superliga. Enfin, pourrait-on dire, aussi bien pour les Krylia Sovietov que pour le Traktor.

Le Traktor Chelyabinsk a bénéficié de l'enterrement de la hache de guerre entre les deux clubs de la ville. Quand il a essayé de faire revenir en cours de saison Valeri Karpov (qui a été formé au Traktor et souhaitait y retourner), il s'est heurté à l'opposition du Mechel qui tenait le contrat. Logiquement, la ville de Chelyabinsk est intervenue pour mettre un terme à cette querelle nuisible et trancher en faveur du club "historique". Rétabli dans ses droits et débarrassé de l'entrave de son rival industriel, il est enfin sorti du purgatoire au bout de sept années. Il avait l'entraîneur qu'il faut, Guennadi Tsygurov, qui obtient sa troisième promotion en trois ans. Allait-il encore devoir quitter le club qu'il avait fait monter ? Il a en effet rédigé sa lettre de démission, car il était mécontent de certains dirigeants qui avaient critiqué l'équipe. En plus du soutien des supporters, il a obtenu celui des autorités provinciales qui ont interféré pour couper la tête du vice-président incriminé et créer les conditions du maintien de Tsygurov.

L'autre promu arrive presque de nulle part. Les Krylia Sovietov Moscou ont une nouvelle fois vécu une saison tendue sur le plan du paiement de ses salaires et même de ses factures : on leur a même coupé l'électricité à un moment dans la patinoire de Setuni ! La grogne des joueurs aurait pu servir les autres clubs, car l'excellent trio Shamolin-Gubin-Saffronov était très convoité. Mais seul le dernier a quitté une équipe qui est restée unie. Au bout du chemin, elle a obtenu à la fois ses primes et surtout la promotion en Superliga, acquise le jour de l'anniversaire du capitaine formé au club Viktor Gordyuk. Lui aussi a réussi trois montées consécutives puisqu'il avait aidé le Spartak et le MVD avant de revenir à la maison. Si le mécène Rafil Safin a su étouffer les ennuis financiers, il reste encore un dossier brûlant pour l'avenir du club, avec là encore des clés politiques : il s'agit de Setuni. La patinoire appartient actuellement à l'usine VILS, et la mairie de Moscou doit la racheter pour pouvoir la mettre à la disposition du club et ne pas couper les Ailes Soviétiques.

S'il y a eu deux grands gagnants, il y a aussi eu deux grands perdants. L'Amur Khabarovsk avait transformé - non sans mal - son style accrocheur en un hockey plus offensif avec l'arrivée de l'entraîneur Andrei Sidorenko. Cependant, il a dû céder en demi-finale face à une équipe apparemment moins talentueuse, les Krylia. Peut-être l'année prochaine lui réussira-t-elle mieux avec l'application de la tolérance zéro. Les dirigeants n'ont pas abandonné l'espoir d'accéder en Superliga sans attendre : puisque Perm a été jeté dehors, ils ont réclamé, en tant que troisièmes de Vysshaia Liga, d'être repêchés à sa place.

Plus spectaculaire encore, l'échec du Torpedo Nijni Novgorod, le club dont on plaisantait que son joueur le plus important était le nouveau gouverneur de la région Valeri Shantsev. Comme quoi le soutien politique ne suffit pas. L'entraîneur Mikhaïl Varnakov s'est fait virer en décembre alors que le Torpedo se traînait à la sixième place de la poule ouest. Il n'a pas terminé beaucoup plus haut, cinquième, après avoir été soupçonné de perdre exprès sur tapis vert (erreur de nombre d'étrangers) pour éviter la quatrième place. Au lieu du Traktor, il s'est ainsi retrouvé en quart de finale face aux Krylia Sovietov, qui ont décidément été un adversaire moins commode que prévu.

Notons que la Vysshaïa Liga, également régie par la PHL, a connu des problèmes similaires à la Superliga. Même à ce niveau, l'invasion des gardiens canadiens a commencé. Et surtout, les problèmes financiers sont là aussi criants. Le cas le plus navrant est celui du Motor Barnaul. On cherche encore où est passé un million et demi de dollars consacré à l'équipe senior. Les trois présidents qui se sont succédé durant la saison ont chacun expliqué que leur prédécesseur avait tapé dans la caisse pour s'acheter un appartement et une voiture... Et pendant ce temps-là, les entraîneurs du mineur sont payés une misère et les parents, qui paient déjà les équipements (cas rare jusqu'ici en Russie) doivent aussi se cotiser pour financer les déplacements.

Oui, décidément, Tretiak aura du boulot à tous les étages pour reconstruire un hockey russe digne de son passé ! Le gardien de légende a décidé de passer à l'attaque, mais on espère qu'il est bien conseillé...

Marc Branchu

 

 

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