Lettonie 2004/05 : bilan

 

Les résultats du championnat de Lettonie

 

Une saison qui fera date dans l'histoire du hockey letton. Une saison de larmes, de joie et de tristesse. Une saison qui a confirmé la progression du hockey grenat, mais également de ses limites. Une saison qui a surtout, une fois de plus, confirmée que les Lettons étaient fous de hockey.

Tout a commencé par une bonne nouvelle. La levée, il y a un an, des blocages concernant l'organisation à Riga du Mondial 2006. En cause, la construction de deux nouvelles patinoires modernes et spacieuses pour accueillir l'évènement. On a souvent présenté ce problème comme étant financier. Ce n'était pas directement le cas. La Lettonie est certes le pays le plus pauvre de l'Union européenne, mais sa croissance est également la plus forte de l'Union. Les Lettons avaient l'argent pour la construction de ces arènes, le problème étant pour leur rentabilité après les épreuves, dans un pays où il n'y a pas de championnat professionnel de hockey sur glace. Finalement, après que des investisseurs de l'Estonie voisine se sont désistés, le gouvernement, la municipalité et des financiers locaux se sont entendus in extremis pour assurer la pérennité du dossier. Le Mondial 2006 se tiendra donc sur les bords de la Baltique du 6 au 21 mai prochain. La saison pouvait donc partir sur un ton léger. Malheureusement, le 3 novembre 2004, le pays est en état de choc. Sergejs Zoltoks, l'international chéri, le joueur de la LNH, revenu à Riga durant la suspension des activités de la ligue nord-américaine, trouve la mort après un match à Minsk avec son équipe du Riga 2000. Les ambassadeurs du hockey letton en LNH sont des idoles dans leur pays, Zoltoks ne faisait pas exception. Son engagement pour le pays (il finançait une association d'aide à l'enfance défavorisée), pour le maillot national, pour sa ville de Riga était connu, reconnu et apprécié. Le fait qu'il soit d'origine russophone mais totalement intégré à la nouvelle Lettonie indépendante était également l'une des explications à son immense popularité. Sa mort subite, suite à une faiblesse cardiaque, a plongé le pays dans une grande tristesse.

Son club de Riga 2000 et l'équipe nationale vont poursuivre la saison en sa mémoire. Et ses coéquipiers vont tenir parole. Pour la sélection lettone, 2004-05 est en effet une saison à retenir. Les Grenats se sont qualifiés pour les Jeux Olympiques de Turin l'an prochain et ils ont terminé juste derrière les plus grands au mondial autrichien. Mais c'est la qualif' pour les jeux piémontais qui resteront dans les annales. À Riga, dans le vieux palais des sports désuet, la sélection jouait sa place olympique face au Bélarus voisin, qui menait 4-2 à cinq minutes de la fin. En deux minutes et vingt secondes de folie furieuse, les Lettons ont renversé la vapeur, comme un simple sprat déchaîné faisant à lui tout seul chavirer le chalutier ! 55'11 : 3-4 par Armands Berzins, 56'58 : 4-4 par Janis Sprukts et 5-4 à 57'31 par Aleksandrs Semjonovs... De quoi mettre sans dessus dessous tout un pays ! Au Mondial à Innsbruck, les Lettons, n'ont pas réalisé d'exploits, mais ils ont tenu leur rang, au pied des quarts de finale. Une neuvième place mondiale qui fait rêver bien des nations, et qui n'était pas acquise, loin de là, au retour de l'indépendance en 1991. Le hockey letton a donc fait des pas de géant pour un minuscule pays de 2,4 millions d'habitants qui a connu une histoire des plus tourmentées.

Mais en Lettonie, le hockey c'est plus qu'une passion. Des hommes symbolisent cette ferveur. Artus Irbe est une icône dans son pays. À 38 ans, il a encore gardé la cage de l'équipe nationale au championnat du monde et il poursuivra sa carrière jusqu'à l'an prochain, car il est inconcevable qu'il soit dans les tribunes pour le premier Mondial jamais organisé à Riga.

La folie "hockeyiste" touche toute la société. Le premier ministre Aigars Kalvitis est un ancien dirigeant de la fédération lettone et ses fils sont hockeyeurs. Juste avant le tournoi préolympique, il avait durant une conférence de presse passé beaucoup de temps à expliquer aux journalistes les forces et les faiblesses de l'équipe lettone... Lors de la visite d'une sélection de la LNH à Riga cette saison, les joueurs ont été escortés par la police depuis l'aéroport, ils ont reçu la visite du premier ministre et ont été invités à dîner à la mairie de Riga. Même les plus blasés des millionnaires canadiens n'en revenaient pas !

Comme l'a déclaré Artus Irbe, les supporters lettons sont les meilleurs au monde, malgré des moyens financiers modestes, ils sont chaque année des milliers à "transhumer" vers les patinoires du championnat du monde, alors imaginez ce que ce sera l'an prochain, quand il se déroulera à Riga... 62% des Lettons ont ainsi affirmé vouloir suivre le Mondial 2006.

Un hockey letton qui a cependant des problèmes. Pas évident de réussir le renouvellement des générations avec une population si petite et sans championnat professionnel. Cette saison, comme l'an passé, le trio de tête du championnat est resté identique : Riga 2000, Ogre et Liepaja. Seuls les Vilki de Riga ont réussi à secouer le cocotier, mais les (vieux) loups de la capitale n'ont pas tenus le rythme en fin de saison. Le championnat letton s'améliore donc, mais tout doucement et il doit encore demander la "charité" au dictateur moustachu voisin pour avoir le droit de participer au championnat du Bélarus et ainsi garder le niveau. La construction d'un vrai championnat letton est le grand chantier du hockey national, le plus long et le plus difficile.

 

Premier : Riga 2000. Comme toujours, le club héritier du Dynamo de Riga est le maître du pays. Mais tout n'a pas été simple cette saison au Riga 2000. Tout d'abord, comme d'habitude, cela a été la valse des entraîneurs. Dès le 29 octobre, le trio d'entraîneurs Andrejs Maticins, Gints Bikars et Vitalijs Samoilovs est prié d'aller voir ailleurs par le bouillant président Viesturs Koziols. À la place, une vraie vedette internationale : le Slovaque Julius Supler. Entre locaux et célébrités européennes, le club n'a toujours pas trouvé la solution, lui qui passe de l'une à l'autre solution à longueur de saison. Il est vrai que les résultats n'ont pas été forcément à la hauteur des espérances du club vedette du pays. Il avait été décidé en début de saison de faire jouer les remplaçants et les joueurs en baisse de forme ou de confiance en championnat de Lettonie et les "vedettes" en championnat du Bélarus. Le seul problème est que les résultats restent moyens dans celui-ci malgré la présence de stars comme Karlis Skrastinš, venu pendant le lock-out. Dans le championnat national, les jeunes pousses du Riga 2000 se font battre au moins une fois par toutes les équipes, sauf par les juniors 18 ans de l'école municipale de hockey de Riga, et terminent en cinquième position sur huit. Pas de quoi remplir la patinoire de Pinki en périphérie de la ville, où il n'y a même pas de bus qui s'y rende...

Heureusement, avec les play-offs, la situation est redevenue normale. Les titulaires du Riga 2000 ont écartés les jeunes 20 ans de l'école municipale de hockey de Riga par trois manches à zéro puis les rivaux du Metalurgs Liepaja en quatre manches dans une finale avant la lettre, décidée par un tir au but d'Ignatovics, avant de vaincre sans péril les militaires de l'ASK Ogre. Le HK Riga 2000 conserve donc son éternel titre facilement, mais sans vraiment convaincre, car la saison régulière avec les remplaçants a été souffreteuse. En championnat du Bélarus, le club n'a pas vraiment été brillant. Une cinquième place en saison régulière et une élimination en quarts de finale face au Himvolokno de Mahileu. Même si les trois manches ont été très serrées (2-1 après prolongation, 1-0 et 3-2 aux tirs au but), cela fait un peu queue de poisson comme fin.

Le HK Riga 2000 est à la croisée des chemins. Dominateur chez lui, il peine encore à confirmer hors de ses frontières. Mais comme le championnat letton n'est pas encore compétitif, le club en est réduit à se chercher, à naviguer entre deux eaux. Viesturs Koziols en est conscient lui qui aimerait tant que les autres clubs lettons se dirigent vers le professionnalisme. Mais la fédé reste très prudente, elle préfère d'abord développer la formation avant de se lancer dans les paillettes. La Siemens Hale du Riga 2000 est le symbole de cet entre-deux. À la fois, belle, moderne, fonctionnelle, mais petite et éloignée du centre. On ne peut pas tout avoir tout de suite...

 

Deuxième : ASK Ogre. Comme l'an passé, le club militaire a réussi à se hisser en finale. Ce qui est un titre en lui-même dans un pays dominé par le HK Riga 2000. Certes la sanction a été dure avec quatre défaites à zéro, mais la mission est accomplit pour ce club né de la volonté fédérale de développer le hockey hors de Riga tout en assurant une formation et une reconversion aux joueurs. Lors de la première phase, Ogre a terminé à la troisième place à deux points seulement du deuxième, le Metalurgs de Liepaja. En quart de finale, les "Castors" (surnom de l'équipe) ont laminé les Lituaniens d'Elektrenai trois manches à rien, mais leur exploit, ils l'ont réalisés en demi-finale. Ils ont, dans la douleur, sorti les Vilki de Riga, favoris et sortis en tête de la saison régulière. Une victoire 8-1 avec un hat-trick de Gints Gredzens (passé par Amnéville en début de saison) puis deux défaites 1-2 et 4-5, avant de battre Ogre 6-2 et de jouer une place en finale au palais des sports de Riga, archi-comble, pour l'ultime combat. Cela s'est joué aux tirs au but après un match nul 3-3, et Jurijs Galajevs a inscrit le penalty décisif après avoir déjà égalisé à deux minutes de la fin.

Le problème d'Ogre est que son effectif est changeant d'une année sur l'autre. Tout d'abord parce que les jeunes faisant leur service militaire ne sont pas éternellement sous les drapeaux, ensuite parce que les transferts d'un club à l'autre sont permanents en Lettonie et que le réservoir de joueurs n'est pas très grand, et enfin car il y a toujours des joueurs qui partent à l'étranger, même en cours de saison. Mais avec deux places consécutives de vice-champion, l'ASK Ogre a trouvé sa place dans le PHL, le paysage hockeyistique letton...

 

Troisième : Metalurgs Liepaja. Pas top, la saison des joueurs du plus grand port letton. Une élimination en demi-finale du championnat national et une autre en quart de finale du championnat du Bélarus. Il faut dire que la saison du club des bords de la Baltique a été perturbée par les blessures à répétition du centre de sa première ligne Juris Ozols. Ses deux ailiers Romans Nikitins et Valerijs Filimonovs ont été contraints de changer leurs réglages pour s'adapter avec le centre Janis Vegners. Le club a également usé un nombre impressionnant de joueurs étrangers : dix Russes, deux Lituaniens et un Bélarussien. De quoi donner le tournis aux supporters...

Les deux entraîneurs bélarussiens, Vladimir Safonov et Valeri Voronine, avaient fait marcher leurs contacts russes pour assembler cet effectif. Avec l'équipe au complet, les play-offs devaient permettre de redresser la tête en reconquérant le titre national, toujours très important pour le club même si la saison régulière est prise par-dessus la jambe. Mais le Metalurgs est tombé en demi-finale contre son éternel rival du Riga 2000 trois manches à une. Une victoire à Liepaja 5-4 puis deux défaites 4-1 à Riga et 5-2 à Liepaja avant de tomber aux tirs au but 2-1 à Riga, ou plus exactement à Pinki...

En championnat du Bélarus, ce n'est guère mieux avec une septième place en saison régulière puis une élimination dès les quarts de finale devant le Keramin de Minsk trois défaites à une. Une défaite 0-6, puis une autre 1-4, un sursaut 3-1 avant l'hallali 0-2. Cela fait mine de rien deux saisons de suite ratées par les joueurs de Liepaja. Il va falloir trouver des solutions. Les transferts fréquents de joueurs entre le Riga 2000, sa vie dans la capitale mais sa patinoire excentrée, et le Metalurgs, sa vie plus provinciale mais sa patinoire plus proche de la basa et plus pratique, vont donc se poursuivre. Surtout qu'en Lettonie, où tout le monde se connaît, le choix de l'entraîneur décide de beaucoup de transferts. Et comme les entraîneurs valsent souvent...

 

Quatrième : Vilki Riga. Les Loups de Riga ont bien failli... Ils sont passés à deux doigts de la saison parfaite. Une large première place lors de la première phase, un palais des sports souvent bien rempli, une belle saison... et des militaires d'une garnison de province qui viennent tels des soudards arracher une place en finale au bout du suspense. Comment dit-on caramba en letton ? Carambas ?

La première phase des Vilki, entraînés par Andrejs Maticins lorsque celui-ci s'est fait virer de Riga 2000, a été parfaite. Trois victoires sur quatre contre le Riga 2000, deux succès contre Ogre et même quatre sur quatre face à Elektrenai. Tout allait donc pour le mieux dans la meute, jusqu'à ce coup d'arrêt brutal lors de la cinquième manche des demi-finales. Dommage pour les amateurs de hockey de Riga qui se sont identifiés aux Vilki, le Riga 2000 étant, on le rappelle, excentré à Pinki, village de la périphérie de la capitale.

Mais parfois, même pour des loups, l'âge des artères... Il y a de nombreux quadragénaires dans cette équipe, des anciennes gloires du hockey letton qui n'ont pas pu tenir toute la saison. Reste que le club soutenu financièrement par Sandis Ozolinš a réussi son pari : trouver sa place dans le championnat national. Le pas suivant serait de devenir aussi constant que le Riga 2000 et le Metalurgs... et de battre, enfin, Ogre en phase finale.

 

Cinquième : SK Riga 20. L'école municipale de hockey de Riga poursuit sa formation et sa participation au championnat national. Cette année les jeunes pousses juniors de moins de vingt ans ont réussi une saison parfaite. Une quatrième place en saison régulière, ce qui est un bel exploit, et de bons résultats, y compris trois victoires sur quatre confrontations face aux (vieux) loups.

La preuve que la formation est la seule chance du hockey letton s'il veut à la fois maintenir sa belle place dans la hiérarchie mondiale et avoir un jour suffisamment de joueurs pour mettre sur place un vrai championnat national. La lourde élimination en quart de finale (1-8, 0-10 et 3-8) contre les titulaires du Riga 2000 est anecdotique. Pas de chance de tomber d'entrée sur le champion en titre qui s'était laissé glisser à une cinquième place trompeuse. Cette équipe des juniors 20 ans a prouvé que le hockey avait de l'avenir dans la capitale.

 

Sixième : SC Energija Elektrenai. Ouille, ouille, ouille ! La seule équipe lituanienne de bon niveau de son pays a raté la marche cette année. Sans le moindre renfort extérieur, le club de cette petite ville industrielle entre Vilnius la capitale et Kaunas la seconde ville du pays a été victime des progrès du hockey letton. Une mauvaise sixième place durant la saison régulière et une élimination sans gloire en quart de finale contre Ogre (4-5, 3-7 et 2-10) ! L'Energija a été la peine cette saison. Pour lui aussi, cela démontre les limites du système. Il faut impérativement que d'autres clubs se développent en Lituanie, sinon, ce sera la glissade définitive. Et il n'y aura pas tous les ans des lock-out en LNH pour permettre à Dainuis Zubrus de donner un coup de main à l'équipe nationale et de braquer les projecteurs sur un hockey lituanien très peu médiatisé.

 

Septième : Zemgale Jelgava. Dans la ville la plus lettone du pays (c'est-à-dire où il y a le moins de russophones), le hockey est en survie... Une petite patinoire, un petit effectif et des petits résultats. Certes, profitant que les titulaires étaient au Bélarus, le Zemgale (nom de la région de Jelgava) a réussi à battre Riga 2000 par trois fois et le Metalurgs une fois, mais rien n'a pu être fait pour éviter des claques, dont un 0-23 devant Elektrenai. Sans le moindre étranger sauf le jeune Estonien Stanislas Tarabarov, les joueurs de Jelgava n'ont même pas pu terminer normalement le championnat. Après avoir connu le martyr 20-3 et 21-1 lors des deux premières manches des quarts de finale devant Liepaja, le Zemgale a dû déclarer forfait pour la troisième manche, le club étant décimé par la grippe ! Ceci dit, la présence de Jelgava dans le championnat letton est importante. Cela permet de maintenir une couverture géographique en dehors de Riga. Comme il n'y a pas d'équipe senior dans la deuxième ville du pays, Daugavpils, pourtant peuplée pratiquement entièrement de russophones, il faut bien que les petites villes (Jelgava, Ogre ou Liepaja) permettent au hockey letton de couvrir une partie du territoire national.

 

Huitième : SK Riga 18. Comme tous les ans, les juniors 18 ans du Sporta Klubs Riga (allié aux Latvijas Berzs pour la constitution de cette équipe) ont remporté la cuillère de bois. Mais ils sont là pour apprendre, en se reposant essentiellement sur le duo Meija-Zembergs qui a marqué la moitié de leurs buts. Ils ont cependant remporté trois matches. 3-2 devant le Metalurgs s'il vous plaît (bon d'accord, les remplaçants du Metalurgs...), et 12-2 et 8-1 face aux pauvres Lituaniens d'Elektrenai. Une dernière place de la saison régulière et une élimination sans suspense - en l'absence de Marcis Zembergs - contre les Vilki (2-7, 1-16 et 2-12), et il a été temps de penser aux examens scolaires...

 

Voilà, il ne me reste plus qu'à vous rappeler que, si vous souhaitez vous rendre à Riga en mai prochain pour le Mondial, je ne peux que vous conseiller de vous dépêcher, les places devraient s'arracher. Et il serait dommage de ne pas profiter de la douceur du printemps sur les bords de la Baltique, des terrasses des bars de la vieille ville et de la folie du Grenat Power des supporters lettons.

Bruno Cadène

 

 

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