Briançon, le vent tourne

 

Briançon disposait depuis trois ans d'une conjoncture favorable, puisque le président de la SEM des Diables Rouges - la société d'économie mixte qui dirige l'équipe première - se trouvait être également le président du conseil général, Alain Bayrou. Du coup, la politique départementale en matière de subventions était légèrement biaisée. Le conseil général des Hautes-Alpes était soupçonné de favoriser le nord du département, où se trouve Briançon, et s'il soutenait le football à Gap, c'est selon certains pour mieux y tuer le hockey sur glace. Les Diables Rouges disposaient en effet d'une subvention bien plus confortable que les Rapaces, un état de fait qui ne durera pas. Le comportement autocratique d'Alain Bayrou lui a en effet valu des inimitiés dans sa propre famille politique, et des élus de la droite - majoritaire au conseil - ont voté contre lui pour faire élire un président de gauche. Celui-ci rééquilibrera les disparités de subventions entre les clubs de Briançon et Gap, et son prédécesseur s'inquiète du coup pour l'année prochaine. S'il veut que son club continue sur les mêmes bases budgétaires, il faudra trouver d'autres sources de financement, ce qui ne sera pas simple dans un département vieillissant qui compte déjà parmi les moins peuplés de France. Faudra-t-il prendre exemple sur Gap, qui faisait jusqu'ici presque aussi bien avec des moyens moins importants ? Ce serait assez ironique, mais en tout cas il faudra bien rouvrir un jour le dossier de la formation, qui bat de l'aile depuis plusieurs années alors qu'elle indispensable pour faire vivre un club de haut niveau dans une ville de taille limitée comme Briançon.

Ce débat ne concerne pas encore la saison qui s'ouvre, puisque, grâce au soutien de la mairie, elle commence avec un budget comparable et une certaine continuité. Arrivé en cours de saison dernière, l'entraîneur Luciano Basile avait suscité le scepticisme au début car on disait que sa carrière ne le menait plus nulle part et qu'il n'était plus que responsable du matériel dans son club précédent. Mais en fait, l'Italo-Canadien qui avait amené Majadahonda - le club de la région madrilène - à son unique titre de champion d'Espagne a réussi à implanter son système de jeu en 1-3-1 et surtout à amener une stabilité plus que nécessaire après quelques épisodes rocambolesques voire clownesques, conduisant par exemple à avoir deux coaches derrière le banc contre Dijon.

Basile aura donc encore la charge d'un effectif dans lequel l'interrogation concerne en premier lieu le poste de gardien. Frédéric Beaubien a fait le tour d'à peu près tout ce qui se fait de pire comme ligues mineures nord-américaines. Il a atteint le pompon l'an dernier en se retrouvant en WHA2, une nouvelle ligue basée dans le sud-est des États-Unis et composée de six équipes qui avait fait sécession de l'ACHL, elle-même créée un an plus tôt. La WHA 2 voulait devenir la future ligue-ferme du projet presque mort-né de renaissance de la WHA. Dans cette merveilleuse ligue, la franchise des Miami Manatees n'a même pas fini la saison régulière après avoir vu son bail résilié avec sa patinoire, mais a quand même été admise à revenir pour les play-offs (!). Après un an d'existence de cette chose, cinq franchises de WHA2 (toutes sauf Miami) ont décidé de partir... fonder une nouvelle ligue, bien sûr. Cette troisième invention en trois ans s'appellera la SHL. Après cette expérience de chaos sauvage, les changements de formule du championnat français apparaîtront comme de menus détails pour le sieur Beaubien.

Déjà que De Rouville avait été très critiqué en début de saison dernière, voilà qu'on choisit - sur conseil de Jodoin - un remplaçant qui n'a même pas la moitié de ses références. Là où De Rouville pouvait tout de même se prévaloir de quelques matches en NHL et d'une demi-saison en Elitserien, Beaubien n'a lui jamais évolué dans des championnats de ce calibre, ni même à un niveau approchant. Certes, il est crédité de bonnes statistiques partout où il est passé, mais le fait de ne s'être jamais durablement imposé nulle part est inquiétant. Est-il une perle à qui nul n'a donné sa chance et que Briançon a su dénicher ? Sa première impression sur ses coéquipiers a été plus favorable que celle laissée par De Rouville, qui avait un petit côté "has been", et il reste donc à espérer que sa motivation lui permettra de faire apprécier son anticipation du jeu en France.

C'est à peu près la seule vraie incertitude dans le recrutement briançonnais. Pour le reste, le club a choisi des valeurs connues. L'absence de communication sur les transferts a fait naître les plus folles rumeurs, mais le bilan est plus prosaïque. On a essayé d'éviter les mélanges, ce qui se comprend si c'est pour loger des joueurs aux caractères incompatibles dans le même appartement. La cohabitation impossible entre le défenseur suédois Johanesson et ses deux collègues tchèques l'an dernier a sans doute dissuadé les dirigeants de tenter le diable (même rouge) à nouveau. On assiste ainsi au retour d'une vieille connaissance, Jasmin Gélinas, qui était apprécié du temps de la division 1 et qui était parti l'été dernier pour passer la saison entre CHL et UHL.

Mais le signe le plus intéressant est l'arrivée de Nicolas Pousset. La connexion Thierry Chaix a payé puisque, comme pour Bellier il y a deux ans, on voit à nouveau un joueur faire le voyage directement de Rouen à Briançon. Surtout, Pousset est le premier titulaire en équipe de France en exercice à porter le maillot briançonnais depuis l'année des JO d'Albertville (ils étaient alors six avec Almasy, Pousse, Dunn, Leblanc, B. Saunier et P. Margerit), juste avant que la précédente SEM ne soit liquidée avec un passif de neuf millions de francs.

La défense est donc bien équipée aussi bien quantitativement que qualitativement, au point que l'arrivée d'Olivier Vandecandelaere a presque paru superflue. Ses statistiques (un point en deux saisons de Super 16) desservent assurément le Caennais. C'est un joueur qui a eu peu de temps de jeu et a souvent vu son développement entravé par des blessures. Mais la présence de huit arrières ne sera pas forcément inutile car Kramny s'est un peu négligé pendant l'été. Il a encore ajouté quelques kilos en trop à son quintal et s'est vite blessé pendant la préparation.

L'attaque suscite une interrogation majeure, celle du remplacement de son très gros marqueur Mika Kannisto (42 points). Le Finlandais sera remplacé par Julien Desrosiers, mais si le centre de Tours est lui aussi un bon buteur, il risque de ne pas avoir la même influence sur le collectif car il est réputé pour son égoïsme sur la glace. C'est dommage car Dino Grossi peut exceller avec un centre pour lui distiller de belles passes, on l'a vu avec Broz à Brest où sa ligne a tout explosé. Que verra-t-on de l'Italo-Canadien, que l'on sait capable du meilleur comme du pire ? L'Albatros dont le bloc a plané au-dessus du dernier championnat ? Ou bien le Diable noir tourangeau seulement repeint en rouge, celui qui ne se signalait que sur le banc des pénalités ? Cela dépendra sans doute de l'entente qui se créera ou pas avec ses coéquipiers et son entraîneur. Par ailleurs, il a toujours une épée de Damoclès au-dessus de sa tête, si la commission de discipline décidait de se pencher sur son cas après son agression sur Stéphane Gachet lors des derniers playoffs contre Grenoble.

Le troisième attaquant étranger sera Martin Filip, ex-coéquipier de Michal Divisek à Karlovy Vary et Pardubice. Il est cependant plus âgé que le défenseur et n'arrive pas directement d'Extraliga, puisqu'il a passé la dernière saison dans la ligue élite britannique à Basingstoke. Il est certainement meilleur que le moyen Bohuslav Subr, reste à voir si son expérience en fera un atout véritablement meilleur que le joker de l'année dernière Jan Bohac. Dommage que celui-ci ne soit pas resté, il était intéressant de voir en France un très récent international junior tchèque, qui a fini par montrer sa vitesse et sa technique individuelle lors des play-offs de Poule Nationale. Dommage aussi, la sortie par la petite porte d'un joueur du talent de Juha Jokiharju, qui quitte notre pays après son éviction la saison dernière au profit de Luciano Basile, une remise en cause de l'entraîneur Jokiharju qui avait affecté le joueur Jokiharju, peu décidé à reporter le maillot briançonnais.

Les forces offensives de Briançon seront concentrées sur deux lignes, avec les trois étrangers plus Cédric Boldron, Éric Blais et Lionel Orsolini. Or, ce dernier manquera le début de saison en raison d'une opération de l'épaule. Le manque de densité risque alors de se faire sentir, surtout après l'éviction de Mickaël Perez lors du camp d'entraînement. Il a tout de même tourné à un point par match l'an passé, même s'il n'a joué qu'une demi-saison. Mais ses blessures à répétition ont lassé le coach Basile qui l'a renvoyé, et il est donc retourné dans son club formateur Gap. Sa progression, même ralentie par ses passages à l'infirmerie, était pourtant plus sensible que celle d'un autre joueur de la génération 1982, l'ex-international junior Yannick Maillot, pour qui c'est sans doute l'année ou jamais pour franchir un palier.

Marc Branchu

 

PS : La veille du début de la saison, Dino Grossi est finalement suspendu un an et doit trouver refuge en Italie. À la recherche d'un remplaçant, Briançon met à l'essai Jonas Lund, un Suédois peu concluant, et engage finalement l'international slovène Edo Terglav.

 

Départs : Pere (arrêt), Moreaux (arrêt), Robert (arrêt), Bohac (Frisk Asker, NOR), Subr (Suède), Kannisto, Jokiharju, De Rouville (Granby, LNAH), M. Perez (Gap).

Arrivées : Gélinas (Memphis, CHL), Desrosiers (Tours), Grossi (Brest), Pousset (Rouen), Beaubien (Alabama, WHA2), Vandecandelaere (Tours), Filip (Basingstoke, GBR).

Effectif :

Gardiens : Frederik Beaubien (CAN, 29 ans), Sébastien Muret (25 ans), Damien Angella (20 ans).

Défenseurs : Tomas Kramny (TCH, 31 ans), Michal Divisek (TCH, 28 ans), Nicolas Pousset (25 ans), Jean-François Jodoin (CAN, 33 ans), Jasmin Gélinas (CAN, 25 ans), Gary Levêque (23 ans), Frédéric Borgnet (28 ans), Olivier Vandecandelaere (25 ans).

Attaquants : Dino Grossi (CAN, 34 ans), Julien Desrosiers (CAN, 23 ans), Martin Filip (TCH, 32 ans), Cédric Boldron (26 ans), Éric Blais (31 ans), Lionel Orsolini (33 ans), Yannick Maillot (22 ans), David Trabichet (24 ans), Emmanuel Giusti (27 ans), Arnaud Blanchard (23 ans), Sébastien Rohat (19 ans).

Entraîneur : Luciano Basile (ITA/CAN).

 

 

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