Adieu poulet
- ou l'histoire de Briec Bounoure -
Mû par une passion sincère pour le hockey sur glace mais faisant preuve de peu de souci pour autrui, Briec Bounoure a dirigé sans partage les Albatros de Brest pendant quatorze ans avec des méthodes peu conventionnelles. Pour quel résultat ? Un plaisir furtif, deux titres de champions de France, et aujourd'hui un immense gâchis avec une nouvelle impasse. Après un second sabordage en règle, des joueurs qui voulaient rester sont contraints de partir avec regret, et la poignée de supporters fidèles qui a enduré les péripéties de l'aventure brestoise a une nouvelle fois le cœur déchiré. Un beau gâchis.
Ce club aux visées uniquement élitistes n'a jamais cherché à construire quelque chose de stable sur le long terme, et si l'on fait le bilan sur toutes ses années, il n'a formé qu'un seul joueur de haut niveau, le gardien Gabriel Bounoure, comme par hasard le fils du président, qui a bénéficié d'une concurrence abordable face à de jeunes portiers malléables auxquels on pouvait imposer une alternance, une chance idéale de faire ses preuves dont n'ont malheureusement pas bénéficié ses camarades. Est-ce là tout ce qu'on retiendra des Albatros ?
Tout a été dit sur Briec Bounoure, l'emblématique président de Brest. On connaît ses prises de position, ses coups de gueule, ses revirements, on les connaît même si bien qu'ils ont fini par lasser. Mais pourtant, il reste une part de mystère lorsque l'on considère son action. Il y a encore une question non résolue le concernant : est-il un idéologue ou un opportuniste ?
L'idéologue
L'agrégé de philosophie est d'abord longtemps apparu comme un idéologue libéral, un équivalent breton de Frédéric Bastiat. Il n'a pas hésité à exposer longuement sa vision du sport. Pour lui, le sportif est un otage, la licence une chaîne, la cotisation une spoliation, l'affiliation un esclavage, et la fédération une monstrueuse entité étatique qui soumet à sa loi inique les hockeyeurs privés de liberté. Dénoncer une Fédération Française des Sports de Glace à la gestion calamiteuse trouvait forcément un écho favorable. Son discours a donc beaucoup séduit à une époque, mais souvent sur un malentendu. Car la critique de Bounoure était fondamentale, elle touchait à l'essence même d'une fédération. Elle aurait donc tout autant valu pour une hypothétique fédération indépendante de hockey sur glace démocratique et bien gérée que pour une FFSG inefficace et assujettie aux intérêts financiers de quelques cercles de pouvoir.
Il faut donc préciser à quoi ressemblerait ce versant idéologique, cette application au sport de la logique de Bastiat. De ce point de vue purement individualiste, le sportif amateur est un consommateur, qui ne doit payer son club que pour les services rendus, comme lui fournir un entraîneur ou lui organiser les déplacements. Les compétences fédérales sont niées, dans la mesure où le simple licencié n'est pas censé retirer d'intérêt personnel au développement de son sport et, par exemple, à l'existence d'équipes nationales, qu'il n'a donc pas à financer. Tout ce qui ne répond pas à la satisfaction d'un besoin individuel n'est pas monnayable et n'a donc pas lieu d'être dans une théorie purement libérale de la société.
Il peut toutefois exister des communautés d'intérêt, et c'est là que le concept d'entreprise est inséré dans la pensée libérale, assez maladroitement d'ailleurs, car la pratique du fonctionnement quotidien des entreprises est bien éloignée des théories. Dans le cas qui nous occupe, il faut donc passer par un point de discontinuité (l'étape de formation est difficile à formaliser puisque l'éducation est une affaire privée dans les thèses de Bastiat) entre la notion de sportif amateur et celle de sportif professionnel, considéré comme un travailleur, soumis aux lois désormais bien connues du sport-business.
Très tôt, l'action de Briec Bounoure s'est parfaitement inscrite dans la logique de cette Weltanschauung libérale. Dès l'ascension fulgurante des Albatros dans les années 90, il a multiplié les déclarations fracassantes et ne cachait pas sa volonté de donner un grand coup de pied à la fourmilière. Première cible : les transferts. Pour l'idéologue, rien ne peut retenir un joueur dans un club. L'un et l'autre n'ont aucune obligation morale réciproque, mais une simple relation d'employeur à salarié. Il refuse donc catégoriquement de payer toute indemnité de transfert, et propose comme compensation aux clubs chez qui il recrute tous azimuts de leur acheter des espaces publicitaires. Il s'agit ici d'adapter un procédé existant pour le rendre conforme à une idéologie en lui donnant l'apparence d'une transaction commerciale "normale". Les patinoires de France s'habillent donc Père Dodu. Néanmoins, quand Brest engage Andreï Vittemberg alors qu'il a encore deux ans de contrat avec Rouen, son premier scandale, le fondement idéologique est plus ténu. Quelque philosophie qu'on adopte, un contrat est un contrat. C'est le premier signe de l'opportuniste, qui n'hésitera jamais à utiliser toutes les failles juridiques lorsque ça l'arrange.
Mais quand la loi est de son côté, plus rien n'arrête l'idéologue. C'est le cas avec l'arrêt Bosman, qui statue que les sportifs professionnels de l'Union Européenne sont considérés comme des travailleurs communautaires et ne peuvent donc être discriminés. Briec Bounoure s'attaque donc à la limitation des joueurs étrangers dans le championnat. Cette barrière renversée, constituer une équipe capable d'être championne de France ne présente plus beaucoup de difficultés avec les moyens nécessaires, il suffit d'aller chercher suffisamment de Finlandais au-delà du quota.
Les moyens, ce sont ceux du groupe Doux, premier producteur européen de volailles. En présentant les photos des hockeyeurs au travail dans des usines de poulet industriel, Briec Bounoure pouvait se targuer d'un modèle d'insertion professionnelle réussie, chose rare dans le hockey français où la reconversion est un problème souvent épineux et peu préparé. Les joueurs rentraient ainsi dans la stratégie internationale de l'entreprise, et pouvaient ouvrir de nouveaux marchés à l'export dans leur pays d'origine après avoir fait leurs classes en France. Le problème, c'est que ce retour sur investissement était insuffisant. Bien que directeur général du groupe Doux, Briec Bounoure pouvait difficilement justifier autant de dépenses pour son "jouet" vis-à-vis des autres dirigeants de cette entreprise à l'origine familiale.
L'entêtement et le point de non-retour
Un bon marin breton aurait facilement trouvé la solution au casse-tête : il faut réduire la voilure. Mais pour Briec Bounoure, cela aurait été un aveu d'échec. Nourri au culte de la victoire, il n'aurait pas supporté de constituer une équipe de milieu de tableau. Il tente alors de mettre la pression sur les collectivités locales en menaçant de déménager son club à Bordeaux.
Le chantage prend d'autant moins que l'organisation d'un tour de Coupe d'Europe à Bordeaux a été un flop. On a loué pour l'événement la patinoire de Mériadeck, qui reste quasi-déserte car les Albatros de Brest ne suscitent évidemment pas les passions en Gironde. Frustré, Briec Bounoure a alors un nouveau coup de sang. Il ne se borne plus aux frontières françaises, c'est cette fois l'IIHF qui en prend pour son grade pour avoir laissé participer une équipe pas au niveau et capable de se prendre dix-sept buts, l'Étoile Rouge de Belgrade. En l'occurrence, celle-ci s'était très régulièrement qualifiée, à la surprise générale il est vrai, en passant le premier tour. C'était donc son droit le plus légitime d'être là, et le score ne faisait que refléter les disparités du hockey européen. Mais la solution libérale aux inégalités de développement, c'est le cloisonnement. Cachez cette misère que je ne saurais voir... Plutôt que de laisser les "petits" participer en entrant plus tôt dans la compétition, on les exclut, et on les prive de toute chance d'accéder au haut niveau. Le problème de cette logique, c'est qu'elle fonctionne dans les deux sens, et qu'en suivant ce raisonnement, les clubs français trop faibles n'auraient jamais été conviés aux Coupes d'Europe, qui ont été une opportunité formidable pendant les "années Dragons". MoDo était en effet bien gentil de se déplacer dans un pays du tiers-monde du hockey pour disputer un match dans une patinoire presque vide et affronter les Albatros de Brest dont il n'avait que faire ! En n'ayant pour autre préoccupation que leur rentabilité immédiate à court terme, les Suédois auraient pu se passer des compétitions européennes qui ne leur "rapportent" rien... et c'est d'ailleurs ce qu'ils ont fait quelques années plus tard en sabordant du même coup l'EHL !
L'image de la success story n'avait pas été réellement écornée, et Briec Bounoure tenait à la garder intacte. Il n'allait donc pas avouer que Doux ne tenait plus à investir à perte. Et dans son tempérament, le profil bas n'existe pas. Autant "partir en pleine gloire", en claquant la porte avec le plus d'éclat possible. C'est ce qu'il fait en déclarant : "ils ont brisé mon rêve". Mais qui, "ils" ? Jusqu'alors, il avait eu presque tout ce qu'il voulait. Il avait pu se constituer son équipe, aligner autant d'étrangers qu'il le souhaitait, et il avait même participé à la création d'une Ligue des clubs professionnels destinée à gérer le championnat élite en lieu et place de la fédération. Ce qu'il lui manquait, c'est une couverture télévisuelle et un retour sur investissement. Mais comment croire qu'il aurait été possible de l'obtenir en si peu de temps dans un sport mineur comme le hockey sur glace ? Le chef d'entreprise s'est ici laissé aveugler par sa passion.
Alors, il a rejeté la faute sur la municipalité coupable de lui accorder une subvention ridiculement basse. Pourtant, quelques mois plus tôt, il fustigeait les "équipes d'employés municipaux" et s'enorgueillissait de ne pas vivre de subventions publiques, en entretenant le mythe du "bon" argent privé issu d'une noble activité économique créatrice de richesses - l'élevage de poulets en batterie - face au "mauvais" argent public qui dilapide l'impôt (mode de pensée curieux en ce sens que le consommateur lambda de poulets n'a pas plus que le contribuable demandé à investir dans une équipe de hockey). On ne peut pas fustiger un mode de financement un jour et se plaindre de ne pas en avoir bénéficié le lendemain. En accusant la mairie, l'idéologue ravalerait-il sa fierté par opportunisme ? Peut-être pas encore. Il a sans doute vu là l'occasion de faire porter le chapeau à bon compte sur la puissance publique honnie.
Or, la mairie était logiquement restée à l'écart du club, car Briec Bounoure y faisait tout tout seul. Depuis qu'il s'était investi dans les Albatros - où jouait son fils - à la demande de sa femme en 1990, il avait sorti le hockey local de l'anonymat, mais, pris par sa pensée unique individualiste, il en avait fait le club d'un seul homme, lui-même. Il n'avait donc jamais cherché d'autres alliés, aussi bien économiques que politiques. Fatalement, la municipalité était restée prudente, et on ne peut pas dire que les propos de Bounoure l'incitaient à s'engager. Pendant qu'il crache sur les subventions, après tout, il y en a d'autres au contraire qui en réclament. Entre un club qui sait mettre en avant son travail de formation et son implantation forte dans la vie locale, et un autre soumis aux volontés d'un dirigeant incontrôlable, qui a complètement négligé les joueurs locaux, et qui montre si peu de respect pour sa ville qu'il menace d'en changer, le choix des élus est vite fait.
Dès 1997, on atteint un point de non-retour. Le charismatique Briec Bounoure suscite désormais trop de méfiance. La seule chance pour le club est qu'il laisse la place à une personne plus conciliante, à même de rassurer les collectivités locales, de les impliquer dans de nouveaux projets à long terme pour le club. Mais il est incapable d'assurer la transition et d'imaginer abandonner cette équipe qui est devenue une partie de lui-même. Il entre alors dans un cercle vicieux. Plus il s'engage personnellement, plus il investit, y compris avec son propre argent, plus il fragilise le club.
L'opportuniste
Dès lors, Briec Bounoure va s'ingénier à prouver à la France entière que les Bretons sont bien têtus. Pendant plusieurs années, il prend un malin plaisir à construire des équipes surdimensionnées qui écrasent tous les championnats. D3, puis D2, puis D1, puis retour volontaire en D2 en prenant pour prétexte le passage dans une petite patinoire provisoire en attendant la construction du nouveau Rïnkla Stadium. Or, la division 1 et la division 2 ont le même découpage géographique en deux poules et les dépenses y sont comparables, à l'exception des frais d'arbitrage. Mais Brest aligne une équipe de niveau D1 en D2 et humilie ses adversaires dans des matches qui font perdre leur temps à tout le monde. Cela ressemble presque à du sabotage organisé de championnats. Comme sanction pour sa rétrogradation sportivement injustifiée, Brest est interdit de remonter, ce qui n'a pour d'autre effet que de faire durer deux ans son séjour en division 2 où il continue à humilier ses adversaires.
Tout le hockey français a pâti de ce yo-yo lamentable qui a ruiné la structure de championnats déjà mal en point. Mais le pire, c'est l'arrogance avec lequel il a été effectué. Lors du tournoi final de D3 à Poitiers, les voisins de tribune de Briec Bounoure ont été choqués par les termes qu'il employait pour ridiculiser les joueurs de division 3, avec ses habituels jugements à l'emporte-pièce. Ces amateurs de modeste niveau souffraient déjà de voir un club qui n'avait rien à faire dans cette division venir y semer le chaos, et en plus ils devaient supporter de se faire insulter... Conditionné par une adulation immodérée de la victoire, Bounoure ne pouvait pas admettre l'idée de perdre. Pourtant, en sport, il n'y a de gagnants que parce qu'il y a des perdants, que parce qu'il y a des gens qui ont compris que l'important, c'est de participer. Le minimum auquel ils ont droit, c'est un peu de respect. Car le sport avec uniquement des clubs de haut de tableau, ça n'existe pas, et c'est ce qui rend la philosophie de Bounoure bancale en pratique. Il ne réussit à accumuler des soi-disant titres de champion (quelle valeur cela a-t-il dans une division inférieure ?) qu'à cause de la complaisance de la fédération qui le laisse jouer au "cow-boy", parce qu'il crie fort et menace tous les quatre matins de saisir le CNOSF. Parce qu'il n'y a pas de pouvoir fort dans le hockey capable de le ramener dans le rang, Briec Bounoure s'aligne dans le championnat qu'il veut, ce qui constitue une sorte de paroxysme de ses théories libérales, et tant pis pour les autres clubs qui subissent les dommages collatéraux.
Et cet opportunisme de circonstance qui consiste à choisir un championnat à sa portée pour être sûr de gagner s'accompagne à cette même époque d'un grand opportunisme dans ses convictions. On ne sent plus la pensée unique du Bounoure originel, mais au contraire des avis très malléables en fonction des circonstances. Le cas des subventions publiques, détestées ou appréciées selon l'humeur, n'en est qu'un exemple. Après avoir défendu un championnat restreint et ultra-professionnel, Briec Bounoure se fait l'avocat quand ça l'arrange d'une première division très élargie à quatre poules géographiques (!) avec un seul match par semaine pour les gens qui travaillent. Puis, lorsqu'il revient dans le Super 16 qui a justement été partagé en deux groupes et ne joue que le samedi pour ménager étudiants et salariés, il retourne de nouveau sa veste pour prôner une poule unique et un plus grand nombre de matches. On se disait autrefois que l'idéologue avait ses idées, d'autres bonnes et d'autres moins, de la gestion du sport qu'il aime, et voilà qu'on découvre que tout ce pourquoi il se bat, c'est son intérêt du moment. Il rejoint en cela la vieille tradition du hockey français qui a toujours été incapable de mettre les besoins particuliers de côté pour l'intérêt général, ce qui fait qu'il est incapable de se prendre en mains et qu'il n'a jamais été capable de s'unir pour peser sur son destin.
Et maintenant ?
On pensait Briec Bounoure assagi, plus discret. Après tout, il avait eu la belle patinoire qu'il voulait, il avait été intégré au Super 16, et une équipe-réserve avait même pu amener quelques joueurs du cru jusqu'en D2. Même s'il était remonté au créneau pour dire qu'il ne respecterait jamais ni un gentleman agreement ni une masse salariale plafonnée, on le laissait tranquille dans son coin, le hockey français ayant des priorités plus importantes. On faisait semblant de ne pas entendre ses nouveaux chantages farfelus, ses menaces de déménager son équipe à Tours. Comme dans le cas de l'enfant qui crie au loup, plus personne n'y prêtait attention.
Mais le financement du club était toujours aussi monocorde. Il suffit de voir les tenues des Albatros. La place du sponsor principal est occupée par Score, société de formation de Briec Bounoure (et dont le logo a le mérite d'être joli, sportif et bien intégré au maillot, ce qui n'est pas le cas de ceux qui suivent), et on recense en plus quatre logos Doux (un en bas du maillot, deux sur les épaules et un sur le casque) et quatre autres de la marque-phare du groupe, Père Dodu (un sur la poitrine, un dans le dos, un sur la cuisse et un sur la jambe). N'a-t-on jamais expliqué aux experts brestois en marketing que la profusion pouvait être parfois nuisible et conduire au gavage ? Peut-être pas au vu des conditions d'élevage desdits poulets, remarquez, il y a une certaine cohérence. Mais y a-t-il encore quelqu'un qui ignore que les Albatros sont financés par Père Dodu ?
Et, plus problématique, cela est-il vraiment recommandable ? Le groupe Doux avait à peu près tous les droits dans le Finistère du moment qu'il maintenait un bassin d'emplois - la panacée de la société moderne. Mais quand il a commencé à licencier à tour de bras et à délocaliser sa production, sa réputation a été vite ternie. Surtout quand un reportage d'un magazine d'information d'une chaîne de télévision nationale (Envoyé Spécial) a mis en lumière les méthodes de Doux, symboliques d'une industrie agroalimentaire quelque peu dévoyée à force de vouloir diminuer à tout prix les coûts pour vendre ses produits le moins cher possible.
Pire, il y a l'effet désastreux de mélanges des genres assez douteux, par exemple lorsque les hockeyeurs ont été utilisés comme gros bras pour briser des piquets de grève d'employés du groupe Doux. Il est évident que lorsque les sportifs se transforment en miliciens, ils ne risquent guère de jouir de la respectabilité de la communauté. Comment s'étonner alors de la frilosité des collectivités locales ? Car il est vrai que le conseil général n'a pas versé à temps les sommes promises, et que la mairie est restée timide dans ses prévisions d'augmentation de subventions. Elle a aujourd'hui d'autres priorités avec la voile, considérée comme l'image de la ville, et le football, car la remontée de Brest en Ligue 2 ravive les passions, au contraire du hockey sur glace qui n'attire toujours pas les foules, lassées des multiples frasques du charismatique président.
Or, plus les difficultés du groupe Doux se sont accentuées, plus Briec Bounoure a été obligé de faire la rallonge avec ses propres deniers. Il est parfaitement compréhensible que cette situation ne puisse pas durer, et qu'il n'ait plus envie de jouer les mécènes ad vitam æternam. Malheureusement, la situation est sans issue, ce n'est que l'aboutissement de la spirale infernale décrite plus haut pour ce club bâti autour de sa personne sans aucun autre recours.
Un club ne peut pas se construire autour d'une seule famille, comme cela a été le cas des Albatros. C'est Briec Bounoure qui faisait le recrutement et même la composition de l'équipe, avec sa façon bien à lui de se faire très rapidement un avis définitif sur un joueur, ce qui a condamné d'emblée pas mal de jeunes Français jugés "nuls" et vite privés de temps de glace sans autre forme de procès. Il court-circuitait pour cela l'entraîneur Sergueï Toukmatchev, fantoche pour ce qui est des seniors, à la manière de Goethals avec Tapie à l'OM paraît-il. Et c'est sa femme, Annick Bounoure, qui gérait au quotidien le club, des équipements à l'accueil des supporters visiteurs, et ne ménageait pas sa peine pour les différentes équipes. Mais, quel que soit son degré d'investissement (et Dieu sait qu'il était grand), un couple ne peut pas porter à lui seul un club qui doit être une affaire collective.
Or, les Albatros n'ont pas d'autre culture club que la famille Bounoure. Ils n'ont pas d'autre âme que Père Dodu. À concevoir son équipe comme une entreprise de spectacle sans base locale et sans lien affectif, Briec Bounoure a nié le besoin d'identité qui fait l'attachement particulier à une équipe afin qu'elle soit adoptée localement - les mouchetures d'hermine figuraient sur le maillot comme un cheveu sur la soupe. Et cela qui plus est dans une région, la Bretagne, qui a fait d'une revendication identitaire dénuée de toute xénophobie son cheval de bataille, dans un souci de préservation de sa culture, vécue comme une expression collective. À force de raisonner uniquement en termes de résultat à court terme, cet aspect a été négligé, et c'est pourquoi les Albatros, cette équipe sans fondations, ne sont pas ressentis comme faisant partie du patrimoine de Brest. C'est pourquoi il ne s'y est pas créé une culture hockey. À choisir entre la découverte ou l'ignorance, pour paraphraser Tri Yann, Briec Bounoure a choisi l'ignorance. Et le public breton a donc opté pour l'indifférence envers ce club sans identité, boudant les tribunes du Rïnkla. Les Albatros pourront-ils se relever de ce second retour à la case départ ?
Marc Branchu