Journal d'un fou... de hockey (5)

 

Cela fait désormais trois mois que le fou est en Russie. Comme le temps passe, ma pauvre dame. Alors je me pose la question (essentielle), mais au fait, quel club je préfère ? (En Russie, évidement, je tiens à en rassurer quelques-uns du côté de Pôle Sud). Suis-je "militariste", "dynamiste", "spartakiste" ou "aile-soviétiste" ?

Géographiquement parlant, je suis dans le quartier du Dynamo, mais comme le Dynamo ne joue pas dans le quartier du Dynamo (vous allez finir par le savoir, à force...), la patoche la plus proche est celle du CSKA. J'ai donc pris l'habitude de me rendre d'un pas allègre et insouciant vers le Palais des Sports de Glace du Club Central Sportif de l'Armée de Moscou, sa statue de Bobrov à l'entrée, ses babouchkas qui vendent des glaces et ses miliciens qui n'aiment pas que l'on mette les pieds sur les horribles bacs plastiques qui servent de sièges.

Petite anecdote musicale. Dès que le CSKA fait son entrée sur la glace, marque un but, ou que l'équipe a besoin d'un petit remontant, le chargé d'ambiance du club balance une petite musique entraînante. Cela fait "la, la, la, la, lalala, lalala..." Vous voyez ? Pas mal non ? Du coup, cette entêtante mélopée est entrée dans ma petite tête. Et me voilà chantonnant avec enthousiasme "la, la, la, la, lalala, lalala..." Et ma femme d'éclater de rire. Pour une native de l'Union soviétique, période Brejnev, cette mélodie n'est pas vraiment inconnue. Au contraire, cela faisait partie de l'enseignement modèle des écoliers soviétiques : c'est l'hymne de l'Armée Rouge ! Voilà autre chose ! Avec l'âge, je deviens militariste et impérialiste sans même le savoir. Ceci dit, quand ils la jouent, toute la patinoire tape dans les mains, je le ferai peut-être la prochaine fois... Allez, si le CSKA se qualifie pour les play-offs, je me lève dans la patoche et je chante à tue-tête ! Promis ! Remarquez, ce n'est pas gagné, car le club de l'armée n'est pas des mieux placés pour cela.

Mais pour revenir à la question du début, c'est vrai qu'à force d'arpenter les gradins du CSKA, j'aime bien cette équipe et je voudrais qu'elle se qualifie, pas uniquement parce que je rentre gratos au CSKA... J'adore l'enthousiasme de Salficky, la motivation de Pronine, l'ahurissant talent et la classe de Razine et la technique du buteur Moziakine.

Mais j'aime bien également le Dynamo (m'en fout, j'ai le droit, je suis français...). Ils ont des joueurs extraordinaires et l'ambiance est la plus proche d'un club occidental, bien loin de la rigueur (raideur même parfois) soviético-militaire de l'organisation du CSKA. Les joueurs tout d'abord. Bien sûr, il y a le phénomène Ovetchkine, qui mériterait de prendre un abonnement, rien que pour lui, mais il y a dans cette équipe du caractère et une manière de jouer qui est agréable à voir. Bien sûr, la base est défensive, comme partout de nos jours, mais il y a suffisamment de talent pour que le spectateur passe un bon moment. Et puis, il y a mon fan-club Alexandre Jdan ! Un fan-club que j'ai créé et dont je suis le président et l'unique membre (c'est plus simple pour les réunions de bureau...) Comme je l'ai déjà écrit à maintes reprises, ce joueur est le modèle du défenseur offensif et spectaculaire. Il est, presque, aussi bon que Steve "Big Moustache" Harrison ! C'est dire ! Bon, la seule chose qui me gêne au Dynamo, ce sont les fanions et maillots retirés des grands joueurs du club qui masquent les tableaux d'affichage. Pas malin !

Mais j'aime bien aussi les clubs de deuxième division (non mais quel faux-c..., ce fou, pas capable de prendre position une bonne fois pour toutes...) j'apprécie le côté "flamme éternelle" entretenu au Spartak et aux Krylia Sovietov. Deux clubs qui n'ont jamais eu les moyens financiers et "politiques" des deux grands clubs de l'armée et du KGB (le Dynamo du temps de l'URSS était le club du ministère de l'intérieur dont dépendait les services de sécurité du KGB), mais qui ont quand même une histoire glorieuse. Les patinoires du Spartak et des KS sont des véritables musées du hockey avec portraits, photos, trophées. J'aime bien ça. D'ailleurs, samedi et dimanche, c'est derby ! Les KS reçoivent le Spartak. Je vais y aller avec une joie non dissimulée (youpi !), surtout que la patinoire des KS est sur la route d'Auchan (le plus grand supermarché de Russie est français, oui môssieur. Sauf qu'ils l'ont rebaptisé "Achan" car en alphabet cyrillique "Auchan" s'écrirait "Ochan" et donc ce serait impossible de mettre le logo de la marque qui représente un "A"), et que samedi, c'est jour de courses au supermarché en Russie aussi ! Alors match à treize heures et remplissage de caddie ensuite.

Mais ne nous éloignons pas du sujet, vais-je "crier" (pas trop fort non plus pour ne pas me faire virer de la patinoire...) "Spartak" ou "Krylia Sovietov" ? En fait, j'aime bien les deux (Ah non ! ça suffit !). Le Spartak a toujours attiré les intellos (c'est tout moi, ça...), car c'était du temps de l'URSS le club des professions intellectuelles, et donc des gens qui voyaient d'un œil critique la dictature. Ce qui est plutôt sympa. Ceci dit, cela ne concerne pas les abrutis qui supportent le Spartak en foot et qui sont aussi bêtes et violents que leurs con-génères des autres clubs moscovites. Et c'est vrai que le Spartak est en tête du championnat et que cela serait sympa qu'il remonte en Superliga. Mais les KS sont également un club légendaire et leur public plutôt sympa et fidèle. Après un début de saison catastrophique (derniers de Vyschaya Liga, après être descendus de Superliga), les Ailes Soviétiques se sont bien reprises et sont désormais en milieu de tableau. Une victoire dans le derby leur permettrait de s'éloigner vraiment des bas-fonds. Après tout, en Vischaya Liga, on joue deux matches en deux jours contre la même équipe, alors une victoire chacun, voilà mon dernier prix.

"Non, mais ça ne va pas, crie le chœur ! Il va falloir qu'il se décide, sinon... on l'oblige à passer une journée avec un électeur de Rodina". Arg non, pas ça ! Bon, je me lance, l'équipe que je préfère, c'est... Je laisse passer un peu de temps pour le suspense... Le Metallurg Magnitogorsk ! L'équipe la plus offensive du pays avec Omsk !

"Non, non, non, cela ne va pas du tout ! On te parle de Moscou, espèce d'âne bâté !" (c'est encore le chœur de moins en moins effarouché, car il n'y a plus de vierges...).

Bon, alors pour Moscou. Pff, c'est difficile comme question...

"Tu as dix secondes..."

Euh, je dis... euh... allez... euh... le Dynamo. Parce que c'est quand même le club qui propose sur Moscou le meilleur hockey ("Tu parles, il ne fait que voler vers la victoire..."). Mais j'aime bien aussi le CSKA, qui me fait à la fois rire (les chemises de Tikhonov...) et me plaît par sa manière de perpétuer son histoire et ses méthodes et par le niveau de ses joueurs, mais j'aime bien aussi les clubs de deuxième div... Pan ! Le chœur a tiré, lassé par l'inconséquence du fou...

Bon ben, il faudra vous en contenter, c'est donc le Dynamilitaire en Superliga et les Ailes de Spartacus en Vischaya Liga...

Ah oui, aussi, j'allais oublier. Le fou, il a découvert un sport qu'il ne connaissait pas... Si ! Le bandy, cela s'appelle. Je savais avant de venir en Russie, que c'était "l'ancêtre" du hockey sur glace et qu'il avait été très populaire dans ce pays, avant-guerre, avant le développement du hockey sur glace soviétique. Mais ce que j'ai découvert, c'est qu'il l'était toujours. D'abord, en Russie, cela ne s'appelle pas bandy mais "hockey avec une balle".

Alors, le bandy, à quoi c'est-y que cela ressemble ? En gros, c'est du hockey sur gazon... sur glace. Cela se joue en plein air sur une glace naturelle aux dimensions d'un terrain de foot, soit sur une centaine de mètres de longueur. Déjà, cela limite son développement géographique : à part en Russie (et plutôt en Sibérie qu'à Sotchi au bord de la mer Noire...), en Scandinavie, au Canada et au Pôle sud (l'autre...), les terres de mission pour le bandy sont plutôt limitées. C'est pour cela que les clubs russes en pointe dans ce sport sont tous situés dans des endroits ahurissants, grand Nord, Extrême-orient etc. Je demande une minute de recueillement pour les pauvres spectateurs qui suivent un match de deux mi-temps de trente minutes par... moins trente ! Après, l'on s'étonne que "l'on" boive en Russie...

Mais le plus "exotique" pour un découvreur de bandy, c'est encore l'équipement des joueurs (onze de chaque côté). Tout d'abord, ils jouent avec une crosse de type hockey sur gazon, du genre toute petite et courbe. Le gardien n'a pas de crosse. Ce qui donne l'impression qu'au bandy, manchot est le gardien (...). En plus, le pauvre gardien est tout seul au milieu d'une cage immense, autant dire que ses chances 1) de survie sont limitées à cause du froid 2) de ne pas prendre de but sont très minces, sauf si Piotr Vorobiev devient entraîneur de bandy.

Ensuite, les joueurs n'ont pas de protections comme au hockey, puisqu'il n'y a ni contact, ni balustrades. En revanche, ils ont sur la tête des casques Jofa avec mentonnière comme dans les années 70-80 en hockey. J'ai l'impression de revoir les frères Leblond !

Bon, alors comme il y a du bandy, enfin du "hockey avec une balle", toutes les deux minutes à la télé, j'ai testé pour vous. Surtout que se déroule actuellement à Krasnogorsk (la jolie montagne), tenez-vous bien, la coupe INTERNATIONALE du gouverneur de la région de Moscou ! Non ? Si ! Avec la Finlande, la Norvège, la Russie et une équipe de la région de Moscou. Alléchant, n'est-il pas ? J'ai tenté de regarder quatre (!) matches. Les trois premiers, je me suis endormi, affalé sur le canapé. J'ai donc pensé que c'était à cause de la fatigue. J'ai donc fait une quatrième tentative... qui s'est terminée plongé dans un bouquin ! Ce n'est pas que ce n'est pas intéressant (je prend des pincettes, après tout, il y a peut-être des fans inconditionnels du bandy sur ce site...), mais bon... C'est très lent par rapport au hockey (cela doit être le fait de jouer sur un terrain aux dimensions du foot, c'est contagieux), les règles ressemblent au hockey sur gazon, qui ne m'a jamais passionné (désolé), et une fois devant la cage, ça canarde dans tous les sens, et comme la balle est minuscule (même si elle est d'un rose très chou...), je ne vois jamais les buts. Bref, c'est pas top-top à mon goût. Pour être vraiment "professionnel", il faudrait aller voir en vrai. Mais l'idée de passer une heure le soir par moins dix pour être placé à 300m d'une petite balle rose... Mais bon, que cela ne vous dégoûte pas d'introduire le bandy en France, mais alors pas à moins de 3000 mètres d'altitude pour avoir assez de glace naturelle...

Tiens, la chaîne "Sport" rediffuse le match (de hockey) Lada-Oufa (0-0), cela signifie que c'est l'heure d'aller dormir... Dans mon enfance, c'était le marchand de sable et Nounours dans Bonne nuit les petits, désormais en Russie, c'est le Lada Togliatti qui sonne l'heure du dodo. Bonne nuit.

Bruno Cadène

 

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