Journal d'un fou... de hockey

 

Suite des chroniques de notre journaliste grenoblois et néo-moscovite, ou les mésaventures d'un Tintin reporter au pays des (ex) Soviets...

 

Alors, ça y est ! J'y suis allé ! J'ai vu mon premier match in situ dans cette extraordinaire Superligue russe de hockey sur glace. Et quelle affiche en plus, le derby moscovite entre le CSKA et le Dynamo ! Les deux grands clubs de l'époque soviétique. Coup d'envoi à 19 heures, on joue tôt en Russie, pas le temps de lambiner au bureau. Heureusement, l'actualité me laisse tranquille en ce jour de semaine. Heureusement, le palais de glace du CSKA n'est pas loin de chez moi, à deux stations de métro. Arrêt station "Aéroport", juste après l'arrêt "Dynamo" justement...

Arrivée devant la patinoire et pas la moindre idée de ce que peut coûter un billet. Renseignements pris au près de supporters, c'est 150 roubles, soit un peu plus de 4 euros 40. Donné pour un salaire occidental... et pour la nouvelle classe moyenne russe, je ne parle même pas des "nouveaux Russes" qui pourraient se racheter la patinoire comme datcha. Bref, c'est parti pour faire la queue. Une foule bon enfant attend patiemment, supporters des deux équipes côte à côte sans le moindre début de commencement d'animosité. Pas même un petit slogan d'intimidation, rien. Même les nombreux miliciens présents (en Russie, la police s'appelle toujours "milice") sont débonnaires, c'est dire. Dix minutes plus tard et 150 roubles en moins, me voilà en possession de mon sésame... Mais revoilà une seconde file d'attente ! C'est pour franchir la grille d'entrée au complexe sportif du CSKA. Première fouille des sacs et vague fouille corporelle. Entrée dans le complexe. Une certaine émotion me prend (eh oui, on est sensible), c'est ici que ce sont gagnés des "tonnes" de médailles olympiques et mondiales dans tous les sports olympiques. Arrivée au pied de l'escalier menant au palais de glace. Troisième file d'attente. Pour patienter, j'admire une statue tout à fait soviétique, en hommage à Bobrov, le plus grand joueur de l'équipe nationale dans les années 50. La file avance et je me retrouve une nouvelle fois face à un milicien qui fouille tout le monde, mais toujours sans agressivité. Je monte les quelques marches... Et nouvelle queue, nouvelle fouille, contrôle des tickets et passage sous un portique détecteur de métaux. Vous allez me dire, pourquoi autant de mesures de sécurité, alors que les supporters sont tranquilles et pacifiques ? Les fans n'ont rien à voir avec cela, la réponse s'appelle "attentats tchétchènes". Depuis l'attentat suicide lors d'un concert de rock et la prise d'otage de Nord-Ost, la ville est sous contrôle permanent. Mais avec le fatalisme qui les caractérise, les Russes prennent cela très bien, sans impatience, sans le moindre grognement. De toutes façons, les Russes sont comme tout le monde, ils n'ont pas vraiment envie d'être pulvérisés par une bombe, alors ils laissent faire les miliciens et les OMONS (forces de sécurité du ministère de l'intérieur).

Bon, c'est pas tout ça, mais du coup, j'ai raté l'hymne russe et le coup d'envoi ! J'espère que je n'ai pas raté de but... Si je savais, pauvre de moi...

Et me voilà dans l'antre des Dieux ! La patinoire du CSKA où personne ne pouvait gagner pendant des années, les années rouges de Viktor Tikhonov et de la KLM ! D'ailleurs, mon premier regard va vers le banc du CSKA pour LE voir. Oui, Buster Keaton est là ! C'est ainsi que les Américains avaient surnommés Tikhonov car il ne souriait jamais. C'était avant la Perestroïka, car désormais, je l'ai même vu plaisanter avec des journalistes à la télé !

Bon, toujours 0-0, je n'ai rien raté. Du coup, je jette un œil aux tribunes. 6 000 places en tout, les deux tiers de remplies à vue de nez. Le hockey ne fait plus autant recette dans la capitale depuis que les "ploucs" de province gagnent tous les ans le championnat. Du côté des supporters "organisés", le Dynamo domine le CSKA. Pas d'ultras ici. Pas de chants, pas de bâches, pas de groupes de supporters. Juste quelques drapeaux et les plus motivés portant le maillot de l'équipe. Les Bleus se contentent de crier des "Dynamo Moskva" lorsque les Rouges scandent "Ts-s-ka". Les supporters sont dans les mêmes tribunes et tout se passe bien.

Sur la glace, le jeu est incroyablement rapide. C'est un régal de patinage et de jeu de passes. On se croirait dans un vieux film d'archives lorsque les professeurs soviétiques venaient donner la leçon aux élèves occidentaux. Il faut dire qu'avec les deux entraîneurs, il ne manquerait plus que leurs équipes jouent à la canadienne ! D'un côté, le maître Tikhonov pour le CSKA, de l'autre côté, l'ancien élève en équipe nationale, Bilialetdinov. Cela joue (très) bien, mais cela ne marque pas. Il faut dire que les deux gardiens sont incroyables et ce depuis le début de la saison. Le Kazakhstanais Eremeïev et le Tchèque Salficky sont infranchissables ce soir. C'est bien ma veine ! 0-0 à la fin du premier tiers, 0-0 à la fin du deuxième, 0-0 à la fin du troisième, 0-0 après les cinq minutes de prolongation (à 4 joueurs contre 4, et l'arbitre ne s'est pas trompé de règlement, et il n'y avait pas a priori de Dijonnais dans la salle... Juste un Grenoblois...)

C'est bien ma veine. Mon premier match et mon premier 0-0 de ma "longue" carrière de spectateur. Pff... Je me promets une revanche.

Samedi 27 septembre, je vais aller voir Dynamo-Avangard. Dynamo est premier, Avangard, le club financé par un certain Roman Abramovitch, a des ambitions de titre depuis des années. Jusqu'à présent en vain. On va voir ce que l'on va voir ! Match à 13 heures, il fait beau, le complexe sportif du Dynamo est à une demi-heure à pied de la maison, c'est parti. J'arrive devant le stade de foot du Dynamo qui fait l'entrée du complexe sportif du club. Tiens, bizarre, pas de supporters, pas de miliciens, rien. Je demande aux chauffeurs de taxi du coin, où se trouve la patinoire du Dynamo. Aucun ne sait ! Bon, j'entre dans le parc du complexe sportif. C'est impressionnant, stade, gymnases, piscine, tennis, etc. Tout sous la main pour "faire" des champions. J'avais déjà connu cela à Berlin, lors de la venue des Brûleurs de Loups en demi-finale de la Coupe Continentale 1998 contre les Eisbären, l'ancien Dynamo de Berlin(-Est). Bref, le complexe sportif est beau, mais la patoche elle est où ? Je demande mon chemin, c'est bien par là, à gauche après le gymnase du Dynamo Basket. Bon, mais pourquoi toujours pas de supporters ? D'accord, je commence à être en retard, mais je ne devrais pas être le seul dans ce cas.

Tiens voilà la patinoire. Re-bizarre, pas de guichets, juste une porte dérobée avec écrit sur un bout de papier "HK Dynamo Moskva". Au moins, ce n'est pas le Dynamo water-polo... Un quidam se tient devant la porte. Je lui demande donc où se déroule le match Dynamo-Avangard. Il me regarde avec des yeux grands comme le lac Baïkal. "En Superliga ?" me demande-t-il. "Da" est ma réponse. "Mais, les professionnels jouent au parc olympique...". "Blin..." est le juron russe qui me vient à l'esprit. Je vous rassure, c'est un juron des plus corrects, du genre "flûte" ou "zut", je ne me serai pas permis sur un site aussi bien tenu. Ceci dit, j'en connais d'autres... Bref. "Olympiskii", c'est à l'autre bout de la ville, dans le parc Loujniki, au pied de l'Université... Et le match est commencé depuis une demi-heure !

Bon, ben, je suis rentré à la maison, pour voir les deux derniers tiers à la télé... Mais le parc du Dynamo est agréable pour se promener en famille, j'y amènerai mes gosses... Le plus rageant, c'est que le Dynamo a super bien joué, gagné 2-0 et se trouve seul leader. Et moi, j'ai eu droit à un 0-0 et à une grosse promenade digestive. Je me vengerai...

Bruno Cadène

 

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