La crise du hockey polonais
L'an dernier, le retour inespéré dans l'élite mondiale pouvait encore consolider le hockey sur glace polonais de ses malheurs domestiques. Maintenant, il n'a même plus cette chance, et la situation est pire que jamais. Un nouveau modèle semi-professionnel pourrait-il être la solution ?
Les maux du hockey polonais sont connus, et déjà éprouvés, mais ils ont atteint un seuil critique. Le bref retour dans l'élite mondiale n'a pas attiré l'attention des médias, et le hockey sur glace est plus anonyme que jamais. "Wizja Sport", la seule chaîne qui retransmettait du hockey, a disparu. Bien sûr, elle n'avait pas les moyens de donner beaucoup d'argent, mais elle offrait au moins une petite vitrine au hockey polonais. Un argument moins pour convaincre des sponsors qui font le plus souvent figure d'arlésienne.
Tadeusz Burzynski, le président du GKS Katowice, résume ainsi la galère que vivent les clubs polonais chaque été : "Nous frappons à toutes les portes. Nous n'osons même pas demander 10000 ou 20000 PLN (respectivement 2500 et 5000 euros) - nous en demandons 1000 ou 2000 (250 ou 500 euros)*. Je ne sais pas ce qui va nous arriver si la ville ne nous aide pas." On a ainsi vu les joueurs se rendre à la mairie en équipement de hockeyeur pour plaider leur cause. Ce genre de coup médiatique désespéré montre bien la situation sans issue à laquelle sont réduits la plupart des clubs. Du coup, hormis le champion Oswiecim et le promu Torun, toutes les équipes sont dans le rouge et n'ont pas de quoi rassembler un budget suffisant pour disputer un championnat complet.
Les clubs ont pris l'habitude de vivre à crédit, et s'enfoncent de plus en plus dans la spirale infernale. Certains tentent de limiter la casse : Sosnowiec a supprimé le poste de manager pour réduire un peu ses coûts, et Tychy a obtenu de sa municipalité des délais de paiement de ses impôts. Mais ce ne sont que des mesures d'urgence, des gouttes d'eau prélevées dans un océan de dettes. Une réduction drastique des budgets serait la seule solution, mais chacun a peur de faire une cure d'économies car cela signifierait une équipe moins compétitive et moins attractive, et donc moins de sponsors.
Beaucoup continuent donc à vivre dans l'illusion, faisant signer aux joueurs des contrats qu'ils n'auront pas les moyens d'honorer, afin de conserver coûte que coûte leur effectif et leur niveau. Certains internationaux n'ont pas été payés depuis un ou deux ans. Certains joueurs se mettent en grève, refusent de disputer les matches amicaux, mais même s'ils obtiennent par ce biais un contrat en bonne et due forme, ce n'est pas pour ça qu'ils verront effectivement la couleur de l'argent promis tellement les clubs sont sur la corde raide. Même en reconduisant les contrats avec d'importantes réductions de salaire (d'un tiers ou de moitié à Katowice par exemple), les clubs ne sont pas sortis d'affaire tellement l'écart entre leurs recettes et leurs dépenses est énorme. Bien souvent, ils commencent la saison sans même avoir effectivement obtenu la moitié des rentrées d'argent nécessaires à leur budget. La quête de sponsors se poursuit donc tout au long de l'année, toujours aussi vaine. Quant aux municipalités, perçues comme un dernier recours, elles sont peu dignes de confiance quand elles commencent à faire du hockey un enjeu politique, ce dont les clubs risquent de pâtir au gré des élections.
On en est arrivé à un stade où les clubs n'espèrent même plus être pouvoir récupérer un peu d'argent grâce aux transferts. Ils rendent au contraire la licence à leur joueur, les délivrant (et surtout se délivrant) de leurs contrats. Quant aux étrangers, il y en a de moins en moins, en partie en raison de la dévaluation de 10% du zloty, mais surtout parce que l'état financier du hockey polonais commence à être connu en dehors des frontières. D'ailleurs, la Pologne ne manque pas de joueurs, elle en aurait presque un surplus, mais le problème est de leur donner les moyens de pratiquer leur passion. Car même si certains espèrent encore par habitude s'abreuver à une source aujourd'hui tarie, l'argent ne coule plus.
Janusz Grycner, le membre délégué au marketing de la fédération polonaise de hockey sur glace, propose une solution, qui passe par l'abandon du professionnalisme au profit du semi-professionnalisme: "Peut-être qu'il est temps d'importer le modèle scandinave mis en place au Danemark et en Norvège, qui ne sont pas du tout des pays pauvres. C'est moins coûteux. La première ligne serait pleinement professionnelle et bien payée. Les deux suivantes seraient semi-pro et auraient un autre emploi à côté. Les joueurs de la quatrième ligne ne toucheraient que les primes de match. Cela créerait une échelle de carrière pour les joueurs, qui auraient les moyens de vivre du hockey en travaillant pour être meilleurs que ceux du premier bloc. La fédération ne doit pas seulement s'occuper de la première et de la deuxième division, mais aussi du hockey amateur."
Pour Grycner, une réforme de ce type serait bénéfique aux joueurs, aux clubs, et au développement du hockey polonais : "Chaque année, l'école de hockey de Sosnowiec forme vingt nouveaux jeunes - de quoi faire une équipe entière. Mais seulement 20% d'entre eux trouvent une place dans un club. Les autres perdent rapidement contact avec le hockey sur glace, c'est du gâchis. Le semi-professionnalisme éviterait de produire des hockeyeurs chômeurs, et la diminution des budgets permettrait à plus de clubs de vivre. Peut-être de nouvelles équipes se créeraient-elles. Actuellement, nous avons plus de patinoires que de clubs, et des villes comme Varsovie, Lodz ou Wroclaw attendent une équipe de hockey depuis très, très longtemps."
Grycner parviendra-t-il à imposer ses vues ? Même si c'est le cas, comment le mettre en place en pratique ? Quoi qu'il advienne et quelle que soit la voie choisie, le hockey polonais n'échappera pas à une profonde remise en cause, aussi profonde que la dette cumulée de ses clubs.
Marc Branchu (grâce aux informations transmises par Andrzej Grygiel)
* Le salaire moyen d'un joueur est de 25000 PLN (6250 euros) par an.