Besançon, un risque calculé ?

 

Compter sur la bonne volonté des gens pour instaurer les règles d'une compétition équitable n'est pas chose facile. La tentation de contourner un règlement pour prendre un avantage compétitif est forte, surtout dans la culture latine. On le voit avec la difficulté de mettre en place un gentleman agreement sur le nombre d'étrangers en France et en Italie. Il est étonnant de constater qu'en Allemagne, en Autriche ou aux Pays-Bas, autres pays de l'Union Européenne, on ne se pose même pas la question de savoir s'il faut respecter la limitation du nombre d'étrangers, cela tombe sous le sens, arrêt Bosman ou pas. On discute et on débat avec acharnement avant, quand il s'agit de fixer la règle, mais quand celle-ci est entérinée, elle est unanimement suivie.

Cela ne se passe pas ainsi dans les pays latins. Du moment que la peur du gendarme n'agit pas (puisque l'arrêt Bosman sert de bouclier), certains n'ont aucun scrupule à balayer d'un revers de main une règle édictée pour le bien commun. Et, dès que le loup entre dans la bergerie, l'effet se propage. C'est ce qu'on observe dans le nouveau Super 16. La tâche de Luc Tardif, maintenant en charge du hockey français, n'était pas simple. Il fallait intégrer dans une élite à six étrangers des clubs venant des divisions inférieures paradoxalement complètement déréglementées, par manque de temps et de volonté. On a donc fixé la barre très haut, pensant qu'avec huit étrangers, chacun pourrait s'adapter et voir venir.

Mais c'était oublier que Briec Bounoure, par posture idéologique, se refuserait forcément, comme il l'avait annoncé, à se plier à un règlement sportif fédéral. Et, dans la mesure où il existait une exception, les autres clubs se sentaient moralement beaucoup moins enclins à se tenir à la règle. L'excuse du "Monsieur l'agent, puisque d'autres le font, pourquoi pas moi ?" est connue, c'est le même genre de raisonnement qui permet de "justifier" le dopage, la corruption, etc. Puisque Brest ne faisait pas d'efforts, la tentation de la facilité a rapidement gagné Tours, et, puisque deux concurrents avaient dès lors décidé de contourner la règle, Besançon a pu annoncer plus confortablement qu'il ferait de même.

Pour autant, cette politique ne s'accompagne absolument pas du discours rentre-dedans d'un Briec Bounoure, au contraire. "Toute évolution passe par la création d'un contexte de mineurs. Quelles que soient les futures réformes concernant les joueurs étrangers ou la hauteur des budgets, la formation des jeunes est notre seule issue" explique ainsi l'entraîneur Alain Pivron dans l'Est Républicain. Le club bisontin paraît donc lucide sur le long terme, qui sera seul juge in fine. Mais c'est à court terme que l'incertitude demeure.

Au quotidien, les pratiques de Pivron sont plus soucieuses de la rentabilité immédiate que des projets sur cinq ans. Comme Robert Millette à Tours, c'est un entraîneur qui a volonté recours aux périodes d'essai et qui ne considère aucun recrutement comme acquis. On l'avait déjà observé l'an passé avec Andreï Shchevelev, qui avait ensuite fait le bonheur de Dunkerque. Le discours maintient donc les joueurs sous pression, même si dans les faits les mouvements ne seront peut-être pas en pratique si nombreux que ça, car on espère que la menace sera plus efficace que sa réalisation effective.

C'est d'ailleurs à souhaiter pour les Séquanes, car ils auront déjà fort à faire pour rebâtir un collectif. Seuls cinq joueurs sont conservés dans l'effectif, dont les deux gardiens, l'incontournable Stéphane Menard et sa doublure Risselin. Les deux joueurs français Benoît Sibon et Frédéric Loureiro sont également conservés (alors que même le capitaine Yvan Jurzynek a été contraint de partir), mais c'est par contre le grand ménage chez les joueurs étrangers, qu'on a préféré remercier en bloc pour recruter une classe au-dessus. Seule exception chez les joueurs de champ, le buteur Teemu Kohvakka, dont les qualités n'avaient pas échappé à Angers (qui avait été battu à Besançon en demi-finale de Coupe de France). Mais, alors qu'on pensait son transfert acquis, Besançon a réussi à garder ce joueur très convoité, le recrutement de son ami Mikko Inkinen (champion de British National League avec Dundee) y étant probablement pour quelque chose. Les noms de Lahtinen (ex-Anglet) et Viherva (autrefois à Caen) avaient circulé, mais le troisième Finlandais sera finalement un nouveau venu en France, Mikko Niemi.

Petite nouveauté, une touche québécoise en attaque. D'une part avec Sylvain Favreau, dont le grand-père est français et qui a donc l'intention de demander sa naturalisation (naturalisations qui sont une autre façon de détourner le gentleman agreement, de façon juste un peu plus hypocrite mais sans rien changer au fond du problème), et d'autre part avec Philippe Tremblay, un joueur qui était sur les tablettes rouennaises et dont on attend beaucoup.

Enfin, autre école représentée, celle de l'est. Outre le défenseur slovaque Duda, Besançon s'est avancé en terrain connu en allant rechercher ses bourreaux de l'an passé en play-offs de division 1, à savoir trois Spinaliens. David Vorel s'est bien relancé en N1 et il sera intéressant d'observer son au niveau élite. Drzik en défense et Kadlec en attaque sont également des renforts appréciables.

Dans tout cela, il ne faut surtout pas oublier les recrues françaises : Julien Aubry, qui, à Viry comme à Mulhouse, a progressé année après année, son ex-coéquipier castelvirois Cyril Trabichet qui redescend de Megève, et Alexis Billard qui espère que le contexte sera plus favorable qu'à Rouen à son épanouissement, ce qui sera à voir. Quant à Thomas Duménil, qui avait été formé à Rouen mais avait vu sa progression stoppée par une grave blessure au genou (survenue en jouant au... foot entre copains), il apportera l'expérience de l'élite qu'il a acquise avec Mulhouse.

Pour vraiment juger cet effectif, il faudra sans doute attendre la première journée et le déplacement à Tours. C'est une équipe pas encore au complet qui a entamé sa préparation contre Dunkerque (5-2 et 2-2), et les adversaires comme une sélection universitaire canadienne (balayée 6-0) ou un club de 1è ligue suisse, les Young Sprinters de Neuchâtel (16-4), sont de trop faible niveau pour constituer un étalon valable.

La qualification en poule finale, l'objectif avoué de Besançon, est-elle envisageable ? C'est bien sûr la grande question. Le plus difficile pour Pivron sera de mettre en place les premiers automatismes le plus vite possible, mais également de créer un esprit d'équipe. L'amalgame devra se faire très rapidement, car les premiers matches seront déjà décisifs dans une poule nord très relevée. Alain Pivron assume le risque que représente la maigreur de l'effectif, notamment en défense. Comme il faudra de toute façon que tout se passe bien pour avoir une chance d'être dans les quatre, il part du principe qu'il n'y aura pas de blessures, faisant le pari de la qualité au détriment de la quantité.

Mais il est un autre domaine dans lequel on souhaite que Besançon n'ait pas trop pris de risques, et c'est bien sûr le domaine financier. Le club franc-comtois a été le dernier accepté en Super 16, et sa présence a été conditionnée par l'obtention d'un prêt bancaire. C'est un petit peu inquiétant car il est trop jeune à haut niveau pour avoir l'excuse d'une dette passée contractée par d'autres gens, en d'autres temps, par d'autres mœurs... Maintenant que la priorité est l'assainissement économique du hockey français, il serait très dommage que Besançon vienne s'ajouter à la trop longue liste de clubs qui voulaient tout casser mais ont eu les yeux plus gros que le ventre. La fédération a promis un contrôle continu de la situation financière des clubs, on espère qu'il sera efficace et saura agir à temps pour prévenir tout problème.

Marc Branchu

 

 

PS : Comme il l'a fait l'an dernier avec Peter Svenk, Alain Pivron a finalement viré son meilleur buteur de la saison précédente pour des problèmes de dynamique du groupe à seulement quelques jours de la reprise. Teemu Kohvakka, puisque c'est bien de lui qu'il s'agit, n'a pas l'état d'esprit qui convient, tout comme son compatriote Mikko Niemi. Finalement, les menaces évoquées plus haut ont été appliquées, et ces deux départs-surprise seront compensés par les mises à l'essai et du défenseur suédois Daniel Samuelsson, qui prendra la place de Niemi, et de Mike Galati, un attaquant italo-canadien drafté par Chicago en 1996 et qui a terminé l'an passé meilleur buteur de la première division... belge !

PPS : Kohvakka a finalement été repris dans l'effectif après un essai non concluant à Brest. Selon les versions, c'est soit parce que le joueur a présenté ses excuses et a accepté une réduction de salaire, soit parce que Pivron a été forcé par la direction du club qui aurait de toute manière dû payer le salaire du Finlandais, qui avait un contrat en bonne et due forme.

 

 

Départs : Brinckö (Mulhouse), Mickelsson (VG-62 Naantali, FIN), Jurzynek, Sinkkonen, Tuaillon, Pohanka, Edinger, Pommier, Querrec, Rautalin, Riekko, Franck, Moss, Frasier.

Arrivées : Tremblay (Université Trois-Rivières, CAN), Favreau (Canada), Inkinen (Dundee, GBR), Niemi (Finlande), Aubry (Mulhouse), Duménil (Mulhouse), Vorel (Épinal), Drzik (Épinal), Kadlec (Épinal), Duda (Slovaquie), Billard (Rouen), Trabichet (Megève), Samuelsson (Université Nebraska-Omaha, USA), Galeti (Louvain, BEL).

Effectif

Gardiens : Stéphane Ménard (CAN), Jean-François Risselin.

Défenseurs : David Vorel (TCH), Lubomir Duda (SVK), Thomas Duménil (FRA), Mikko Niemi (FIN), Jozef Drzik (SVK), Daniel Samuelsson (SUE).

Attaquants : Julien Aubry, Alexis Billard, Cyril Trabichet, Mikko Inkinen (FIN), Teemu Kohvakka (FIN), Frédéric Loureiro da Fonseca, Benoît Sibon, Sylvain Favreau (CAN), Philippe Tremblay (CAN), Karel Kadlec (TCH), Mike Galati (ITA/CAN).

Entraîneur : Alain Pivron.

 

 

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