Play-offs et prises de bec
L'amitié entre les supporters et les bonnes intentions peuvent-elles résister à des play-offs aussi tourmentés ? On peut se poser la question après les polémiques qui ont entouré les demi-finales.
Les supporters de Rouen et Grenoble étaient les premiers en France à s'être rapprochés à travers des actions communes, avec dans l'idée de monter une amicale nationale des supporters. Mais cette union est aujourd'hui menacée par le déroulement de la demi-finale Rouen-Grenoble, chacune des deux parties étant persuadée de tenir de bons motifs de divorce.
Après une première manche à sens unique, la conclusion du deuxième match a enflammé les esprits. Les deux équipes étaient à égalité quand une double infériorité numérique décidant du sort de la rencontre déclencha l'ire des Isérois. Et, en déplacement à Grenoble, les supporters rouennais ne se sentirent pas accueillis aussi bien que d'habitude, notamment en raison d'un éditorial du président des Irréductibles dans le journal des supporters, qui a été même qualifié d'"appel à la haine" par certains Rouennais. Le terme était largement exagéré, mais il est vrai que le texte, hautement chauvin, accusait sans sourciller les Rouennais d'avoir acheté l'arbitre. Fait inhabituel, on entendit aussi moult insultes dans les tribunes de Clémenceau.
Le cinquième match n'a fait que mettre de l'huile sur le feu. Du côté rouennais, on retient le traitement réservé à Jokiharju et Genest par des Brûleurs de Loups accusés de chercher à casser l'adversaire, alors que du côté grenoblois, le déséquilibre entre les sanctions à sifflées l'encontre de Bussat et Pouget attise encore leurs critiques sur l'arbitrage. L'action litigieuse se déroule en fin de deuxième tiers : Fougère est blessé par un coup de crosse dans le dos de Thomas Bussat, et Pouget, hors du jeu, descend du banc pour charger le Rouennais et rendre sa justice. Une pénalité de match on ne peut plus justifiée sanctionne l'acte inqualifiable de l'ex-international (qui n'a pas que des amis à Rouen, depuis qu'il a traité ses coéquipiers de "chèvres" en pleine finale de championnat pour sa seule saison chez les Dragons), mais Bussat n'est pénalisé que de deux minutes.
Chacun voit midi à sa porte, et stigmatisera telle ou telle action... Gageons cependant que ces discussions passionnées se règleront à froid entre les amis d'hier. Il n'est pas nécessaire que se crée une rivalité entre ces deux clubs identique à celle qui a opposé Grenoble et Amiens, et qui a parfois pris des proportions exagérées.
Paranoïa contagieuse
Cette demi-finale Rouen-Grenoble avait focalisé l'attention dès la fin des quarts de finale, mais l'autre série rappelait bien rapidement son existence. En cause, la lenteur des décisions de la fédération, mais ce n'est pas nouveau, il suffit de voir l'affaire des licences en division 2 cette saison. Ainsi, une plainte portée en fin d'année 2000 par les Amiénois pour un coup de crosse de Slavomir Vorobel sur Dominic Chiasson (cinq dents cassées et une mâchoire fracturée) aboutissait finalement juste avant ces demi-finales. Vorobel était suspendu jusqu'au 31 décembre, et Anglet se voyait privé d'un de ses meilleurs joueurs avant les demi-finales, alors que Lionel Bilbao était déjà blessé et indisponible.
Dans leur malheur, les Angloys avaient de la chance : le temps mis par la commission de discipline pour prendre sa décision (partant à la recherche des images de France 3 Picardie, les visionnant, attendant l'appel avant de rendre le verdict définitif) jouait en leur faveur. Le geste de Vorobel étant synonyme de très longue suspension, Vorobel aurait de toute façon raté la fin du championnat ; mais finalement, il a pu jouer jusqu'en quart de finale et qualifier Anglet pour la première demi-finale de son histoire.
Car c'est là que le bât blesse : le club basque, en pleine euphorie, vivait un moment historique. La fièvre des play-offs gagnait La Barre, où tout le monde n'était pas habitué à de si hautes températures. La décision fut vécue comme une injustice, et il n'en fallait pas plus pour crier au complot. Voilà la nouvelle mode dans le sport : on pourrait parler de la marionnette de Marie-José Pérec aux Guignols de l'info, poursuivie par les Chinois du FBI. Mais, plus prosaïquement, il suffit de regarder le championnat de France de football : les supporters de l'Olympique de Marseille ne vivent-ils pas en permanence dans un confort paranoïaque, convaincus que tout le monde en veut à leur club ? Ce syndrome gagne maintenant Saint-Etienne, avec l'affaire des faux passeports. Inutile dès lors de faire appel à des arguments rationnels, de signaler que ces clubs s'en sont souvent bien sortis par rapport aux risques encourus après certaines de leurs fautes... De même, Anglet a bénéficié d'une suspension dont le retard a été utile, et de l'opportunité d'un dépôt de bilan "en douceur" sans rétrogradation l'an passé. Pas de quoi se plaindre des hautes instances...
Le hockey se mettrait donc à reprendre certains travers du football ? La rançon du succès, diraient certains. Le problème, c'est que le hockey n'a pas le succès, seulement la rançon. Il pourrait également diffuser une meilleure image : un néophyte qui aurait regardé la finale du championnat l'an dernier sur Pathé Sport s'est étonné de voir les joueurs rémois exprimer autant de rancœurs dans leurs commentaires d'après-match, plutôt que de savourer leur victoire.
Dirigeants complices
Le problème, c'est que les dirigeants se plaisent souvent à attiser les braises et à expliquer à qui veut l'entendre que leur club doit lutter contre des ennemis de tout poil, contre l'adversité, et contre tous les moulins à vent qu'ils peuvent trouver. C'est Alain Bedere, le vice-président d'Anglet, qui a donné l'ordre à ses joueurs de refuser le jeu au début du premier match de la demi-finale, et qui est responsable du spectacle lamentable proposé ce soir-là à Bocquaine, qui porte un grave coup à l'image du hockey. Mais c'est aussi Charles Marcelle, le président de Reims, qui refuse de délivrer des places pour les supporters basques qui avaient prévu de se déplacer au match décisif. Le fait d'avoir été les dindons de la farce n'excuse en rien une telle vengeance de bas étage. La colère et la frustration des supporters basques, déjà agacés par les rumeurs disant que Reims aurait déjà ouvert les réservations pour la finale après les deux premières rencontres. En revenant un peu en arrière, c'est Thierry Chaix, le président de Rouen, qui refuse de payer les arbitres pour se faire la voix de la contestation sur la compétence et l'impartialité des zébrés. Mais ce n'est pas au moment de rétribuer les arbitres qu'on lance un tel débat. Et voilà autant d'exemples de dirigeants outrepassant leurs fonctions.
Force est de constater que le délire de persécution est une bonne source de motivation, si l'on considère la manière dont les joueurs d'Anglet ont retourné la situation pour se qualifier. Espérons que les dirigeants opportunistes ne décident pas d'en user et d'en abuser pour améliorer les résultats de leurs troupes.
La tension retombera-t-elle en finale ? Anglet va changer d'adversaire, cela aidera peut-être puisque certains supporters n'avaient pas hésité à accuser Reims d'avoir la FFSG à ses ordres et d'avoir fomenté la suspension de Vorobel. Espérons que l'état d'esprit sera plus festif, pour que l'exploit des Basques atteignant à la surprise générale la finale soit célébré à sa juste valeur.
Marc Branchu