Mémoires de Juhani Tamminen

 

L'entraîneur qui a conduit l'équipe de France à son premier quart de finale en championnat du monde (1995) est devenu un expert reconnu de la télévision finlandaise MTV3 pour laquelle il commente tous les championnats du monde.

Avant la France

Vous savez, j'aime ce jeu. J'ai commencé à jouer en 1966 et le hockey est pour moi une profession depuis environ 50 ans. Quand je jouais pour l'équipe de Finlande - j'y ai joué 13 ans, entre 1969 et 1982 - la Finlande était dans le groupe A et la France en groupe B ou C. Je la suivais. Je me demandais pourquoi des pays comme la France, l'Italie ne pouvaient pas devenir meilleurs en hockey. Les deux sont des pays riches. Et le hockey est un sport qui nécessite d'être riche car il faut des patinoires, l'équipement. Quelques années plus tard, la France a organisé le Mondial B à Megève et j'y suis allé en tant qu'entraîneur de la Suisse, car je coachais en Suisse à Sierre. Je voyageais beaucoup et c'était très proche. Je venais de faire monter Sierre de LNB en LNA. Cela a été vu comme une sensation en Suisse et j'ai été nommé coach de la Suisse. Alors j'ai vu la France se développer.

Le monde du hockey est un petit monde, vous savez. Je coachais la Suisse aux JO d'Albertville et la France avait un grand coach à cette époque Kjell Larsson et nous avions une grosse rivalité entre la Suisse et la France, presque comme la Suède et la Finlande. C'était une belle opportunité.

L'équipe de France

En 1994, j'ai été invité par Philippe Lacarrière lors d'une assemblée générale à Toulouse. J'ai fait connaissance avec MM. Bernard Goy et Patrick Francheterre et j'ai signé pour l'équipe de France.

Patrick Francheterre était un excellent manager et nous avions une jolie génération de joueurs, Bozon, Pouget, Richer, Poudrier, Ylönen. Nous savions que nous avions une équipe talentueuse. Alors nous avons mis en place un vrai programme, qui démarrait tôt dans l'été. Des camps d'été. Ensuite j'ai visité les clubs. J'ai utilisé mes contacts pour avoir des matches au Canada, en Finlande, pour vraiment préparer l'équipe.

Et soudain nous étions au Mondial. Il y avait un groupe à Gävle et un à Stockholm. Premier match, première sensation : nous battons l'Allemagne 4-0. Tout le monde s'est dit "WTF ?"

Deuxième match:  nous battons le Canada 4-1. Ce qui était vraiment une sensation au niveau mondial. Toutes les caméras ont commencé à se braquer sur nous. La télévision suédoise, finlandaise, canadienne se posent des questions. Ensuite nous battons la Suisse 3-2 et après 3 parties nous sommes déjà qualifiés pour les play-offs.

Nous finissons troisième du groupe et la Finlande finit deuxième dans le groupe de Stockholm. Et l'idiotie du calendrier fait que nous jouons l'Italie à Gävle et disposons de seulement 16 heures de récupération avec le trajet pour Stockholm, alors que la Finlande a presque 3 jours de repos.

Nous avons tenu 30 minutes à 0-0. Je vous le dis : si nous avions eu les mêmes conditions, nous étions vraiment proches de battre cette putain d'équipe de Finlande qui a gagné la médaille d'or. Mais nous avions des joueurs lourds, comme Lemoine, Richer, etc. Ils avaient la trentaine. Avec la récupération nécessaire, faire les bagages, etc. Nous avons tenu 30 minutes, Lemoine a une échappée, Pat Dunn aussi, mais ils ne marquent pas. Myllys dans la cage finlandaise était fantastique.

La tactique

J'ai inversé notre stratégie car je voulais surprendre les autres pays. Sous l'ère Larsson, qui était suédois, le jeu était très défensif, vous savez, ne pas commettre d'erreurs, se battre derrière le puck, etc. Quand je suis venu, au premier camp à Albertville où nous invitons les 55 meilleurs joueurs, je vois des joueurs qui savent patiner, qui débordent d'énergie, alors en tant que nouveau coach, je voulais en tirer avantage.

Mon premier match était au Canada lors d'une tournée de 5 matches. Premier match à Calgary, nous les battons là-bas 5-1. Tout le monde voyait le message. J'avais un style agressif. Je voulais presser à cinq joueurs. Ça a choqué. Mais au Mondial, l'Allemagne s'attendait à ce qu'on joue défensif et passif. Ils n'ont eu aucune chance.

Ma philosophie était claire dès mon premier entretien avec Francheterre. Je vais changer la mentalité de l'équipe parce que nous avons l'enthousiasme, des qualités de patinage suffisantes. Et les joueurs ont adoré. C'est mon style. J'appelle cette tactique le pressing sur 60 minutes. Le style Tamminen.

Le livret "300 minutes pour gagner"

J'ai toujours eu un livre de jeu. J'avais préparé un livret de jeu appelé "300 minutes pour gagner" avant le Mondial. J'étais un entraîneur d'expérience en prenant la France, notamment avec TPS Turku, Sierre, la Suisse. Je savais que faire et j'ai toujours eu un livre de jeu appelé "le pressing sur 60 minutes". Je l'ai adapté : nous avions 5 matches. Et nous l'avons fait. Les joueurs ont bien aimé, ils savaient comment utiliser ce qu'ils avaient. Bozon, Dunn, Poudrier, Ville, Pajonkowski, Barin. Ils volaient sur la glace. Encore une fois avec une journée de récupération en plus, nous pouvions battre la Finlande, devenue championne du monde !

L'héritage

Nous venions d'entrer dans le niveau d'élite. Tout le monde savait que la France avait fait un grand pas en avant et ça a dynamisé la popularité du hockey dans le pays. Avec Patrick Francheterre, nous avons visité les clubs, nous avons rencontré les coaches, par exemple Dave Henderson à Amiens, et nous avons senti que l'enthousiasme était en train de venir parmi eux.

Naturellement depuis lors, j'ai suivi de très près le hockey français. Je reste en contact avec des Français ou des amis en France. Aujourd'hui même j'étais en contact avec l'un de mes meilleurs amis au hockey et coéquipier en équipe nationale Juha Rantasila, il habite Nice, qui joue en division 1, et quand je lui rends visite, nous allons toujours voir des matches de l'équipe de Nice.

Yohann Auvitu

À mes yeux, Auvitu est le meilleur défenseur offensif de toute la Liiga. Pas seulement à HIFK. Je le suis tous les jours. Quand je discute avec le staff des différentes équipe sde Liiga, je leur dis souvent : prenez des joueurs français. Les Français ont des qualités. Ils ont plus d'enthousiasme, ils veulent apprendre, etc. Et Auvitu en est le meilleur exemple. Il est aujourd'hui le meilleur commercial pour les hockeyeurs français, et pas seulement pour le marché finlandais.

Comment franchir le palier suivant pour la France maintenant ?

À mon avis, le plus évident, c'est déjà la structure des clubs. Elle doivent être plus sérieuses. Quand on fait des beaux programmes pour le hockey, il faut aussi en assurer la promotion derrière. Parce qu'en France vous avez beaucoup d'autres sports majeurs, le football, le vélo, etc... Il faut être plus attirant pour les enfants que le football, le basket, etc. Donc davantage promouvoir notre sport, pour avoir davantage de jeunes.

Ensuite, il faut reconnaître que les heures de hockey dans les emplois du temps [des patinoires] sont terribles. Le patinage artistique a souvent les meilleurs créneaux, et parfois on dit à des jeunes autour de Paris de s'entraîner à 22h. Oubliez ! C'est une question de structure et de management.

Deuxièmement, il faut naturellement des entraîneurs. Je pense que les meilleurs entraîneurs sont compétents. Mais les entraîneurs des catégories mineures devraient être envoyés dans des écoles en Finlande, en Suède, partout où est dispensée la meilleure formation.

Les modèles finlandais et suédois

Nous avons gagné en U18, en U20, nous sommes tout proches de gagner en seniors. Laine, Aho, Puljujärvi. Ça signifie que notre programme fonctionne et je suis l'un de ceux qui ont mis en place ce programme à Turku. La France doit former ses coaches des juniors. Et s'ils veulent quelqu'un pour le faire : appelez-moi !

Les joueurs français actuellement, s'ils sont bons à 17/18 ans, doivent partir en Suède ou en Finlande pour recevoir la formation qu'ils n'ont pas encore reçue.

Il y a du talent en France, avec ce temps de glace et le faible nombre de coaches de qualité, ils ne peuvent que se développer à l'étranger. Mais ce serait possible aussi de mieux former ces talents aussi en France. S'il y a besoin d'aide dans ce domaine, je le répète, ils peuvent appeler l'ancien entraîneur de l'équipe nationale.

Le Mondial 2016 en Russie

Ce fut un grand tournoi. Pourquoi ? Déjà parce qu'en Russie tout le monde aime le hockey. C'est très important. Ensuite le niveau a été très bon. Et enfin la Finlande a été très bonne. Un match comme aujourd'hui [jour de la demi-finale Finlande-Russie] nous faisons 2,5 millions de téléspectateurs. C'est la moitié de la population du pays. Chaque foyer regardait le match. C'est notre sport national.

Je garde un meilleur souvenir du deuxième titre de la Finlande en 2011, car pour le premier titre en 1995, j'étais un rival.

Le Mondial 2017 en France

Quand j'ai signé mon contrat de consultant télé, j'ai dit à mon boss, je veux un contrat jusqu'en 2017, parce que je veux vraiment voir des matches à Paris. Ce n'est pas grave si le sport n'est pas très populaire. Nous avions un rêve avec Patrick Francheterre d'amener un jour un match à Bercy. Surtout un France-Canada. J'étais 100% sûr que ça remplirait la patinoire, ne serait-ce qu'avec tous les Nord-Américains qui vivent à Paris. C'était une vision que nous partagions. Des grands moments, des bons souvenirs...

Propos recueillis par Benoît Mantel, 21 mai 2016

 

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