Mémoires de Calixte Pianfetti

 

Les débuts

Je suis né à Flumet, en 1926. Je suis arrivé à Chamonix deux ans plus tard, pour ne presque plus jamais en repartir.

À l'école, nous avions deux sections sportives, l'une en ski et l'autre en hockey. Et le directeur préférait le hockey... Nous étions les Pupilles de Chamonix. C'était les Bleus contre les Jaunes. À l'époque des Pupilles, j'ai joué avec Marcel Carrier, Jean Payot et René Giacomotti. Tous de futurs grands joueurs.

Au début, je faisais les deux, ski et hockey. En fait, dès que j'ai su marcher, j'ai commencé à patiner. Pour le ski, on avait construit un tremplin. C'était à celui qui sautait le plus loin. Justement, un jour, je suis allé trop loin. J'ai atterri au-delà de la pente de réception, sur le plat. Et je me suis cassé une jambe. Mon père m'a pris mes skis. Il les a sciés et les a jetés dans la cheminée. C'est comme ça que le hockey s'est imposé à moi.

Le hockey au début des années cinquante

J'ai commencé avec l'équipe-réserve de Chamonix à 16 ans. J'y ai gagné mon premier titre national. Cette équipe devait former les futurs joueurs et les amener jusqu'en Première Série, où j'ai débuté deux ans plus tard, à 18 ans.

On travaillait comme des fous, à côté du hockey. 48 heures par semaine. Pour moi, le hockey a toujours été un dérivatif. Un peu comme des vacances. Dès que j'avais un moment de libre, j'étais à fond dans le hockey.

C'était un sport très dur. On n'avait pas de casque. Les protections ne servaient pas à grand-chose, pas comme maintenant. C'était la bonne époque...

Dans ces années-là, le championnat se jouait entre Chamonix et les équipes parisiennes. L'ACBB, le COB, les Français Volants... On n'était pas trop jaloux de la montée en puissance des clubs parisiens. Il y en avait toujours pour dire qu'ils avaient plus d'argent, qu'ils pouvaient se payer des étrangers, qu'ils faussaient le championnat. Mais finalement, on gagnait assez souvent. Et ça, on le vivait assez bien. Les Parisiens venaient en tournée dans les Alpes, chaque année. L'inverse était plus rare. Ils avaient de très bons joueurs, ils étaient plus structurés. Mais sur la glace, c'était vraiment du 50/50.

Ici, on jouait toute la saison contre des équipes des Alpes. Saint-Gervais, Briançon et Villard-de-Lans, surtout. Et puis contre les Suisses de Martigny, aussi. Plus tôt, en 1944, on a joué contre les troupes américaines stationnées dans la région.

À l'époque, on jouait en extérieur, sur de la glace naturelle. En cas de redoux, les patins s'enfonçaient... Où alors, il fallait faire avec la neige, le vent, les températures polaires. La patinoire artificielle est arrivée bien après.

J'ai été dix fois champion de France avec Chamonix. On avait une petite médaille de rien du tout. Je crois bien ne plus en avoir une seule...

Villard-de-Lans

Il y a eu un stage à l'INSEP regroupant tous les meilleurs joueurs des Alpes pendant une semaine. J'y ai retrouvé un ami, Daniel Huiller, qui évoluait à Villard-de-Lans. Il m'a proposé de venir jouer dans le Vercors. À Chamonix, les anciens ne voulaient pas trop laisser la place aux jeunes en Première Série. J'avais du mal à faire mon trou. J'ai accepté, à condition qu'il me paye un peu, histoire d'avoir de quoi vivre, puisque je devais du coup quitter mon poste d'ouvrier à Chamonix.

J'y suis resté deux saisons (1948/49 et 1949/50). C'était sensationnel. Dans l'équipe, il y avait une camaraderie qui n'existait pas à Chamonix. Une ambiance formidable. Je partais à Villard-de-Lans pour deux mois. Le président m'hébergeait, ou il demandait à un hôtel de m'accueillir quinze jours...

J'y étais à la fois joueur et entraîneur. Mais à l'époque, l'entraîneur était sur la glace, avec les joueurs. On faisait un petit match et j'apportais quelques corrections. J'étais plus une sorte de responsable de l'équipe, et j'essayais de trouver la place de chacun sur la glace. Du coup, je jouais arrière pour superviser tout le monde. On tournait à deux ou trois défenseurs. Je quittais rarement la glace.

J'ai quitté Villard-de-Lans avec beaucoup de regrets. Mais j'ai monté ma propre entreprise à Chamonix. Il me fallait rentrer. J'ai encore beaucoup d'amis là-haut.

L'équipe de France

J'ai passé quinze ans en équipe de France, de 1950 à 1965. J'ai fait mon premier championnat au Vel d'Hiv, à Paris, en 1951. Les Mondiaux et les championnats d'Europe étaient organisés en même temps. Nous, nous faisions les Europe. C'était un grand honneur. On était aux anges. Rien que le fait de venir à Paris... Vous savez, à l'époque, on ne voyageait pas beaucoup.

Je suis devenu capitaine de l'équipe en 1955. Pendant un stage d'entraînement, quelqu'un de la Fédération, sans doute le président, en a décidé ainsi. J'étais déjà capitaine à Chamonix. Et on était huit du club en sélection à ce moment-là. Avoir le C en équipe de France, c'était un grand honneur. Je l'ai gardé jusqu'en 1962. Ensuite, j'ai laissé la place aux jeunes. Les Jean-Claude Guennelon, Alain Bozon...

Je me souviens d'une anecdote assez cocasse. Avant un championnat du monde, la Fédération nous a donné des blousons pour que nous soyons tous habillés de la même façon. On les a gardé pendant 15 jours. Quand on est rentré à Paris, la Fédé nous a demandé de venir à son siège. On nous a fait asseoir autour d'une table et on nous a juste dit de laisser le blouson sur la chaise et de partir. Ces blousons, on ne les a plus jamais revus. C'est symptomatique de la façon dont tout fonctionnait avant.

À mon époque, il n'y avait que des Français en sélection. J'ai arrêté de suivre ses résultats quand, sur 18 joueurs, il y avait 12 naturalisés.

Un jour, j'ai voulu aller voir un match France-Italie. On a laissé rentrer des gens qui ne connaissaient rien au hockey, sous prétexte qu'ils étaient journalistes, alors que c'était faux. Ils ne l'étaient pas plus que moi. On ne m'a pas laissé passer, j'ai dû payer ma place. Et ça m'a déçu. Pas pour une question d'argent. Mais mon amour-propre en a pris un coup. J'ai donné bénévolement dix ans de ma vie à cette équipe, et je voulais juste aller saluer d'anciens coéquipiers. Et je n'ai pas pu le faire.

Les renforts canadiens

Pete Laliberté jouait à l'ACBB. C'était un bon joueur. Mais quand il venait à Chamonix, il ne la ramenait pas trop. Une année, il nous a demandé de ne pas jouer aussi dur. Je lui ai répondu : "On ne joue pas aux billes. On joue au hockey ici, mon petit."

Mais le joueur qui m'a le plus marqué, c'est Paul Provost. C'est un Canadien qui est venu à Chamonix. Il est resté sept ans ici. Il ne payait pas de mine pourtant. Mais il était vraiment exceptionnel. C'était le meilleur pour aller voler un palet entre les jambes. Il était beaucoup plus fin que Laliberté, qui était un joueur solide et puissant.

Il y avait assez peu de Canadiens à l'époque. À Chamonix, on a aussi eu Peter Roy, qui était dur mais pas formidable comparé à Paul Provost. Ils n'étaient pas plus forts que nous, mais comme ils étaient Canadiens, tout le monde pensait qu'ils étaient meilleurs. Alors que le passeport ne veut rien dire.

Arbitre international

J'ai fait les Jeux Olympiques de Grenoble, en 1968, en tant qu'arbitre. J'ai fait ça après ma carrière, pour rester dans le bain. Je suis resté juge international pendant neuf ans. J'ai arbitré cinq championnats du monde, dont une finale en Roumanie. C'était un match difficile, entre l'Autriche et l'Italie. Ils ne pouvaient pas se voir à cause de l'affaire du Brenner [NDLR : la question du statut de la minorité germanophone du Sud-Tyrol]. Il y avait des Canadiens naturalisés dans les deux camps. Ils ont commencé à se battre à peine cinq minutes après le début du match. De vrais fous sur la glace.

Ensuite, j'ai été vice-président de la Ligue nationale des arbitres. Puis j'ai tout stoppé. On ne me demandait plus rien et j'avais assez à faire avec mon entreprise.

J'ai aussi été vice-président du club de Chamonix. Mais j'ai démissionné pour un désaccord financier. Le comité a voulu dépenser des sous pour engager des Canadiens qui ne nous ont servi à rien. Comme nous étions contre, le docteur Forey - autre vice-président - et moi-même avons démissionné.

Un plaisir qui laisse des traces

À Chamonix, les anciens de l'équipe première sont invités à l'année. J'y vais trois fois par an. Le hockey a beaucoup évolué, ce n'est plus comparable avec le sport que j'ai connu. Les règles ont changé, l'équipement aussi. Et puis ça va plus vite.

J'ai toujours joué pour mon plaisir, avant tout. Le plaisir, et l'amour du maillot. Jamais pour l'argent. Ce qui a toujours compté pour moi, c'était de m'amuser. Et tant pis pour les blessures. J'ai joué avec une épaule presque cassée. Aujourd'hui, j'ai mal partout. J'ai de l'arthrose au genou. Et ça me vient directement du hockey. Mais qu'est-ce que je me suis bien amusé...

Propos recueillis par Josselin Giret, 2007

 

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