Canada - États-Unis (25 avril 1920)

 

Jeux Olympiques 1920, demi-finale.

Dès les premiers entraînements, il était évident que les équipes venues d'Outre-Atlantique sont sur une autre planète du point de vue du hockey sur glace, encore bien moins développé en Europe, a fortiori après une guerre qui y a presque arrêté toute activité sportive pendant cinq hivers. Pour faire un bon match, on sait bien qu'il faut être deux : la chance de voir Canadiens et Américains face-à-face est donc unique et ne se reproduira pas de sitôt ! Les 370 abonnés qui ont acheté une entrée pour tout le tournoi voient débarquer une foule compacte, bien plus nombreuse qu'à l'accoutumée. Elle se presse dès 18 heures alors que la partie ne débute qu'à 21 heures.

Seuls 10% des gens qui veulent entrer dans le Palais de Glace pourront le faire. Les portes sont fermées une heure avant. Les spectateurs déjà possesseurs de billets qui arrivent plus tard sont conduits vers des passages souterrains. C'est à "l'entrée des artistes" que se produisent les scènes les plus étonnantes : des gentilhommes en beaux costumes implorent joueurs canadiens de porter leurs crosses ou leurs patins pour arriver à entrer dans leur sillage comme s'ils étaient des assistants chargés du matériel !

Comment trouver un arbitre capable de diriger une telle partie avec la compétence et la neutralité nécessaires ? Joseph Garon tient la corde : il est certes né à Percé, au Québec, mais a passé plusieurs années à New York et est capitaine au sein de la Croix-Rouge américaine. Les Américains soutiennent sa nomination mais les Canadiens se réservent le droit de le remplacer s'il ne se montre pas à la hauteur. Après avoir officié lors du Suède-France plus tôt dans la soirée, Garon renonce à arbitrer face à un tel scepticisme. les Canadiens proposent Paul Loicq, le capitaine de l'équipe belge, avant d'annoncer qu'ils se rangeront à l'avis du comité. C'est finalement "Didi" de Rauch, coéquipier de Gardon à l'Ice Skating de Paris, qui s'y colle. Le Français ne s'acquitte pas si mal de cette tâche difficile à un niveau de jeu qu'il ne connaît pas encore.

Tous les observateurs européens sont en effet éblouis par la technique des joueurs nord-américains, qui s'évitent avec habileté ou au contraire s'entrechoquent durement sur la piste très resserrée d'Anvers, avec ses 18 mètres de large. Les Canadiens ne sont pas ralentis par ces dimensions et patinent avec ardeur en portant le jeu dans le camp adverse, même s'ils gardent généralement trois hommes en retrait pour ne pas emmener tous les joueurs du même côté de la glace en réduisant les espaces. Les joueurs savent souvent intercepter le palet avec habileté, mais ils finissent souvent par le perdre de nouveau dans la foulée. Aucune équipe ne cède.

L'attaque canadienne cherche le finisseur "Slim" Henderson, auteur de sept buts hier, mais les tirs de l'ailier droit sont régulièrement arrêtés par Raymond Bonney. C'est curieusement en infériorité numérique - pendant une pénalité de Goheen - que les États-Unis se procurent leur meilleure occasion. Un tir haut de Herb Drury frôle l'oreille du gardien canadien Walter Byron. Ce sera la seule fois où la vedette américaine Herb Drury - née et formée au Canada - réussira à sortir du lot comme il l'avait fait au premier match. Le reste du temps, l'attaquant de Pittsburgh, pourtant réputé pour sa vitesse, est totalement mis sous l'éteignoir par le marquage de Mike Goodman : Drury a trouvé son maître en matière de patinage ! Il faut dire que Goodman pratiquait le patinage de vitesse avant d'intégrer une équipe de hockey junior la saison passée puis les Winnipeg Falcons cette saison.

Les Américains dominent au début de la seconde période de vingt minutes. Une pénalité contre Frederickson est suivie d'une faute de Goheen, et avec seulement cinq joueurs de champ de chaque côté, les espaces s'ouvrent. Au retour au complet, le jeu collectif des Canadiens démontre peu à peu sa supériorité : défensivement, en empêchant les Américains de prendre de la vitesse et de s'approcher de la cage, et offensivement, par de bonnes combinaisons. C'est le capitaine canadien Frank Fredrickson qui débloque le score en dribblant toute la défense américaine puis en prenant son propre rebond.

McCormick et Frederickson sont pénalisés cinq minutes chacun et le jeu devient de nouveau plus rapide. Le solide défenseur Konnie Johanneson, qui avait impressionné le public en se relevant comme de rien après avoir fait craquer la balustrade, réussit encore à encaisser un choc en tirant en déséquilibre au moment où il est chargé : le palet frappé dans le mouvement trompe le gardien à trente centimètres de hauteur. Les Américains mettent toute leur énergie dans les cinq dernières minutes, mais le Canada resserre sa défense. Les États-Unis remporteront toutefois l'ultime mêlée : celle qui se forme à la fin du match pour s'emparer du palet en souvenir !

Laissons le mot de la fin à l'envoyé du journal parisien La Presse : "Ce que fut cette partie ? Extraordinaire, tout simplement ! Les deux équipes déployèrent une vitesse, une science du patin et du jeu dont nous n'avions aucune idée."

Marc Branchu

 

Canada - États-Unis 2-0 (0-0, 2-0)
Dimanche 25 avril 1920 à 21h30 au Palais de Glace d'Anvers, Belgique.
Arbitrage d'Alfred de Rauch (FRA).
Pénalités : Canada 7' (0', 2'+5'), États-Unis 9' (2', 2'+5').

1-0 à 30' : Frederickson
2-0 à 35' : Johannesson assisté de Halderson et Goodman

Canada

Attaquants : Magnus Goodman - Frank Fredrickson (C, 2'+5') - Haldor Halderson

Demi : Allan Woodman

Défenseurs : Robert Benson - Konrad Johanneson

Gardien : Walter Byron

Non aligné : Chris Fridfinnson

États-Unis

Attaquants : Tony Conroy - Herb Drury - Joe McCormick (C, 5')

Demi : Frank Goheen (4')

Défenseurs : Ed Fitzgerald - Leon Tuck

Gardien : Ray Bonney

Non alignés : Cyril Weidenborner (G), Gerry Geran, Frank Synnott, Larry McCormick.

 

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