Suède - Belgique (23 avril 1920)

 

Jeux Olympiques 1920, quart de finale.

La nation la plus durement meurtrie par la Première Guerre Mondiale, la Belgique, a été désignée comme pays organisateur des Jeux olympiques de 1920 : la candidature avait été annoncée avant même que la guerre n'éclate (alors que Berlin s'était déjà vu attribuer l'organisation des JO 1916 qui n'ont évidemment jamais eu lieu). Le tournoi de hockey sur glace - tout comme les épreuves de patinage artistique - est organisé quatre mois avant le reste des Jeux olympiques pour coïncider avec la saison d'ouverture du Palais de Glace d'Anvers. Celui-ci fait le plein et accueille près de 7000 personnes. Champions d'Europe de hockey sur glace en 1913, les Belges abordent avec enthousiasme cette première compétition dans leurs beaux maillots rouges : avec la Suède puis la France sur le tableau désigné par le tirage au sort, ils se voient bien arriver en finale !

Hormis la présence de Nils Molander (bien connu comme ancien membre du Berliner SC), la Suède est une parfaite inconnue. Les autres sont des joueurs de bandy qui pratiquent pour la première fois la version canadienne du hockey en match. Une perspective qui n'a pas suscité un engouement immédiat. Lorsque l'entraîneur Raoul le Mat a passé une annonce pour recruter l'équipe olympique, les journalistes et des spectateurs curieux se sont présentés le 27 janvier... mais aucun joueur n'est apparu ! Anton Johansson, le président de la fédération suédoise de football (qui gère aussi le bandy), a contacté les joueurs un à un pour les convaincre de participer. En plus de la capitale Stockholm, il a organisé des entraînements à Uppsala, la ville du multiple champion en titre, mais sans parvenir à y attirer la grande star du bandy Sune Almkvist, pas intéressé.

Ce ne fut pas la seule déconvenue. L'homme qui a transmis sa connaissance du hockey sur glace pendant ces entraînements en Suède était Hans Georgii, qui avait appris ce sport pendant ses études à Berlin avec Molander. Il devait être le capitaine de l'équipe, mais a été hospitalisé en raison de douleurs à la poitrine. C'est sans lui que l'équipe a entrepris le long voyage en bateau (entre Trelleborg et Sassnitz sur l'île de Rügen) et en train de troisième classe, via Berlin pour récupérer Molander. Un périple assez mouvementé dans une Allemagne en pleine tourmente politique après une tentative de coup d'État d'extrême-droite (le putsch de Kapp, 13-17 mars 1920) puis une tentative de soulèvement de l'armée communiste de la Ruhr qui n'a pris fin que le 12 avril, deux jours après l'arrivée des Suédois à Anvers...

La Belgique domine les cinq premières minutes, mais le gardien visiteur Seth Howander arrête les premiers tirs. Malgré leur manque de technique, les Suédois se rendent compte assez vite qu'ils sont supérieurs en patinage à des Belges peu habitués aux grands espaces. Erik Burman réussit à subtiliser le palet - cet accessoire qu'il ne manie que depuis trois mois - à un défenseur pour marquer le premier but en tour de cage. Juste après, Georg Johansson, seul devant la cage, double la mise en héritant d'un palet sorti du coin sur une situation confuse. La Suède a pris deux buts d'avance et continue de dominer.

Entre deux pénalités à son encontre, le capitaine Einar Lindqvist fait le tour de la cage et offre le troisième but à Burman, qui lui rendra la pareille en débordant le long de la balustrade pour lui servir le 4-0 en angle fermé. Le petit groupe de supporters suédois se réjouit bruyamment, mais le public belge manifeste de plus de plus d'agacement. Les Suédois n'accumulent pas que les buts, mais aussi les pénalités. Même réduits un temps à 4 contre 6, ils n'encaissent rien... sinon les remontrances de l'arbitre.

L'arbitre n'est autre que William Hewitt, le manager de l'équipe du Canada, qui déclarera dans le livre Winter Gold : "les Suédois étaient rudes même selon les standards canadiens. Ils avaient comme théorie que ce qu'il fallait faire était de mettre à terre chaque joueur belge et de récupérer le palet libre." À la mi-temps, Hewitt cherche un Suédois qui parle anglais - le gardien Seth Howander se porte volontaire - pour dire à ses coéquipiers de changer de style de jeu. La réponse traduite le laissera pantois : "Ils disent qu'ils ne savent pas comment vous jouez au hockey. Ils connaissent seulement leur façon de jouer." Dans le bandy suédois, les coups ne sont pas si rares, et les crosses laissent parfois quelques bleus.

Le score continue d'enfler en deuxième période, notamment sous l'impulsion de Nils Molander qui se lance dans ses séquences de dribbles. Même lui se retrouve pénalisé, alors qu'il connaît le hockey et que cela ne lui était jamais arrivé à Berlin. L'incompréhension reste donc totale quant à l'appréciation de la rudesse suédoise. Les spectateurs sont révoltés de voir l'ailier belge Jean-Maurice Goossens sortir sur blessure, mais selon les Suédois c'est parce qu'il s'est coupé tout seul au niveau du genou...

Le mot de la fin revient à Frank Fredrickson, le capitaine de l'équipe du Canada, qui vient féliciter les vainqueurs de ce match avec cette phrase : "Bien joué, mais ce n'était pas du hockey. C'était le chaos."

Marc Branchu

Suède - Belgique 8-0 (5-0, 3-0)
Vendredi 23 avril 1920 à 21h30 au Palais de Glace d'Anvers.
Arbitrage de William Abraham Hewitt (CAN).
Pénalités : Suède 7, Belgique 4.

1-0 : Burman
2-0 : Johansson
3-0 : Burman assisté de Lindqvist
4-0 : Lindqvist assisté de Burman
5-0 : Burman assisté de Lindqvist
6-0 : Johansson assisté de Molander
7-0 : Molander
8-0 : Lindqvist

Suède

Attaquants : Georg Johansson (1') - Erik Burman - Einar Lindqvist (C, 3')

Demi : Nils Molander (1')

Défenseurs : Einar Lundell (2') - Einar Svensson

Gardien : Seth Howander

Non alignés : Albin Jansson (G), Hansjacob Mattsson, Wilhelm Arwe, David Säfwenberg

Belgique

Attaquants : Jean-Maurice Goossens (2') - Maurice Deprez - Paul Loicq (C, 2')

Demi : Paul Goeminne

Défenseurs : Philippe Van Volcksom - Gaston Van Volxem

Gardien : François Vergult

 

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