Lada Togliatti - Dynamo Moscou (8 avril 2005)

 

Finale de la Superliga russe 2004/05, troisième manche.

Si le Lada ne joue pas ce match, il ne jouera jamais. Le quotidien Sport Express a parfaitement résumé la situation. Mené deux manches à rien après les deux premières rencontres disputées à Moscou, le club de Togliatti doit enfin sortir de sa tanière pour avoir une chance de renverser la vapeur face au Dynamo. En ce qui me concerne, j'ai des doutes. Franchement, le Lada ne va pas plus "jouer" qu'à l'habitude, car il n'en est tout simplement pas capable. À force d'évoluer dans un schéma ultra-défensif depuis des centaines de matches, c'est devenu génétique. Les joueurs du Lada sont les premiers mutants du hockey moderne, les premiers joueurs OGM. Et il n'y a pas que le gêne de la défense qui leur a été inoculé, si l'on en croit le contrôle positif à l'éphédrine du jeune défenseur Maxime Kondratiev.

De toute manière, il n'y a que le supporter du Lada qui souhaite que la série se poursuivre. Tous les autres prient pour une troisième victoire du Dynamo, même 1-0, pour qu'on en finisse avec le calvaire de suivre des non-matches. Après tout, le printemps vient enfin de s'installer sur la Russie, il y a plein d'autres choses à faire que de perdre son temps sur un canapé à contempler le néant.

En attendant de se ruer à l'attaque, les deux équipes mettent en avant le physique. Un match d'hommes, comme on dit quand on ne sait pas quoi dire. On joue depuis une minute qu'il y a déjà deux joueurs en prison, le défenseur dynamiste Oleg Orekhovski (00'50) et l'excellent attaquant du Lada (comme quoi...), le Lituanien (c'est pour cela, il n'a pas eu le temps d'être transformé dans le laboratoire vorobievien) Dainius Zubrus (01'19). Ce dernier y retourne d'ailleurs peu de temps après (en prison, pas au labo) en compagnie de l'Ukrainien de Moscou Vadim Chakhraitchouk (03'55).

Et c'est le moment choisi par la merveille des merveilles pour faire échouer tous les plans anti-bonheur patiemment élaborés par le savant fou de la Volga, Piotr Vorobiev. Alexandre Ovetchkine s'élance tout seul à l'aventure dans la défense du Lada, comme un explorateur dans la forêt vierge des coupeurs de tête de Bornéo. Armé de sa crosse à la place de la machette, il laisse sur place, décontenancée et penaude, toute l'arrière-garde (c'est-à-dire l'équipe entière) de Togliatti. Une merveille de slalom, un chef d'œuvre de dribbling, une perfection géniale de l'essence même du hockey. Une fois la Lada sur le toit, les quatre roues à plat et le moteur fumant, le génie n'a plus qu'à centrer en retrait pour Alexei Tchoupine, qui loge la rondelle dans la cage de Jussi Markkanen.

0-1 au bout de cinq minutes de jeu, effectivement, le Lada a "intérêt" à jouer ! On ne verra pas grand-chose pourtant, à part un tir puissant détourné au-dessus de sa cage par le parfait Vitali Eremeiev, dont la presse commence a évoquer le fait qu'il a un passeport russe en plus de celui du Kazakhstan et que, bien qu'il soit gardien de l'équipe nationale kazakhstanaise, cela ne ferait pas de mal si le sélectionneur russe... Ils disent la même chose au sujet de l'Ukrainien au double passeport Vadim Chakhraitchouk. Quoi, les règles de la fédération internationale ? C'est rien, par rapport à la grandeur nationale russe ! Bref, à part des tirs pas dangereux et de l'engagement physique, le Lada ne montre pas grand-chose. Pourtant, cela finit quand même par passer. Car le Dynamo répond à cet engagement physique par des fautes. Les deux premières pénalités de Vychedkevitch et Nikouline sont tuées, mais la troisième, celle d'Andreï Markov, est la bonne. Une action confuse devant la cage se termine par un Vorobiev poussant la rondelle dans la cage de Vitali Eremeiev. C'est Ilia qui égalise. Piotr n'esquisse pas un sourire...

Un partout et des sueurs froides dans l'échine des téléspectateurs. Si la "pression" du "jeu" ladaïen n'a donné qu'un petit but, on "peut" craindre que les deux équipes ne se neutralisent durant la suite des évènements... Tu l'as dit ! Les quarante dernières minutes sont interminables. Le Dynamo ne va quand même pas s'aventurer à se faire prendre en contre alors qu'il mène deux victoires à rien et qu'il ne perd pas dans la troisième manche. Quant au Lada... Ben, je ne sais pas ce qu'il attend, ce qu'il espère, ce qu'il compte faire. Le deuxième tiers-temps est vide. Il n'y a même presque plus de prisons, tellement les deux équipes resserrent les boulons. De toute façon, depuis le début de cette série finale, la deuxième période ne sert à rien. "L'euphorie" du premier tiers est terminée et l'on attend le "rouble time" de l'ultime période. La fédé russe n'a qu'à faire disputer les matches en deux mi-temps, cela économisera les nerfs des supporters et évitera les somnolences des téléspectateurs.

Remarquez, le troisième tiers-temps n'est guère mieux ! Le Lada, qui je vous le rappelle doit enfin se bouger s'il veut remonter dans la série, ne tire que six fois dans la dernière période ! Bon, ben, qu'est-ce qu'on fait ? On change de chaîne ? On va boire un verre ? On relit Dostoïevski ? Remarquez, on aurait le temps d'ingurgiter Les frères Karamazov et Les Possédés qu'il n'y aurait toujours pas le moindre but. Alors... on attend sagement les tirs au but en se disant que tout a une fin.

Oh, mais cela patine quand même, faut pas exagérer ! Cela patine vite (l'effet Kondratiev ? Désolé !...), mais sans que cela n'entraîne de réels dangers pour la muraille élevée devant la cage de Vitali Eremeïev. Bon, alors si tout le monde attend les penalties, la fédé russe n'a plus qu'à prendre une deuxième mesure. Après la suppression de l'inutile deuxième tiers, elle n'a qu'à supprimer tout le match et ne faire disputer que les tirs au but. Comme cela, on gagnera du temps et l'on pourra même caser des quintuples allers-retours en saison régulière. Une petite série de penalties, le temps de refaire la glace et de refaire passer les spectateurs par la caisse (ben quoi, faut bien rentabiliser...), et hop, on enchaîne avec le "match" suivant. On pourra même ainsi disputer les play-offs au meilleur des neuf matches, avec en plus moins de fatigue et donc moins d'éphédrine. On pourra même changer le nom du hockey sur glace en tirs au but sur glace. Bienvenue dans un monde meilleur. Merci Piotr Vorobiev pour tout ce que vous avez fait pour nous...

Donc, voilà les tirs au but. Ah, c'est pas trop tôt ! On va pouvoir bientôt éteindre la télé et reprendre une vie normale ! Alexandre Frolov, le Moscovite multicarte, s'élance le premier et trompe Jussi Markkanen. On change d'Alexandre (il y en a dix sur la glace...) et Semine tente son premier penalty... qui échoue contre le mur Eremeïev. Maxime Afinoguenov confirme le vieil adage que les grands joueurs se plantent souvent dans les séries de tirs au but. Viktor Kozlov parvient à égaliser, mais Alexandre Kharitonov redonne dans la foulée un point d'avance aux Moscovites. Vitali Eremeiev détourne la tentative de Sergueï Sevostianov et Pavel Datsiouk lui trompe Jussi Markkanen pour le 3-1 en faveur du Dynamo. Désormais, les choses sont claires. Si Oleg Belkine rate son tir, nous sommes tous libérés et le Dynamo est champion. Ce n'est même pas la peine d'attendre le tir de l'attaquant du Lada. Dès qu'il quitte le rond central, tout le monde a compris qu'il va le rater. Belkine avance à deux à l'heure, comme s'il avait peur de son ombre. Il se traîne sans conviction, ne sachant pas quoi faire. Sa tentative de dribble est tellement lente qu'Eremeïev cueille la rondelle comme un fruit mûr. Et voilà Dynamo champion !

Les images traditionnelles du vainqueur euphorique et du vaincu abattu. Les joueurs de Togliatti baissent la tête sur le banc et sont hébétés. Mais de quoi ? Ils n'ont rien fait pour gagner, de quoi sont-ils déçus ? C'est la preuve par A+B que la méthode Vorobiev ne fonctionne pas, si l'équipe d'en face joue de la même manière, avec en plus des talents en attaque capable de faire basculer la rencontre. Le Lada n'a pas ces génies, le Dynamo les a avec Ovetchkine et Afinoguenov, le reste n'est que littérature (tiens, revoilà Dostoïevski...).

Le génie justement, parlons-en. La télé russe montre Alexandre Ovetchkine, ravi, euphorique, hurlant à tue-tête dans les vestiaires "On est champion !". Il y a une morale dans cette histoire. Alexandre Ovetchkine gagne le titre avec son club formateur. Ce pur produit du Dynamo, issu d'une famille dynamiste, est champion avec son club. Il peut désormais partir en Amérique du nord la mission accomplie. Le titre revient enfin à Moscou après toutes ses années où les "parvenus" de province avaient trusté les médailles d'or. Sport Express titre ironiquement : Moscou pour ses 858 ans ! Clin d'œil au titre "programmé" d'Ak Bars pour les 1000 ans de Kazan...

Bon, cette finale est enfin terminée ! Il fait beau. On va pouvoir aller se promener...

Étoiles du match : *** Pavel Datsyuk (Dynamo), ** Alexandre Ovetchkine (Dynamo), * Vitali Eremeïev (Dynamo).

Compte-rendu signé Bruno Cadène

 

Commentaires d'après-match

Piotr Vorobiev (entraîneur de Togliatti) : "Nous avons essayé, nous avons voulu, mais nous n'avons pas pu. Peut-être que nous n'avions pas assez de talent. C'est dur, mais la vie continue."

Vladimir Krikunov (entraîneur du Dynamo) : "Ce matin, avant l'entraînement, j'ai dit aux joueurs : 'Il est temps de se raser. Vos femmes et vos enfants vous attendent à la maison.' Il fallait en finir dès ce troisième match. Je n'ai rien changé à ma tactique depuis le début de la finale. Je sais jouer le Lada, je battais déjà régulièrement l'équipe de Piotr Vorobiev quand j'étais au Neftekhmik. Le principal, c'est de ne pas laisser Togliatti ouvrir le score. Il faut être très strict sur les premières présences, et ensuite tout est plus facile, surtout si l'on a marqué. Je ne dirais pas que c'est très simple, ce n'est jamais le cas avec le Lada, mais tout est déjà plus calme. Il ne faut pas se ruer à l'attaque. Nous n'allions pas le faire avec quatorze minutes de pénalités en première période, et à la fin nous n'avions plus la force pour attaquer. C'est le genre de matches où il faut se jeter sur tous les palets sans hésitation. Chupin a fui devant un tir, c'est pourquoi il s'est retrouvé cloué au banc. [...] C'est en grande partie grâce à ma femme que je suis devenu entraîneur. Quand elle a compris que ma carrière de joueur touchait à sa faim, elle m'a conseillé de penser à ma reconversion. J'ai commencé à penser à mon nouveau métier, à écrire, à analyser. Et aujourd'hui je remporte le titre. Je ne sais pas si ce succès est plus beau que la demi-finale des JO de 2002 avec le Belarus - un club et une sélection sont deux choses différentes. La fête a commencé ici, elle continuera dans l'avion et se terminera à Moscou. Je considère qu'être porté en triomphe par ses joueurs est une situation normale pour un bon entraîneur. Dommage que cela n'arrive pas plus souvent..."

 

Lada Togliatti - Dynamo Moscou 1-1 (1-1, 0-0, 0-0, 0-0) / 1-3 aux tirs au but

Vendredi 8 avril 2005 à 17h30 au Palais des Sports Volgar de Togliatti. 3100 spectateurs.

Arbitrage de M. Antropov (Ekaterinbourg) assisté de MM. Serdiouk et Belov.

Pénalités : Lada 28', Dynamo 32'.

Tirs : Lada 35 (13, 9, 6, 7), Dynamo 27 (6, 11, 8, 2).

Évolution du score :

0-1 à 05'30" : Chupin assisté d'Ovechkin

1-1 à 17'01" : I. Vorobiev assisté de Buturlin (sup. num.)

Tirs au but :

Dynamo Moscou : Frolov (réussi), Afinogenov (arrêté), Kharitonov (réussi), Datsyuk (réussi).

Lada Togliatti : Semin (arrêté), Kozlov (réussi), S. Sevostyanov (arrêté), Belkin (arrêté).

 

Lada Togliatti

Gardien : Jussi Markkanen (FIN).

Défenseurs : Aleksandr Seluïanov - Andreï Yakhanov ; Maksim Semenov - Aleksandr Titov ; Andreï Krutchinin - Dmitri Vorobiev ; Alekseï Emelin - Filip Metliuk.

Attaquants : Aleksandr Buturlin - Aleksandr Boïkov (c) - Ilya Vorobiev ; Aleksandr Semin - Dainius Zubrus (LIT) - Viktor Kozlov ; Mikhaïl Sevostianov - Sergueï Sevostianov - Dmitri Afanasenkov ; Oleg Belkin - Aleksandr Skugarev.

Remplaçants : Vassili Koshechkin (G), Dmitri Kazionov. Absent : Yuri Butsaïev (choix de l'entraîneur).

Dynamo

Gardien : Vitali Eremeïev (RUS/KAZ).

Défenseurs : Sergueï Vyshedkevich - Oleg Orekhovski ; Alekseï Troshchinski (RUS/KAZ) (c) - Andreï Markov ; Ilya Nikulin - Aleksandr Zhdan ; Andreï Skopintsev - Vladislav Bulin.

Attaquants : Vladimir Vorobiev - Vadim Shakhraïchuk (RUS/UKR) - Maksim Afinogenov ; Aleksandr Frolov - Pavel Datsyuk - Aleksandr Kharitonov ; Pavel Rosa (TCH) - Alekseï Chupin - Aleksandr Ovechkin ; Lubos Bartecko (SVK) - Alekseï Tereshchenko - Konstantin Romanov.

Remplaçant : Aleksandr Eremenko (G).

 

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