Russie - Suisse (3 mai 2000)

 

Championnats du monde 2000 à Saint-Pétersbourg, premier tour, groupe D.

L'équipe russe est soutenue par un public prêt à pardonner ses erreurs de l'avant-veille si elle lui offre du spectacle et un brillant succès - ainsi que par les Français qu'une victoire suisse enverrait en poule de relégation. Ce scénario est toutefois hautement improbable de l'avis unanime des observateurs, compte tenu de la différence de niveau entre les deux équipes. Les Suisses gardent cependant espoir et imposent un pressing constant en zone neutre et en entrée de zone pour contenir les Russes. Mais la pression se fait plus intense et les millionnaires tentent de faire honneur à leur statut : sur un centre de Pavel Bure, la reprise dans l'enclave d'Alekseï Yashin est déviée sur le poteau par Reto Pavoni. Un tir peu appuyé de Bure un peu plus tard offre un rebond en or à un Yashin idéalement placé qui ouvre le score. Les Russes ne profitent pas de deux supériorités numériques successives, tournant autour des défenseurs suisses sans trouver de solutions. Et c'est le tournant du match : en sortant de prison, Patrick Sutter part en contre et mystifie Bryzgalov pour une égalisation contre le cours du jeu.

En début de deuxième tiers, Marcel Jenni est pénalisé pour une charge contre la bande sur Yashin, qui ira en prison à son tour un peu plus tard pour accrocher, mais le jeu de puissance n'est pas très concluant. Les Russes s'en remettent encore aux individualités, notamment Bure, mais aussi Gonchar qui réussit un superbe grand pont sur Streit mais ne parvient pas à glisser le palet sous Pavoni. Ils doivent faire face à une véritable muraille bâtie sur leur ligne bleue par les Suisses, mais forcent la décision grâce à leur premier bloc lors d'une action conclue par un lancer de Viktor Kozlov, élu meilleur joueur russe du match, entre les jambières de Pavoni. Mais Conne égalise dans la foulée sur un tir dévié par Galanov. Gonchar n'est pas loin de détourner lui aussi dans ses propres cages un tir de Micheli. Bryzgalov sauve les meubles, mais Thomas Ziegler est en embuscade et marque. De nouveau, les Russes sont assommés à la fin d'une période qu'ils ont largement dominée.

Ils ne perdent pas de temps en revenant sur la glace et veulent faire sauter le verrou immédiatement, se créant de grosses occasions par Bure, seul devant le gardien couché, et Zhitnik. Mais leur motivation s'étiole rapidement quand ils voient que leurs premiers efforts sont vains. À la nonchalance, les Russes ajoutent l'indiscipline et se retrouvent à trois contre quatre. Le but du KO est même proche quand un lancer de Rolf Ziegler passe entre les jambes de Bryzgalov pour s'en aller mourir sur le poteau. On s'en remet à Bure, qui rate une dernière action, et qu'on voit perdre le palet et asséner un coup de crosse non sanctionné sur un défenseur suisse. Il aurait mieux fait de canaliser son agressivité pour être plus incisif dans le jeu.

Si le sort leur a été contraire dans les deux premiers tiers, les Russes n'ont pas été capables de trouver la volonté nécessaire à renverser la rencontre durant une dernière période bien médiocre de leur part. Les quelques éclats du premier bloc ont prouvé que le niveau de jeu était là, mais le mental leur faisait cruellement défaut dans le dernier tiers, comme s'ils ne pouvaient briller que dans la facilité et qu'ils ne pouvaient pas trouver les ressources nécessaires à ce genre de rencontres âprement disputées. La ligne Kamensky-Kudashov-Kovalenko a été d'une rare indigence. Quant au trio vedette lui aussi nouvellement formé, Kozlov-Yashin-Bure, il a mis deux buts mais il en a aussi encaissé deux.

La victoire est logiquement revenue à l'équipe la plus volontaire, et les Suisses, grâce à un très bon match défensif et avec de la réussite, ont su déjouer tous les pronostics pour finalement glaner la qualification. Il est dommage que le dindon de cette farce soit l'équipe de France, qui peut regretter de n'avoir pu accrocher le nul face aux Américains : les Russes auraient alors échoué à la dernière place du groupe, ce qui aurait été le comble du cocasse et une juste récompense de leur faible engagement. Mais il est probable qu'alors, ils auraient joué d'une toute autre manière et auraient été plus motivés dans la dernière période que dans la réalité, où ils se savaient déjà qualifiés. Ils sont néanmoins en position délicate et doivent maintenant battre le Belarus et la Lettonie s'ils veulent ne pas être éliminés des quarts de finale, ce qui serait impensable et jamais vu dans l'histoire.

Désignés joueurs du match : Viktor Kozlov pour la Russie et Reto Pavoni pour la Suisse.

Marc Branchu

Commentaires d'après-match :

Aleksandr Yakushev (entraîneur de la Russie) : "Je ne suis pas d'accord avec l'assertion selon laquelle nous n'avons pas d'équipe. Nous en avons une. Les actions personnelles de Bure, Yashin ou Kozlov ne contredisent pas notre plan de jeu général. Il y a de très belles individualités techniques, il faut les utiliser. Ces gars sont arrivés de NHL avec une énorme envie de jouer et de gagner. Ils pourraient être en train de se reposer quelque part à Hawaï. Je suis confiant que nos meilleurs matches sont devant nous, et que les joueurs vont faire étalage de tout leur talent. Il y avait une mobilisation maximale aujourd'hui, mais nous avons pris deux contre-attaques malheureuses. Je ne veux pas diviser l'équipe entre les expatriés et les nôtres, cela ne mène à rien de bon. Bryzgalov a joué normalement, probablement qu'aucun autre gardien n'aurait fait mieux. Je crois en Ilya."

Aleksei Zhamnov (attaquant de la Russie, blessé) : "Au cours du match contre les Américains, j'étais près des cages au milieu de deux joueurs, prêt à dévier une éventuelle passe, lorsque j'ai reçu le violent impact d'une crosse par derrière au niveau de la nuque, et ma tête a heurté un joueur. Je ne me sens pas à 100%, mais tout devrait bientôt rentrer dans l'ordre. C'est difficile de suivre un match dans les tribunes, on préfèrerait être sur la glace. Les Suisses comme les Américains ont utilisé une formule défensive pour nous prendre en contre. Face à une attitude aussi passive, surtout contre un adversaire qui mène au score, il est difficile de trouver l'antidote. Mais rien n'est impossible, et j'ai confiance en nos entraîneurs-stratèges qui développeront une méthode pour gagner."

Ralph Krüeger (entraîneur de la Suisse) : "À 16h00, j'ai envoyé un message à tous les joueurs : 'L'impossible peut se produire, si vous y croyez'. J'ai appelé les joueurs à donner toutes leurs forces, à utiliser toutes leurs compétences, et à lutter pour la victoire jusqu'au dernier espoir. Ils ont accompli l'exploit. Cela va sans dire que j'ai examiné au microscope le match des Russes contre les États-Unis. Je l'ai disséqué. Ma conclusion, c'est que le plus important, c'est le courage, et l'improbable devient réel. Cela fait trois fois que mes équipes battent les Russes, aujourd'hui, il y a deux ans aux championnats du monde avec la Suisse, et auparavant en finale d'EHL avec Feldkirch contre le Dynamo Moscou de Bilyaletdinov [assistant de Yakushev dans ces Mondiaux]. Ce sont les trois plus belles victoires de ma carrière. Si ça continue, peut-être que dans dix ans je serai l'entraîneur de votre équipe nationale. Je rigole. Une dernière chose : ne jugez pas trop durement votre équipe et son entraîneur Yakushev. La Suisse a accompli le meilleur match de son histoire. Nous avons fait le match parfait."

 

Russie - Suisse 2-3 (1-1, 1-2, 0-0)
Mercredi 3 mai 2000 à 20h30 au Ledovy dvorets de Saint-Pétersbourg. 12300 spectateurs.
Arbitrage de Kevin Acheson (CAN) assisté de Pål Garsjø (NOR) et Christian Oswald (ALL).
Pénalités : Russie 8' (0', 2', 4'), Suisse 10' (4', 4', 2').
Tirs : Russie 36 (9, 15, 12), Suisse 21 (5, 9, 7).

Évolution du score :
1-0 à 11'21" : Yashin assisté de Bure et Kozlov
1-1 à 19'33" : Sutter assisté de Keller et Jenni
2-1 à 35'11" : Kozlov assisté de Yashin et Markov
2-2 à 36'05" : Conne assisté de Della Rossa
2-3 à 38'03" : T. Ziegler assisté de Micheli
 

Russie

Attaquants :
Viktor Kozlov - Alekseï Yashin (A, 4') - Pavel Bure (C)
Valeri Kamensky (-1) - Aleksei Kudashov (-1) - Andrei Kovalenko (-1)
Aleksandr Kharitonov - Aleksandr Prokopiev (A) - Oleg Petrov
Maksim Sushinsky - Andrei Nikolishin - Maksim Afinogenov

Défenseurs :
Igor Kravchuk (-1) - Sergei Gonchar
Dmitri Mironov - Alekseï Zhitnik (-1, 2')
Andrei Markov (+1) - Maksim Galanov (-1)

Gardien :
Ilya Bryzgalov

Remplaçant : Egor Podomatsky (G). En réserve : Aleksandr Khavanov (coude), Aleksei Zhamnov.

Suisse

Attaquants :
Flavien Conne - Michel Zeiter (2') - Patric Della Rossa
Ivo Rüthemann - Reto von Arx (C) - Alain Demuth
Marcel Jenni (2') - Gian-Marco Crameri (+1) - Patrick Fischer
Claudio Micheli (+1) - Jean-Jacques Aeschlimann - Thomas Ziegler (+1, 2')

Défenseurs :
Mark Streit - Olivier Keller (+1)
Mathias Seger (+1) - Martin Steinegger (A, +1)
Patrick Sutter (A, 2') - Edgar Salis (-1, 2')
Rolf Ziegler - Julien Vauclair

Gardien :
Reto Pavoni

Remplaçant : Martin Gerber (G).

 

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