Russie - États-Unis (4 mai 1994)

 

Quart de finale des championnats du monde 1994.

Le second Miracle, quatorze ans après

Le reproche a été formulé directement par les Canadiens : la Russie aurait fait exprès de perdre pour "choisir" comme adversaires les États-Unis, plutôt que les Tchèques. Cette équipe américaine est-elle sous-évaluée ? Son manager Lou Nanne est sorti de cinq ans de retraite pour l'assembler et la confier avec Ron Wilson. Elle ressemble à la formation que celui-ci coache avec la franchise d'expansion d'Anaheim : essentiellement de gros travailleurs. S'il y a un joueur qu'on a tort de sous-estimer, c'est Craig Janney, qui est un des tout meilleurs passeurs de NHL.

Avec l'arrivée de Vyacheslav Kozlov (80 points en 84 matches pour les Red Wings de Detroit), la Russie a l'avantage de disposer désormais de quatre lignes, après avoir ménagé plusieurs joueurs sur les derniers matches de poule. Au contraire, les Américains, confrontés à la suspension de Bill Lindsay pour un contrôle positif à l'éphédrine, ne jouent plus qu'à trois blocs. Comble du handicap : quelques heures après avoir déjà inscrit comme joker le défenseur Chris Chelios, ils ont reçu un fax de Bob Pulford (manager des Chicago Blackhawks) qui disait qu'il ne voulait pas que Chelios joue pour ne pas endommager son genou blessé. "J'aimerais jouer, mais ils ne veulent pas que joue", indique le rugueux défenseur arrivé hier et contraint de jouer les touristes. Le staff de USA Hockey respectera le choix des Blackhawks, qui lui coûte cher puisque Chelios occupe une place pour rien.

Les Américains concèdent les deux premières pénalités : Jeff Lazaro donne un coup de coude dès la deuxième minute et Bob Beers accroche Nikolishin. La Russie a donc les moyens de prendre les devants en première période, mais elle ne le fait pas. Aleksei Yashin arrive seul sur la droite mais le gardien Guy Hebert s'avance bien et ferme les jambières pour bloquer le tir. En fin de période, un coup de coude est sifflé contre Sergei Shendelev alors que les deux équipes jouaient à un homme de moins. À 4 contre 3, Craig Janney donne en retrait à Sean Hill pour un slap dans l'axe. Mikhaïl Shtalenkov repousse avec ses bottes et s'apprête à poser le gant sur le palet mais, probablement en essayant maladroitement de ramener la rondelle vers son gardien, Dmitri Yushkevich la lui enlève et l'offre à Janney avec la cage entièrement ouverte ! Une incroyable boulette ! Le regard de Shtalenkov se lève, incrédule, vers son défenseur...

En début de deuxième période, une charge incorrecte de Dmitri Frolov est sanctionnée. Craig Janney se place dans le "bureau de Gretzky" et sert en retrait Scott Young pour un tir imparable. Deux supériorités numériques, deux buts : eh oui, les Américains avaient déjà de loin le meilleur powerplay du tournoi à plus de 41% de réussite, un élément que la Russie a peut-être un peu négligé dans son appréciation (si les soupçons de défaite délibérée sont vrais). Trois minutes plus tard, les défenseurs russes ont quitté leur position et Janney récolte une passe décisive de plus de derrière la cage, toujours pour Young qui reprend instantanément entre les bottes de Shtalenkov. À 0-3, même s'il reste plus de trente minutes, la fourrure de l'ours russe commence à sentir le roussi...

Avec trois buts d'écart, le match devient une attaque-défense. Les Russes bombardent de la ligne bleue, et leurs deux premiers trios parviennent à créer du danger dans l'enclave. Mais face à une défense américaine acharnée et à un gardien (Guy Hebert) en état de grâce, rien ne passe. Il faut une situation de 4 contre 4 (Lilley a plaqué au sol Kozlov qui a répliqué d'un coup de poing) pour que les rouges trouvent des espaces. L'arrière Ilya Byakin accélère depuis la zone neutre et parvient à s'infiltrer plein axe entre les défenseurs Chambers et Beers. Hebert repousse de la botte gauche mais Andrei Kovalenko n'a plus qu'à pousser le palet dans la cage grande ouverte sur le rebond. Byakin parviendra certes à propulser une seconde fois le palet dans les filets au milieu d'une mêlée de sept joueurs (!), mais l'arbitre avait sifflé avant et arrêté l'action.

On dénombrera au total 84 tentatives de tirs russes, donc 17 bloquées et 53 cadrées... pour 52 arrêts du héros du jour Guy Hebert, qui a gagné son duel à distance sur son coéquipier de club Shtalenkov. C'est la première victoire des Américains depuis le Miracle de 1980. Mais cette fois, on ne parle plus d'exploit retentissant ou d'anomalie historique. La Russie a fini sans médaille dans les deux compétitions internationales de l'année, avec deux staffs différents. Ce n'est pas qu'un problème d'hommes : c'est tout un système qui s'est effondré dans un pays où tout se vend aujourd'hui. Le pays qui inspirait autrefois la crainte ne fait plus peur. Le second degré employé par les entraîneurs des deux équipes à la conférence de presse masque mal un malaise.

Désignés joueurs du match : Valeri Kamensky pour la Russie et Guy Hebert pour les États-Unis.

Trois meilleurs Russes du tournoi selon leur entraîneur : Mikhaïl Shtalenkov, Ilya Byakin et Valeri Kamensky.

Marc Branchu

Commentaires d'après-match

Boris Mikhaïlov (entraîneur de la Russie) : "C'est la faute des entraîneurs. Nous n'avons évidemment pas expliqué aux joueurs ce que l'on attendait d'eux."

Ron Wilson (entraîneur des États-Unis) : "J'ai dit à Shtalenkov avant le match qu'il ne jouerait pas pour les Ducks l'an prochain. Je lui ai dit qu'il serait dans les ligues mineures toute l'année."

Scott Young (attaquant des États-Unis) : "Ils ont eu ce qu'ils méritaient. C'était une insulte [de faire exprès de perdre pour affronter les Américains]. C'était leur erreur."

 

Russie - États-Unis 1-3 (0-1, 0-2, 1-0)
Mercredi 4 mai 1994 à 16h00 au Forum d'Assago (Milan). 6200 spectateurs.
Arbitrage de Seppo Mäkelä (FIN) assisté de Janne Rautavuori (FIN) et Stefan Trainer (ALL).
Pénalités : Russie 22' (4'+10', 2', 6'), États-Unis 16' (6', 4', 6').
Tirs cadrés : Russie 54 (12, 24, 18), États-Unis 28 (10, 14, 4).
Tirs bloqués : Russie 17 (4, 7, 6), États-Unis 2 (0, 0, 2).
Tirs non cadrés : Russie 13 (6, 3, 4), États-Unis 2 (1, 1, 0).
Engagements : Russie 34 (8, 11, 15), États-Unis 33 (12, 11, 10).

Évolution du score :
0-1 à 17'33" : Janney assisté de Young et Hill (sup. num.)
0-2 à 23'53" : Young assisté de Janney et Chambers (sup. num.)
0-3 à 26'43" : Young assisté de Janney
1-3 à 47'20" : Kovalenko assisté de Byakin
en noir, la feuille de match officielle ; en rouge, les corrections de Hockey Archives
 

Russie

Attaquants :
13 Valeri Kamensky (A, +1) - 11 Igor Fedulov (-1, 2') - 26 Andrei Kovalenko
18 Vyacheslav Kozlov (4') - 19 Aleksei Yashin - 24 Andrei Nikolishin
15 Anatoli Emelin (2') - 27 Vyacheslav Bezukladnikov - 12 Eduard Gorbachev
29 Sergei Berezin (-1) - 25 Yuri Tsyplakov - 23 Valeri Bure

Défenseurs :
6 Ilya Byakin (C) - 22 Sergei Shendelev (+1, 2')
28 Igor Ulanov (10') - 4 Aleksei Zhitnik (A)
8 Dmitri Frolov (2') - 32 Sergei Sorokin
5 Aleksandr Smirnov - 2 Dmitri Yushkevich (-1)

Gardien :
1 Mikhaïl Shtalenkov [sorti à 59'28"]

Remplaçant : 30 Albert Shirgaziev (G). En réserve : 20 Valeri Ivannikov (G).

États-Unis

Attaquants :
13 Shjon Podein (+1, 4') - 15 Craig Janney (+1) - 23 Scott Young (A, +1)
8 Jeff Lazaro (2') - 12 Tim Sweeney (-1) - 10 Joe Sacco (-1, 2')
18 Phil Bourque - 9 Doug Weight (A) - 19 John Lilley (2')

Défenseurs :
4 Shawn Chambers - 3 Bob Beers (2')
6 Pat Neaton (2') - 2 Craig Wolanin (C)
24 Don McSween - 28 Sean Hill (2')

Gardien :
1 Guy Hebert

Remplaçants : 30 Les Kuntar (G), 5 Barron Richter. En réserve : 29 David Littman (G), 7 Chris Chelios, 17 Danton Cole, 26 Peter Ciavaglia (déchirure intercostale). Suspendu : 21 Bill Lindsay (contrôle positif à l'éphédrine).

 

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