Interview de Laurent Perroton

 

L'entraîneur de Gap a été invité en voisin cette semaine à suivre l'équipe de France en tournoi à Briançon, et il a un message à faire redescendre vers les clubs.

- Comment vous êtes-vous retrouvé à accompagner les Bleus ?

J'ai été invité par les entraîneurs de l'équipe de France, Heikki Leime et Christer Eriksson, en collaboration avec le manager des équipes nationales Patrick Francheterre, et sous tutelle de la DTN [Direction Technique Nationale]. J'ai pu suivre les joueurs toute la semaine et j'ai partagé la vie du groupe. Dennis Murphy [entraîneur de Villard-de-Lans] était également présent pendant trois jours. Il n'était pas hébergé avec les joueurs, ayant de la famille à Briançon, mais il était sur place pour les entraînements.

- Pourquoi cette ouverture de l'équipe de France aux entraîneurs de club ?

Heikki Leime attend énormément de ce dialogue avec les entraîneurs de club. Il y a là une volonté très forte. Si l'équipe de France ouvre ses portes, c'est pour faire redescendre un message auprès des clubs. On sent un vrai projet, celui de faire progresser l'ensemble du hockey français par le biais de l'équipe nationale. Il faut pour cela le soutien et l'implication des clubs, notamment au niveau de la préparation physique. Les joueurs de l'équipe de France sont maintenant devenus des athlètes, cela se voit lorsqu'ils sont torses nus, et ce n'est pas le fruit du hasard.

Heikki Leime responsabilise ses joueurs. Par ailleurs, j'ai senti beaucoup de simplicité dans ses systèmes, dans son approche des matches. C'est simple et c'est efficace, les résultats parlent d'eux-mêmes.

- Le groupe s'est-il intéressé à vous et à votre club ?

L'accueil du groupe a été vraiment remarquable. La préoccupation majeure était bien sûr celle de l'équipe de France, car cette semaine s'inscrivait dans la préparation des championnats du monde. Toutefois, il y a pas mal de Gapençais en équipe nationale, et j'ai pu évoquer avec eux la situation actuelle de leur club d'origine.

En me conviant à suivre l'équipe de France, la DTN a ouvert une porte, et j'espère que cette expérience se renouvellera à l'avenir. Il faut poursuivre dans cette approche, même avec les équipes de jeunes.

- Quel bilan personnel tirez-vous de cette semaine ?

Cela a éclairci certaines choses pour moi, et cela a raffermi certaines de mes convictions. J'ai pu voir les entraînements de tous les participants, des méthodes nord-américaines avec l'entraîneur canadien de l'Italien, des méthodes de l'est avec la Slovénie. C'est très enrichissant. Cela m'a donné le goût du travail. Je suis revenu dans mon club avec encore plus de volonté.

- Justement, Gap semble à la peine après un bon début de championnat.

On vit une période difficile, d'autant qu'on vient de rencontrer coup sur coup nos deux adversaires les plus forts, Grenoble et Mulhouse. Nous avons peu de victoires, mais ça, on le savait dès le départ. Néanmoins, les progrès sont sensibles, notamment physiquement. Les joueurs font des efforts sur le plan de la musculation, de l'hygiène de vie. En deuxième phase, nous devrions être mieux au point tactiquement et prêts à obtenir de meilleurs résultats.

- La crise actuelle dans les coulisses du hockey français a-t-elle été évoquée cette semaine ?

Il est vrai que plusieurs joueurs internationaux se sont impliqués dans l'Association pour l'Avenir du Hockey Français. Cela dit, on sent que ce sont des professionnels, et cette semaine, ils étaient surtout concentrés sur la compétition, particulièrement les jours de match. Ils ont un championnat du monde à préparer et ils y travaillent.

- Et au quotidien, dans votre club ?

Il est clair que cela nous touche, d'autant que notre président a adhéré à l'AAHF. C'est vrai qu'on vit une période bizarre. Il faut qu'on arrête de s'enliser, alors que l'on était bien reparti avec des championnats attractifs, un peu plus sérieux, où tout le monde était logé à la même enseigne. J'en suis à ma vingt-cinquième licence, et en un quart de siècle de hockey français, ça a toujours été "deux pas en avant, trois pas en arrière".

Il n'y a pas d'unanimité, tout le monde se tire dans les pattes. Certains clubs soutiennent Luc Tardif, d'autres le critiquent, certains souhaiteraient sans doute profiter de la situation pour avoir plus de pouvoir... Je pense qu'il faut que tout le monde se rencontre autour d'une table, les présidents de club, la fédération, et l'association de Luc Tardif. Il en va de l'avenir du hockey français. Il faut beaucoup moins de politique et beaucoup plus d'actions sur le plan sportif. Il faut remettre en route le plan de développement, il faut plus de stages, de colloques pour les entraîneurs.

Quand on va voir des sponsors, il faut voir l'image qu'a le hockey, celle d'un sport où c'est toujours le bordel, dont on parle plus souvent dans L'Équipe pour des faits divers que pour l'actualité sportive. Un jeune qui construit quelque chose aujourd'hui dans le hockey, joueur ou entraîneur, c'est un jeune qui prend des risques. Alors que si on pouvait travailler sereinement, il n'y aurait pas de soucis. Il y a des gens de qualité dans le hockey français, on peut les garder, il faut pour cela avoir un vrai projet sportif.

- Un entraîneur français à la tête de l'équipe de France, c'est utopique ?

C'est clair que ce n'est pas pour tout de suite ! Dans la mentalité des décideurs, on n'est pas prêt à avoir un entraîneur français. Nous sommes dans un pays de culture étrangère pour le hockey. Moi, j'ai toujours eu des entraîneurs canadiens. Aujourd'hui, ça évolue, il y a eu l'école de l'est, il y a des entraîneurs nordiques.

Mais pour ce qui est des entraîneurs français, ils souffrent de leur peu de formation. Tous autant que nous sommes, nous sommes des autodidactes. Depuis que je suis entraîneur, j'ai toujours été livré à moi-même. Ce qui peut nous faire progresser, ce sont des stages de plus en plus fréquents, des colloques à l'étranger. À l'époque, avec Marc Peythieu et Alain Vinard, il y avait eu une impulsion en ce sens. Et une expérience comme celle que j'ai vécue cette semaine est essentielle.

- Il faudrait peut-être déjà qu'il y ait des entraîneurs français en Super 16...

C'est vrai que des jeunes entraîneurs français en Super 16, cela ne court pas les rues. Mais le problème commence beaucoup plus tôt. En division 2, déjà, il faudrait qu'il n'y ait que des entraîneurs français. Cela dit, je peux comprendre les présidents de club. Il y a bien des qualités qui font un bon entraîneur, mais il en est une qui est inestimable, c'est l'expérience, la connaissance du haut niveau. Et dans ce domaine, nous, entraîneurs français, nous sommes clairement désavantagés.

Il faut se serrer les coudes. Aujourd'hui, chacun voit midi à sa porte. Il faut arrêter de ne penser qu'à soi. On se dit : "lui, il a des mauvais résultats, il va se faire virer". On passe beaucoup plus de temps à se critiquer qu'à s'encourager. Moi le premier, d'ailleurs ! Mais quand on y réfléchit, on se rend compte que l'on est dans une démarche complètement idiote.

Il faut que les hommes de terrain, les gens qui veulent aller de l'avant, restent solidaires. Pour que cela marche, il ne faut pas que chacun reste dans son coin à cacher ses méthodes, il faut beaucoup plus d'échanges. C'est ce qui se fait dans les grands pays de hockey, et il n'y a pas de raison que cela ne fonctionne pas ici aussi.

Propos recueillis le 11 novembre 2003 par Marc Branchu

 

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