Interview de Didier Gailhaguet

 

- Pouvez-vous expliquer comment s'est déroulée ce que L'Équipe a appelé la "nuit des petits couteaux" ?

Il n'y a pas mort d'homme. Des gens m'ont retiré leur confiance, ce qui est surprenant de la part de personnes que je connais depuis longtemps. Il faut savoir qu'il y a six personnes au Bureau Exécutif. Deux m'étaient très favorables, trois ont voté contre moi. J'aurais pu voter la confiance et départager les voix en ma qualité de président. J'ai choisi de ne pas le faire et j'ai démissionné.

Je suis sorti du jeu volontairement car je ne souhaite pas porter seul une responsabilité qui incombe aussi à certains services financiers, que j'ai certes nommés. Dans cette fédération, il y avait un directeur financier, un contrôleur de gestion, quatre comptables, un cabinet d'experts comptables pour les manifestations exceptionnelles, un commissaire aux comptes, une commissaire à l'exécution du plan de redressement qui est devenue de fait administratrice ad hoc, et un président du conseil fédéral (Marc Faujanet) dont le rôle est de surveiller le Bureau Exécutif et ses dérapages. L'échec de la tournée des étoiles, l'imprévisible contentieux avec Candeloro... Je ne nie pas ma part de responsabilité, car quand on signe on valide. Je veux bien être responsable, mais je ne peux pas être coupable.

- Vous attendiez-vous à cette trahison de vos anciens amis ?

J'étais au courant de ce qui se tramait. Mais ce modeste échantillon de trois personnes ne représente pas les clubs qui sont bien éloignés de ces problèmes fédéraux. Il n'augure en rien de mes soutiens à la base.

- Quel a été le rôle de Bernard Goy dans votre mise à l'écart ?

Il faut le lui demander à lui... Ces histoires ne m'intéressent pas, seul compte mon projet. Je rappelle que, moi, je suis bénévole et désintéressé. Je ne vends ni patins ni crosses ni patinoires mobiles, je ne m'occupe pas de gestion de patinoires. Je n'ai aucun intérêt financier dans les sports de glace.

- Que vous inspirent les révélations sur les émoluments surévalués de l'administratrice judiciaire de la FFSG, Me Lebossé-Peluchonneau ?

Je suis tombé des nues en lisant Le Monde et L'Équipe. Ce sont des révélations extrêmement embarrassantes. J'ai été extrêmement surpris, je ne savais rien de tout cela une semaine avant, mais c'est un problème qui ne me concerne pas car ce n'est absolument pas ma gestion. Adressez-vous au président de l'époque...

- Quels étaient vos objectifs pour le hockey en arrivant à la tête de la FFSG ?

J'ai rapidement compris que le hockey sur glace était le vrai challenge de la fédération. Le patinage à l'époque tournait bien. Il fallait une personne intéressée au hockey à la fédération, tout en sachant que l'État ne souhaite pas le démembrement de celle-ci. Le premier succès a été la mise en place des états généraux du hockey sur glace, avec la participation de Luc Tardif que j'ai appelé à la fédération - je ne pense pas qu'il serait arrivé à ce poste avec un système électif. Ensuite, j'ai décrété "l'année du hockey" en 2001 avec l'organisation des championnats du monde masculins et féminins, à Grenoble et à Briançon. Ils ont été un succès, sauf sur le plan sportif.

Mes réflexions sur l'économie générale des clubs et de l'équipe de France m'ont amené à penser qu'il serait bien d'avoir une commission de contrôle de gestion. Bon, elle existait déjà, mais elle ne fonctionnait pas. L'idée de base était la suivante : "pour qu'il y ait équité sur le plan sportif, il faut qu'il y ait équité sur le plan économique." Cela s'est fait avec le travail de Bernard Bourandy, qui est un ami. La modeste part que je revendique dans tout cela, c'est de l'avoir insufflé.

J'ai aussi travaillé avec des duos de techniciens, d'abord Alain Vinard et Daniel Grando, ensuite Patrick Francheterre et Thierry Monier. Je me souviens encore quand Alain Vinard est venu me voir chez mes parents à Béziers en me disant "j'ai une idée formidable". C'était le Plan de développement, qui a permis le brassage de six cents jeunes. Il faut peut-être affiner ce projet et le rendre moins coûteux, mais c'est encore une réussite.

Je ne pense pas avoir à rougir de mon bilan concernant le hockey sur glace. Je sais que j'étais éminemment suspect car issu du patinage. Mais je suis moi-même ancien joueur de rugby, et j'ai toujours beaucoup apprécié les sports collectifs.

- Comment aviez-vous choisi Luc Tardif ?

Je me suis renseigné auprès des clubs pour trouver des gens prêts à s'engager pour le hockey sur glace. C'est comme cela que j'avais trouvé Olivier Lesieur, malheureusement décédé depuis, Éric Ropert, et ensuite Luc Tardif. J'avais aussi contacté des gens comme Itzicsohn, ancien capitaine emblématique de l'équipe de France, mais tout le monde n'était pas forcément disponible. S'impliquer dans une fédération, cela demande d'y investir du temps.

D'entrée avec Luc Tardif, il y a eu un bon feeling. Et tout s'est remarquablement passé pendant vingt mois.

- Pourquoi avoir souhaité la création des Directoires ?

C'était la meilleure idée de mon mandat. Je trouvais anormal que l'on ne rassemble pas tous ceux qui sont les acteurs d'une compétition. Il me semblait normal de faire appel à la représentation des joueurs, des arbitres, des dirigeants des commissions sportives, des organes de la DTN et des contrôleurs de gestion. Certes, ils n'étaient pas élus, seulement nommés, mais est-ce parce qu'on est élu que l'on est compétent ? Cela ne pose aucun problème que Raffarin nomme son gouvernement. Je les ai tous réunis dans une entité unique. Car je crois que le hockey sur glace était malade de l'émiettement des responsabilités.

- Justement, entre la CSNHGM et le Directoire, la répartition des responsabilités n'était-elle pas floue ?

À mon sens, la commission sportive nationale de hockey sur glace masculin était là pour gérer le quotidien, et le Directoire devait avoir une vision sur la durée, s'occuper de prospective.

Je veux bien faire mon mea culpa s'il y a eu des problèmes de communication. Mais les Directoires, c'est mon bébé, je le revendique haut et fort. Ce n'est pas moi qui ai voté contre les statuts. Déjà que l'on m'accuse d'être... comment déjà... "autocrate", je n'allais pas les imposer de force.

- Le milieu du hockey n'a pas cru à la vesrion selon laquelle la suppression des Directoires aurait été décidée contre votre gré par l'assemblée de la FFSG. Car dans ce cas, pourquoi vos fidèles alliés Messieurs Millon et Papaux se seraient-ils opposés à l'entrée des Directoires dans les statuts ?

Je ne peux pas d'un côté vouloir créer des organes et d'un autre les torpiller par-derrière. Quel intérêt y aurais-je ? Il y a eu une communication maladroite qui a crispé les gens des autres disciplines. Je revendique haut et fort ma volonté sincère de créer les Directoires. Je n'ai que du bien à dire des Directoires. Mais bon, on ne va pas revenir toute sa vie sur le 4 octobre, qui est un peu le 11 septembre du hockey.

- Le Directoire se plaignait de n'avoir aucune enveloppe budgétaire allouée pour ses actions et d'avoir donc la bride sur le cou. Pourquoi ne pas lui avoir accordé d'autonomie financière ?

Donner des subsides à une entité qui n'est pas rattachée statutairement, ce n'est pas si simple que ça. En plus, les commissions sportives étaient contre. Mais le Directoire a bien fonctionné, avec de l'argent. Certes, il venait des commissions sportives, ce qui a pu engendrer quelques quiproquos. Cela renforce ce que je dis, il faut un interlocuteur unique.

Sur treize sports, tout revient au président de la fédération, qui, avec l'aide du DTN, doit décider sur des disciplines dont il n'est pas technicien. Dans le projet que je veux mettre en place, les acteurs sportifs feront tout ce qu'ils veulent, à l'intérieur de leur budget.

- Pourquoi ne pas avoir permis au Directoire de négocier directement avec les chaînes le meilleur partenariat pour le hockey ?

Je suis extrêmement favorable à ce que les acteurs du hockey et des autres disciplines gèrent leur sport de A à Z, mais il faut que les décisions se fassent en partenariat avec la fédération. Supposons que le hockey signe avec Vittel et que la FFSG signe avec Évian, ça pose problème.

Depuis six ans, il faut mesurer à sa juste valeur le chemin accompli, car le hockey sur glace a gagné en crédibilité, et il ne faudrait pas que les problèmes fédéraux le gênent. Aujourd'hui, on peut trouver de bons deals avec les télévisions et les radios, j'insiste sur les deux car j'ai discuté récemment avec Radio France, afin d'arriver à mailler le problème.

- Autre sujet sur lequel le Directoire a été gêné, les appels à proposition des tournois internationaux organisés sur le sol français. Pourquoi avoir confié les championnats du monde juniors exclusivement à Briançon ?

Je n'ai aucun souci à ce qu'il y ait des appels d'offres. Mais est-ce que l'on s'est posé la question pour le Tournoi du Mont-Blanc ? Pourquoi se déroule-t-il tous les ans au même endroit ?

- Mais ça n'a rien à voir, c'est un tournoi amical, pas une compétition officielle...

Si, c'est pareil. Le tournoi du Mont-Blanc est inscrit au calendrier IIHF. C'est une tradition de l'organiser là, je le reconnais, et je n'ai d'ailleurs aucun problème avec ça.

Sur les championnats du monde juniors, la raison est simple, et principalement économique. On a trouvé là-bas des conditions exceptionnelles qui ont satisfait l'IIHF. On avait de bons partenariats avec le conseil régional de Provence-Alpes-Côte-d'Azur, le conseil général des Hautes-Alpes et la ville de Briançon. Il y a quelques années, la FFSG organisait des manifestations avec des trous importants. Aujourd'hui, à part une ou deux exceptions cette année, et pas dans votre discipline, les tournois sont un succès sportif, populaire, mais aussi économique.

- Qu'est-ce qui vous pousse à vous représenter ?

Cela peut paraître curieux de se porter candidat à sa réélection quelques semaines après avoir démissionné de son poste, mais je voulais reposer les cartes en ayant constaté l'échec du Directoire, que j'ai vécu comme un échec personnel, et le délabrement du fonctionnement de la fédération. Je veux remobiliser la famille des sports de glace autour d'un projet. J'attendais de savoir si les forces de contestation présenteraient un candidat d'union, que j'aurais été prêt à soutenir. Lorsque j'ai su que Bernard Bourandy, le candidat que l'AAHF souhaitait appuyer, ne se présentait pas, je suis entré dans la bataille.

- Quel est votre programme ?

Ma priorité n°1, ce sera de mettre en place les états généraux de la FFSG. On réunirait ensemble des membres de la fédération, mais aussi d'autres personnalités comme l'AAHF ou des représentants d'autres sports collectifs. Les mesures ne peuvent pas se prendre dans une AG élective sur fond de querelles intestines. Il faut une réflexion sur plusieurs points.

En premier lieu, l'épuration de la dette, qui peut passer par la réalisation des actifs. En clair, vendre l'immeuble de la FFSG (rue Félicien-David, seizième arrondissement de Paris) estimé à plus de trois millions d'euros.

Ensuite, il faut amener les pouvoirs publics à penser que nous ne sommes pas une fédération-type, mais une confédération des sports de glace. Cela veut dire que l'élection des représentants du hockey doit se faire par les clubs de hockey, et que le président de chaque discipline doit être nommé par des exécutifs élus. Je ne sais pas ce que le curling ou le patinage ont à dire des affaires du hockey sur glace. Cela fait longtemps que je le pense, mais c'est une chose de le penser, c'est une autre de le faire acter.

Il faut aussi une réflexion sur le rôle et la mission des organes déconcentrés. Cela signifie une création (progressive, cela ne se fera pas dès septembre) de comités régionaux de hockey sur glace. C'est un pas très important vers l'autonomie de la discipline.

Il est important que les statuts qui seront proposés à Toulon ne soient pas votés. Il faudra mener une réflexion durant l'été avec les représentants des clubs et aussi de l'AAHF. Mon idée, c'est que les gens du hockey disposent de l'intégralité de leurs ressources propres, et que, par exemple, les droits télé du hockey soient affectés au hockey. Cela créera une émulation interdisciplinaire au sein des sports de glace pour que chacun devienne partie prenante de son sport au lieu d'attendre la fédération. Cette autonomie prépare une indépendance à trouver en 2006.

- Vous présentez-vous comme une candidature de continuité ou une candidature de rupture ?

De rupture, incontestablement. Rupture avec les hommes, aussi, car je veux une nouvelle équipe fondée sur le bénévolat. Je préfère d'ailleurs le terme "volontariat", qui implique que l'on s'engage.

- Les périodes électorales sont traditionnellement propices aux promesses. Pourquoi devrait-on croire qu'elles se concrétiseront cette fois-ci ?

Personne ne peut mettre en doute ma sincérité à vouloir faire évoluer le hockey sur glace. Même mes ennemis reconnaissent que j'ai fait avancer ce sport. Je n'ai pas la science infuse, je me suis sans doute mal entouré, comme avec la Coordination nationale du hockey, mais j'ai du charisme et j'ai la volonté de faire avancer les choses. Il ne faut pas que l'échec du Directoire fasse oublier tout ce qui a été accompli, comme il ne faudrait pas qu'un souci économique fasse oublier les six bilans positifs d'affilée.

Je suis très loin d'être parfait, mais j'ai bien tiré les leçons du passé. Cela m'a ouvert les yeux sur beaucoup de choses, sur mes propres travers mais aussi sur ceux des autres. Je sais que la critique est facile, mais parfois elle est trop facile. J'ai travaillé sept heures par jour pendant six ans pour la FFSG, j'ai passé trente-cinq week-ends par an sur les routes de France. Nul ne peut nier mon engagement et ma sincérité.

- Marc Faujanet et ses amis représentent la candidature du pouvoir en place, sans que leur image ait été exposée et ternie comme la vôtre. Ne risquent-ils pas d'être une solution confortable pour beaucoup d'électeurs ?

C'est aux électeurs qu'il faut poser cette question... Marc Faujanet fait partie de l'équipe fédérale, il était l'adjoint de Bernard Goy en 1994. Aujourd'hui, je veux travailler avec des gens de terrain et non plus m'isoler comme j'ai pu le faire avec quelques personnes. D'abord, parce que c'est ma passion. Je suis un sportif, un technicien, même si je m'étais décidé à franchir le pas pour devenir dirigeant fédéral. J'ai compris mes erreurs, je travaillais trop esseulé.

Je ne veux plus travailler de la même manière, je veux me consacrer à ma vraie fonction de président et non plus intervenir dans tout. Je continuerai à donner mon avis, naturellement, mais je laisserai les gens se prendre en charge, à partir du moment où ils décident vraiment de travailler. Mon projet est extrêmement clair, extrêmement fort, il est à prendre ou à laisser.

- Quel est le plus important, les futurs statuts de la FFSG ou le nom du prochain président ?

C'est un tout. Les nouveaux statuts tels qu'ils sont présentés, c'est l'immobilisme le plus parfait. J'avais proposé en mon temps, avant ma démission, des statuts bien plus ambitieux que ça, ils ont été balayés depuis. Après tout, la nouvelle mouture a été proposée démocratiquement par l'équipe de Marc, c'est bien comme ça, les gens jugeront s'ils répondent ou non à la nécessaire autonomie de leur sport.

Je propose de ne pas voter ces statuts... ou même de les voter, ce n'est pas le problème, puisqu'il s'agit d'un statu quo complet hormis quelques propositions que le Ministère souhaitait voir figurer. L'important, c'est l'autonomie, et elle se fera cet été dans les États Généraux, qui auront lieu si je suis élu. On examinera les deux versants du problème, le statutaire et l'économique. Tant qu'il n'y aura pas une fédération avec une entité unique pour le hockey sur glace, on ne pourra pas enrayer l'émiettement qui déresponsabilise ce sport.

- Tout à fait dans l'actualité, il y a quelques jours, une réunion a entériné la dissolution du club de Yerres, dont la patinoire vétuste a été démolie l'an passé. L'unique intérêt d'une fédération commune des sports de glace n'est-il pas le développement des patinoires (et pas des 40x20 impropres à la pratique du hockey) ?

Vous avez raison, l'enjeu, il est là. Loin des querelles de chefs et de communiqués, sur le terrain, toutes les disciplines doivent cohabiter dans des volumes horaires circonscrits. C'est pourquoi le développement du parc des patinoires est indispensable.

Un des axes de notre travail a été la mise en place de patinoires mobiles. Mais attention, il s'est agi de projets sur un mois ou deux, pas de patinoires fixes, et leur but est de susciter des vocations, pour que l'élu prenne conscience que la glisse sur la glace, avec ou sans palet, est quelque chose de merveilleux. 1,7 millions de personnes fréquentent les patinoires chaque année, ce n'est pas rien, il y a un potentiel.

C'est pourquoi je pense qu'il faudrait un vice-président en charge du développement de la fédération, qui se déplacerait documents à l'appui pour apporter la preuve aux collectivités locales qu'une patinoire fixe de 60 m x 30 m, avec un peu de gradins, c'est deux millions d'euros hors foncier. Il faut persuader les collectivités, y compris par le biais de l'intercommunalité car c'est l'avenir, de construire des outils dimensionnés par rapport aux bassins de population concernés. Il faut aussi ne pas être ringards et adapter ces lieux aux pratiques de la jeunesse française. Mais, bien sûr, nous ne sommes pas décideurs pour créer un équipement.

Propos recueillis par Marc Branchu, 7 juin 2004

 

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