Interview de Jean-Ian Filiatrault (17 janvier 2003)

 

Au niveau du recrutement d'Anglet pour cette saison 2002/03, il représentait un peu l'inconnue, maintenant, après quatorze rencontres de championnat, on est plus que rassuré sur le niveau de jeu du remplaçant d'Éric Raymond. Dans un style complètement différent, il préfère largement la sobriété et l'aspect technique du jeu aux parades spectaculaires et aux arrêts pour la photo. Auteur de statistiques plus que respectables, il rassure également quand la défense devient un peu "poreuse".

- Quelle est votre impression après quatorze rencontres sur le Super 16 ?

Après quatorze rencontres, c'est un peu difficile de se prononcer, d'autant plus que pour moi c'est tout nouveau. Je n'avais jamais été confronté à ce genre de championnat, car aux États-Unis comme au Canada ça n'existe pas. Mais je trouve que c'est déjà largement plus intéressant que la forme de championnat présentée l'an passé, une saison sans play-offs ce n'est pas du hockey. Dans la tradition du hockey canadien ou américain, ton but premier, c'est de disputer les séries en fin de saison et ensuite de les gagner. Je trouve que c'est une bonne formule, même si seuls les quatre premiers auront le droit de jouer les séries.

- Quel bilan faites vous de votre prestation depuis le début de saison ?

Mon Dieu, je crois que j'ai eu un bon début de saison. Vers le milieu de la première phase, je ne sais pas si j'ai été plus chanceux lors de la première moitié que dans la seconde. Mais il y a des buts que l'on aurait pas dû accorder, je ne dirais pas que je suis insatisfait mais il y a certaines choses sur lesquelles je ne suis pas content. Mais c'est ça, le hockey. En début de saison, on donnait beaucoup de lancers, mais qui n'étaient pas dangereux. Mais depuis la reprise, je suis assez content, car même si j'ai pris dix buts je ne pense pas en avoir encaissé de mauvais.

- Quelles sont les équipes les plus fortes parmi celles que vous avez affrontées ?

Sans hésitation, Rouen. C'est sûr qu'ils jouent un jeu qui ne peut pas être qualifié d'anti-hockey, mais c'est un autre hockey. C'est un jeu tellement intelligent, ils ne font rien pour rien. Lancer au but juste pour lancer au but, ce n'est pas leur genre. S'ils ne voient pas qu'ils peuvent en tirer quelque chose pour le système de jeu, ils gardent la rondelle et la font circuler jusqu'à ce que l'opportunité se présente. Ensuite, Mulhouse, qui a également une très grosse équipe, et Grenoble. Cependant, s'ils n'avaient pas un joueur de la trempe de Podlaha, ils seraient une équipe de milieu de tableau, c'est sûr qu'à lui tout seul il peut changer le cours d'une rencontre. Si une équipe est capable de contenir Podhala, Grenoble est à la portée de n'importe qui.

- Quels sont selon vous vos points forts et vos points faibles ?

Je crois que mes points forts, ce sont les déplacements dans la cage, c'est un aspect du jeu qui n'est pas souvent regardé et que l'amateur moyen de hockey ne voit pas. Mais un gardien se déplace beaucoup dans une partie.

Pour ce qui est de mon point faible, c'est que je sous-estime certaines équipes, c'est ce qui s'est passé à Villard ou à Gap. On pensait qu'elles seraient des adversaires faciles, la chance s'est mise aussi de la partie. Mais ce sont des erreurs que l'on se doit de ne pas faire.

- On a vu que, par rapport à Éric Raymond, vous étiez plus régulier et moins spectaculaire.

J'ai un style complètement différent de celui d'Éric, lui est plus spectaculaire. Pour ma part, je privilégie un jeu plus technique. Prenons un exemple : au lieu de faire un arrêt de la mitaine, Éric va faire un grand geste du bras. La raison est simple, c'est qu'il avait laissé un gros trou, et c'est le mouvement qu'il devait faire pour empêcher le palet de rentrer. Tandis que moi, j'essaye d'être toujours à la bonne place pour laisser le moins de trous possible. Dans ce cas-là, j'ai de moins gros gestes à faire, j'essaye d'être plus efficace que spectaculaire.

- Sur la rencontre face à Rouen, Raymond a lâché un nombre impressionnant de rebonds, tandis que de votre côté vous avez été plus sobre.

C'est parce que la rondelle allait dans le filet (rires), c'est pour ça qu'il n'y avait pas de rebonds. Sur nos cinq buts, hormis celui d'Antoine (Ansellem) qui est parti de la bleue, tous les autres l'ont été d'assez près. De manière générale, il faut lâcher le moins de rebonds possibles pour que les défenseurs ne soient pas obligés d'aller les chercher.

- Qu'est-ce qui vous a orienté sur le poste de gardien ?

Ça fait presque vingt ans que je suis gardien, j'ai commencé quand j'avais neuf ans. Il y avait deux raisons à cela, premièrement l'équipement, les jambières, le masque, ça m'impressionnait, et deuxièmement, mon père était entraîneur de mon équipe. Au début, je jouais ailier mais très défensif, je restais là où les défenseurs étaient. Donc au lieu de jouer à trois avants et deux défenseurs, on se retrouvait à trois défenseurs et deux attaquants quand j'étais sur la glace. Mon père m'a dit "bon, on va te faire jouer en défense", mais là on était à trois avants, un défenseur devant, et moi qui ne franchissait pas la ligne rouge. Je restais en arrière pour protéger mon filet, donc tant qu'à faire pourquoi ne pas être dedans (rires). Donc j'ai mis l'équipement et depuis j'y suis resté.

- Pouvez-vous nous expliquer quel a été votre parcours avant d'arriver à Anglet ?

J'ai beaucoup parcouru les États-Unis, où j'ai joué pendant sept ans. J'ai joué dans l'East Coast (ECHL), la West Coast (WCHL), la ligue centrale (CHL) et un peu en ligue internationale (IHL) qui a été dissoute, il n'existe plus que la Ligue Américaine (AHL). Certaines équipes de l'ex-IHL évoluent en AHL ou au niveau en dessous, certaines ont même disparu.

J'ai passé quatre ans de ce parcours-là à Oklahoma City, qui joue au troisième niveau en dessous de l'AHL et de la NHL. Maintenant, au troisième niveau, il existe quatre ligues, l'East Coast (ECHL), la West Coast (WCHL), la Central League et l'United League (UHL). Ces quatre ligues se jouent indépendamment, ont leur propres règles, mais sont de même niveau. Ils doivent avoir au minimum quatre Américains par équipe, mais c'est un peu faux car en étant marié avec une Américaine je n'étais pas considéré comme Canadien. Mais ce règlement-là va changer car petit à petit il n'y avait plus beaucoup d'Américains dans les équipes.

Sinon, avant, j'ai joué quatre ans en ligue collégiale, l'équivalent de l'Université ici, avant j'ai fait Midget AA puis AAA.

- Quelles ont été les raisons qui vous ont motivé pour venir jouer en Europe ?

Je voulais venir en France car à l'âge de douze-treize ans j'étais venu faire une tournée ici, on avait été à Lyon, à Villard-de-Lans, et à Briançon. On avait joué seize parties, mais paradoxalement je n'avais pas trop aimé ça. J'étais jeune, j'avais pas trop l'habitude de venir aussi loin de chez nous. Plus tard, j'ai eu des regrets car je m'étais pas trop aventuré loin de chez moi, plusieurs joueurs qui avaient joué en Europe étaient enchantés d'y être allés.

Il y a deux ans, j'ai été à deux doigts de partir en Russie jouer pour Omsk, en Sibérie, mais à la dernière minute ça ne s'est pas fait. Ensuite j'ai également eu la possibilité de partir en Allemagne, mais je n'ai pas pu y aller car j'avais une commotion cérébrale. Ce n'est pas si rare comme blessure pour un gardien, un palet pris en pleine figure, c'est l'équivalent d'un coup de poing. Donc au printemps, quand j'ai su qu'Anglet cherchait un gardien, ça m'a intéressé, je voulais voir ce que c'était.

- Connaissiez-vous déjà des joueurs ayant évolué ou jouant encore en France ?

J'en connaissais au moins deux. Le premier, avec qui j'avais joué à Oklahoma City, disait qu'il avait aimé jouer en France même si il n'était resté qu'un an, à Angers ou Amiens [Note de Hockey Archives : il s'agit de Daniel Larin qui avait en fait effectué un premier passage d'un an et demi à Caen avant de revenir pour une saison à Angers. Il joue à nouveau en France et est actuellement à Garges-lès-Gonesse]. Le deuxième est un joueur qui évolue à Briançon présentement, Dominic Fafard, qui était parti des États-Unis pour jouer à Briançon puis en Allemagne avant de revenir à Briançon. Depuis qu'il est venu en Europe, il ne veut plus retourner jouer en Amérique.

C'est décidément un autre hockey, même avec moins de matchs, ce qui n'est pas si mal quand on est vieux comme nous autres (rires). Pour le coup, ça fait beaucoup moins de matchs, en général on tournait entre 64 et 70 rencontres sans compter les séries. On avait jusqu'à trois matchs en trois soirs en y ajoutant les déplacements, c'était un peu dur. De n'avoir qu'un match par semaine, ça me ramène un peu à l'époque du hockey dans les ligues collégiales où l'on avait un à deux matchs par semaine.

- Le fait de ne jouer qu'une seule rencontre par semaine n'est-il pas trop gênant pour un gardien ?

Ce n'est pas trop dur, sauf quand on joue contre Rouen où l'on dispute un match complètement différent. Non, comme on s'entraîne tous les jours, ça compense quand même un peu. Un match en plus dans la semaine, ce serait mieux pour l'expérience au niveau des joueurs et du collectif, on apprendrait plus vite à jouer ensemble et à travailler les automatismes.

Mais le hockey, c'est du hockey où que l'on soit, la seule différence c'est que l'on s'entraîne deux fois par jour, matin et soir. Tandis qu'en Amérique on ne s'entraînait que le matin et puis l'après-midi on était libre si le soir il n'y avait pas de match.

- Pensez-vous que, malgré les deux premières rencontres perdues, l'Hormadi pourra aller loin en poule Magnus et viser les play-offs ?

Ça va être dur car devant il y a Rouen, Mulhouse, et Amiens que je n'ai pas vu mais dont tout le monde m'a dit que c'était une grosse équipe. Donc on va se battre avec Grenoble, Brest et Dijon (qui est actuellement en première position) pour la quatrième place. Il ne faut pas non plus oublier pour autant Villard qui est toujours à l'affût. Donc, cinq équipes pour une place, ça va être disputé. Tous les matches seront très importants, et tous les points seront bons à prendre.

- Quelles sont tes ambitions en venant ici, est-ce que tu comptes rester à Anglet plus d'une saison ?

Si je suis venu ici, c'est pour connaître autre chose, découvrir la France, voir comment est le hockey en Europe. C'est quelque chose qui m'intriguait, j'avais envie de voir comment on pratiquait le hockey de ce côté de l'Atlantique. J'aime ça, et puis je trouve Anglet sympa, je ne connaissais pas la mer, le surf, tout ça. De plus, les partisans sont sympa, j'aimerais revenir.

Pendant l'été, je suis cuisinier, alors je regarde si je pourrai prendre des cours ici. La cuisine française est très réputée, et je crois qu'il y a à Biarritz une école hôtelière. Obtenir un diplôme dans ce métier-là permettrait de préparer mon après-carrière.

- Que penses-tu de l'ambiance à la Barre et dans les autres patinoires ?

J'aime bien la patinoire de la Barre car les partisans sont bien derrière nous, et puis la Banda, c'est vraiment sympa. C'est la première fois que je vois ça dans une patinoire. Il y en a souvent dans les matchs de football américain, mais jamais au hockey. C'est une petite patinoire, quand les gens se mettent à crier c'est vraiment bien, ça pousse l'équipe, et ça déstabilise les adversaires.

Pour ce qui est des autres patinoires, c'était bruyant à Grenoble, mais d'une manière générale j'essaye de ne pas y faire attention pour être au maximum dans le match. Quand les gens crient quelque chose, ce n'est pas en général pour me dire que j'ai de beaux yeux (rires), je fais le maximum pour me couper de tout ça.

- Si vous aviez un mot à dire aux supporters, quel serait-il ?

De venir encore plus nombreux à la patinoire, de continuer à faire du bruit, plus ça nous encourage, plus ça décourage les autres équipes. C'est dur pour les autres de venir ici, on a une petite glace et des supporters qui font du bruit.

- Quelles sont les principales différences avec ton ancien championnat ?

Les play-offs et le nombre de rencontres, dans mon ancien championnat il y avait seize équipes, huit étaient qualifiées pour les séries qui duraient plus longtemps. Ici les demi-finales c'est 2 de 3 (sur trois manches celui qui totalise deux victoires gagne), nous c'est du 4 de 7 (sur sept manches celui qui totalise quatre victoires gagne), tu peux être le dernier à accéder aux séries et gagner le championnat. J'ai hâte de voir si on se qualifie, ça doit être un peu pareil mais en plus (trop) rapide, ça ne laisse pas de marge à l'erreur.

- Ce n'est pas trop dur de n'avoir pas beaucoup de défense devant soi et de se retrouver souvent seul face aux attaquants ?

Dans n'importe quelle équipe, c'est toujours difficile pour un gardien de se retrouver seul face à un attaquant quand les défenseurs font des bévues, ce qui arrive à tout le monde. C'est au gardien de faire le poids dans ce genre de situation de jeu, ça fait partie du métier. Non, on ne pense pas à blâmer le défenseur qui a fait l'erreur, on pense surtout à se concentrer et à faire l'arrêt qui faut. Notre boulot, c'est d'arrêter le palet, qu'il y ait un, deux, ou pas de défenseurs.

- Avoir Drouot comme doublure qui ne joue quasiment pas ne pousse pas forcément à se transcender. Qu'en est-il vraiment ?

Non, ce n'est pas un problème, de manière générale dans une équipe il y a deux gardiens et un seul qui joue. Et puis on forme un tandem, on s'encourage l'un l'autre, on se donne des conseils, souvent Guillaume (Drouot) m'aide, me dit les erreurs qu'il a pu voir. On s'entend bien avec Guillaume, et puis on se comprend vu qu'il a fait des stages d'entraînement avec François Allaire.

En Amérique du Nord, par exemple, à ma première saison il y avait 60 rencontres, j'en ai joué 45. De toute manière ça fait partie du métier de gardien, tu sais que soit tu vas jouer soit tu seras sur le banc. Quand on est sur le banc on essaye d'encourager l'autre.

- Comment s'entraîne un gardien chez toi ? Y a-t-il une grosse différence avec ce qui t'est proposé à Anglet ?

Ici, il n'y a pas d'entraîneur pour les gardiens. Guillaume participe aux camps d'entraînement de François Allaire en Suisse, j'y ai participé moi aussi pendant des années avant d'y intervenir en tant qu'entraîneur de gardiens.

L'entraînement pour les gardiens se limite à arrêter des palets ou à aller les chercher au fond du but. On ne travaille pas la technique, les déplacements. On se retrouve dans des situations de jeu dédiées aux joueurs de champ, on sait ce qu'ils vont faire.

En France, il n'y a pas assez d'entraîneurs de gardiens, leurs connaissances ils doivent aller les chercher à l'extérieur dans des stages (comme celui de François Allaire). Puis il y a une énorme différence, c'est que les rencontres de Ligue Nationale sont souvent filmées à la télévision, on regarde comment jouent les autres gardiens. C'est aussi une manière d'apprendre, ici il n'y a que sur Canal + où l'on peut voir du hockey régulièrement. Tout ça joue sur le niveau des gardiens en France.

- Que peut-on dire à un jeune pour lui donner envie de devenir gardien ?

De ne pas avoir peur de la rondelle (rires). Quand j'étais jeune, les entraîneurs disaient "toi, t'es pas bon en patin, va dans les buts". C'est complètement faux, un gardien doit être fort en patinage, ne serait-ce que pour les déplacements dans la cage. Il doit apprendre à patiner le plus possible et à faire preuve de ténacité. Car il a une chance sur deux d'être sur le banc, donc il doit s'accrocher et continuer à travailler.

- Qu'est-ce qui caractérise l'équipe d'Anglet et sur quel secteur du jeu doit-elle travailler ?

C'est une équipe jeune qui nous permet de regarder sereinement le futur car on ne connaît pas de mauvais matchs, on a beaucoup d'envie. On manque un peu de chance et de réussite, si on pouvait exploiter plus et mieux les rebonds lâchés par le gardien, ça aurait chance le sort de certaines rencontres, face à Rouen par exemple. Plus nous prendrons d'expérience, meilleurs nous serons, ça ne peut qu'aller mieux.

Propos recueillis le 17 janvier 2003 par Hormadiar (les six dernières questions ont été posées par les internautes Pierre et Paul)

 

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