Interview de Christer Eriksson

 

L'ancien adjoint de Heikki Leime en équipe de France a connu les joies du titre de champion en 2005 avec Mulhouse, puis aussitôt le terrible été qui vu la fin du HCM, cloué au pilori pour son hérésie financière. Il est alors parti au Danemark, à Esbjerg, où il a repris un club lui-même mal en point (dépôt de bilan et sauvetage par placement sous tutelle du club de football local) en amenant avec lui plusieurs anciens de la Ligue Magnus. Le temps que l'équipe se forme avec de nombreuses nouvelles têtes, il a terminé huitième pour sa première saison. Il revient aujourd'hui en France à l'occasion d'une tournée de pré-saison d'Esbjerg, avec une escale à Mulhouse puis le tournoi d'Angers (voir les matches amicaux internationaux)

- Abordez-vous cette deuxième saison à Esbjerg avec des ambitions à la hausse ?

Le problème avec le championnat danois, c'est que neuf équipes sur neuf peuvent finir en demi-finale. Aucune équipe ne peut non plus se permettre de dire qu'elle ne terminera pas neuvième, d'autant que tout le monde s'est beaucoup renforcé cette saison. Donc notre objectif sera déjà dans un premier temps de nous qualifier pour les play-offs. Le championnat est long, tout peut être remis en cause.

- Cette densité, c'est ce que recherchent les joueurs qui vous ont suivis ?

Dans le cas de Fabrice Lhenry, il a toujours dit que ce qui l'intéressait au Danemark c'est de pouvoir jouer deux ou trois matches dans la semaine, tandis qu'en France il faut attendre les grandes affiches car tous les matches ne sont pas aussi serrés.

- Au cours de cette tournée, comment avez-vous trouvé l'évolution du hockey français par rapport à l'époque ?

Il faut bien avouer que le hockey en France a tendance à stagner. On change cinq ou six étrangers, mais le reste est souvent du même niveau.

Des trois équipes françaises que nous avons rencontrées, Dijon me paraît la plus faible. Prendre toujours le moins cher, ça me paraît un peu limité comme stratégie. Faire venir des Tchèques ou des Slovaques à la dizaine, ça ne va pas très loin. Angers me semble plus fort qu'Épinal et Dijon, cependant ils ont un trop faible effectif. Avoir trois lignes pile est un peu juste en cas de blessures.

Je trouve ça honteux que la mairie n'aide pas plus un club comme Angers quand il organise un tel tournoi, ne serait-ce que pour donner de bonnes conditions d'entraînement ou simplement pour nettoyer. Les poubelles remplies, ce sont vraiment des détails qui sentent l'amateurisme...

Le problème en France, c'est qu'il n'y a pas la culture du haut niveau. On veut bien des résultats, mais on n'est pas prêt à en payer le prix. Construire quelque chose dans la longueur, cela se fait en y mettant les moyens, en donnant des heures de glace au mineur. Au Danemark, les juniors s'entraînent quatre fois par semaine le soir et trois fois le matin.

Le seul club en France qui ait réussi à s'inscrire dans la durée, c'est Rouen, même si Grenoble et Amiens ne sont pas loin derrière. C'est un club qui a une stratégie, et qui peut se permettre d'en changer suivant les saisons. La saison dernière, le RHE avait décidé en quelque sorte d'"acheter le titre", comme nous [à Mulhouse] l'année d'avant. Enfin, pas tout à fait comme nous, parce que nous n'avions pas l'argent pour le faire... Et cette saison, Rouen incorpore ses jeunes et leur donne plus de place. Tout cela est pensé en fonction d'objectifs qui sont fixés bien en avance.

- Puisque l'on évoque le RHE, pensez-vous que Pierre-Édouard Bellemare puisse réussir à Leksand où il a été pris à l'essai ?

Je l'espère, pour lui et pour le hockey français. Il le mérite. C'est un joueur qui bosse comme un taré, qui est humble et qui est bourré de talent. J'ai participé un peu à l'amener là-bas. Je suis en contact avec les dirigeants de Leksand, il fait du bon boulot même s'il n'est pas encore confirmé dans l'effectif.

C'est important qu'un Français puisse réussir en Suède après les demi-échecs des Rozenthal, de Briand et de Zwikel. Cela permettra aussi de pouvoir recruter de meilleurs joueurs de là-bas. Ce que j'appelle un étranger qui réussit, c'est quelqu'un qui dure et qui reçoit de nouvelles propositions de contrat. L'exemple-type, c'est Daniel Carlsson à Rouen.

- Vous avez commencé cette tournée en France en revenant à Mulhouse. Pensez-vous que le hockey puisse y re-décoller ?

Oui. On ne peut pas dire que ce soit une ville qui ait une culture de hockey, mais il y a plein de gens à Mulhouse qui aiment ce sport. Lors des deux matches Dijon-Esbjerg et Épinal-Esbjerg que nous avons joués là-bas, il y avait plus de spectateurs qu'ici à ce tournoi pour voir jouer Angers !

Je reste persuadé que la fédération pouvait sauver le hockey à Mulhouse si elle le voulait. Malheureusement Paul Heyberger était têtu : s'il avait sauté du bateau, tous les gens étaient prêts à aider, de la mairie aux partenaires en passant par la fédé, et le club aurait eu les moyens de s'en sortir. Mais nous avions un président égocentrique qui a fait passer le club derrière lui-même. C'est devenu un jeu politique et je suis triste que cela se soit terminé ainsi.

- Comment analysez-vous rétrospectivement le naufrage du HCM ?

C'est simple. Le club était parfaitement sous contrôle avec Claude Bauer, ensuite c'est devenu n'importe quoi.

Bauer a un défaut, c'est qu'il est impulsif. Comme il devait agrandir son étude de notaire, il avait donc décidé qu'il quitterait le club. À cette époque, j'avais fait partie de ceux qui avaient essayé de manœuvrer en coulisses pour éviter que Heyberger soit élu. Il y avait deux ou trois autres candidats qui auraient été prêts à prendre la succession si on leur avait demandé. Mais Heyberger s'est tout de suite mis en avant, il a fait campagne et il s'est ainsi retrouvé seul en piste.

Avec lui, on avait un peu peur, mais on espérait quand même que ça se passerait bien. J'étais sous contrat avec le club et je ne pouvais pas trop l'ouvrir, même si je me suis disputé plusieurs fois avec lui au cours de la saison. J'avais fait le choix de rester, donc j'assumais. Je pouvais trouver des joueurs pour tel ou tel prix, mais il a vite décidé de s'occuper de ça lui-même et d'engager des recrues qui me paraissaient au-dessus de nos moyens. Malgré tout, comme on recevait régulièrement nos payes à la fin du mois, on se disait que ça allait, même si on savait que c'était un peu du bricolage. Mais qui est complètement honnête en France ? On peut faire payer un joueur par un sponsor, ou bien envoyer un chèque directement au Canada...

- Et au Danemark, avec la culture scandinave, ça se passe différemment ?

Au Danemark, tout est très carré, on paye toujours 100% des impôts dus. Il y a un vrai directeur financier qui s'occupe des comptes. À Esbjerg, le club a été repris l'an passé par le club de football (EfB) qui a un budget total de vingt millions et qui a vingt salariés à plein temps. Il y a une direction commerciale, six personnes pour l'animation et la vente, trois secrétaires et deux comptables. Il y a une personne à plein temps pour le matériel plus deux à mi-temps, un caméraman, un masseur et un docteur. Eux ne sont pas employés du club mais ils sont payés.

Bien sûr, c'est un cas à part car les autres ne sont pas au sein d'un club de football, mais tous les clubs danois sont très structurés. Et surtout, ils s'entourent de compétences. La dernière personne que l'EfB ait embauché est un ancien directeur de banque, vous imaginez bien que cela se paye. En France, quand tu prends une secrétaire, c'est un emploi jeune, et quand tu engages quelqu'un comme vendeur, c'est un bras cassé.

- Les clubs français ont-ils les moyens de se structurer ?

C'est avant tout une question de continuité. Il est difficile de construire dans la longueur s'il n'y a pas une stratégie derrière. Il faut savoir très tôt ce que l'on veut pour l'an prochain. C'est en cela que Rouen est un modèle.

J'aime la France, mais ça manque de rigueur. C'est plutôt "toi, tu viens, tu aimes le hockey, tu vas faire manager". Et puis après, on s'étonne que l'équipe ne marche pas, parce qu'il y a deux alcooliques russes. Alors, que fait-on ? On change d'entraîneur... Combien y en a-t-il eu à Épinal depuis deux ans ? Il n'y a pas de continuité, pas de patience.

Je pense par exemple qu'il aurait été possible pour une ville comme Lyon d'attirer les meilleurs jeunes Français. Si au lieu de prendre un étranger à deux mille euros, on prend quatre étudiants à cinq cents euros, éventuellement encadrés par un ou deux étrangers, on forme une équipe commando qui permet de faire jouer les jeunes à haut niveau.

- Y a-t-il des exemples danois dont la France pourrait s'inspirer ?

Chaque année à Esbjerg, lors de la dernière semaine de juillet, on organise un stage national appelé "Kick-off". Toutes les équipes juniors y sont regroupées (moins de 17 ans, moins de 18 ans et moins de 20 ans), avec tous leurs entraîneurs et dirigeants. Il y a un encadrement complet avec un entraîneur des gardiens et un préparateur physique.

Au cours de la saison, les moins de 17 ans sont également rassemblés toutes les trois semaines pendant deux jours. Leur championnat s'arrête lors des week-ends correspondants.

- Pensez-vous que le Danemark soit aujourd'hui une nation établie dans l'élite mondiale ?

Mikael Lundström a réussi à maintenir l'équipe nationale pendant quatre ans dans le groupe A, mais cette position reste quand même fragile. On n'est pas à l'abri de la relégation. Maintenant, il y a un nouveau sélectionneur canadien, il n'est certainement pas mauvais, mais ça fait quand même un changement. Si le Danemark arrive à passer ce cap, compte tenu des bonnes générations de jeunes qui arrivent, je pense qu'il aura ensuite les moyens de se rapprocher des meilleurs.

Rien ne dit que, avec la nouvelle fédération, la France ne peut pas faire la même chose ! Il existe beaucoup de potentiel de bons hockeyeurs. J'avais pris beaucoup de plaisir à travailler avec la génération d'Amar et de Meunier à Lyon, puis avec les générations 1982 à 1984 chez les juniors de Rouen.

- Que faut-il faire pour exploiter ce potentiel ?

Toutes les stratégies sont bonnes ; l'important, c'est de ne pas en changer dix fois dans l'année.

J'ai vu Dave Henderson ici. Il voulait rassembler les internationaux l'été pour un stage de Font-Romeu. La première année, il a été annulé. La deuxième, il a eu lieu ; qu'en sera-t-il l'année prochaine ? On a aussi décidé de créer une équipe espoirs. Leur premier regroupement a été annulé... Je me souviens qu'il y avait eu un stage de gardiens à Amiens, dont je n'ai plus jamais entendu parler par la suite. Où est la continuité ?

Un moment, il avait été envisagé de regrouper les cent meilleurs jeunes dans quatre stages régionaux. Dans un grand pays comme ça, cela peut être une solution. Il n'y a pas besoin de déplacer des entraîneurs : on en a un bon à Rouen avec Alain Vogin, on peut lui demander de s'occuper du quart nord-ouest, etc.

Quand Nano Pourtier était manager de l'équipe de France, c'est lui qui m'avait appelé pour venir à un stage de l'équipe à Anglet et qui m'avait finalement engagé comme entraîneur à temps partiel de Heikki Leime, que je connaissais. Je me souviens que beaucoup de monde l'avait critiqué, mais Nano, au moins, on savait ce qu'il voulait, et il le disait. Il allait dans une direction. Les autres, ils ne bougent pas. Quand ils font une connerie, on les met dans un placard et l'année suivante ils ressortent. Quand il était entraîneur des moins de vingt ans, Dany Gélinas voulait changer les choses, mais Daniel Grando lui avait fait savoir que ce n'était pas possible. Il y a trop de gens qui ne veulent pas évoluer...

Propos recueillis le 28 août 2006 par Marc Branchu

 

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