Interview de Barry Beck

 

Dentition partielle, menton carré (comme les épaules) et visage à stigmates, Barry Beck a connu une NHL disparue, celle des bagarres systématiques, des conférences Adams, Norris et autres, où les étrangers étaient encore une curiosité. Comme la Ligue cependant, le natif de Vancouver a su s'adapter à la mondialisation et éveille aujourd'hui au hockey sur glace le port-franc de Hong Kong, qui fait son grand retour aux Championnats du monde. Avant même d'évoquer les caprices du sort qui ont mené le géant de British Columbia à la pointe est de l'Asie, nous entamons la conversation sur quelques souvenirs. D'expérience, nous savons que la machine à se remémorer n'est jamais bien difficile à lancer chez les anciens sportifs...

- Après avoir remporté la Coupe Mémorial avec les Bruins de New Westminster, vous aviez été repêché par une équipe de la World Hockey Association (Calgary Cowboys) et une équipe de la NHL (Colorado Rockies). À qui vous avez donné votre préférence ?

Très jeune, mon rêve était de jouer dans la Ligue Nationale, donc c'était mon premier choix. Ironie de l'histoire, les Calgary Cowboys ont disparu avant le début de la saison, donc le choix a été très vite fait !

Les équipes les plus "faibles" peuvent repêcher de meilleurs espoirs et les développer. J'ai eu des discussions avec Montréal avant la draft, mais je leur ai dit que je ne souhaiterais pas jouer chez eux, contrairement à beaucoup, car je voulais aller dans un endroit où j'aurais la chance de jouer. Colorado m'a donné cette opportunité.

- Dans le Colorado, il ne vous a pas fallu longtemps pour vous adapter à la grande, car vous étiez rapidement l'un des meilleurs jeunes défenseurs, seulement battu par Mike Bossy dans la course au Trophée Calder

Quand je suis arrivé dans la NHL, je ne dirais pas que tout était facile, mais j'ai eu la chance de bénéficier d'un temps de glace important au Colorado, notamment sur les unités spéciales. Nous étions une équipe jeune et j'ai pu apprendre rapidement. C'était bien d'être en lice pour le Calder, mais Mike Bossy a marqué tellement de buts pour les Islanders qu'il était difficile de rivaliser.

- Une histoire impliquant l'un des chiens de Don Cherry (l'entraîneur des Colorado Rockies) a fait grand bruit...

Don a eu un plusieurs chiens, très souvent identiques d'ailleurs, de la race English bull-terrier.

Son chien était dans le vestiaire, installé dans un endroit où j'avais l'habitude de me préparer. Nous étions trois joueurs, préparant nos crosses, lorsque l'animal s'est approché de moi. Je lui ai donné une petite "tape" avec ma crosse et il est parti en aboyant vers le bureau de Don. Celui-ci est sorti en disant : "Qui a frappé Blue ?". Blue était bien entendu le nom de son chien, qu'il aimait par-dessus tout. Don a regardé dans ma direction : "Si je sais qui a frappé Blue, il sera échangé demain." Personne n'a répondu, mais deux jours plus tard j'étais échangé chez les Rangers de New York...

On a beaucoup parlé de cette histoire pour expliquer l'échange qui a suivi, mais peut-être s'agissait-il d'une coïncidence ? Je ne sais pas.

- Qu'est-ce qui vous a marqué en arrivant dans une équipe faisant partie des "Original 6" ?

Mon premier match au Madison Square Garden était fantastique, totalement différent de ce que j'ai vécu au Colorado, où faire venir les fans était si difficile qu'il y a avait à peine 8 000 personnes par match. Jouer à New York devant 20 000 personnes dans un endroit tel que le Garden, être aligné à la ligne bleue à écouter l'hymne national est indescriptible. New York est une ville spéciale, où il faut donner le meilleur de soi-même. Il y a beaucoup de pression, en particulier pour le capitaine. Tu dois bien jouer, gérer les médias, les partisans, qui peuvent t'adorer un jour et te détester le lendemain.

- Qu'en était-il de la rivalité avec les Islanders, à leur meilleur niveau à l'époque ?

Nous étions coachés par Herb Brooks, arrivé aux Rangers avec plusieurs joueurs, dont certains avaient participé aux Jeux de Lake Placid. Les rencontres avec les Islanders étaient épiques. Je ne sais plus combien de joueurs ils ont au Hall of Fame, mais ils formaient une équipe formidable. Nous parvenions à rivaliser à plusieurs reprises car notre équipe n'était pas loin d'être la deuxième de la ligue.

- Avez-vous regretté de ne pas avoir joué à une autre époque pour les Rangers, alors barrés par les Islanders puis les Canadiens ?

Je ne pense pas qu'il y ait un mauvais moment pour jouer pour les Rangers. Avoir la chance de porter ce maillot et de jouer au Madison Square Garden est une chance.

- De 1986 à 1989 vous n'avez pas joué.

J'ai subi deux opérations à l'épaule. Je m'étais retiré, jouant avec des amis tout en essayant de renforcer mon épaule. Je pensais ne pas revenir au jeu, mais Wayne Gretzky m'a appelé au bout de trois ans pour que je le rejoigne aux Kings. J'étais toujours lié aux Rangers de New York, donc il a fallu un accord entre les deux franchises qui a fini par se faire mais pendant mes trois ans loin de la NHL, je ne jouais qu'à un petit niveau, avec mes amis. Avoir été capitaine, dans un rôle bien précis, et devoir ensuite être en charge d'un autre rôle demande du temps. Je n'ai pas été capable de donner satisfaction. Et entre 1986 et 1989, le jeu avait tant changé. Par exemple, je ne portais pas de casque et, à mon retour, j'étais un des seuls à ne plus en porter. Tout a évolué très vite et j'ai compris que j'avais fait mon temps en tant que joueur. Pour tenir dans ce milieu, il ne faut pas s'arrêter de jouer. J'ai fait six mois aux Kings et je me suis mis à la retraite. Définitivement.

- Vous ne portiez pas de casque : comment a-t-il été possible, même après la mort de Bill Masterton, qu'il faille si longtemps pour que le port du casque devienne obligatoire ?

C'est, malheureusement (il soupire...), malheureusement un argument de vente de la NHL. Ou c'en était un. Des fois, tout se résume à une histoire d'argent et, pour la NHL, le simple fait que les joueurs ne soient pas casqués rendait le spectacle plus facile à vendre ! Les joueurs pouvaient par exemple être reconnus, puisque l'on voyait leur visage. Les fans adoraient cela. Finalement, à mesure que le casque se généralisait partout, les administrateurs de la NHL ont compris que la règle changeait d'elle-même. Mais cela n'a pas été sans conflit. Il a fallu, et il faut toujours aujourd'hui pour d'autres principes du même genre, une blessure grave ou pire pour que les lignes bougent. La NHL ne raisonne qu'en termes de spectacle, pas de développement ou de formation par le sport comme l'IIHF. Ce sont deux types d'associations différentes. Les pièces d'équipement changent continuellement : aujourd'hui, de nombreux jeunes joueurs portent des protections à la nuque quand tant de joueurs, moi en premier, ne protégions même pas notre tête. Cela faisait partie du jeu, point.

- Suivez-vous toujours ce qu'il se passe en NHL ?

Pas vraiment, à cause surtout du décalage horaire. À sept heures du matin, je suis très occupé, j'enseigne le hockey aux jeunes et n'ai pas le temps de regarder des matchs professionnels. Mais plusieurs personnes travaillant avec moi suivent ce qu'il se passe et me tiennent au courant, notamment bien sûr au sujet de ce qui se passe chez les Rangers.

- Venons-en à Hong Kong. Comment y avez-vous atterri, connaissant votre pedigree ?

J'ai des amis au Canada qui participent tous les ans à un tournoi de hockey à Hong Kong. Une équipe de policiers de Vancouver. Ils m'ont appelé et m'ont parlé d'un projet d'académie de hockey à Hong Kong et m'ont suggéré d'y apporter mon aide. Cela m'a beaucoup plu car c'est ce que je faisais déjà au Canada, et je me suis mis en lien avec ces gens de Hong Kong, leur disant ce qu'ils devraient faire. Nous avons échangé par mail et quand ils en sont venus à me demander si je n'avais pas un nom en tête pour diriger leur académie, ils m'ont proposé d'y aller, moi. Aujourd'hui, j'essaie surtout d'installer un championnat local de hockey d'un niveau correct, car nos jeunes joueurs sont très inexpérimentés. Vous voyez la différence, contre le Luxembourg ou la Bulgarie, dont quelques joueurs ont une expérience du haut niveau.

- Êtes-vous à plein temps à Hong Kong ?

Oui, en tant qu'employé de l'académie de hockey (ndlr, HKAIH pour Hong Kong Academy of Ice Hockey), dont le président est Thomas Wu, vice-président de l'IIHF en charge de la zone Asie-Océanie.

- Mais vous n'êtes plus en lien avec aucun programme de développement nord-américain, ou franchise de NHL...

Non, je suis entièrement consacré au développement et à la formation au hockey à Hong Kong. Nous avons si peu de temps de glace et cela coûte si cher qu'il faut le rentabiliser au maximum et faire en sorte qu'il profite le plus possible aux jeunes du pays. On essaie de dégager un effectif de jeunes Hong-Kongais pour qu'ils progressent ensemble. Nous avons une Ligue scolaire, une Ligue universitaire et un programme directement adressé aux jeunes natifs. Nous ne pouvons pas compter seulement sur les imports étrangers naturalisés.

- Combien y a-t-il de patinoires à Hong Kong ? Vous parliez de problèmes de temps de glace.

Deux priorités sont nécessaires au développement du hockey : avoir plus de terrains de jeu et plus d'entraîneurs. Le coût de la glace est assez exorbitant, mais il faut faire grandir le nombre de joueurs, développer le nombre de programmes pour les jeunes et leur permettre un jour d'arriver au niveau international.

Nous nous occupons d'environ 350 gamins chaque semaine. Il y a quatre patinoires, dont une seule aux dimensions NHL que nous n'avons même pas le droit d'utiliser car elle est exploitée par une organisation concurrente à notre académie. Donc nous entraînons nos jeunes inscrits sur trois petites glaces et cherchons d'autres recours, comme le hockey in-line pour les plus jeunes. Dans les écoles primaires et les collèges, nous pouvons leur apprendre les bases du hockey avec des rollers, cela nous évite de perdre de l'argent et du temps de glace pour les plus petits, à leur apprendre les rudiments. L'utilisation de glace synthétique est aussi une solution, du fait du coût élevé de la glace.

- Quelles sont vos perspectives ? Avez-vous des ambitions clairement définies pour Hong Kong ?

Oui, bien sûr. Structurer au maximum le hockey local. Nous avons déjà envoyé trois équipes aux championnats du monde cette année : une féminine, nos U18 et ma sélection. Nous construisons à partir de cela. Mais attention : le programme national de l'Ice Hockey Association (ndlr : HKIHA, à ne pas confondre avec le sigle évoqué plus haut) est différent de ce que je fais à l'académie. Nous parvenons pour l'instant à collaborer, mais vous ne pouvez jamais savoir : un conflit d'intérêt, de personnes, pourrait remettre cela en cause. Je m'occupe du programme national depuis cette année seulement. Nous nous concentrons sur le principal : composer un groupe suffisant de joueurs et faire naître une culture du hockey sur le territoire, en agissant notamment à travers les réseaux sociaux.

- Votre engagement, personnellement, est à long terme ?

Je suis à Hong Kong depuis six ans à ce jour et j'ai bien l'intention d'y rester au moins jusqu'à la construction d'une nouvelle patinoire ouverte au hockey, ce pour quoi le gouvernement est prêt à investir. Il y a énormément d'argent privé à Hong Kong mais aucun disponible pour une patinoire, il faut donc en recourir au gouvernement. Sans lui, rien ne peut se faire. Et pour obtenir un tel financement, il faut que la population y trouve son compte, que les gens sachent pourquoi est dépensé leur argent. Et cela devient, forcément, un sujet politique. Cela l'est nécessairement à partir du moment où, en hockey sur glace, vous souhaitez que les collectivités locales vous soutiennent.

- L'investissement envers des jeunes gens locaux, nés à Hong Kong, est un argument en votre faveur ? J'ai vu, sur la feuille de match, des joueurs dont les prénoms sont Emerson, Anthony, etc. Ce sont des naturalisés ?

C'est amusant que vous posiez cette question. Non, en réalité, à Hong Kong, ils se donnent dès la naissance un surnom anglophone en plus de leur nom chinois. C'est la tradition là-bas et cela n'a rien à voir avec l'origine ethnique. Pour être plus précis, aujourd'hui, pour participer aux compétitions locales de jeunes, il est obligatoire d'avoir un passeport de Hong Kong. C'est pour cela que le programme de notre académie s'adresse aussi, en particulier, aux jeunes gens porteurs du passeport de Hong Kong. Mes amis et collègues canadiens qui vivent sur place ne sont pas très heureux puisqu'ils ne peuvent plus inscrire leurs enfants dans ces circuits, désormais. Espérons qu'une nouvelle patinoire pourrait résoudre ces difficultés.

- Qu'en est-il des rencontres avec vos voisins, comme les équipes chinoises, Macao ?

Il y eut un tournoi sur une année. Nous devrions jouer plus de matchs avec Macao, la Thaïlande, Taïwan, qui a un bon projet, autant de pays proches. C'est la première fois depuis 26 ans que nous arrivons aux Championnats du monde, il faudra être bien préparés à travers différentes rencontres amicales de niveaux hétérogènes.

- Quels étaient les objectifs de Hong Kong en arrivant aux Championnats du mnde ?

Nous avions la volonté d'essayer de gagner deux matchs. Corée du Nord, Bulgarie et Luxembourg étant plus forts, les deux premières rencontres étaient censées être les plus faciles. Avoir joué et battu les Émirats Arabes Unis par le passé nous a donné une idée de leur niveau, le gros match de notre gardien nous a aidés. Gagner deux matchs et être invaincus après deux jours ne nous était jamais arrivé, il faut le savourer !

Propos recueillis en avril 2014 à Luxembourg par François Borel-Hänni et Mathieu Hernaz

 

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