Zurich SC Lions

Chapitre IV - Fusion et licenciements

 

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Le ZSC réussit enfin à s'établir en LNA, en grande partie grâce au centre Christian Weber et à l'ailier Adrian Hotz, deux joueurs issus de Dübendorf, un village voisin de Zurich qui est une vraie pépinière de talents aux début des années quatre-vingts. Le Hallenstadion se passionne peu à peu pour le hockey sur glace, même si les grands succès se font rares. Les play-offs aboutissent généralement à une élimination prématurée, à l'exception de 1991/92, où le club réussit l'exploit d'accéder aux demi-finales en éliminant Lugano par trois manches à une, dont deux victoires aux tirs au but acquises grâce à Krutov et Hotz. Un déclic s'est produit dans l'équipe zurichoise, et il correspond au remplacement en cours de saison de l'ex-sélectionneur tchécoslovaque Pavel Wohl par Arno del Curto, qui est alors l'unique entraîneur suisse de LNA.

En 1992/93, le ZSC croit avoir trouvé avec un duo canadien venu de Rosenheim (Dale Derkatch et Gord Sherven) une paire digne de rivaliser avec l'exceptionnelle duo de Fribourg, Bykov et Khomutov. Mais Kloten montrera que la vraie réponse est suédoise et non canadienne, tandis que Zurich terminera à une peu glorieuse septième place, Derkatch étant renvoyé dès décembre (il repartira en Allemagne, à Düsseldorf). Le ZSC tente alors lui-même l'expérience russe en 1993/94 avec Vladimir Eremin et Sergueï Pryakhin, mais sans plus de succès.

Même si la puissante presse zurichoise continue à clamer de grandes ambitions et à mettre la pression sur le club, on revient à un peu plus de modestie et de travail en 1994/95, première saison sous la direction de Larry Huras. Le ZSC pousse Zoug à une cinquième rencontre en quart de finale mais ne conclut pas l'exploit. En 1995/96, après un démarrage difficile, l'équipe retrouve la forme avec le défenseur finlandais Reijo Ruotsalainen. Elle connaît ensuite une nouvelle baisse tension, mais se relance grâce à une victoire 5-4 à Berne et prend la dernière place en play-offs. C'est justement contre Berne, leader de la saison régulière, que l'aventure se termine.

Le ZSC licencie alors Huras et décide de faire appel à Alpo Suhonen, l'atypique entraîneur finlandais, ancien directeur du théâtre de Turku. Suhonen, qui a déjà été l'entraîneur de Zurich entre 1986 et 1988, vient de conduire Kloten à deux titres d'affilée. Mais ce qui fonctionne chez les voisins de la ville aéroportuaire n'est pas nécessairement transposable, et le "sorcier" Suhonen perd toute sa magie dans les play-offs de la saison 1996/97. Zurich y devient la troisième équipe depuis l'introduction des play-offs en 1986 à être éliminé après avoir remporté les deux premières manches. Il faut dire que le ZSC avait terminé encore une fois huitième et avait une tâche difficile face aux leaders bernois.

La fusion

En 1997, la situation du hockey zurichois est la suivante. D'un côté, le ZSC, qui a une patinoire spacieuse, sa place en LNA, des supporters fidèles qui l'ont suivi dans les hauts et dans les bas, et auquel il ne manque que les finances. De l'autre, les Grasshoppers, qui ont l'argent et des ambitions (souvent contrariées), mais pas l'environnement qui va autour. Bien évidemment, l'idée d'une fusion germe, à la grande colère des supporters des deux clubs qui n'ont pas envie de brader leur identité. Mais la raison économique est la plus forte. La fusion aboutit, essentiellement sous l'impulsion du président Walter Frey, dirigeant du groupe zurichois Emil Frey qui est le principal importateur et distributeur d'automobiles en Suisse. C'est aussi le bras droit de Christoph Blocher, l'homme qui a fait d'un anonyme parti de centre-droit (l'UDC) le principal parti du pays avec une ligne populiste anti-immigration. Frey ne fraye pas avec les thèses ou avec le passé d'extrême-droite de Blocher mais ancre le parti dans les milieux économiques zurichois. En janvier 1998, les ZSC Lions recruteront comme directeur sportif l'ancien sélectionneur national Simon Schenk, lui-même membre de l'UDC et si populaire qu'il réalisera quelques-uns de ses meilleurs scores électoraux. La politisation du club est inquiète aussi en raison de certains groupuscules racistes de supporters de football zurichois qui s'infiltrent aussi au Hallenstadion, ce qui fait du hockey suisse le plus atteint en Europe par la violence en tribune ou en marge des rencontres, mais ces actes diminueront au fil de temps.

Cette union est loin d'être équilibrée. Le ZSC gagne une meilleure assise financière et une base formatrice plus large qui lui permet de ne plus être totalement dominé par le rival local Kloten dans le développement des jeunes. Le Grasshopper Club y perdra tout, absorbé et relégué à un rang subalterne. Les deux identités ne fusionneront pas dans les coeurs, et les "Grasshoppers" (sauterelles en anglais) verront leurs pattes cassées et leur nom se perdre dans les oubliettes de l'histoire au profit d'un ZSC rendu plus puissant. Dans les premiers temps, les supporters du ZSC applaudiront toujours l'annonce des défaites des Grasshoppers devenus GCK Lions, quand bien même il s'agit de la même entité. L'opposition historique entre le ZSC populaire et les Grasshoppers bourgeois subsiste dans les esprits, mais elle sera progressivement gommée. Il ne peut y avoir de rivalité face à une équipe-ferme !

Cette fusion crée deux équipes partenaires, l'une en LNB sous le nom de GCK Lions, et l'autre en LNA qui doit s'appeler selon le projet initial "Züri Lions". L'opposition est farouche et parvient à sauver les initiales historiques, celles-là même pour lesquelles le club avait dû batailler avec acharnement un demi-siècle plus tôt avant de les conserver dans la douleur. Elles survivent une fois encore, et la nouvelle entité sera donc baptisée "ZSC Lions".

Ce n'est pas pour autant que l'équipe rugit à nouveau. L'exigeant Hans Zach, élu cinq fois meilleur entraîneur du championnat allemand, avait été embauché pour s'occuper des Grasshoppers en LNB, et le voilà qui se retrouve du jour au lendemain à la tête d'une équipe de LNA qui n'est pas aussi ambitieuse dans le vestiaire qu'on pourrait le croire avec ses gros moyens...

La saison 1997/98 commence bien, et dès novembre, le contrat de Zach est prolongé de deux ans. Mais le courant ne passe pas vraiment entre l'entraîneur allemand et ses joueurs. Début février, lors d'une discussion cordiale d'une demi-heure avec le président Walter Frey, Zach apprend sans s'en étonner qu'il est licencié, la seule fois de sa carrière qu'il connaît un tel sort en cours de saison. Son interview à Eishockey News est sans filtre : "Je dois avouer que j'ai mal évalué la mentalité des Suisses. C'est un autre hockey qu'en Allemagne. Il n'y a aucune action dure, on ne joue pas l'homme. Après une charge légale, le jeu est interrompu. On ne peut pas s'imaginer ça ici. Les Suisses ne sont pas chauds, il n'y a aucune émotion dans le jeu. Ils sont satisfaits d'eux-mêmes et du monde, qu'ils gagnent ou qu'ils perdent." Son expérience négative des joueurs contracte avec son expérience positive de toute l'organisation, et avec son étonnement envers les supporters : "Cela fait 37 ans qu'ils attendent le championnat, avec une passion qu'on ne connaît chez nous qu'au football avec Schalke ou Munich 1860. Les fans du ZSC aiment attendre. Ils ne veulent pas une ligne claire, dirigée vers la réussite. Je crois même qu'ils aiment souffrir..." Son successeur Kent Ruhnke réussit à sauver les meubles et à assurer le maintien dans le tout dernier match d'une poule de relégation marquée par des polémiques d'arbitrage, contre Herisau.

En décembre 1998, le renfort canadien Chad Silver meurt à son domicile d'une insuffisance cardiaque. Cette tragédie s'inscrit dans une série de quatre décès suspects en Europe, qui suggèrent que certains à-côtés douteux - en clair, des pratiques dopantes - parfois en vigueur dans le hockey nord-américain se sont infiltrés aussi de ce côté-ci de l'Atlantique. Pour ce qui est de la saison 1998/99 proprement dit, Zurich commence à tutoyer les sommets et à se découvrir de nouvelles ambitions. Ari Sulander, qui remporte le trophée Jacques Plante de meilleur gardien du championnat suisse, y est pour beaucoup. Mais, s'il y a une deuxième place de la saison régulière à la clé, la sortie les guette dès les quarts de finale dans le derby contre Kloten. Pourtant, quand les play-offs sourient enfin en 1999/2000, c'est pour de bon ! Au bout du tunnel, un nouveau titre de champion, 39 ans après, grâce à un but d'Adrian Plavsic à dix secondes de la fin de la sixième manche contre le grand favori, Lugano.

Valse des entraîneurs malgré les titres

Même s'il a su mettre en place un hockey spectaculaire et couronné de succès, Kent Ruhnke est remercié à la fin de la saison. Il découvre ainsi le dur métier d'un entraîneur à Zurich, aux prises avec une presse impitoyable. Pour s'imposer à ce poste, autant prendre quelqu'un qui a déjà vécu cet enfer. C'est peut-être pour cela que, après Suhonen, les ZSC Lions rappellent à nouveau un "revenant", un de leurs anciens entraîneurs, en l'occurrence Larry Huras. Celui-ci vient de remporter deux Coupes Continentales avec Ambrì-Piotta, et peut s'atteler au même défi à Zurich. Du fait de la disparition de l'EHL, c'est en effet la seule compétition européenne restante, et le champion de Suisse organise la tournoi final. Zurich s'adjuge ainsi cette Coupe Continentale.

Ce trophée remet en selle une équipe qui vit des semaines difficiles dans le championnat 2000/01. Encore une fois, l'adversaire s'appelle Lugano, qui s'impose pour un point en saison régulière. Les Tessinois mènent d'ailleurs trois manches à une, mais s'écroulent au lieu de conclure à domicile, et les Lions réussissent un renversement de situation inespéré en remportant les trois derniers matches, le dernier en prolongation sur un but de Morgan Samuelsson, joueur suédois engagé comme joker et quatrième étranger à l'occasion de ces play-offs. Traité de "clown" par le Blick quelques temps auparavant, Huras réussit lui aussi la saison parfaite malgré une presse à la dent toujours aussi dure.

Il ne le sait pas encore, mais ce n'est qu'un sursis. Un départ catastrophique lors du championnat 2001/02, et le voilà licencié dès le début du mois de novembre. Il est remplacé par Pekka Rautakallio, qui avait été auparavant limogé par Berne - comme quoi le ZSC n'est pas le seul club à faire une grande consommation d'entraîneurs. Alors que tout le monde s'attend avant la saison à un duel Lugano-Zurich, le déroulement du championnat est tout autre. Derrière Davos qui s'échappe grâce au renfort de Riesen et von Arx revenus d'Amérique du Nord, les autres clubs piétinent. Zurich, qui se console au passage avec une nouvelle Coupe Continentale un peu dévaluée par manque de concurrence, ne termine que cinquième et n'a même pas l'avantage de la glace en quart de finale. Il se sort tout de même du piège Ambrì-Piotta, en s'aidant de deux victoires en prolongation et d'une autre aux tirs au but. Le duel contre Lugano est avancé aux demi-finales, et Zurich s'impose comme l'année précédente lors de la manche décisive à l'extérieur. Mais, victimes d'une avalanche de blessures en défense, les Lions sont à bout de forces en finale et sont contraints de céder leur titre à Davos.

La naturalisation de Jan Alston, qui s'est tant fait attendre la saison précédente, permet arrivée d'un renfort étranger supplémentaire, Christian Matte. La force de celui-ci réside dans la qualité de son lancer, qui le rend décisif lorsqu'il est bien servi. C'est le cas avec le vétéran Derek Plante au centre, et ces trois hommes forment une ligne qui dévaste le championnat... pendant la moitié de la saison 2002/03. Zurich est alors le grand favori mais ses performances laissent de plus en plus à désirer. Il ne doit de garder la première place de la saison régulière qu'à son gardien Ari Sulander, qui devient même lors d'un match à Ambrì le premier gardien à marquer un but en LNA (Martin Gerber l'avait fait en LNB).

En quart de finale, les Zurichois enchaînent trois défaites de suite face à Rapperswil, qui joue sans pression en play-offs après son repêchage sur tapis vert, mais ils remportent les deux dernières manches grâce à son métier. Leur chemin s'arrête cependant au tour suivant contre Lugano, l'adversaire fétiche de ces grandes années, qui prend maintenant sa revanche. Il faut dire que Larry Huras est maintenant passé sur le banc adverse... On dirait qu'une page se tourne.

Sous fond de critique contre les décevantes vedettes présumées, Pekka Rautakallio, qui avait laissé trop peu de temps de jeu aux jeunes, est licencié. L'ancien joueur Christian Weber, entraîneur de la "pépinière" des GCK Lions avec laquelle il a obtenu d'excellents résultats, se voit confier les clés de la "grande équipe". Un signe de rajeunissement qui a une cause plus profonde qu'une simple insatisfaction sportive passagère : le club doit faire des économies en prévision d'un exil forcé.

Chapitre suivant (De l'exil à l'exploit)

 

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