Frölunda

Chapitre III - Les dieux du stade

 

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Pour sa seconde expérience dans l'élite, Västra Frölunda ne laisse rien au hasard. C'est une préparation de haut niveau qui est proposée. Elle commence dès le 1er août. Un ancien coureur de demi-fond, Lennart Nilsson, emmène les hockeyeurs courir deux fois par semaine à Slottsskogen, le parc de la ville. Un lutteur, Kent Synnergren, développe leur force et leur agilité par des exercices de gymnastique. La glace, elle, n'est disponible que fin septembre. Une fois les patins aux pieds, c'est bien sûr Lars-Eric Lundvall qui prend le relais et dirige l'entraînement.

Les promus sont donc parfaitement prêts physiquement pour le championnat 1961/62, et ils gagnent 14-0 à Södertälje, là même où ils avaient été battus 19-3 deux ans plus tôt ! Que d'écart en deux petites années ! Cette fois, évidemment, les deux stars du pays ont changé de camp, et le capitaine Lars-Eric Lundvall marque six buts contre son ancien club. La semaine suivante, le record de spectateurs du championnat, établi en 1957 par le Djurgården de Stockholm, est battu lorsque ce club se rend justement à l'Ullevi. Devant 21807 spectateurs, le DIF garde les commandes en s'imposant 6-5, mais le poteau de Lars-Eric Lundvall dans les dernières minutes a montré que Frölunda est déjà tout, tout près de l'intouchable champion. Et bien sûr, le caissier se frotte les mains. Le club en est encore à un stade où les joueurs se nourrissent de sandwiches en déplacement pour limiter les dépenses. Avec de telles recettes, cela ne va pas durer.

Les joueurs de Göteborg se qualifient donc facilement pour la poule finale. Seulement 7 matches, avec le titre suédois au bout. Et les succès s'enchaînent : 1, 2, puis 3... puis 6 ! Djurgården et Frölunda ont chacun fait carton plein et vont jouer la grande finale, entre eux, au Johanneshov de Stockholm devant dix-sept mille personnes. La deuxième période atteint un niveau jamais vu dans le championnat de Suède, et Frölunda y renverse le score de 3-0 à 3-4. Le "footeux" Rolf Eklöf (il est milieu à l'IFK Göteborg l'été) a-t-il marqué le but de la victoire ? Non, car un exploit individuel de Sven Tumba arrache le match nul. La sortie du gardien dans la dernière minute ne change rien. À la différence de buts, le DIF conserve son titre. Mais il n'est plus seul au monde. Il a découvert - et toute la Suède avec lui - un nouveau concurrent très sérieux.

L'affluence du siècle en Suède

Ce final a donné envie de revanche, et à Göteborg encore plus qu'ailleurs. Lorsque Djurgården arrive de nouveau le 8 novembre 1962, pour la deuxième journée du nouveau championnat 1962/63, le chiffre établi l'année précédente est encore battu. 23192 spectateurs en plein air dans le Nouvel Ullevi : c'est le record du siècle pour un match de hockey sur glace en Suède. Et encore on estime que l'affluence a été sous-estimée et que trois mille spectateurs ont réussi à entrer sans payer, tandis que dix mille personnes ont dû faire demi-tour. Le stade est rempli jusqu'au bord des balustrades, au point que, lorsqu'une équipe veut changer de ligne, le préposé à la porte doit demander au public de se pousser pour pouvoir l'ouvrir. Devant cette foule considérable, Frölunda sort vainqueur de cette soirée historique (3-2) avec une bonne discipline collective, en ne prenant aucune pénalité, alors que Djurgården est sanctionné cinq fois. Le but vainqueur est signé Lars-Eric Lundvall sur une longue relance de Ronald Pettersson : cette action passe et repasse aux actualités télévisés, et brusquement, Västra Frölunda devient presque du jour au lendemain le club le plus populaire du pays, celui qui a enfin fait mordre la poussière aux invincibles de la capitale !

Les efforts se paient deux semaines plus tard, quand le club de Göteborg perd à Gävle contre Brynäs. Puisqu'il y a une revanche à prendre, les dirigeants, dont les ambitions sont sans limites, ont obtenu d'ouvrir toutes les tribunes de l'Ullevi pour accueillir jusqu'à 35 000 personnes au match retour. Mais ils ne seront que quinze mille à se déplacer... Rencontrer Brynäs n'a pas le même relief que d'affronter les champions de la capitale, longtemps tenus pour invincibles.

Frölunda ne concède qu'une autre défaite, le match retour à Stockholm. Et encore s'agit-il d'une victoire psychologique, puisque le VF ne s'y incline que 6-5 après avoir été mené 5-1. Le crime de lèse-majesté a cette fois été commis : Frölunda termine la première phase en tête, et cela faisait dix ans que Djurgården n'avait pas été devancé dans la poule sud !

Premières déceptions

Mais ce qui compte, c'est la poule finale. Les compteurs sont remis à zéro. Frölunda ne l'aborde pas de la meilleure des manières. Il encaisse le premier but contre Leksand après trente secondes, puis est mené 2-0 en moins de sept minutes par l'AIK. Il s'en sort à chaque fois, mais ne retient pas la leçon. Il commence aussi mal contre Södertälje, avant de remonter de 1-4 à 4-4 dans la dernière période en ne laissant presque plus l'adversaire passer la ligne rouge centrale. Dans le match à domicile suivant, contre une équipe de Brynäs pourtant diminuée, le gardien Bernt Lindwall encaisse deux mauvais buts, alors que les stars offensives de Frölunda, dans un mauvais jour, n'arrivent pas à battre le second gardien adverse Bengt Almgren. Déjà trois points de perdus : ce n'est pas rédhibitoire car Djurgården en a laissé échapper autant. Il n'y a pas qu'à Göteborg qu'il y a des ambitieux, et le championnat est devenu beaucoup plus disputé. Mais Frölunda n'est plus dans le coup. Il perd tout chance dans une défaite 6-5 à Skellefteå et s'incline 1-6 contre Djurgården qui vient ainsi chercher un sixième titre consécutif. Trois défaites consécutives pour finir une saison qui avait si bien commencé...

Pour la saison 1963/64, Frölunda tente une expérience nouvelle, qui ne durera qu'un an, en engageant pour la première fois un coach à plein temps, Hilliard "Curly" Leachman. C'est aussi une première pour le Canadien : à Tranås - qu'il a fait monter en élite au bout de trois ans - et à Västerås, il avait été entraîneur-joueur. Il n'a guère d'expérience et les séances qu'il dirige sont peu variées et tournent toujours autour des quatre ou cinq mêmes exercices. L'engagement de Leachman vise surtout à permettre à Lars-Eric Lundvall de se concentrer sur le jeu. Libéré de ses autres obligations, le meilleur buteur des deux précédents championnats marque certes moins dans une division devenue plus compétitive, mais il maintient des performances constantes. Son centre Kjell Ove Gustavsson en profite pour devenir le dixième meilleur marqueur du championnat et pour être sélectionné en équipe nationale.

Frölunda termine encore en tête de la poule sud, n'ayant concédé que deux défaites, à chaque fois contre Brynäs. C'est malheureusement un signe avant-coureur puisque ce club s'envolera vers le titre. En poule finale, l'équipe de Gävle arrive à Göteborg dès la deuxième journée. Et c'est bel et bien Brynäs qui se fait applaudir par le public local après avoir humilié ses habituels chéris 10-2. Une soirée difficile en particulier pour le nouveau gardien Eine Olsson, un joueur qui avait débuté en équipe nationale à moins de 18 ans en octobre 1959 mais qui ne s'était jamais vraiment remis de cette ascension précoce.

Champions !

Olsson n'en a pas fini de ses malheurs, car la saison suivante, il va perdre sa place de titulaire au profit de l'étonnant Ingemar Caris. Alors qu'il vient de subir une chirurgie cardiaque et qu'il n'a été repris dans l'équipe qu'avec un entraînement spécifique, Caris est la très grande surprise de la saison 1964/65. Elle lui vaudra d'être appelé avec la Tre Kronor, plus tardivement mais un peu plus longtemps qu'Eine Olsson. Ce dernier ne regrettera tout de même pas d'être venu, car il participera lui aussi à cette saison historique pour le hockey à Göteborg. Une saison exceptionnelle, comme si l'équipe voyageait sur un nuage : d'ailleurs, elle ne perd pas un seul match à l'extérieur de toute la saison ! La conclusion est au bout du chemin : le titre !

Pourtant, le départ d'Ulf Sterner, devenu le premier Suédois à jouer en NHL, aurait pu laisser un vide. Göte Borström est alors présenté comme le "nouveau Uffe", un joueur capable de dérouter une défense à lui seul par son talent, mais il ne durera guère. La recrue offensive la plus mature se révèle Roger Olsson : bien qu'il n'ait que vingt ans, ce centre a débuté en division 1 à quinze ans avec Västerås, et il a déjà compris que les solos de la vieille école ne suffisent plus à tromper les défenseurs modernes. C'est son sens du jeu inculqué par son père qui vaudra à Olsson d'intégrer la sélection nationale, même s'il n'était pas le plus talentueux.

Lars-Eric Lundvall est évidemment le principal responsable de la consécration de Frölunda : il est redevenu coach, tout en étant le meilleur marqueur sur la glace avec 27 buts en 28 matches. Cette double-fonction d'entraîneur-joueur est pourtant devenue unique dans l'élite.

L'autre élément déterminant de ce titre de 1965, c'est l'équilibre de la défense. Le vétéran des lignes arrières Gert Blomé est élu meilleur joueur du championnat, et s'il atteint ce niveau, c'est parce qu'il peut enfin se reposer de temps à autre sur le banc. Avec six hommes, la défense de Göteborg est la plus dense. La bonne affaire y est le recrutement d'Arne Carlsson, un physique imposant (190 cm, 87 kg) qui vient étudier à l'université Chalmers de Göteborg. Son club formateur Almtuna, qui a contacté Frölunda pour lui demander d'intégrer l'étudiant, réclame simplement en compensation de venir jouer un match amical, et encore partage-t-on les recettes moitié-moitié. Il y aura tellement de public pour voir les stars emmenées par Lundvall que le club de Göteborg est compensé de ses frais de voyage et se trouve gagnant financièrement, en plus d'acquérir un joueur qui deviendra bientôt un cadre de l'équipe nationale !

Adversaires gelés

Moins bonne affaire en revanche lorsqu'Ulf Sterner revient de NHL : il choisit de rejoindre Rögle, et Frölunda ne touche donc pas un centime sur le transfert, du fait de l'année passée en Amérique du nord dans l'intervalle. Le club de Göteborg s'en plaindra et fera amender les règles à l'assemblée générale suivante de la fédération. Mais à vrai dire, il n'avait pas payé grand-chose non plus pour recruter ce joueur. C'est un signe d'un retournement de tendance : le temps où Frölunda pouvait recruter les meilleurs joueurs du pays est révolu, la concurrence a maintenant aussi des arguments.

L'autre changement en 1965/66 concerne la formule de championnat. Il n'y a plus de poule finale à huit équipes, mais l'introduction de play-offs. Le stade Ullevi de Göteborg y vit ses dernières grandes heures de hockey. La température de -15°C ne dissuade pas 16937 spectateurs de venir voir le match décisif de la demi-finale, par contre elle frigorifie les visiteurs de Djurgården, qui encaissent un 12-1 plus cinglant que les vents les plus glacés. C'est cela d'être habitué à jouer dans une patinoire couverte...

Même si Västra Frölunda fait déjà des pieds et des mains en coulisses pour disposer à son tour d'un toit, il profite pour l'instant de l'avantage que constitue son stade. En finale contre Brynäs, un des deux ailiers vedettes, Ronald "Sura-Pelle" Pettersson, se blesse à l'épaule lors du premier match. C'est alors un homonyme, Kjell Ronnie Pettersson, qui devient le héros du deuxième match devant 16866 spectateurs : il égalise à deux minutes et demie de la fin et marque le but vainqueur à seulement cinq secondes du terme. Frölunda se découvre un nouveau buteur avec cet ancien international junior, arrivé à 18 ans de Troja, et qui se fera lui aussi un (double) prénom - et même un surnom ("Mackan", le sandwich).

Frölunda n'a cependant pas l'avantage de la glace et Brynäs, qui était déjà devant en saison régulière, choisit le terrain - le Johanneshov de Stockholm - sur lequel mater les vert, blanc et rouge (7-1).

Emménagement et retraites

Il n'y a pas à rougir de perdre en finale, mais les dirigeants et les cadres de l'équipe sont dubitatifs, car ils ont l'impression que certains jeunes ont été rendus arrogants par ce titre de champion de Suède remporté si tôt pour eux. Le scénario se répète donc en 1966/67 : Frölunda arrive à se qualifier face à Södertälje par un bel effort, mais semble à bout de forces en finale, battu une nouvelle fois par Brynäs, 8-4 à Gävle puis 1-6 devant 19768 spectateurs pour le dernier match à l'Ullevi.

En effet, Västra Frölunda a tout fait pour obtenir sa patinoire couverte. Lorsque la ville a annoncé qu'elle manquait d'argent pour finir le projet, le staff du club a sollicité son ancien joueur Owe Sterner, qui avait arrêté sa carrière après le titre de 1965. Le frère d'Ulf est employé à la Göteborgs Sparbank et il met en place une grande collecte de fonds : c'est le public qui prête l'argent nécessaire pour financer le nouveau "Frölundaborg".

Cette nouvelle patinoire n'a évidemment pas la contenance d'un stade. Elle comprend dix mille places, dont deux mille assises. Les hockeyeurs bénéficient cependant de vestiaires modernes et peuvent maintenant jouer sans dépendre des conditions climatiques. Le Frölundaborg est inauguré le 12 septembre 1967 par un match de gala, remporté 4-3 par Västra Frölunda devant l'équipe nationale de Suède.

Cette saison 1967/68 est cependant moins le début d'une nouvelle ère, grâce au changement de domicile, que la fin d'une aventure. Les deux ailiers du "transfert du siècle", qui ont porté Göteborg pendant toutes ces années, mettent tous deux un terme à leur carrière. C'est contraint et forcé que Ronald Pettersson se blesse méchamment lorsque son genou reste bloqué dans le coin de la patinoire de Västerås sur une charge anodine. Ce soir de décembre, c'était donc la dernière apparition d'une légende du hockey suédois : "Sura-Pelle" quitte le jeu avec un record de sélections nationales (252) et ne verra pas les Jeux olympiques de Grenoble qu'il voulait vivre comme une apothéose.

L'entraîneur-joueur Lars-Eric Lundvall, quant à lui, arrête par choix en fin de saison. Les deux hommes peuvent partir en ayant accompli leur devoir : ils sont devenus champions avec Västra Frölunda, comme ils l'avaient été à Södertälje, et ont marqué l'histoire du club à jamais.

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