Épinal

Chapitre II - Les "années folles"

 

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Bien avant l'ouverture de la patinoire de Poissompré, le hockey sur glace faisait parler de lui à Épinal. Non loin de là d'ailleurs puisque l'on "taquinait la rondelle" en hiver où d'autres taquinaient habituellement le goujon. Comme ailleurs, c'est sur une glace naturelle que les "pionniers" s'adonnaient aux joies du patin. Sur l'étang de Poissompré, qui doit d'ailleurs son nom à ses eaux jadis poissonneuses. C'est-là, au pied du château, que s'écriront les premières pages de l'histoire du hockey au pays des images, au gré des parties amicales livrées au sein des Sports d'Hiver Spinaliens.

Au fil des années, des efforts sont entrepris pour aménager le site (buvette, sanitaires...) et rendre la glace semi-artificielle. Une dalle de béton est ainsi arrosée l'hiver pour les besoins des patineurs. Grenoble, en 1968, organise les Jeux olympiques d'hiver qui font la part belle au hockey sur les ondes hertziennes. L'opération "Cent patinoires" est lancée. Ce projet vise à doter cent villes françaises d'infrastructures permettant la pratique régulière des sports de glace. La ville d'Épinal est de celles-là. La patinoire, d'une capacité officielle de 1 200 places assises (elle oscille de manière plus officieuse autour des 1 500) est érigée sur l'étang asséché et s'ouvre le 3 décembre 1970. De manière plus officielle, elle est inaugurée en grandes pompes le 20 décembre par une victoire 4-2 sur Strasbourg.

Parisien bon teint, Jean-Paul Henet débarque dans les Vosges à 29 ans, en 1969, après une mutation l'ayant envoyé à Nancy quelques temps auparavant. Son nom va dès lors devenir indissociable du hockey spinalien. Pratiquant à l'ACBB et informaticien de formation, Henet met aussitôt le hockey spinalien sur les rails, l'engageant dans le championnat de la Ligue de l'Est et devenant son tout premier entraîneur. La patinoire n'est pas encore achevée... Très vite, le club des sports recense un nombre significatif de licenciés, proportionnel à l'engouement généré dans la ville. La formation s'affirme et les jeunes se font les dents dans un cadre propice à leur épanouissement, sur "l'immense" glace de Poissompré. L'expérience de Jean-Paul Henet, qui a connu la première ligue, le distingue rapidement des autres joueurs et ce défenseur se retrouve même meilleur buteur lors de cette première saison 1970/71.

L'apprentissage ne va pas durer et Épinal s'inscrit comme un favori dans son championnat régional. Une progression rapide et marquée de nombreux succès sur ses voisins Belfort, Mulhouse, Metz, Nancy, Colmar, Besançon et surtout Strasbourg et Dijon. Autant de derbys et de rivalités attisées au fil des ans, ce qui n'est pas pour déplaire à un public déjà nombreux à Poissompré. En 1977, Épinal atteint même la phase finale de 2e série, le troisième échelon national mais sera battu par Dunkerque (4-4 et 3-5 au retour dans le Nord). Alors que les divisions se structurent, Épinal poursuit sa mainmise sur la Ligue de l'Est mais échoue une nouvelle fois, en finale cette fois-ci face à la réserve grenobloise (3-6 et 3-4) après avoir écarté Le Vésinet en demi-finales (11-5 et 11-7). Le titre, c'est pour bientôt...

La montée en puissance du hockey spinalien, où les débutants d'hier forment aujourd'hui l'ossature, ne se traduit plus seulement par une franche domination de la Ligue de l'Est. En 1978-79, Épinal se défait d'Asnières et Dunkerque pour affronter Nice en finale du championnat de Nationale C. Avec son Canadien de 23 ans Brad Neville, le premier étranger du club, Épinal arrache le nul à l'aller (4-4) pour terrasser les Azuréens à Poissompré (7-3). La montée est acquise pour les hommes du président Tavernier et c'est à la Nationale B que la relève, ces minimes tous passés entre les mains de Jean-Paul Henet, allait maintenant goûter. Ceux-ci avaient rapidement progressé du fait d'une compétition organisée en interne. "Tout le monde rencontrait tout le monde ; les jeunes avaient le droit de tout faire et les plus vieux ne devaient pas toucher aux jeunes... Si bien que nos petits hockeyeurs ont progressé à une vitesse extraordinaire".

Parmi cette bande de copains, on retrouvait les Pierre Aubert, Jean-Paul Peltier, Laurent Gaspard, Didier Froment, Denis Claudé, les frères Jean-François, Éric Bardy et le gardien Christian Nadobny. Sans oublier Gilles Durand, évidemment, qui a découvert le hockey quelques années auparavant. "À l'époque j'avais 13 ou 14 ans et je jouais au foot au SAS mais je venais voir les matchs et je faisais aussi les séances publiques. Un monsieur qui s'appelait Serge Grandclaude m'a alors repéré. Cela me plaisait car c'était un sport de contact et il y a aussi l'aspect de la nouveauté. J'ai progressé très vite et je me suis retrouvé en équipe première à 16 ans et demi. C'était une reconnaissance."

Tous sont bientôt rejoints par l'atypique Patrick Adin. Le Rémois possède en effet la particularité d'avoir débuté le patin à l'âge tardif de 15 ans, ce qui ne l'a pas empêché de finir meilleur marqueur français de Nationale B en 1979. Jean-Paul Henet va suivre tout ça de loin, depuis Nyon en Suisse, puisqu'il devra quitter la région pour raisons professionnelles.

Découverte de la Nationale B

Fort d'une belle réussite populaire et sportive, Épinal est maintenant devenu un fief, une ville où le hockey va prendre son essor au tout début des années 80, participant à l'émergence du "hockey de plaine" dans un contexte toujours dominé par les clubs alpins. Épinal, avec son Canadien Yvan Marcotte, découvre la Nationale B en 1979/80 dans une poule nord dominée par Amiens mais se voit reversé dans une poule de maintien remportée haut la main. Dans la ferveur de Poissompré, les Spinaliens ne craignent personne et le club s'apprête à franchir une nouvelle étape l'année suivante.

Après les Jackson, Marcotte, Weinstein, Neville et autres Owen, un autre Nord-Américain allait marquer son passage de son empreinte. En 1980, les États-Unis tenaient leur "Miracle" aux Jeux Olympiques. Cette même année Épinal tenait en Joseph Fernald un des présélectionnés de Lake Placid. Natif du Massachusetts et passé par la prestigieuse université de Boston College, "Jo" Fernald mérite très vite son surnom de "Magicien" et enchante le public par sa technique et son sens du but, incomparable à ce niveau. Au terme d'un incroyable derby gagné face à Dijon (6-3 devant plus de deux mille spectateurs), Épinal accède à une poule finale s'avérant finalement trop relevée face à des adversaires du calibre de Lyon, Caen, Gap et surtout Saint-Gervais, intouchable. Mais l'équipe est jeune et dispose d'une belle marge de progression à l'instar d'Éric Willmann, futur international junior, ou encore Jérôme Campiglia, également formé au club.

Qu'importe, l'évolution est belle pour Jean-Paul Peltier, l'un des fidèles de la première heure. "Le club n'a plus rien de comparable avec les débuts du hockey. À cette époque-là, on ne connaissait rien de ce sport. On le pratiquait par plaisir, en dilettante. Maintenant, il faut faire des sacrifices. Pourquoi ? Eh bien, parce que nous voulons atteindre les sommets et que nous avons un public. On doit en tenir compte. Il faut lui faire plaisir, il faut bien jouer et gagner. Et pour ce faire, il faut avoir une discipline."

Pour l'acquérir, Épinal démarche un nom célèbre du hockey français. L'ex-sélectionneur national en personne, Pete Laliberté, venu de Strasbourg. Sous la férule du Canadien, les "verts" découvrent une nouvelle éthique de travail. Quelques renforts de poids (deux internationaux venus de Tours, Gilles de Saint-Germain et Philippe Decock) apportent leur savoir-faire à une défense très solide devant le gardien Patrick Partouche, également passé par la Touraine et qui devient vite emblématique. Avec ces trois-là, qui furent tous champions de France en 1980, la défense devient la meilleure du championnat avec 30 buts encaissés en 14 matchs.

Le groupe spinalien fait montre d'une combativité à toute épreuve et prône un jeu physique, un style très... canadien où les bagarres foisonnent, le tout dans l'ambiance surchauffée, festive de Poissompré. La patinoire était alors un lieu de rencontre privilégié où le public, bruyant et très nombreux, jouait un rôle prépondérant dans les victoires spinaliennes, poussant ses joueurs à donner le meilleur d'eux-mêmes. Poissompré devient "la hantise de toutes les équipes" lorsque celles-ci se déplacent "dans l'enfer d'Épinal" pour reprendre Patrick Partouche, alors gardien du temple. Un chaudron vert, parfois comparé à celui de Geoffroy-Guichard (toutes proportions gardées, évidemment). Une ferveur qui ne laisse personne de glace et surtout pas les "verts", qui le lui rendent bien, transcendés par la volonté de se surpasser. Car cette communion avec le public, totalement inédite à l'époque, est un atout hors du commun.

Intarissable dès qu'il s'agit d'évoquer ses souvenirs spinaliens, Patrick Partouche rejoignit la Cité des Images à 24 ans "parce qu'il régnait et règne toujours un esprit hockey". Aujourd'hui le manager d'Amnéville, qui reste un témoin privilégié d'une époque formidable, n'a rien oublié. Insistant avant tout sur la proximité régnant entre un public enthousiaste et les joueurs. Une étonnante complicité qui poussait le groupe à se surpasser pour satisfaire un public qui, au final, le lui rendait bien. Véritables "acteurs de la ville d'Épinal", les joueurs, qu'ils soient étrangers ou non, forment un groupe très soudé, "une bande de copains" totalement impliquée dans la vie locale. Avec des Québécois de naissance, la barrière de la langue ne s'applique pas et les rend d'autant plus "accessibles et humbles, abordables envers le public et surtout très ouverts". Une simplicité et une ambiance de franche camaraderie les poussant à se retrouver pour de fameux "quatrièmes tiers-temps", toujours en compagnie de nombreux supporters. Conciliant parfaitement leur vie de hockeyeur professionnel et de Spinaliens à part entière, les renforts étrangers (un seul toléré à l'époque, en plus des naturalisés) apportaient alors une réelle plus-value et un dynamisme propre aux joueurs nord-américains.

En vert et contre tous

C'est évidemment le cas de Jo Fernald mais le magicien américain va très vite se blesser dès la troisième journée du championnat 1981/82 à Anglet. Le diagnostic est sans appel : luxation de l'épaule avec déchirure des ligaments. Le remplacer est une nécessité pour qu'Épinal puisse rivaliser avec ses principaux concurrents, Dijon et surtout Briançon. Ainsi débarque Normand Pépin, l'un des tous meilleurs attaquants de Nationale A venu en droite ligne de Megève. Là encore, c'est une pointure. Le petit Canadien a passé son junior majeur au Québec à Shawinigan et met rapidement le public dans sa poche. Pépin est un technicien hors-pair, très vif et doté d'une redoutable efficacité. Ce 26 décembre 1981, dans une ambiance survoltée et coutumière de ces derbys hauts en couleurs, le Canadien en passe quatre au grand rival d'alors, Dijon (8-3).

Les rapports sont tout aussi houleux avec Briançon, qui survole la compétition en compagnie d'Épinal. Lorsque les Vosgiens se déplacent dans les Hautes-Alpes en décembre 1981, la veille du choc, les dirigeants locaux leur interdisent l'accès à la glace. Épinal est battu sans discussion (1-7) mais accède à une poule de promotion / relégation pour le "saint des saints", la Nationale A. L'ambiance électrisante de Poissompré impressionne les pensionnaires de l'élite. Lyon (4-5) et Caen (1-5) tombent dans le chaudron et les "verts" prennent une savoureuse revanche en gagnant à Briançon (4-1). Avec un seul revers (5-9 à Amiens), les Spinaliens bouclent la phase aller en tête mais connaissent un retour plus délicat avec deux succès à l'extérieur, dont un succès à Caen (5-2) synonyme de montée. En ce 6 février 1982, le sport vosgien voyait son premier club (tous sports collectifs confondus) rejoindre l'élite nationale. La "fièvre du samedi soir" à Poissompré s'apprête à prendre une nouvelle dimension.

En instance de naturalisation, Normand Pépin fait défaut à ses coéquipiers lorsque ceux-ci se lancent dans le grand bain en 1982/83, du côté de Gap. Avec le tout jeune (18 ans) Jérôme Campiglia comme premier buteur, la défaite à la Blache (6-10) est frustrante, mais pas autant que la raclée subie à Chamonix (2-15), où les "ténors" Luc Tardif (quatre buts et quatre passes) et Philippe Rey (trois buts et six passes) s'en donnent à cœur joie. Qu'importe, Épinal se joue de Viry à Poissompré (5-3) et remet ça face à Lyon (5-1) avant d'accrocher Tours (2-2). Petit à petit, les "verts" annoncent la couleur et entrevoient les exploits dans le sillage d'étrangers charismatiques et tous francophones, ce qui facilite évidemment leur intégration et leur adoption dans ce qui était alors un véritable "phénomène" dans le hockey français.

Naturalisé deux jours avant le match de Lyon, Normand Pépin signera le but décisif, suivi par son successeur canadien, Robert "Bob" Sauvé. Le troisième larron, Bernard Meslier, est un autre "franco" qui signe un doublé dans un match nul méritant face aux Tourangeaux (2-2). Alliant robustesse dans son jeu et précision dans ses relances, Meslier est une véritable armoire à glace, infranchissable pour quiconque s'approcherait trop de Patrick Partouche, "l'homme masqué". On est loin du feu-follet Normand Pépin qui, lui, brille par sa vivacité. Les jeunes ont aussi droit à leur part du gâteau. Venu de Strasbourg, Olivier Pousse rejoint Pascal Guillou, qui fait également ses premières armes à ce niveau à l'instar des Patrick Adin, Stéphane Poirot, Gilles Durand et autres Jérôme Campiglia. L'Amiénois Dominique Brasseur a lui plus d'expérience.

Grâce à d'excellentes prestations à domicile (Amiens et Briançon sont notamment tombés de haut et Grenoble a frisé la correctionnelle), les hommes de Pete Laliberté bouclent la phase aller au huitième rang, un point devant Viry. Mais plus que tout, Épinal est devenu un véritable phénomène dans le hockey français. Tout le monde en parle et les médias spécialisés n'en reviennent toujours pas. Car la frénésie de Poissompré intimide et brasse un nombreux public avec une moyenne estimée à 1 200 spectateurs par match. Dans ces conditions tous les rêves sont permis, "en vert et contre tous". Pourtant, Épinal va souffrir au retour. Les quelques roustes d'usage face aux traditionnelles places fortes des Alpes sont compensées par de fameux succès, dont un devant Megève (5-2). Une belle victoire qui fait oublier les débordements (une bagarre générale en l'occurrence) d'un match houleux (mais gagné 5-0) face à des Lyonnais revanchards après que Jean-Pierre Giannecchini a "bousculé" le gardien Patrick Dettori au match aller. Les hommes de Pete Laliberté finissent neuvièmes, à six points du dernier qualifié (Viry en l'occurrence) mais auront fait très forte impression lors de cette première partie de saison. Restait pour eux à se maintenir.

Plus facile à dire qu'à faire, d'autant que les joueurs de la Cité des Images lâchent du lest en ouverture (8-8 à Caen et défaite 5-7 à Amiens après avoir mené 4-2) mais se reprennent en dominant Lyon (3-2). Vainqueurs sans discussions la semaine suivante à Anglet (8-3), les Spinaliens se "vengent" de Briançon (5-3) et battent les Volants à Paris (7-5). Le maintien est en bonne voie et sera finalement assuré. L'accroc de Dijon (une défaite 5-6 à Poissompré) est même corrigé en Côte d'Or à la toute fin du mois d'avril (16-5).

Chapitre suivant (Première "crise de croissance")

 

 

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