Sergei Makarov

 

Sergueï Makarov a eu la chance de débuter au moment où le hockey soviétique est à son sommet. Prenant la bonne habitude d'impressionner d'entrée en arrivant dans une équipe, il a gravi les échelons en quatrième vitesse. Et comme la retraite des gloires des années soixante-dix a été précipitée par l'échec des JO de 1980, il s'est vite retrouvé sur la première ligne du CSKA et de l'équipe nationale. Au sein de la KLM, avec Krutov et Larionov, mais aussi avec les défenseurs Fetisov et Kasatonov, il a formé le meilleur bloc du monde de sa décennie. Si Makarov ne reconnaît qu'un seul mérite à l'entraîneur Viktor Tikhonov, qui est selon lui avant tout l'homme d'un système dont il savait utiliser les leviers de pouvoir, c'est celui d'avoir eu l'idée de mettre ces cinq joueurs-là ensemble. Il y a un domaine dans lequel ils ont surpassé tous les autres dans l'histoire, c'est leur capacité d'improvisation. Ils ne suivaient pas de diagrammes préconçus mais inventaient sans cesse de nouvelles combinaisons. Sergueï a résumé ainsi l'esprit de son temps : "Le hockey de notre époque n'était pas tant du sport que de l'art."

Mais cette inspiration collective n'était pas naturelle chez Makarov. Disposant d'une grande vitesse de patinage qui est la marque de fabrique de l'école du Traktor Chelyabinsk, il s'est d'abord signalé par sa maîtrise du palet exceptionnelle qui lui permettait de se lancer dans de brillantes actions personnelles sans rien demander à personne. Ensuite, sans rien perdre de sa virtuosité technique inégalée, il s'est intégré à la ligne-symbole du hockey russe qui accordait plus de valeur à la passe qu'au but. C'est ce sens du collectif qu'il a exporté en NHL, où il s'est surtout imposé comme un passeur d'exception. C'est ainsi que, par une étonnante évolution, l'ancien solitaire du système collectiviste est paradoxalement devenu à la fin de sa carrière un modèle d'altruisme dans une ligue où l'individualisme est porté à l'extrême.

 

La ville du secret

Sergueï Makarov naît le 19 juin 1958 à Chelyabinsk. Cette cité de deux millions d'habitants située dans la région de l'Oural est une ville du secret. Les étrangers n'y ont pas droit de visite car elle abrite des industries stratégiques, principalement des usines d'armement. Les contacts avec l'extérieur y sont rares et le hockey sur glace est la vitrine de la ville. Pour les rencontres de l'équipe locale, le Traktor, il faut de longues heures de patience pour acheter une des sept mille places. Il ne faut cependant pas faire la queue, mais prendre un ticket numéroté et attendre son tour, comme dans une administration, ou alors mettre les moyens au marché noir.

Si le père Makarov était membre de l'équipe de football de son entreprise de métallurgie, les trois fils (la famille compte également une fille, la benjamine Anna) affichent une nette préférence pour le hockey, qu'ils pratiquent sur les lacs gelés, sur les routes ou même chez eux. Lorsque l'aîné, Nikolaï, s'inscrit au hockey sur glace à l'âge de dix ans, Sergueï marche immédiatement sur ses traces. Il n'a alors que cinq ans et fait déjà montre de grandes qualités de patinage, développées dans ses parties amicales au contact de garçons plus âgés, qu'il a appris à rattraper et à éviter.

Nikolaï est repéré par le CSKA, club que Sergueï regardait enfant avec des yeux de Chimène : alors que l'aîné Nikolaï jouait le Spartak et le cadet Youri le Dinamo, Sergueï tenait le rôle du CSKA lorsque les frères jouaient à même le sol de leur maison. Mais Nikolaï reste aux portes du club légendaire du hockey soviétique, l'armée ne le fait jouer que dans un autre de ses clubs, Cherbakul, où il côtoie un certain Valeri Kharlamov, alors tout jeune. Le futur membre de la "Super Troïka" avec Petrov et Mikhaïlov devient la première idole du jeune Sergueï, qui le découvre lorsqu'il vient rendre visite à son frère avec sa famille. Il harcèle Nikolaï pour qu'il lui montre les incroyables mouvements réalisés par le fameux ailier droit, qui en est alors à ses débuts, et il ne se sent plus de joie quand Kharlamov est invité à dîner par la famille Makarov à Chelyabinsk. Quant à Nikolai, sa carrière sera tout de même plus qu'honorable puisqu'il reviendra au Traktor et deviendra champion du monde 1981 avec l'URSS.

Après avoir joué dans l'équipe de l'entreprise de son père, Sergueï gravit les échelons du Traktor Chelyabinsk, dont l'école de hockey est sans doute la meilleure du pays à cette époque, mais ses relations avec les entraîneurs sont délicates. Il est solitaire et tente toujours des gestes difficiles, comme mettre le palet entre ses jambes ou tourner les mains pendant qu'il conduit le palet. Fatigué de voir ses erreurs pointées du doigt, il songe même à arrêter et à se convertir au football, mais l'entraîneur de l'équipe senior, Anatoli Kostriukov, a repéré son talent prometteur. Persuadé que c'est son originalité qui pourra en faire un joueur capable de déstabiliser les défenses, il rappelle l'insoumis qui a été exclu des juniors. Il le persuade qu'il a de l'avenir dans le hockey sur glace et le lui prouve en lui donnant sa chance directement en seniors. Sergueï peut ainsi faire onze apparitions avec les "grands" durant la saison 1976/77 que le Traktor termine à une excellente troisième place. Son premier match dans l'élite, Makarov le joue à Moscou sur la glace du Spartak. Les entraîneurs lui demandent de marquer de près le grand Aleksandr Yakushev. Cette charge ne lui fait pas peur du haut de ses dix-huit ans, mais il a déjà d'autres idées en tête et trouve le moyen d'inscrire le premier d'une longue série de buts en élite.

Rapide consécration internationale

Il obtient sa première consécration nationale la même année en étant sélectionné avec l'équipe d'URSS des moins de 20 ans qui remporte la médaille d'or. La formation junior soviétique répète son succès l'année suivante, et Makarov est élu meilleur joueur lors de cinq rencontres. Encore méconnu par bon nombre d'observateurs, son talent tape dans l'œil du sélectionneur national, Viktor Tikhonov, qui décide contre l'avis général de l'inviter dans l'équipe soviétique pour des matches amicaux en Suède quelques mois plus tard. Sergueï n'a pas encore vingt ans, mais Tikhonov tient à le conserver pour les championnats du monde 1978 à Prague. L'URSS y renoue avec le titre mondial après deux années d'insuccès. Désormais, plus personne ne peut se permettre de mésestimer Makarov, qui a marqué les esprits en marquant sur une de ses premières présences.

Mais le succès a un prix : Makarov doit quitter Chelyabinsk, réquisitionné par l'armée pour rejoindre le CSKA Moscou. Le jeune marié, qui a épousé Vera, rencontrée trois ans auparavant, dans la foulée du championnat du monde, arrive dans la capitale. Il y fait figure de jeunot aux côtés des Kapustin, Maltsev, et bien sûr du trio Petrov-Mikhaïlov-Kharlamov. Sergueï a de quoi se sentir impressionné de côtoyer toutes ces stars, dont son modèle d'enfance, mais il parvient à faire son trou, marquant 18 buts et 39 points dès sa première saison. Pendant que Makarov se révèle à droite, un autre joueur fait parler de lui sur l'aile gauche : Vladimir Krutov. La progression commune des deux hommes est très rapide.

Les satisfactions s'accumulent pour Sergueï, avec un titre de champion du monde en 1979 et la naissance de son premier enfant, Artem, en octobre de la même année. Il va pourtant connaître sa première grande désillusion lors des Jeux Olympiques de Lake Placid, lorsque la surpuissante équipe soviétique se fait surprendre par une escouade d'universitaires américains lors du fameux "Miracle sur glace". Mais sa carrière n'en prend pas ombrage : en 1980/81, il est élu pour la première fois dans l'équipe-type du championnat soviétique et boucle la saison avec un troisième titre mondial. Sa progression fulgurante est encore accélérée quand on lui adjoint un nouveau centre, Igor Larionov.

Le meilleur bloc du monde

La ligne KLM (Krutov-Larionov-Makarov) va devenir le trio offensif le plus redouté et le plus admiré de la décennie. Lorsqu'il est mis dans de bonnes conditions, le tempérament individualiste de Sergueï le dessert moins. Certes, il est toujours aussi rancunier, avec une vilaine tendance à régler des comptes lorsqu'il prend des coups. Mais son jeu proprement dit change. Il n'est plus aussi gourmand avec le palet, et fait taire les critiques en montrant qu'il sait aussi servir ses partenaires lorsque ceux-ci sont de son niveau et ne ralentissent pas le jeu. Au sein de la KLM, c'est la virtuosité technique de Makarov qui permet de changer sans cesse la direction de l'attaque et de dérouter les défenses. Le trio donne un avant-goût de son talent à la Coupe Canada 1981, où la technique et la vitesse de Sergueï font merveille, et où il éblouit les Canadiens, battus à plate couture 8-1 en finale.

L'Union Soviétique est désormais l'incontestable n°1 mondiale, et les championnats du monde sont évidemment comme d'habitude son domaine réservé. Sergueï Makarov continue d'y briller en 1982 et en 1983, où il obtient le titre de meilleur marqueur avec neuf buts et neuf assists en dix matches. Ensuite, l'URSS décline quelque peu, battue en Coupe Canada et même aux championnats du monde (par la Tchécoslovaquie en 1985 et la Suède en 1987), mais la suprématie de ligne KLM ne souffre pour sa part aucune discussion.

Avec son 1,79 m et ses 84 kg, Sergueï Makarov n'a pas un gabarit impressionnant, mais il se distingue même au sein du super-bloc comme un véritable génie de la glace, capable d'accélérations inattendues comme de dribbles enthousiasmants. Il est parfois surnommé le "Gretzky de l'est", bien que la comparaison de deux joueurs élevés dans des systèmes si différents soit impossible, et ce même s'ils vont tous deux finir par jouer dans le même championnat.

Avec l'ouverture de l'URSS des années Gorbatchev, la perspective d'un départ des meilleurs joueurs soviétiques vers la NHL est en effet de plus en plus probable. Les joueurs du CSKA, qui ont gagné tous les titres nationaux et européens possibles depuis dix ans, n'ont plus l'intention de passer l'essentiel de leur vie dans leur morose centre d'entraînement, et le style dictatorial de l'entraîneur Viktor Tikhonov est remis en cause. Larionov est le premier à allumer les hostilités, mais c'est Fetisov qui subit le châtiment le plus sévère, viré de l'équipe et obligé de garder la forme avec des joueurs loisir.

Sergueï Makarov est un petit futé trop soucieux de ses intérêts pour mener le premier la révolte, il n'a pas la carrure d'un leader car il a plutôt tendance à se replier sur soi quand il est de mauvaise humeur. Il a longtemps été entre deux feux, mais ses relations avec Tikhonov ont fini par se détériorer lors des Jeux Olympiques de Calgary. L'entraîneur y a sévèrement critiqué son jeu, jusqu'à le menacer de l'exclure de la première ligne et de le remplacer par le prometteur et spectaculaire junior Aleksandr Mogilny. La menace n'est mise à exécution que l'espace d'un seul tiers-temps, mais ce temps passé à ronger son frein sur le banc est suffisant pour qu'il n'ait plus aucun scrupule à se dresser contre Tikhonov. Lors de la répression contre Fetisov, Sergueï Makarov doit lui succéder comme capitaine. Mais il prend alors ses responsabilités et rejoint la fronde pour exiger la réintégration du défenseur.

Elle est obtenue, première fissure dans l'autorité de Tikhonov, et pas supplémentaire vers la nouvelle étape de la perestroïka, l'autorisation faite aux stars du hockey d'aller exercer leurs talents outre-Atlantique. Sergueï Makarov tient particulièrement à ce que son départ ne soit pas perçu comme une fuite. Même si Tikhonov et les partisans de la vieille garde n'y assistent pas, même si elle se tient dans la patinoire excentrée et peu prestigieuse des Krylia Sovietov, il est donc content qu'une cérémonie soit tout de même organisée à Moscou en l'honneur des joueurs qui vont rejoindre la NHL.

La NHL brise la KLM

Cela fait des années que les franchises de NHL tablent sur une éventuelle ouverture en utilisant leurs derniers tours de draft pour les meilleurs joueurs soviétiques. Plutôt que de sélectionner un joueur canadien médiocre dont les chances de faire carrière en NHL sont faibles, pourquoi en effet ne pas parier sur une chance - même infime - de se "réserver les droits" sur une superstar ? C'est ainsi que les Calgary Flames utilisent leur dernier tour de draft de 1983 pour sélectionner Makarov, avant même l'arrivée au pouvoir de Gorbatchev, avant même le début de la glasnost et de la perestroïka. Le risque - minime - est payant, puisque, lorsque les frontières sont ouvertes aux hockeyeurs, le 1er juillet 1989, Makarov signe un contrat avec Calgary, équipe tenante de la Coupe Stanley. Mais le coup de poker n'est pas parfait puisque c'est Vancouver qui a drafté Larionov et Krutov dans les derniers tours en 1985 et 1986. La KLM, qui rétrospectivement aurait pu être entièrement acquise pour pas grand-chose, est donc brisée.

Le manager des Flames de Calgary, Cliff Fletcher, part à Moscou pour négocier le transfert de Makarov avec les autorités soviétiques. Celles-ci obtiennent non seulement que la moitié du salaire du joueur soit reversée à Sovintersport - une clause systématique pour les sportifs russes expatriés à une époque où la NHL ne verse pas la moindre indemnité - mais aussi d'autres points qui sortent du cadre habituel comme une clause de non-échange alors illégale en NHL. Le contrat sert de précédent et les Canucks de Vancouver sont contraints d'accepter les mêmes termes pour Krutov et Larionov. Fletcher sait qu'il a un peu trop cédé mais compte sur la NHL pour annuler le contrat, qui ne respecte pas son règlement. Elle ne le fera pas : c'est dire à quel point elle veut la KLM.

L'adaptation de Sergueï Makarov à la NHL n'est pas facile, même si elle est facilitée par la présence d'un autre Russe, Sergueî Priakhin, un joueur des Krylia Sovietov qui est présent à Calgary depuis quelques mois et a vécu la fin de saison 1988 et la conquête de la Coupe Stanley avec les Flames. Outre le problème de la langue, Makarov est surpris et déçu par le style de jeu qu'il rencontre. Lui qui est habitué à l'école soviétique, qui prend son temps pour construire ses actions, n'apprécie guère la tactique canadienne basée sur le "dump and chase". Balancer le palet au fond et tirer à la première occasion, voilà qui lui paraît bien primaire. Il est abasourdi du manque de précision et de jeu collectif en NHL, même s'il avait déjà noté en les affrontant régulièment que les professionnels avaient progressé tactiquement au cours des années 80 et pensaient moins "perso". Par contre, Makarov reconnaît l'avance canadienne en défense et dans l'approche du but. Il aura en fin de compte ce mot pour son entraîneur Terry Crisp qui débute en NHL : "Tikhonov est une mauvaise personne, mais un bon coach. Vous êtes une bonne personne, mais un mauvais coach."

Makarov doit aussi s'habituer à un nouveau rythme et à des changements de ligne très rapides. Les Soviétiques développaient une grande endurance physique grâce à leurs entraînements longs et intenses, et ils marquaient souvent en fin de présence lorsque l'adversaire faiblissait. Sergueï n'en a plus l'occasion, il doit être plus fulgurant. Malgré ces nombreux ajustements à un hockey très différent, dans une des équipes les plus physiques de la ligue, Makarov ne connaît pas une mauvaise saison, loin de là, puisqu'il tourne à plus d'un point par match. Mais il ne transcende pas le jeu de son équipe, qui ne se qualifie même pas pour les play-offs.

Un vrai-faux rookie

Il faut dire qu'il n'est pas forcément traité avec un très grand respect par ses nouveaux coéquipiers. Son statut de vétéran lui épargne les plaisanteries destinées aux nouveaux. Mais à une soirée du club, il reçoit en cadeau... un sac de patates, censé évoquer le rationnement alimentaire en URSS. Makarov ne trouve pas cette blague de très bon goût de la part de gens qui n'ont toujours connu que l'abondance et qui se permettent de se moquer de la misère.

Sergueï retourne en Europe pour aider l'URSS à obtenir un nouveau titre mondial. Alors que le tyrannique entraîneur du CSKA et de l'équipe nationale, Viktor Tikhonov, a refusé de sélectionner le déclinant Krutov et le rebelle Larionov, Makarov trouve grâce à ses yeux, bonnes performances en NHL oblige. Ceci dit, Sergueï tient à préciser à qui veut l'entendre qu'il est revenu pour défendre les couleurs de son pays, et non pas pour les beaux yeux de Tikhonov. Celui-ci décide de placer Makarov sur la troisième ou la quatrième ligne pour s'occuper des jeunes. Sergueï grogne un peu mais s'acquitte fort bien de sa tâche et obtient un dernier titre de champion du monde - il reviendra encore l'année suivante mais ne sera pas sacré. Makarov reste plus à l'aise sur une grande glace, ce que ne manque pas de noter son compagnon de chambre lors des déplacements des Calgary Flames, Theoren Fleury, qui se retrouve face à lui dans un match des Mondiaux. Le petit centre canadien, très agressif et dont le comportement parfois étrange est officiellement attribué à l'alcool, lui assène un violent cinglage dans le dos en lui demandant pourquoi il ne joue pas ainsi en club. Makarov lui fera cadeau de sa médaille à l'issue des championnats.

Makarov remporte le trophée Calder du meilleur rookie, l'occasion pour lui de porter pour la première fois un smoking, lors de la remise des prix de la NHL. Ce prix est sujet à controverse, et le joueur lui-même le prend comme une plaisanterie. Certes, Makarov débute en NHL. Mais il y est arrivé à 31 ans et ses meilleures années sont derrière lui. Il ne vient pas d'une ligue mineure ou universitaire, mais d'un championnat soviétique de très haut niveau. On peut donc difficilement lui accorder une distinction de meilleur "rookie", au sens où le trophée Calder a été conçu. C'est d'autant plus risible quand on sait que Gretky n'avait pas eu droit à ce prix parce qu'il avait joué une saison en WHA avant d'arriver en NHL. Dès l'année suivante, le cas Makarov conduit à une modification du règlement : il faudra désormais être âgé de moins de 26 ans pour être considéré comme un rookie.

Au sein de l'effectif des Flames, Sergueï Makarov fait profiter ses équipiers de ses qualités de passeur. Le bénéficiaire le plus évident en est Gary Roberts. Auparavant, il était considéré avant tout comme un joueur rugueux, notable pour sa propension à la bagarre et ses multiples minutes de pénalité. Dès l'arrivée du Russe, il explose sur sa ligne avec Joe Nieuwendyk. Il double son nombre de points et il commence à se faire un nom en tant que buteur. Lorsqu'il est en passe de franchir la barre symbolique des cinquante buts en une saison en 1991/92, il promet à Makarov d'appeler son fils Sergueï en signe de gratitude. Il aura une fille et ne tiendra donc pas sa promesse... mais il trouvera un compromis en nommant son chien Sergueï !

S'il fait progresser celui des autres au point que le staff des Flames le trouve parfois trop altruiste, le rendement de Makarov en NHL décline par contre légèrement année après année, ce qui est après tout logique pour un trentenaire. Il ne s'est jamais complètement adapté à Calgary et à son coach Terry Crisp. Il faut dire qu'il avait déclaré d'emblée à un journaliste qu'il aimerait bien rejoindre Vancouver et y retrouver Krutov et Larionov. Son vœu sera partiellement exaucé quatre ans plus tard, en 1993. Calgary l'échange à Hartford contre des futurs tours de draft, mais il n'aura pas le temps le moindre match avec les Whalers, qui l'envoient aussitôt à San José, où il retrouve son compère Igor Larionov, qui n'a rien perdu de son caractère et s'impose comme le leader de l'équipe.

À défaut de Krutov, qui périclite alors en deuxième division suédoise, c'est l'ailier suédois Johan Garpenlöv qui complète la première ligne avec les deux tiers restants de la KLM. Le jeune entraîneur Kevin Constantine suit le conseil avisé du fameux Scotty Bowman et laisse les Russes pratiquer leur hockey. Makarov est le premier joueur des Sharks à marquer trente buts en une saison, et la nouvelle franchise de San José, après quelques saisons de galère, atteint pour la première fois les play-offs. Mieux même, elle y élimine le grand favori, Detroit. Maurice Richard écrit cette étonnante chronique dans La Presse à propos de San José : "Je reconnais dans cette équipe négligée des experts le style de jeu qui se pratiquait dans la Ligue nationale de hockey à l'époque des six équipes, avant 1967. Contrairement aux autres formations de la LNH, les Sharks ne lancent pas la rondelle dans la zone adverse depuis le centre de la patinoire ; ils se font des passes et exécutent de beaux jeux pour transporter eux-mêmes le disque chez l'adversaire et ça les sert bien. Les Sharks jouent très bien leur position comme ça se faisait il y a une trentaine d'années dans le circuit Campbell. Finalement, je me rends compte que si les Sharks pratiquent ce style de jeu passé de mode dans la LNH, mais encore très efficace, c'est probablement parce qu'ils jouent à la russe. En effet, il y a plein de ressemblances entre le jeu pratiqué par les Russes et celui qui prévalait jadis dans la Ligue nationale."

La retraite

La saison suivante est raccourcie par l'accord tardif entre joueurs et propriétaires, et la longue coupure affecte les vétérans. Makarov, qui reçoit moins de palets dans un effectif remanié qui pratique un jeu plus simple, ne marque plus que dix buts. Trop vieux, se disent les observateurs et les dirigeants de San José : à 37 ans, Sergueï n'obtient pas de nouveau contrat.

Après une année sabbatique, il est entraîneur-adjoint de l'équipe russe lors de la Coupe du Monde 1996, quand Bob Gainey, le manager de Dallas, se dit qu'il tient toujours la forme et le rappelle en NHL, où il pourrait servir d'exemple aux plus jeunes. Malheureusement, l'entraîneur canadien Ken Hitchcock, qui ne peut pas souffrir les Européens, ne l'entend pas de cette oreille. L'ancien joueur médiocre tente d'expliquer à Makarov les bases du hockey. Celui-ci ne bronche pas pendant quelques jours mais finit par ne plus se contenir. Il explique sa vision d'un hockey moderne et créatif à Hitchcock, qui, constatant que les autres joueurs écoutent le Russe avec attention, voit cela comme un défi à son autorité. Il va se plaindre à Gainey et, au bout de quatre matches, le contrat de Makarov est annulé d'un commun accord entre les deux parties.

C'est donc à Fribourg-Gottéron, aux côtés de ses anciens coéquipiers Bykov et Khomutov, qu'il fait ensuite admirer une dernière fois son intelligence de jeu. Mais, moins endurant et moins tranchant qu'autrefois, il n'obtient pas complètement la confiance de l'entraîneur André Péloffy, qui ne l'utilise que rarement et le cantonne à des rôles spécifiques, notamment en jeu de puissance. Makarov n'a rien perdu de son caractère bien trempé, et les rapports entre les deux hommes sont tumultueux. Sergueï est finalement mis à l'écart après la première manche des quarts de finale.

Il met donc un terme définitif à sa carrière et retourne s'installer dans la région de San José. C'est en effet là que, après avoir divorcé de Vera à Calgary, il avait rencontré sa deuxième femme, Mary, qui travaillait comme vendeuse de billets chez les Sharks, et de qui il a eu deux nouveaux enfants, Nicky et Katya. Sergueï garde globalement un bon souvenir de ses années passées en Amérique du Nord. S'il a une chose qui l'a énervé, ce sont ces quelques Américains qui traitent avec arrogance les Canadiens comme s'ils étaient des "paysans arriérés". Après s'être un premier temps reconverti comme agent pour les jeunes joueurs russes désireux de tenter leur chance en NHL, il revient ensuite à Moscou où il travaille pour le compte du ministère russe des sports dirigé par son ex-coéquipier Fetisov, tout en écrivant des chroniques dans la presse sportive, preuve du changement qui s'est opéré dans celui qui était la bête noire des journalistes à l'époque du CSKA.

Marc Branchu

 

 

Statistiques

                                           (saison régulière)
                                          MJ    B   A Pts   Pén
1976/77 Traktor Chelyabinsk     URSS      11    1   0   1    4'
1976/77 URSS                 CM juniors    7    4   4   8    4'
1977/78 Traktor Chelyabinsk     URSS      36   18  13  31   10'
1977/78 URSS                 CM juniors    7    8   7  15    4'
1978    URSS               Internationaux  4    3   1   4    0'
1978    URSS                  Mondiaux    10    3   2   5    5'
1978/79 CSKA Moscou             URSS      44   18  21  39   12'
1978/79 URSS               Internationaux 14   10   1  11    6'
1979    URSS                  Mondiaux     8    8   4  12    6'
1979    CSKA Moscou            Europe      3    1   2   3    4'
1979/80 CSKA Moscou             URSS      44   29  39  68   16'
1979/80 URSS               Internationaux 16   11   8  19   12'
1980    URSS                     JO        7    5   6  11    2'
1980    CSKA Moscou            Europe      3    3   4   7    0'
1980/81 CSKA Moscou             URSS      49   42  37  79   22'
1980/81 URSS               Internationaux 15    9   8  17    8'
1981    URSS                  Mondiaux     8    3   5   8   12'
1981    CSKA Moscou            Europe      3    5   1   6    6'
1981    URSS                Coupe Canada   7    3   6   9    0'
1981/82 CSKA Moscou             URSS      46   32  43  75   18'
1981/82 URSS               Internationaux 16    8   6  14   10'
1982    URSS                  Mondiaux    10    6   7  13    8'
1982    CSKA Moscou            Europe      3    2   4   6
1982/83 CSKA Moscou             URSS      30   25  17  42    6'
1982/83 URSS               Internationaux  4    1   1   2    0'
1983    URSS                  Mondiaux    10    9   9  18    4'
1983    CSKA Moscou            Europe      3    3   1   4
1983/84 CSKA Moscou             URSS      44   36  37  73   28'
1983/84 URSS               Internationaux 20   17   8  25   24'
1984    URSS                     JO        7    3   3   6    6'
1984    URSS                Coupe Canada   6    6   1   7    4'
1984/85 CSKA Moscou             URSS      40   26  39  65   28'
1984/85 URSS               Internationaux 15   11  10  21   20'
1985    URSS                  Mondiaux    10    9   5  14    8'
1985    CSKA Moscou            Europe      4    7   1   8
1985/86 CSKA Moscou             URSS      40   30  32  62   28'
1985/86 URSS               Internationaux 11    7   2   9   14'
1986    URSS                  Mondiaux    10    4  14  18   12'
1986    CSKA Moscou            Europe      4    7   3  10
1986/87 CSKA Moscou             URSS      40   21  32  53   26'
1986/87 URSS               Internationaux 18    9   7  16   26'
1987    URSS                  Mondiaux    10    4  10  14    8'
1987    CSKA Moscou            Europe      3    4   3   7
1987    URSS                Coupe Canada   9    7   8  15    8'
1987/88 CSKA Moscou             URSS      51   23  45  68   50'
1987/88 URSS               Internationaux 17   12  12  24   20'
1988    URSS                     JO        8    3   8  11   10'
1988/89 CSKA Moscou             URSS      44   21  33  54   42'
1989    CSKA Moscou            Europe      3    3   2   5  
1988/89 URSS               Internationaux 15    7  11  18   10'           (play-offs)
1989    URSS                  Mondiaux    10    5   3   8    8'      MJ    B   A Pts   Pén
1989/90 Calgary Flames          NHL       80   24  62  86   55'       6    0   6   6    0'
1990    URSS                  Mondiaux     7    2   1   3   10'
1990/91 Calgary Flames          NHL       78   30  49  79   44'       3    1   0   1    0'
1991    URSS                  Mondiaux     8    3   7  10    6'
1991/92 Calgary Flames          NHL       68   22  48  70   60'
1992/93 Calgary Flames          NHL       71   18  39  57   40'
1993/94 San José Sharks         NHL       80   30  38  68   78'      14    8   2  10    4'
1994/95 San José Sharks         NHL       43   10  14  24   40'      11    3   3   6    4'
1995/96 retraité
1996/97 Dallas Stars            NHL        4    0   0   0    0'
        Fribourg-Gottéron       LNA        6    3   2   5    2'
Totaux NHL                               424  134 250 384  317'      34   12  11  23    8'
Totaux en championnat d'URSS             519  322 388 710  292'
Totaux en équipe nationale d'URSS        310  188 174 362  267'

 

Palmarès

- Champion olympique 1984 et 1988

- Champion du monde 1978, 1979, 1981, 1982, 1983, 1986, 1989 et 1990

- Champion d'Europe 1978, 1979, 1981, 1982, 1983, 1985, 1986, 1987, 1989 et 1990 (dix fois, record absolu et définitif)

- Champion du monde junior 1977 et 1978

- Vainqueur de la Coupe Canada 1981

- Vainqueur de la Coupe d'Europe 1979, 1980, 1981, 1982, 1983, 1984, 1985, 1986, 1987, 1988, 1989

- Champion d'URSS 1979, 1980, 1981, 1982, 1983, 1984, 1985, 1986, 1987, 1988, 1989

Honneurs individuels

- Meilleur joueur européen 1979/80 et 1985/86 (crosse d'or Izvestia)

- Meilleur joueur soviétique 1980, 1985 et 1989

- Meilleur marqueur du championnat soviétique 1980, 1981, 1982, 1984, 1985, 1986, 1987, 1988 et 1989

- Membre de l'équipe-type du championnat soviétique 1979, 1980, 1981, 1982, 1983, 1984, 1985, 1986, 1987 et 1988

- Meilleur attaquant des championnats du monde 1979 et 1985

- Meilleur marqueur des championnats du monde 1983, 1985 et 1986

- Membre de l'équipe-type des journalistes aux championnats du monde 1979, 1982, 1983, 1985, 1986 et 1987

- Membre de l'équipe-type de la Coupe Canada 1984

- Meilleur marqueur du tournoi des Izvestia 1983, 1987 et 1988

- Trophée Calder du meilleur rookie NHL 1990

 

 

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