Suisse 2019/20 : présentation

 

La Suisse a un des championnats les plus solides et stables en Europe, et c'est peut-être aussi parce qu'elle n'a pas signé d'accord de transfert avec la NHL. Elle a ainsi détourné son destin de celui des ligues nordiques qui ne peuvent contrer un exode massif de hockeyeurs, même si elles touchent un dédommagement forfaitaire pour chaque joueur parti. Comme leurs homologues de KHL, les clubs suisses voient leurs contrats respectés : les joueurs ne peuvent partir que si une clause de sortie figure dans leur contrat, et celle-ci se négocie donc individuellement. Une situation plus saine, dans laquelle on peut construire en connaissance de cause sur le long terme.

Les performances de plus en plus notables de l'équipe nationale sont rejointes par celles des clubs. La Suisse a dépassé la Finlande par ses résultats et bénéficie maintenant de cinq clubs en CHL. Surtout, contrairement à l'an passé où elle n'avait pas concrétisé en phases finales, elle a qualifié trois clubs (Zoug, Lausanne, Bienne) en quarts de finale.

Et si la LNA a pu être par le passé un championnat à deux vitesses par rapport à ses concurrents européens, ce reproche est de moins en moins vrai. Lorsque le champion en titre frise avec la dernière place, c'est bien que le niveau est relevé et que la compétition est passionnante...

 

Vainqueur des trois dernières saisons régulières, et trois fois champion sur les quatre dernières années, Berne a toutes les raisons de vouloir préserver le plus longtemps possible un édifice qui fonctionne. Comme souvent avec les clubs suisses, le SCB a abordé la saison en pensant déjà à la suivante. Les contrats des 4 entraîneurs et de 13 joueurs s'achevaient en effet à la fin de la saison. On peut inclure dans le lot le cadre de l'attaque Tristan Scherwey, qui a prolongé en février jusqu'en 2027 mais qui a une clause de sortie vers la NHL qui s'active à partir de 2020 (son intérêt est connu puisque Berne l'a autorisé à manquer le début de saison pour participer au camp d'Ottawa et se familiariser au hockey nord-américain).

Après la déconvenue de la signature du joueur-vedette Mark Arcobello à Lugano pour les trois prochaines saisons, le mois d'octobre a donc été consacré à la resignature de l'entraîneur finlandais Kari Jalonen. Cette dernière est intervenue à un moment délicat, alors que pointait déjà une crise qui s'est aggravée depuis : les Ours n'ont - en date du 24 novembre - qu'un point d'avance sur le dernier Ambrì. L'entraîneur ayant été conforté, la seule victime des mauvais résultats a été l'unique recrue étrangère de l'été Mika Koivisto : loin de son niveau du championnat du monde en mai, le défenseur finlandais a été remplacé par Andrew MacDonald (586 matches en NHL, 161 points).

Les difficultés bernoises étaient un peu attendues à cause de deux pertes importantes. Le départ chez les Edmonton Oilers du centre Gaétan Haas n'est pas vraiment compensé par l'arrivée de deux ailiers, son partenaire en équipe nationale Vincent Praplan et le malheureux Inti Pestoni - qui s'est blessé au dos au premier match de championnat et a traîné son âme en peine pendant un mois avant de se soigner. Et surtout, les gardiens Niklas Schlegel et Pascal Caminada, médiocres à 90% d'arrêts, ont comme on le craignait du mal à succéder au gardien-référence du championnat Leonardo Genoni.

 

Déjà trois fois champion avec Davos et deux fois avec Berne, Leonardo Genoni était la raison majeure pour laquelle Zoug était unanimement désigné comme le nouveau favori du championnat. L'année de la consécration était attendue pour l'EVZ, qui a déjà détrôné Zurich du statut de club formateur de référence. Mais, si ses successeurs à Berne sont à la peine, Genoni est encore plus en difficulté dans ses nouvelles couleurs ! Il avait tout simplement les pires statistiques de tous les gardiens titulaires de la ligue avant de se blesser aux adducteurs mi-novembre. Le petit gabarit Luca Hollenstein (qui a conduit la Suisse en demi-finale du dernier Mondial junior) a fait bien mieux que lui quand il est rentré.

L'EVZ se montrera patient car c'est toujours dans les moments décisifs que Genoni a donné sa pleine mesure. Le club devra en revanche à construire sa défense, derrière l'excellent Raphael Diaz et le Finlandais qui a grandi en Suisse Sami Alatalo, qui a atteint son sommet personnel lors des derniers play-offs avec des montées offensives à meilleur escient. Les lignes arrières n'auront plus de Français à partir de la saison prochaine : Johann Morant a été recruté par Zurich qui souligne son changement d'image (de pur bourrin en relanceur fiable) et Thomas Thiry quittera aussi le club, comme Miro Zryd : ils ont été engagés par l'autre grand club Berne. Le directeur sportif Reto Kläy a déjà mis la main sur Claudio Cadonau (actuellement Langnau), avec qui il a connu trois titres LNB avec Langenthal.

Si Zoug résiste mieux que Berne malgré les difficultés de Genoni, c'est parce que son attaque fonctionne parfaitement. Meilleur buteur du championnat la saison passée avec Lugano (30 buts), Gregory Hoffmann est bien parti pour faire encore mieux. Rapide, toujours bien placé, doté de beaucoup de temps de jeu en avantage numérique, il bénéficie des services d'un passeur de génie avec l'international tchèque Jan Kovar.

 

Il y a souvent un effet de vases communicants entre les deux clubs de la capitale politique et de la capitale économique de la Confédération : quand Berne va bien, Zurich est en crise... et inversement. Quelques mois après avoir manqué la qualification pour des play-offs achevés par le triomphe bernois, les ZSC Lions redeviennent une force dominante. Ils n'ont pourtant pas procédé à de gros changements, à une exception près : l'entraîneur.

Le Suédois double champion du monde 2017 et 2018 Rikard Gronborg - dont l'épouse est américaine - rêvait d'un poste en NHL après avoir travaillé treize ans pour la fédération suédoise. En manque de réseaux pour obtenir la place convoitée, il découvre une expérience différente mais pas moins difficile, car Zurich a consommé quatre entraîneurs en deux ans : "Nous voulons jouer avec plus de patinage et d'agressivité, un peu comme l'équipe nationale de Suède. Il y a beaucoup de pression dans cette organisation, mais j'aime cette situation. Ce n'est pas différent qu'être sélectionneur de la Suède, on attend de nous la victoire chaque année."

Hormis le centre suédois Marcus Krüger (deux coupes Stanley avec Chicago), qui travaille bien dans les deux sens de la glace mais n'est pas un joueur de première ligne, l'équipe n'a guère eu de renfort notable. Le directeur sportif Sven Leuenberger a surtout procédé à de longs entretiens individuels pour évoquer les carences (esprit d'équipe, discipline, fierté, intensité...) identifiées lors du championnat écoulé. Aux mêmes joueurs d'exprimer leur vrai potentiel. Placé à l'aile et non plus à son poste habituel de centre, Pius Suter est ainsi transformé : il a égalé en 15 matches sont total de buts de la saison dernière (10), retrouvant toute son efficacité aux côtés du passeur américain Garrett Roe. Ce duo en grande forme porte les ZSC Lions.

 

La progression de Bienne s'affirme année après année. Le club a atteint une deuxième finale consécutive et a posé un nouveau jalon de son histoire avec la participation à la CHL, qui a fait parler dans la ville bilingue. La structuration de l'équipe biennoise a été régulière et a suivi un leitmotiv : un gros transfert par saison.

Sans faire injure à Luca Cunti - qui cherche un second souffle à sa carrière - ou aux Autrichiens Stefan Ulmer et Peter Schneider (ce dernier est le seul parmi ses nombreux compatriotes à jouer en Suisse en tant qu'étranger sans bénéficier d'une licence helvétique), il ne fait aucun doute que la recrue-phare se nomme cette année Yannic Rathgeb, le défenseur suisse le plus intéressant sur le marché. Certes il ne s'est pas imposé en équipe nationales, certes les Islanders l'ont laissé repartir après une saison peu convaincante en AHL, mais quand on le met en confiance, cet arrière peut déployer son jeu naturel, qui aime construire et se porter vers l'avant.

Bienne a été performant dès le début de saison malgré de nombreux blessés en attaque, dont Damien Brunner - prolongé trois années de plus - qui manque les trois premiers mois pour une blessure au poignet. Et si c'était la saison des Biennois ? Ce serait une consécration pour Mathieu Tschantré, qui raccrochera les patins après trente ans au club, dont 18 en équipe première où il a commencé en milieu de tableau de LNB. Ce serait aussi une apothéose pour Jonas Hiller, gardien toujours de très haut niveau qui a annoncé la fin de sa carrière (il aura 38 ans). Il aimerait finir sur un troisième titre ; les deux premiers dataient d'avant son départ en NHL en 2005 et 2007 (on ne compte pas 2002 car il n'était jamais entré en jeu).

 

Troisième de la saison régulière, Lausanne a terminé à sa meilleure place depuis... 68 ans. Mais cela ne doit être qu'un prélude à la naissance d'un nouveau grand club dans le paysage suisse. L'investissement du milliardaire américain Ken Stickney vise à ramener le titre en Romandie, ce qui serait inédit depuis l'introduction des play-offs (1986), souvent citée comme le début du hockey suisse moderne. La victoire sur les Flyers de Philadelphie dans un match de gala ne doit être qu'un avant-goût des grandes moments de hockey promis à la Vaudoise Arena, bâtie pour les championnats du monde 2020. Le LHC est maintenant très attendu, ce qui renforce les exigences autour de Ville Peltonen, entraîneur encore jeune à sa seconde saison.

Il n'y a pas eu de sentiment envers le gardien Sandro Zurkirchen, à qui il restait un an de contrat : le LHC avait besoin d'un homme plus expérimenté l'aider à atteindre ses nouvelles ambitions. Sous le patronage de Cristobal Huet - l'entraîneur des gardiens qui a vu son maillot numéro 39 retiré sous le toit de la Vaudoise Arena - c'est maintenant Tobias Stephan qui garde les cages lausannoises. Parmi les grands portiers suisses, c'est le seul qui n'ait jamais empoché le titre. Battu trois fois en finale, délogé de Zoug pour y embaucher le "gagnant" Genoni, Stephan a signé pour trois saisons à 35 ans : il partage avec le LHC cette envie de démentir les préjugés sur ceux qui seraient toujours destinés aux trophées.

Lausanne a aussi fait revenir un "petit joueur formé au club". Oui, Josh Jooris, fils d'un ancien renfort canadien (Mark Jooris), a foulé pendant quelques mois les glaces vaudoises à l'âge de 7 ans. Il revient à 29 ans, avec 213 matches de NHL dans les bagages, pour centrer une troisième ligne nord-américaine qui ne coûte aucune place d'étranger : à gauche, Cody Almond, venu de Genève-Servette, et à droite, Tyler Moy, un Américain de mère suisse qui a un passeport à croix blanche et qui sera éligible en équipe nationale pour les Mondiaux 2020 (la fédération suisse s'est assurée auprès de l'IIHF que les deux saisons compteraient depuis son arrivée en novembre dernier et a anticipé en le testant à la Deutschland Cup). L'arrivée de Jooris crée un très fort axe central avec les étrangers Dustin Jeffrey et Cory Emmerton, plus le capitaine Etienne Froidevaux pour le quatrième bloc. Les ailiers Christoph Bertschy, Joel Vermin et Almond sont tous capables de jouer eux aussi au centre. Le LHC a donc assez gagné en polyvalence pour commencer à être crédible comme candidat au titre.

 

C'est comme si une montagne s'était écroulée l'an passé, un roc qui avait traversait les âges et paraissait inaltérable. Le licenciement d'Arno del Curto (22 ans comme entraîneur et 6 titres) par Davos a ébranlé toutes les certitudes. Son éphémère successeur Harijs Vitolins a sauvé l'équipe en barrages de relégation, mais cette saison doit être effacée des mémoires. La polémique des gardiens a aussi été oubliée. Relégué numéro 3 il y a un an par le recrutement d'un gardien étranger, Joren van Pottelberghe a posé un pansement sur sa confiance brisée et se retrouve numéro 1. Dans un autre contexte psychologique, cette équipe vaut bien mieux que ce qu'elle a montré l'an passé.

Aucun entraîneur n'est éternel, mais un grand club ne doit pas mourir. Les cadres grisons s'attachent à prouver que la vigueur du HCD est intacte : le capitaine Andres Ambühl, le centre Enzo Corvi, les frères Wieser et le jeune défenseur Claude-Curdin Paschoud. La philosophie de Del Curto appartient désormais aux livres d'histoire : l'entraîneur canado-suisse de l'équipe nationale des moins de 20 ans Christian Wohlwend est chargé de promouvoir un nouveau style de jeu, dans lequel on franchit les deux lignes bleues en possession du palet.

Ce système convient bien aux nouveaux étrangers comme les rapides ailiers Aaron Palushaj et surtout Mattias Tedenby : le Suédois à la personnalité créative peut enfin exprimer au mieux sa capacité à se libérer d'un adversaire en une feinte ou un coup de patin. Le défenseur Otso Rantakari (Tappara), jamais appelé une seule fois en équipe de Finlande senior, a été embauché jusqu'en décembre pour pallier l'absence de Magnus Nygren touché aux ligaments du genou pendant la pré-saison : il fait le job de défenseur offensif avec un patinage adapté au hockey suisse. Le HCD est de retour, même pas gêné par le fait de n'avoir pu disposer de sa patinoire en travaux jusque fin septembre.

 

En amenant les SCL Tigers au septième match du quart de finale, l'entraîneur danois Heinz Ehlers a refait à Langnau ce qu'il avait fait avec Lausanne il y a quelques années : bâtir un système de jeu à succès à partir d'un effectif jugé assez mince. Il a recadré ses joueurs dans cette nouvelle saison quand ils se permettaient des erreurs défensives. Pas question de dévier de la formule bien connue, celle du béton bien sûr !

La manière de composer l'effectif ne change pas : des joueurs suisses anonymes chargés d'appliquer les consignes, et 5 attaquants étrangers qui se partagent les 4 places autorisées et la responsabilité de la production offensive. Jusqu'ici, Chris DiDomenico paraissait le seul à pouvoir s'autoriser des écarts de conduite, mais le joueur dominant devient de plus en plus Harri Pesonen, qui a changé de statut au vu de sa contribution au titre mondial de la Finlande en mai.

Le système Ehlers ne peut durer que si les cages sont bien gardées. Là aussi, la compétition interne fonctionne pleinement : longtemps blessé la saison dernière, le gardien letton à licence suisse Ivars Punnenovs a repris la place de numéro 1 dont Damiano Ciaccio s'était saisie avec brio.

 

Craindre pour la qualification en play-offs et faire balayer en quatre manches en quart de finale, cela ne correspondait pas aux attentes de Lugano qui était finaliste sortant. L'organigramme a donc été totalement bouleversé à l'intersaison. Le responsable des juniors Marco Werder a été nommé nouveau directeur général. Le directeur sportif depuis plus de neuf ans, Roland Habisreutinger, qui n'a jamais su se faire aimer de la presse et du public, a été débarqué pour faire place à Hnat Domenichelli, ancien joueur adulé dans le Tessin et devenu dernièrement agent. Enfin, un nouvel entraîneur finlandais est arrivé en Suisse : Sami Kapanen avait impressionné les dirigeants de Lugano en conduisant KalPa - club dont il était coach et propriétaire - à la victoire en Coupe Spengler, et devait amener un style plus intensif et agressif.

Le problème est que le HCL a perdu ses deux joueurs-clés. Elvis Merzlikins, qui avait hérité de l'étiquette parfois collante - quand elle est attribuée une fois puis reproduite partout - de "meilleur gardien hors NHL", est parti y faire ses preuves. Il laisse un vide que Sandro Zurkirchen - malgré ses 92,7% d'arrêts de la saison dernière à Lausanne - peine à combler. Et que dire de Gregory Hoffmann et de ses 30 buts si regrettés ? Recruté à sa place, Reto Suri avait tenté d'alléger la pression en expliquant ne pas être le même type de joueur et vouloir mener l'équipe dans beaucoup de domaines et pas uniquement par les statistiques. Suri, dans le top-10 des buteurs du dernier championnat, n'en est pas moins dans une phase de creux avec 1 but en 22 matches et moins de 3% de réussite aux tirs...

Le recrutement international n'a pas connu plus de succès. Le centre Ryan Spooner avait été engagé à place de Maxim Lapierre avec comme références 300 parties de NHL au bel âge de 27 ans ; il touchait encore 4 millions de dollars lors de sa dernière saison ratée. Spooner est resté deux mois sans jamais s'être imposé dans la concurrence entre renforts étrangers, et Lugano qui a trouvé un "équilibre tactique satisfaisant sans lui", n'a pas bloqué son départ en KHL. Par "équilibre", il faut comprendre le fait d'aligner 2 étrangers en attaque et 2 en défense où on a trop besoin d'eux. Pour autant, même le champion du monde Atte Ohtamaa, prêté pour deux mois, n'est pas resté : il a été remplacé dans ces lignes arrières par Paul Postma.

L'impatience gronde avec l'enchaînement des défaites et la propriétaire Vicky Mantegazza s'est même fendue d'un appel aux supporters sur Facebook : "Nous devons rester ensemble comme une grande équipe, car l'équipe, c'est aussi vous. Vous en êtes le cœur et l'oxygène, c'est vous qui nous donnez la poussée majeure. Nous sommes les poumons." Attention quand même à l'embolie si Lugano reste sous la barre de qualification !

 

Dixième, Fribourg-Gottéron n'était pourtant pas loin du compte la saison passée, à seulement 5 points de la quatrième place. Les Dragons savent d'expérience que chaque point compte et que le retard de début de saison se rattrape difficilement. Début octobre, alors que l'équipe était dernière, le directeur sportif Christian Dubé a viré l'entraîneur Mark French pour prendre sa place sur le banc. Fort caractère, Dubé aime bien décider lui-même et n'a pas peur des responsabilités. Il se met un peu en danger car une troisième élimination des play-offs en quatre ans serait très mal vécue.

Jusqu'ici, Dubé avait plutôt connu du succès dans ses décisions managériales pendant l'été. Il avait remplacé tous les étrangers du club et avait recruté de beaux profils, emmenés par le centre créatif David Desharnais, déjà passé par Fribourg lors du dernier lock-out (0,54 point par match en huit saisons NHL et 0,48 point sur sa dernière année en KHL). Surtout, il avait réussi en août à convaincre le gardien Reto Berra de rester jusqu'en 2024 alors que Bienne lui avait fait une proposition pour succéder à Hiller. Mais sur le banc, Dubé est plus exposé. Le recrutement de Sean Simpson comme "conseiller" présent à ses côtés en match a étonné : un entraîneur au grand palmarès se retrouve simple assistant alors que le coach novice a plus de pouvoir ?

En tant que directeur sportif, fonction à laquelle il compte à terme revenir, Dubé doit aussi penser à préparer l'avenir. L'effectif est le plus vieux du championnat. La défense emmenée par le très offensif Américain Ryan Gunderson (0,66 point par match en six saisons de SHL avec Brynäs) a plus de 30 ans de moyenne d'âge. Les deux idoles locales, le capitaine Julien Sprunger et son acolyte Andrej Bykov, qui avaient eu peu de liberté sous French et ont encore connu des blessures, veulent enfin rejouer ensemble et prouver qu'ils ne sont pas encore sur le déclin : ils ont un peu moins de pression qu'avant sur la deuxième ligne, et un très bon partenaire avec le Suédois Viktor Stålberg (derrière un bon premier trio Brodin-Desharnais-Mottet).

 

Le temps où Genève-Servette était le club le plus riche de Romandie est bien révolu. Tous les observateurs le pronostiquaient cette année en dehors des play-offs. Il faut dire que l'effectif s'était appauvri. La défense est privée du métier du joueur-symbole du club, Goran Bezina, qui jouera une dernière saison en division inférieure à Sierre à 39 ans avant de prendre un poste au sein de l'organisation genevoise. Les Aigles se sont aussi déplumés au centre après le départ de Cody Almond et la retraite inattendue au milieu de l'été de Kevin Romy, à qui il restait deux ans de contrat mais qui ne se sentait plus capable de revenir à 100% après une série de blessures (clavicule, poignet...).

Le GSHC a pourtant un atout : son équipe des moins de 20 ans qui reste sur deux titres de championne de Suisse junior en 2018 et 2019. C'est justement l'entraîneur des juniors depuis neuf ans, le Canadien Patrick Émond, qui a été choisi par le directeur sportif Chris McSorley pour prendre en mains l'équipe première. Mission évidente : développer ses "poulains", puisque la moitié de l'effectif a été développée par ses soins. Meilleur exemple d'intégration : Dennis Smirnovs, qui était le capitaine des U20 champions. Lorsque Tanner Richard s'est blessé, le Letton a été mis sa place en premier centre, entre les ailiers vedettes Tommy Wingels et Daniel Winnik. Une "Win-Win situation" en somme, dont il s'est tiré à merveille. Le GSHC s'est dépêché de faire signer un vrai contrat pro au jeune Smirnovs, en même temps qu'il prolongeait jusqu'en 2023 le contrat de l'international français Eliot Berthon, loué pour son sens du sacrifice.

Les Genevois ne comptent pas seulement sur les "étrangers formés localement" que sont les Français (le junior Enzo Guebey est pour l'instant prêté à Sierre mais la France attend beaucoup de lui en défense) et les deux Lettons que le club avait demandé en 2014 à Kaspars Daugavins - alors joueur des Aigles - de faire venir de son pays (Smirnovs et le défenseur Sandis Smons lui aussi appelé en équipe nationale). Emond a aussi formé à Genève l'attaquant lausannois Guillaume Maillard, qu'il a promu en deuxième ligne avec Noah Rod et le vétéran de NHL Eric Fehr. Maillard vient de faire ses débuts en équipe de Suisse avec Simon Le Coultre, défenseur rentré du junior majeur canadien. Plusieurs sélections nationales peuvent ainsi profiter des fruits du verger grenat.

 

C'est une saison exceptionnelle que vient de connaître Ambrì-Piotta en se qualifiant pour les demi-finales. Le staff tessinois en a parfaitement conscience. L'objectif officiel de l'an passé était le maintien, le HCAP sait d'où il vient et n'est pas devenu un cador par un coup de baguette magique. La CHL a été une formidable aventure, mais le niveau est encore un peu haut pour Ambrì, seul club suisse éliminé en phase de poules. Et il faudra gérer l'invitation à la Coupe Spengler qui menace l'équipe d'indigestion pendant les fêtes de fin d'année.

Le directeur sportif Paolo Duca a réussi à préserver l'essentiel de son groupe qui n'a subi que quatre changements à l'intersaison. Il a en particulier prolongé jusqu'en 2022 les contrats de ses deux principaux attaquants à licence suisse, Marco Müller et Dominic Zwerger, alors même que l'international autrichien Zwerger avait été approché par le grand rival Lugano. Ce sont donc les deux tiers de la première ligne qui ont été gardés, mais pas le tiers le plus important : le meilleur joueur et meilleur marqueur du championnat Dominik Kubalik était impossible à retenir. L'international tchèque joue maintenant chez les Blackhawks de Chicago. Son remplaçant slovène Robert Sabolic a certes des qualités physiques et de patinage, mais il ne peut pas faire la différence individuellement comme Kubalik.

Les problèmes d'Ambrì ne se sont malheureusement pas limités à l'impossibilité de remplacer à l'équivalent ce joueur d'exception. Les Tessinois ont aussi eu leur lot d'infortunes. Le gardien numéro 1 Benjamin Conz a d'abord dû être opéré de la hanche. Son retour au jeu n'étant prévu qu'en ce mois de novembre, le HCAP a dû embaucher temporairement un gardien étranger, Dominik Hrachovina. Mais à vrai dire, c'est surtout le vétéran de 35 ans Daniel Manzato qui a profité de la situation en retrouvant sa place de titulaire avec de bien meilleures stats que le portier tchèque (reparti). Second pépin, le champion du monde 2010 Jiri Novotny s'est blessé au genou pendant sa préparation individuelle estivale. L'Américain Brian Flynn (quatre saisons et demie de NHL à Montréal et Buffalo, joker de Zoug en janvier dernier) a été embauché jusqu'en fin d'année pour pallier l'absence du Tchèque au centre. C'est ensuite la recrue majeure Sabolic qui s'est blessée au genou en octobre : le vétéran de NHL Scottie Upshall, sortant lui-même d'une saison blanche pour cause de blessure au genou, a donc été engagé jusqu'en décembre. Ces nombreux pigistes aideront à gérer le calendrier dense jusqu'au Nouvel An, mais toutes ces blessures n'aident pas à conserver la dynamique de l'an passé.

 

Avec 10 victoires en 50 rencontres et un retard de 43 points sur la qualification en play-offs, Rapperswil-Jona n'a pas été compétitif pour son retour dans l'élite. Mais il a appris de ses erreurs, par exemple la confiance maintenue aux deux étrangers de la montée (Aulin et Knelsen) qui n'étaient pas armés pour dominer au niveau supérieur. Les Lakers avaient souvent joué avec quatre attaquants étrangers par l'effet des circonstances, parce que le défenseur offensif Matt Gilroy était blessé ; ils en ont cette fois fait une stratégie délibérée. Elle fait le bonheur du jeune défenseur Dominik Egli, venu prendre des responsabilités dans toutes les situations et qui est pleinement exaucé : il se retrouve le joueur avec le plus grand temps de jeu de l'équipe à 21 ans et a ainsi été appelé en équipe de Suisse en même temps que le gardien Melvin Nyffeler, pilier du SCRJ depuis deux ans.

Il ne fallait pas seulement de la quantité mais aussi de la qualité en attaque. Non prolongé chez les ZSC Lions après une saison très compliquée, et amputée de moitié par une embolie pulmonaire, l'international tchèque Roman Cervenka avait décidé de rester en Suisse avec sa femme et son fils scolarisé à Zurich. Il a donc signé chez le voisin Rapperswil, pour qui il est une bénédiction avec son immense apport offensive et son efficacité insolente dans les mises au jeu en zone adverse.

Dans le coup, le SCRJ a un peu calé quand il a été privé à la fois de Cervenka blessé et de son entraîneur Jeff Tomlinson : celui-ci est sous dialyse quotidienne depuis des années, et lorsqu'un rein compatible a enfin été disponible en octobre, il a subi une greffe. L'opération s'est bien passée et il voulait revenir mois d'un mois plus tard, mais les médecins ont mis leur veto à un retour très rapide.

 

 

La "Swiss League"

 

Les barrages de promotion/relégation n'ont pas eu lieu l'an passé parce que le champion Langenthal n'avait pas de patinoire aux normes de l'élite ; cette renonciation annoncée au dernier moment a fait un peu jaser parce que le SCL faisait partie des six clubs ayant déposé un dossier de montée et qu'il aurait dès lors logiquement dû y prendre part. Le règlement prévoit une sanction en cas de refus de monter (trois ans d'interdiction de promotion), mais pas en cas de non-participation aux barrages. Langenthal a convenu avec la ligue qu'il n'y aurait pas de punition et a annoncé de lui-même qu'il renonçait pour trois ans à la promotion... en espérant que d'ici là une nouvelle patinoire ait commencé à sortir de terre. Cela fait des années que le dossier est contesté et traîne politiquement. Le club, champion deux fois sur les trois dernières années, a sans doute usé de ce moyen pour mettre en lumière son cas. Le projet de patinoire doit faire l'objet d'un vote en décembre. En attendant, le SCL a rajeuni son équipe, tout comme son rival Olten qui a connu de nombreux départs et rebâtit plutôt sur le moyen terme.

Les patinoires sont la clé de voûte de toutes les ambitions. L'antichambre du hockey suisse est en train de progresser dans ses infrastructures : Viège a emménagé dans sa nouvelle patinoire et Ajoie modernise la sienne. C'est maintenant Kloten qui a vu 70% des électeurs de la ville donner leur accord au projet présenté par le conseil municipal : rénovation de la Swiss Arena avec ajout d'une seconde glace qui permettra de maintenir une grande qualité de formation des jeunes. Ces cinq équipes sont toutes au coude-à-coude dans une LNB très serrée. Curieusement, elles ne sont pas accompagnées de La Chaux-de-Fonds, en retrait en saison régulière (cela permettra-t-il au HCC de réserver enfin le meilleur pour les play-offs ?), mais par Thurgovie, qui progresse d'année en année et fait belle figure : discipline, vitesse, unité.

Le promu Sierre a le secret espoir d'accéder aux play-offs dès sa première saison. S'il y parvenait, cela aurait de quoi rendre jaloux Winterthur, qui n'y est toujours pas parvenu en quatre ans, devancé même ces deux dernières années par les deux meilleures réserves (GCK Lions et EVZ Academy). Mais il y a un autre enjeu cette année : après la montée de Sierre, la division est enfin au complet avec 12 équipes (elle l'avait brièvement été en 2017 avant que Martigny déclare forfait l'année suivante). Cela signifie qu'on pourrait passer en un an de zéro barrage de promotion/relégation... à deux : un vers le haut et un vers le bas.

Le dernier (qui risque d'être comme toujours la faible réserve tessinoise du HCB Ticino) devra en effet remettre sa place en jeu contre le champion de MySports League (la troisième division), si le dossier financier de celui-ci est auparavant accepté. Ils sont quatre clubs à avoir déposé un dossier de promotion (Martigny, Arosa, Bâle et Coire). Le mieux placé est le HCV Martigny, actuellement premier du classement, mais il sait qu'il sera examiné de très près au vu d'un passé marqué par plusieurs faillites. Son dossier avait été recalé l'an passé et le club valaisan a donc augmenté fortement son capital (de 100 000 à 460 000 francs suisses) pour démontrer sa solidité financière.

 

Marc Branchu

 

 

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