Briançon au pied de la montagne

 

La Coupe Magnus, après laquelle Briançon courait depuis si longtemps, aura été vécue comme un aboutissement dans la Cité de Vauban. Un aboutissement aussi pour Luciano Basile, l'entraîneur italo-canadien qui a vécu la consécration de ses dix années de travail. Mais un aboutissement, ça veut dire une fin. Basile est donc parti pour un nouveau projet, dans l'autre club du département Gap. À portée, mais dans le camp adverse. Qui plus est, il a emmené avec lui la bagatelle de cinq hommes. Oh, pas les joueurs majeurs, certes, mais des joueurs qui amenaient la profondeur d'effectif qui a (aussi) fait gagner les Diables rouges, et des joueurs majoritairement français, devant être remplacés par des éléments de même nationalité pour respecter le plafond des JFL.

Quand on a appris que même Sébastien Rohat suivait le mouvement, l'appréhension a cédé la place à la crainte : si même le Briançonnais de toujours, le symbole du club, s'en va, alors c'est la fin. Alors que les Diables rouges s'apprêtent à se lancer dans la grande aventure de la nouvelle CHL (Champions Hockey League) sans la moindre petite référence européenne (le finaliste malheureux Angers avait au moins connu la Coupe Continentale), les voilà privés de leur substance. Un entraîneur-recruteur parti, des étrangers qui ont pris de la valeur avec le titre, des internationaux ayant envie de partir à l'étranger, des joueurs de devoir partis : le tableau était on ne peut plus inquiétant. Le champion de France va-t-il être envoyé au casse-pipe ? Court-il droit à un massacre dont ni lui, ni peut-être le hockey français de clubs - invité in extremis à participer à la compétition - ne se relèverait ?

Avec le recul, la situation n'est quand même pas si désespérée. Briançon a certes subi des départs, mais a gardé une bonne partie de ses cadres. Luciano n'est plus là, d'accord, mais il ne laisse pas une terre brûlée. Cela fait trois ans qu'il a préparé sa succession, et deux ans qu'Edo Terglav a raccroché les patins pour apprendre sur le banc le métier de coach. Il a aussi quelques réseaux au Canada depuis son temps en junior majeur, même si ce ne sont pas les filières éprouvées de son mentor Basile. Il est certain que la responsabilité d'entraîneur principal est toute nouvelle, surtout dans ces circonstances. Affronter le gratin européen dès le mois d'août, cela s'apparente à apprendre à nager dans les eaux du Cap Horn... Jamais la saison d'une équipe française n'aura été conditionnée par une échéance aussi précoce.

Un "poney rouge" chez les rouges

Ronan Quemener a hésité entre Briançon et Gap, mais avait surtout des envies d'ailleurs. Il a cédé à l'appel du large en recherchant un nouveau défi à l'étranger, au deuxième niveau finlandais, bien loin de l'exposition de la Ligue des Champions. Les Diables rouges ont su réagir, et de quelle façon, puisqu'ils ont engagé deux gardiens capables d'être titulaires pour gérer de front le cumul des compétitions. Antoine Bonvalot a été élu meilleur espoir de la Ligue Magnus après avoir attrapé le poste de titulaire à Grenoble, mais les play-offs auront aussi montré ses limites. Il est encore un peu tendre pour être numéro 1 d'un club ambitieux, et il le sera encore moins à Briançon qu'à Grenoble avec l'arrivée de Shane Madolora.

Ce gardien californien est originaire de Salinas, capitale mondiale de la production de laitue et patrie de l'écrivain John Steinbeck. L'action de son roman pour la jeunesse "Le Poney rouge" se situe d'ailleurs dans la rue même où Madolora a grandi. Cette ville se situe à douze kilomètres de l'océan, où est née sa passion du surf, mais n'avait jamais engendré de hockeyeur professionnel avant lui. À 100 kilomètres de San José, où la franchise NHL locale a mis en place une structure pour les enfants. Le jeune Shane a joué pour ces "Junior Sharks", et maintenant il y encadre même des camps d'entraînement. Mais même si le hockey y est en plein boom, la Californie n'a pas encore de vraie pyramide de formation. Pour progresser, il a fallu que "Mads" (son surnom) parte de chez lui à 16 ans. Et on peut dire qu'il a voyagé, du Texas jusqu'en Alaska. Il a réussi une belle carrière universaire au RIT, qui lui a permis d'obtenir un essai avec l'équipe AHL située dans la même ville de Rochester, mais sans succès. C'est donc en CHL qu'il gagne sa croûte depuis deux ans. La Central Hockey League, bien sûr, pas la nouvelle Ligue des Champions qui a choisi cet acronyme déjà usé... La dernière saison de Madolora a été en crescendo avec un début moyen mais une sélection comme meilleur gardien du mois en février. Il lui faudra cette fois être affûté plus tôt.

Une défense moins "Rich" ?

Les nouveaux gardiens arrivent en effet derrière une défense à rebâtir totalement. Là encore, ça aurait pu être pire. Florian Chakiachvili, la révélation de la saison qui a intégré l'équipe de France, avait resigné de manière conditionnelle avec une clause de départ à l'étranger, finalement non activée. Il pourra donc continuer à progresser et à engranger de l'expérience, y compris internationale. On aura bien besoin de lui, tout comme du vieux Viktor Szélig. L'ex-international hongrois devra faire le ménage devant la cage, notamment pendant les infériorités numériques qui s'annoncent longues avec l'agrandissement des zones offensives.

La paire majeure est en effet partie. Arrivé par opportunité après une saison blanche (hernie discale) et les difficultés financièes spinaliennes, Sébastien Bisaillon a pris de la valeur et a été pris par Angers. Quant à Rich Crowley, il a été recommandé par un certain Luciano Basile au club italien de Bolzano, qui a peiné à digérer financièrement son titre en ligue autrichienne et s'est mis à recruter très tard au mois d'août pour ne pas être ridicule en CHL.

Les nouveaux arrivants n'ont pas nécessairement le même bagage. Aucun n'a l'expérience d'un Bisaillon (passé par l'AHL et la DEL) : l'un n'a jamais joué pro, l'autre l'a fait pendant une seule saison avec un temps de jeu de rookie. Aucun n'a les capacités défensives pures d'un Crowley : ils ont en effet tous deux des instincts plutôt offensifs. Mathieu Gagnon se distingue par sa qualité de relance et a toujours été encouragé par ses statistiques en junior majeur : 134 points en 223 parties de LHJMQ. Il en a été le meilleur passeur des défenseurs en 2011/12, la saison où il a dû quitter sa ville natale Gatineau quand les Olympiques l'ont échangé aux Saguénéens de Chicoutimi. Quant à Cory Pritz, il a toujours eu un bon lancer, et c'est son coach Mark Howell qui lui a appris petit à petit à penser plus défensif. Il faut dire qu'il en a eu tout le temps : Pritz a suivi son coach pendant neuf années, déménageant avec lui d'une ligue junior à une autre (AJHL puis BCHL) puis en université. L'argument de la Ligue des Champions a été important pour convaincre l'arrière de Calgary de signer son premier contrat pro à Briançon. Pour ces deux novices des glaces européennes, l'adaptation devra être rapide...

Les tâches strictemet défensives resteront dévolues à des Français. Pour remplacer Jestin et Trabichet, les Diables rouges ont misé sur la complémentarité et la bonne entente entre les amis de longue date Cédric Custosse et Kévin Igier, formés ensemble à Asnières et qui se sont ensuite retrouvés à Rouen puis à Dijon, où ils n'ont pas été conservés. Tous deux étaient des espoirs qui ont un peu plafonné : Custosse reste sur une saison à zéro point à Angers tandis qu'Igier s'est relancé en D1 à Anglet où il est devenu père.

Le jeune défenseur slovène Gasper Cerkovnik, qui a joué les utilités comme attaquant de 4e ligne peut aussi servir de sixième arrière et donne des solutions de profondeur importantes pour mener de front les différentes compétitions.

McDonald ne fait pas dans l'allégé

Fort heureusement, l'attaque a subi moins de bouleversements. La première ligne, qui a dominé les play-offs, n'a perdu qu'un élément, Denny Kearney, parti en Norvège. Son remplaçant Ian McDonald apporte cependant tout autant de gages offensifs, avec un gabarit supérieur. Cet ailier aux jambes puissantes (centre dans sa jeunesse) a assuré des compteurs bien caloriques partout où il est passé. Il fut troisième marqueur de WHL à sa dernière année junior, et encore septième marqueur au Kazakhstan l'an dernier. Il y a toutes les raisons de penser qu'il en sera de même cette saison. Ce très bon passeur, également finisseur, pourra tout autant servir la gâchette Marc-André Bernier que compléter le travail de Dave Labrecque.

La perte est en revanche évidente en deuxième ligne puisque Bostjan Golicic a suivi Basile à Gap au lieu de rester avec son compatriote Terglav. L'international slovène n'a pas été remplacé, même pas numériquement. Cela peut inquiéter, mais il faut se souvenir que Briançon évoluait avec un attaquant de plus l'an passé parce que Jimmy Jensen remplaçait Tarantino blessé. Le joker d'octobre n'aura donc pas été qu'un pigiste. L'ancien meilleur marqueur des TV-Pucken (compétition télévisée de jeunes par équipes régionales), ex-international U18, se rappellera au bon souvenir de la Suède en affrontant Frölunda en CHL. Il pourrait même figurer de manière durable en deuxième ligne aux côtés du centre international Damien Raux et de Jaka Ankerst : dans les trois ans d'intervalle entre ses deux venues dans la Cité de Vauban, ce dernier a bien progressé. Mais si ce deuxième trio peut soutenir la comparaison en Ligue Magnus, ce sera beaucoup plus difficile face aux adversaires de CHL.

On attend que la troisième ligne puisse effectuer tout le travail de sape prévu il y a un an en recrutant les ex-Strasbourgeois Pierre-Antoine Devin et Lionel Tarantino. Le plan a été retardé par la rupture des ligaments croisés de Tarantino, mais il est revenu pour les play-offs. Trop tôt ? Son genou a dû être ré-opéré en fin de saison, sans qu'il le regrette. On espère qu'il pourra retrouver vite l'intégralité de ses moyens car son impact physique sera capital pour Briançon.

Après le départ de Rohat, une place est à prendre au centre de cette troisième ligne. C'est peut-être le moment ou jamais pour Cédric Di Dio Balsamo, maintenant qu'il a terminé ses années juniors. Ses qualités de rapidité peuvent servir de diverses manières, comme le montrent ses affectations dans les équipes de France. Il a été utilisé dans un trio à vocation défensive en U18 par Sébastien Roujon, puis dans des lignes à vocation offensive en U20 par Lionel Charrier et Philippe Bozon.

L'autre ancien international junior Norbert Abramov, bien qu'ailier, est néanmoins le plus légitime prétendant au centre de la troisième ligne : il compte en effet une année de plus et s'en est bien servi en allant prendre pas mal de temps de jeu du côté de Villard-de-Lans. Le plus expérimenté Kevin Hamon a pu peaufiner ses stats en D1, mais n'a pas été conservé par les entraîneurs de Nice faute d'avoir confirmé sa très bonne saison précédente à Montpellier. Chacun apporte des qualités un peu différentes : la vitesse pour Di Dio Balsamo, la technique pour Abramov, la vision du jeu pour Hamon. On attendra aussi beaucoup d'eux dans le registre défensif car leurs prédécesseus Rohat et Frecon avaient des tâches spécifiques importantes en infériorité.

Une quatrième ligne reste toujours possible avec la montée de défenseurs (Cerkovnik ou Farina) ou l'intégration de Guillaume Michelon. Tout le monde ne suit pas Basile, le jeune Briançonnais aurait plutôt tendance à le fuir. Exclu de l'équipe par Basile il y a un an et parti à Gap, il a refait logiquement le chemin inverse.

Épreuve infernale pour les Diables ?

L'inédit champion de France à quatre lignes n'a donc pas tellement perdu en profondeur de banc, mais le changement d'entraîneur nécessitera un temps d'adaptation auxquels les Diables rouges n'auront pas droit au vu de leur calendrier... infernal.

S'ils ont toujours des arguments à faire valoir dans l'Hexagone, les Briançonnais sont un peu le "petit poucet" de la Ligue des Champions. Les autres champions de "petits pays de hockey" se sont préparés. Les Danois de SønderjyskE, également confrontés au départ de son entraîneur italo-canadien (Mario Simioni), ont fait signer pour deux ans le défenseur international Mads Bødker pour essayer d'endiguer la fin de cycle annoncée. Les Anglais de Nottingham ont recruté le talentueux et expérimenté Nathan Robinson, plus deux pigistes à court terme juste pour la CHL (dont le gardien letton Martins Raitums).

Champions pour la première fois au contraire des clubs des autres pays, les Diables rouges ont été pris un peu plus au dépourvu. Ils ont été contraints de bousculer leur organisation pour être capables d'accueillir la CHL, y compris en officialisant plus tôt que prévu leur nouveau logo.

Le tirage au sort a été plutôt familier en réservant aux Briançonnais deux adversaires alpins, ce qui facilitera les déplacements. Genève-Servette a été affronté en amical pendant la trêve olympique en février (défaite 4-2) et les Briançonnais ont l'habitude, lors des tournois de présaison en Slovénie, de rencontrer des adversaires de ligue autrichienne où évolue Villach. Par contre, Frölunda sera vraiment un tout autre monde. Celle qui se targue d'être la deuxième ville la plus haute d'Europe (derrière Davos) se retrouve au pied d'une montagne impressionnante : un sacré défi.

Marc Branchu

 

 

Effectif :

Gardiens

N° NOM Prénom            Naissance    cm  kg  Club formateur     Club & Ch 2013/14   MJ   Min   Moy.    %
 1 MADOLORA Shane        09/01/1987  178  79        (Américain)  Tulsa Oilers CHL    59  3340  2,91  90,4%
35 BONVALOT Antoine      04/03/1994  180  73  Épinal             Grenoble    FRA-1   21  1238  2,47  89,9%

Défenseurs

N° NOM Prénom            Naissance    cm  kg  Club formateur     Club & Ch 2013/14   MJ   B   A Pts   Pén
 5 SZELIG Viktor         22/09/1975  185  90         (Hongrois)  Briançon    FRA-1   37   0   9   9   44'
 8 IGIER Kévin           04/03/1987  181  85  Asnières           Anglet      FRA-2   28   4   7  11   84'
13 FARINA Thibaut        05/08/1993  180  77  Briançon           Briançon    FRA-1   32   0   0   0    4'
27 CERKOVNIK Gasper      17/04/1992  177  76          (Slovène)  Briançon    FRA-1   41   3   2   5   14'
32 CUSTOSSE Cédric       10/11/1989  172  74  Asnières           Angers      FRA-1   39   0   0   0   16'
52 PRITZ Cory            06/03/1988  178  82         (Canadien)  Uni Calgary  CIS    27   7  14  21   31'
62 CHAKIACHVILI Florian  18/03/1992  185  84  Briançon           Briançon    FRA-1   41   3  12  15   26'
64 GAGNON Mathieu        11/02/1992  183  82         (Canadien)  Elmira       ECHL   22   1   2   3   21'
                                                                 Missouri     CHL    25   2   5   7    6'

Attaquants

N° NOM Prénom            Naissance    cm  kg  Club formateur     Club & Ch 2013/14   MJ   B   A Pts   Pén
10 ANKERST Jaka          27/03/1989  184  81          (Slovène)  Briançon    FRA-1   41  10  26  36   18'
17 McDONALD Ian          27/03/1985  191  93         (Canadien)  Atyrau      KAZ-1   63  28  32  59   28'
19 DEVIN Pierre-Antoine  29/10/1985  185  85  Caen               Briançon    FRA-1   40  10  13  23   36'
22 MICHELON Guillaume    09/08/1994  175  70  Briançon           Gap         FRA-1   19   0   0   0    4'
                                                                 Gap U22     FRAjr   14   6  11  17   30'
23 DI DIO BALSAMO CÉd.   27/03/1994  178  73  Briançon           Briançon    FRA-1   39   6   2   8    8'
28 RAUX Damien           03/11/1984  179  84  Rouen              Briançon    FRA-1   41  16  16  32   12'
29 TARANTINO Lionel      14/04/1988  180  95  Toulouse           Briançon    FRA-1   17   2   5   7   18'
41 BERNIER Marc-André    05/02/1985  191  99         (Canadien)  Briançon    FRA-1   33  24  35  59   30'
46 HAMON Kevin           06/04/1990  180  75  Yerres             Nice        FRA-2   28   4   4   8    8'
56 LABRECQUE David       27/01/1990  181  80         (Canadien)  Briançon    FRA-1   40  22  54  76   54'
79 ABRAMOV Norbert       09/01/1993  185  79  Cergy              Villard     FRA-1   34   8   8  16    6'
91 JENSEN Jimmy          24/01/1988  181  89          (Suédois)  Hammarby    SUE-3    7   2   4   6    4'
                                                                 Briançon    FRA-1   32   6  14  20    8'

Entraîneur : Edo Terglav (SLO, 34 ans).

Partis : Ronan Quemener (G, 2325' et 93,3%, Jukurit Mikkeli, FIN-2), Aurélien Bertrand (G, 151' et 95,5%, Gap), Sébastien Bisaillon (D, 5+25, Angers), Richie Crowley (D, 1+10, Bolzano, ITA/AUT), Mathieu Jestin (D, 4+11, Chamonix), Teddy Trabichet (D, 0+5, Gap), Loïc Chapelier (D, 0+1, Gap), Denny Kearney (A, 33+41, Frisk Asker, NOR), Bostjan Golicic (A, 17+19, Gap), Sébastien Rohat (A, 4+5, Gap), Mathieu Frecon (A, 2+2, Gap), Thybaud Rouillard (A, 1+1, Toulouse-Blagnac, FRA-2).

 

Revoir la présentation 2013/14

 

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