Journal d'un fou... de hockey (9)

Le fou ose tout, même aller... en banlieue

 

Lorsque je suis arrivé à Moscou, en septembre 2003, les choses étaient claires. Il y avait les quatre clubs de Moscou, éternels, légendaires, insubmersibles, le Dynamo et le CSKA en Superliga et, par accident, le Spartak et les Krylia Sovietov en Vyschaïa Liga. Et en banlieue, le Khimik était de Voskresensk, le Vitiaz habitait Podolsk et le Kristall créchait à Elektrostal. C'était clair et les vaches étaient bien gardées dans le kolkhoze privatisé.

Aujourd'hui, ma pôv' dame et mon brav' môssieur, tout a été chamboulé. Les quatre classiques moscovites sont toujours là, le CSKA et le Dynamo en haut de l'affiche, le Spartak à nouveau en Superliga et les Krylia Sovietov... toujours en Vyschaïa Liga, maaaaaaaaaiiiis ce n'est que provisoire.

En revanche, chez les Banlieusards, c'est devenu un de ces souks ! C'est ça le problème avec les nouveaux riches ! La région de Moscou est la deuxième plus riche entité des 89 que compte la Fédération de Russie, juste derrière... Moscou ! Et du coup cela donne des ambitions aux clubs de la région de Moscou et à son ambitieux gouverneur, Boris Gromov. Ah, on peut dire qu'il a fait du grabuge ce Gromov !

Alors, très cher, je vous propose de laisser le 4x4 Porsche Cayenne à Moscou et de prendre le célèbre train électrique de banlieue ! Tout d'abord, cela polluera moins, car comme dit ma fille (bientôt 5 ans) "faut pas faire du mal à la planète", et ensuite, un peu de "vraie vie" ne peut pas faire du mal ! Allez, on arrête de râler !

Réaction chimique... en chaîne

Cap au sud, là où tout a commencé... À Voskresensk, 80 km au sud-est de Moscou. Une ville surnommée les "deux rues" par les clubs de la capitale lorsqu'ils vinrent les premières fois poser les patins dans cette petite ville d'actuellement 80 000 habitants. Une définition bien significative de la manière dont les Moscovites considèrent la banlieue ! Mais ils ne vont pas longtemps se moquer, car le Khimik, sous l'impulsion de son fondateur et homme à tout faire, Nikolaï Epstein (le Pete La Liberté local !) devient rapidement un modèle. Un modèle de formation tout d'abord. La liste des immenses joueurs que les jaune et bleu ont formés est aussi impressionnante que celle des titres du CSKA, Igor Larionov ou Valeri Kamenski étant les plus emblématiques.

Créé en 1953, le Khimik accède à l'élite soviétique deux ans plus tard et devient un club mythique. À tel point que, lorsqu'il rejoint à nouveau la Superliga en 2004, grâce en particulier au retour au club des glorieux anciens comme German Titov la première année et justement Valeri Kamenski la suivante, une vague de sympathie submerge le club. Les supporters sont nombreux à faire les déplacements, la petite patinoire (4 500 places quand même...) de Voskresensk est pleine à craquer.

Et c'est là qu'intervient Gospadine Gromov. Monsieur Gromov commence en 2004 par enlever Voskresensk du nom du club qui devient Khimik Moskovskaïa Oblast, le Chimique de la région de Moscou. Bon, cela grince un peu des dents, mais après tout pourquoi pas, c'est la même chose dans d'autres sports en foot et en basket et si cela permet de pérenniser financièrement le club en Superliga...

Le problème est que les supporters en jaune et bleu ne se doutent pas de la suite et du coup en traître qui les attend. Une fois que le Khimik s'est bien battu sur la glace en obtenant le maintient avec une belle 12e place en 2004 et une 9e juste sous la barre des qualifiés pour les play-offs en 2005, le gouverneur frappe une deuxième fois. Le gouverneur frappe toujours deux fois ! Cela pourrait être d'ailleurs le titre de ce thriller !

Boris Gromov a de l'ambition... Une immense patinoire est sortie de terre à Mytichtchi, dans la proche banlieue est de Moscou, le long du boulevard périphérique extérieur, dans une zone déjà très bien pourvue en équipements modernes (gare, hypermarchés, grands complexes commerciaux... mais pas de métro, car en dehors de la commune de Moscou). Et une patinoire de 7 500 places, il faut bien la remplir. D'où l'idée de "génie" de transférer le Khimik de Voskresensk à Mytichtchi, au risque d'y perdre son âme.

Évidemment, cela fait des vagues à Voskresensk, les glorieux anciens s'en mêlent (y compris Igor Larionov) et le gouverneur est bien embêté. Comme il est bien obliger de trouver un club pour Mytichtchi et qu'il n'a rien d'autre sous la main que le Khimik, et bien le Khimik MO jouera à Mytichtchi, mais comme il ne peut négliger ses électeurs du sud de Moscou... Et bien, il "offre" aux habitants de Voskresensk une équipe en Vyschaïa Liga ! Mais il n'y a plus d'équipe à Voskresensk, ben oui, elle est partie à Mytichtchi ! Alors hop ! On effectue un autre tour de passe-passe. Il se trouve que l'équipe du Kristall Elektrostal, connaît des difficultés financières en Vyschaïa Liga et que la municipalité d'Elektrostal ne veut plus payer... Et bien, on transfère l'équipe d'Elektrostal à Voskresensk !

Vous avez tout compris ? Voskresensk part à Mytichtchi et Elektrostal part à Voskresensk ! Et les gens d'Elektrostal alors ? Oui, bon, tant pis pour eux, on ne peut pas tout faire non plus !

Et c'est ainsi que petit à petit le nouveau HK Khimik Voskresensk s'est reconstitué des forces et postule même maintenant à une remontée en élite ! Vous imaginez un derby Khimik-Khimik ? Pour cela il faudrait une patinoire plus grande à Voskresensk pour rentrer dans le cahier des charges de la Superliga, mais quelque chose me dit que Gromov serait "un peu" obligé de cracher au bassinet !

Elektrostal recharge sa batterie

Mais donc, qu'est devenu l'autre dindon de la farce "gromovienne" ? Le Kristall Elektrostal ?

Et bien, une fois la stupeur passée, le club, qui a également des racines solides et une histoire, s'est remis en selle. Une seule saison en Pervaïa Liga (son nom signifie la première ligue, mais c'est en fait le troisième échelon national !) et le club a retrouvé sa place en Vyschaïa Liga (la "plus haute ligue" mais c'est le deuxième niveau !)

Le cas du Kristall Elektrostal est également particulièrement intéressant. Déjà, même le nom de cette ville de 146 000 habitants à 58 km à l'est de Moscou a changé, ce qui était une habitude en U.R.S.S. Jusqu'en 1938, cette ville s'appelait Zatichié.

Pour le club de hockey, c'est la même chose. Le hockey s'est installé à Elektrostal (du nom d'une station électrique fonctionnant grâce à l'énergie d'une usine métallurgique) en 1949. Le club s'est appelé le Khimik (humour noir par rapport au transfert des décennies plus tard à Voskresensk !), puis le Club Sportif Karl Marx, le Club Sportif Elektrostal, puis le Kristall en 1967. Pendant trois ans à partir de 2001, il a été nommé Elemach du nom de l'usine de machines pour centrales nucléaires installées sur la commune, puis a repris son nom de Kristall en 2004.

Le club a fait la navette entre les divisions durant toute sa vie. En élite soviétique de 1953 à 1964, avec quelques belles places d'honneur : 4e en 1963 (quelle belle année, c'est celle de la naissance du fou qui vous écrit !!!), 5e en 1954, ou 6e en 1955 et 1960. Ensuite, c'est la deuxième division, puis dans les années 70 et 80 la navette entre la deuxième et la troisième division pour un retour en élite pendant cinq ans dans les années 90, et depuis 2001 un retour stable en deuxième division.

Le club n'a cependant pas pu éviter la crise en 2006, avec ce séjour forcé d'un an en troisième division, lors du jeu de chaises musicales décidé en haut lieu. Aujourd'hui, le Kristall (qui joue quand même dans une salle de 3 500 places) a retrouvé sa place normale en deuxième division professionnelle russe. Même si le Kristall doit assurer son maintien cette saison.

Veuillez obtempérer à votre ré-affectation

Le Vityaz a aussi beaucoup déménagé ces derniers temps !

Au départ, il y avait, en Vyschaïa Liga, le Vitiaz Podolsk. Podolsk est une ville de 200 000 habitants, où la famille de Lénine avait une datcha à l'époque tsariste ! Le club jouait au palais des sports Vitiaz. Et puis, mêmes causes, mêmes effets, une patinoire nouvelle est créée à Tchekhov, une ville sportivement très ambitieuse, avec le meilleur club de hand masculin de Russie et un club de basket en Superliga. Alors pourquoi ne pas avoir son club de hockey pro ? Et hop, le Vitiaz devient dans un premier temps le Vitiaz Podolsk-Tchekhov, puis en montant en Superliga en 2005-06, le Vitiaz Tchekhov tout court, puis ensuite, le Vitiaz Moskovskaia Oblast comme tous les autres de l'écurie Gromov !

Et Podolsk alors ? On va y revenir !

Car cette faim de club du gouverneur de la région de Moscou a donnée des idées... au ministre russe de l'intérieur Rachid Nourgaliev. Comme son homologue bélarussien avait une équipe de policiers pour des tournois internationaux entre gens en uniformes aimant le hockey, il s'est dit qu'il pourrait faire encore mieux et créer un club professionnel qui jouerait en Superliga ! Certes, il n'allait pas commencer tout en bas de l'échelle et monter les divisions petit à petit ! Et puis quoi encore ? Non, il suffit de faire comme les autres et de monter une razzia contre un club existant. Et l'heureux élu est ? Le HK Tver qui évolue en Vyschaïa Liga. C'est pratique, il n'y a qu'une seule division à monter pour aller en élite ! En 2004, donc, le HK Tver est rayé de la carte de la Vyschaïa Liga pour faire la place au HK MVD (initiales de Ministère de l'Intérieur) Tver. Le club obtient évidement sa montée en Superliga, circulez y'a rien à voir, c'est la milice qui passe ! Mais, bon, Tver, c'est loin (180 km au nord de Moscou), la patinoire n'est pas top, faut trouver un autre point de chute. Mais au fait, dites-moi et la patinoire de 5 500 places de Podolsk ? Elle n'est plus occupée puisque le Vitiaz est parti à Tchekhov ? Ben oui mon gars !

Allez en voiture (de police), le HK MVD devient de Podolsk.

Mais comme les choses ne sont jamais simples, le club déménage encore une fois. Cette saison, le HK MVD est devenu comme les autres le HK MVD Moskovskaïa Oblast ! Et il est basé à Balachikha, 15 000 habitants à 25 km à l'est de Moscou, où une nouvelle patinoire de 7 000 places a été inaugurée !

Quand au pauvre HK Tver, il est redescendu au troisième échelon, mais actuellement il revoit la lumière, car il est classé deuxième derrière la réserve du CSKA qui n'a pas le droit de monter !

Mais alors, la patinoire de Podolsk et ses 5 500 places ? Et bien, la boucle pourrait bien être bouclée avec le retour du Vitiaz, puisque la patinoire de Tchekhov est trop petite (3 700 places) pour les normes Trétiak pour avoir le droit d'évoluer en Superliga ! Vous suivez ?

Donc aujourd'hui en Superliga, on a trois clubs de la région de Moscou qui naviguent de patinoire en patinoire, mais ce n'est pas grave car ils n'ont tous trois comme attache géographique que ces deux lettres M.O., Moskovskaïa Oblast...

Villes interdites et clubs autorisés

Le Vityaz a aussi beaucoup déménagé ces derniers temps !

En Vyschaïa Liga, il reste les clubs attachés une ville : Voskresensk, Elektrostal, on l'a vu, mais également trois autres clubs, Stoupino, Klin et Dmitrov. Ce dernier, leader de la Vyschaïa Liga, ferait peut-être bien de se méfier de ses ambitions. S'il monte en Superliga, il pourrait être englouti dans le camp des MO et perdre toute identité...

Et l'on reprend le train électrique, direction, Stoupino dans le sud de Moscou. Une petite ville de 60 000 habitants à cent kilomètres de la capitale russe. Une ville fondée sous Staline en 1939 et fermée, comme il en existait tant en U.R.S.S. C'est-à-dire qu'il fallait une autorisation spéciale pour y pénétrer, et qu'elle était totalement interdite aux étrangers. La raison en était simple : usine d'armement et base militaire abritant le commandement de la défense anti-aérienne soviétique !

Le club de hockey a été créé en 1951 et il s'est longtemps appelé le Troud Stoupino, "troud" signifiant travail en russe. En 1999, il devient le Kapitan Stoupino et participe même en 2003 à la Ligue d'Europe de l'Est avec des clubs baltes, ukrainiens et bélarussiens.

Après avoir été un classique de la troisième division soviétique puis russe, le Kapitan intègre la Vyschaïa Liga en 2006, où il truste les dernières places, mais bon... pas de quoi jouer les Kapitaaaan abandooooonés non plus, car il évolue dans un beau palais des sports de glace du nom de Vsevolod Bobrov, l'un des génies fondateurs du hockey soviétique. Un palais des sports magnifique construit sur décision du gouverneur Boris Gromov (toujours le même...) et inauguré il y a trois ans.

Ceci dit, comme pour Elektrostal, l'avenir n'est pas non plus assuré pour le Kapitan, actuel dernier de la ligue. Mais il faut peut-être attendre que la sauce prenne puisque l'effectif est composé uniquement de joueurs venus des autres clubs de la région (Spartak, KSM, Dynamo, CSKA, Khimik, Vitiaz, Rous', etc)

Le Titan Klin est lui un club beaucoup plus récent. Créé à la chute de l'U.R.S.S (ou la naissance de la Fédération de Russie, c'est comme vous voulez...) en 1991.

Klin est une ville de la Région de Moscou située à 85 km au nord de la capitale russe. Et comme pour Stoupino, Klin abritait une base aérienne secrète durant la guerre froide. Une ville plus connue pour sa brasserie (Klin est une marque de bière célèbre en Russie) que pour son club de hockey. Cependant, avant le Titan, on jouait déjà au hockey à Klin, dans le club Khimik, qui possède d'ailleurs toujours une section foot.

Autre point commun avec Stoupino, la nouvelle patinoire a été baptisée du nom d'une autre légende du hockey soviétique, Valéri Kharlamov, membre de la célèbre ligne du CSKA et de la Sbornaïa avec Vladimir Petrov et Boris Mikhaïlov. Une très belle enceinte moderne, située rue Karl-Marx, si vous comptez un jour vous rendre à Klin...

Un club jeune qui est arrivé tardivement en deuxième division professionnelle russe et qui lutte encore pour s'y maintenir. Le Titan a en effet été promu l'an passé en Vyschaïa Liga où il s'est classé à une belle dixième place. En 2006, le club avait été champion de sa poule de Pervaia Liga, (devant Elektrostal).

Le Kristall lutte pour retrouver son lustre (hi ! hi ! hi !) d'antan, le Kapitan et le Titan pour se faire une place au soleil, mais il y a un club de la région de Moscou qui est en passe d'y parvenir, c'est le HK Dimitrov. Créé en 2002, il était encore en zone centre de la Pervaïa Liga en 2005. Aujourd'hui, fin 2007, il est en tête de la Vyschaïa Liga ! Depuis trois saisons, le club ne cesse de progresser en Vyschaïa Liga : sixième en 2006, troisième l'an passé et donc leader actuellement.

Dimitrov est une ville située à 65km au nord de Moscou qui compte 60 000 habitants. C'est l'une des vieilles cités historiques ceinturant la capitale russe.

Le HK Dimitrov peut également compter sur une nouvelle enceinte construite en 2003 et qui peut accueillir plus de 2 000 spectateurs. Une arène multifonctions avec deux patinoires, un restaurant, un bar, des magasins, etc.

Avec le Khimik Voskrensensk qui renaît à l'ambition et le HK Dimitrov qui découvre l'ambition, il pourrait bien y avoir deux autres clubs estampillés "Moskovskaïa Oblast" en Superliga dans un avenir proche.

Bruno Cadène

 

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