Estonie 2005/06 : le bilan

 

Le hockey estonien a eu, pour la première fois, droit à un morceau de "gloire", au célèbre quart d'heure de célébrité que Andy Warhol a promis pour le commun des mortels dans un avenir proche...

Le hockey estonien a donc eu ce printemps, l'occasion de sortir quelque peu de son anonymat en accueillant à Tallinn, du 23 au 29 avril, l'une des deux poules du championnat du monde de première division, antichambre de l'élite mondiale. Un championnat du monde disputé dans la Saku Suurhall, la salle du champion d'Estonie de basket-ball, le BC Kalev Tallinn, club phare du sport collectif numéro un dans le pays. La seule patinoire correcte du pays, la Premia Jäähallis, où se succèdent les deux clubs de la capitale estonienne, le HC Panter et le HK Stars, était trop petite pour un tel évènement.

Un mondial de hockey dans une salle de basket, c'est le symbole de la force et de la faiblesse de cette organisation, à la fois, possibilité de sortir le hockey estonien de son ghetto de sport "russe" et limite à son développement une fois le Mondial terminé.

Le facteur russe

Cette définition du hockey comme d'un sport "russe", est d'ailleurs le problème numéro un pour son envol en tant que sport national. Pour la majorité des Estoniens, le hockey est une discipline sportive pratiquée par les russophones d'Estonie, c'est-à-dire par les descendants des colons venus s'installer dans le pays dans les valises de l'Armée rouge, après les déportations massives d'Estoniens en Sibérie sous Staline, lors de "l'intégration" des pays baltes à l'URSS en 1940 puis 1945. Dans l'équipe nationale, seulement quatre Estoniens de souche sont sélectionnés : Le défenseur angevin Lauri Lahesalu et les trois joueurs du HC Panter, Rainer Palu, Kaupo Kaljuste et le revenant en équipe nationale, Pelle Sildre. Les quatre sont d'ailleurs regroupés sur le même bloc. Tous les autres joueurs, entraîneur compris, sont des russophones. Chacun sur sa ligne, chacun de son côté.

En club, le problème est le même. Les Estoniens de souche sont tous au HC Panter (où ils jouent avec des russophones), et tous les autres clubs sont pratiquement cent pour cent russophones. Difficile, dans un pays où les plaies du passé sont encore très vives, où les relations présentes avec la Russie sont très compliquées (l'accord de reconnaissance mutuelle des frontières est gelé par le Kremlin depuis plus d'un an) de se retrouver autour d'un palet.

Pourtant, ce Mondial a quand même été l'occasion d'avancer. Malgré les tentations de récupération politique, on a vu à Tallinn une équipe nationale regroupant en son sein les deux communautés.

Une équipe nationale qui a rempli son contrat, à défaut de remplir tout le temps la Saku Suurhall. Deux victoires contre la Croatie (8-6) et les Pays-Bas (7-2) installent l'Estonie dans cette première division, et les défaites n'ont pas été catastrophiques : 1-3 seulement face à la Pologne et l'Autriche (habitués à l'élite), bon, contre le "presque" voisin lituanien, cela a été plus difficile, 2-7, mais c'est la même chose en basket...

 

Les étoiles brillent toujours

Les Stars de Tallinn ont réussi à conserver le championnat d'Estonie. Le HK Stars est le club des russophones de la capitale. Il regroupe en son sein quatre internationaux, le gardien Andrei Sestakov, le défenseur Roman Potsinok, et les deux anciens Spinaliens, Maksim Ivanov et Mihhail Kozlov. L'entraîneur, Juri Tsepilov, est également l'entraîneur national.

Les étoiles de Tallinn ont terminé la saison en deuxième position, à égalité de points avec le leader Tartu. Mais en play-offs, elles se sont renforcées une fois de plus avec des jokers russes, avec la bénédiction de la fédération. Parmi ces pigistes, comme l'an dernier, une autre vieille connaissance du hockey français, l'attaquant russe Aleksandr Vinogradov, ancien joueur de Lyon, mais également passé par le SKA Saint-Pétersbourg, Lipetsk, Podolsk, les Krylia Sovietov de Moscou et le Sibir Novossibirsk en Russie, Luleå et Skellefteå en Suède, et Weißwasser en Allemagne.

En demi-finales, les noirs sont tombés sur leurs grands rivaux de Tallinn, le HC Panter. Et comme l'an passé en finale, les Stars sont sorties gagnantes du duel. Deux rencontres disputées dans la même patinoire, la Premia Jäälhallus, puisque désormais (est-ce un rapprochement ?), les Étoiles jouent dans la patinoire des Panthères... et deux victoires très sèches pour les Étoiles Noires.

En finale, les Stars retrouvent Tartu. Lors du match aller, à la Lounakeskuse Jäähallis de Tartu, les joueurs de Tallinn corrigent les joueurs de la grande ville universitaire 6-2. Le deuxième match à Tallinn est beaucoup plus difficile, mais les Stars s'imposent 6-5 grâce à un but de Maksim Ivanov à moins de quatre minutes de la fin. C'est à l'extérieur que le champion conserve facilement sa couronne (6-1). Discrets au premier match, les renforts russes Aliokhine, Vinogradov, Merkoulov et Popov ont marqué la moitié des buts dans les deux rencontres suivantes de la finale.

 

Le Välk-494 Tartu a créé la surprise lors de la première phase. Le club du sud a réussi à devancer les deux équipes de la capitale, finalistes l'an passé. Välk compte également quatre internationaux, quatre attaquants : Vassili Titarenko, Aleksei Filippov, Maksim Semjonov et Dmitri Raskidajev. L'équipe est également renforcée par trois étrangers : un gardien finlandais, Petteri Kokki, un défenseur lituanien, Algis Lukenskas et un attaquant russe, Andreï Tikhomirov.

En demi-finales, Tartu s'est très facilement débarrassé de Narva (11-2 et 9-1), près de la frontière russe. Malheureusement pour eux, la marche est trop haute en finale. Il y avait deux victoires partout avec les Stars durant la première phase, mais là, face à une équipe renforcée, le duel a penché nettement en faveur du tenant du titre.

 

Le HC Panter Tallinn a encore régressé d'une place dans la hiérarchie nationale. Champion en 2004, vice-champion en 2005, troisième en 2006. À chaque fois à cause de leurs "colocs" des Stars. Troisièmes de la saison régulière à deux points des Stars et de Tartu, le HC Panter a donc été sorti en demie par l'autre club de la capitale. Pourtant, durant cette première phase, les Panthères avaient chèrement vendu leurs peaux en battant trois fois sur quatre les Stars en version "nationale".

Parallèlement, le HC Panter a participé encore cette saison au championnat de D2 en Finlande (quatrième échelon). Les Estoniens ont terminé quatrièmes de leur poule en réussissant cependant à battre deux fois le leader TuusKi, 4-3 chez lui et 4-2 à Tallinn.

Le HC Panter compte donc quatre internationaux, les trois cités plus haut et le défenseur Ilja Krushev. Il possède également trois Finlandais : deux joueurs, Joel Sallinen et Vesa Nissinen, et l'entraîneur Henri Hamberg.

Toujours dans le souci de promouvoir le hockey en Estonie, le HC Panter a également organisé dans sa patinoire Premia, un tournoi de très haut niveau du 21 au 23 février, avec les Finlandais de Tampere Tappara et des Espoo Blues, et les Russes du Dynamo de Moscou et du Salavat-Ioulaïev d'Oufa.

 

Le Narva Paemurru Sport Klub a réussi à éviter la dernière place de la saison régulière et à se qualifier pour les demi-finales, ce qui était la seule chose qu'il pouvait espérer. Narva (ville russophone à 90%, mais avec un jeune maire estonien de souche, étoile montante de la vie politique estonienne) possède quand même deux internationaux dans ses rangs : le gardien Aleksei Terentjev et le défenseur Oleg Smirnov. Le Narva PSK compte également trois joueurs au passeport russe, les défenseurs Dimitri Boussarov et Danill Koulintsev et l'attaquant Maxime Glebov. Durant la première phase, le Narva PSK a néanmoins réussi un bon coup, cette victoire 7-5 sur le vainqueur de la saison régulière, Tartu, en novembre.

 

Les saisons se suivent et se ressemblent pour le Viru-Sputnik de Kohtla-Järve, autre ville industrielle de l'est près de Narva. Les Spoutnik tournent dans le vide et terminent encore dernier, avec... zéro point ! Le club n'a pas d'internationaux mais compte quand même cinq joueurs au passeport russe, qui n'ont aucun problème d'intégration dans un club également cent pour cent russophone. Ces cinq joueurs venus de l'autre côté de la frontière sont donc : le gardien Alexandre Soudas, le défenseur Alexeï Petrovitch, et les attaquants Vladimir Lissine, Ivan Zélianine et Iouri Krouglov. Le Viru-Sputnik est là pour faire le nombre, pour qu'il y ait quand même un éliminé avant les demi-finales, mais il faudrait quand même, soit un sixième club, soit que Kohtla-Järve se renforce, sinon, cela risque vite d'être lassant...

 

En attendant que le hockey estonien (comme le hockey ukrainien d'ailleurs) en finisse avec ses tensions et ses contradictions, la solution, là aussi, est dans l'exil. Huit joueurs internationaux estoniens jouent à l'étranger dans des championnats de bon niveau. Trois défenseurs Aleksandr Agnevtstisikov à Dmitrov en Russie, Eduard Valiullin à Homel au Bélarus, et donc Lauri Lahesalu à Angers. Cinq attaquants, Aleksandr Polozov à Sport Vaasa en Finlande, Anton Nekrassov au Spartak Saint-Pétersbourg et Andrei Markov au Torpedo Nijni-Novgorod en Russie, Aleksandr Petrov à Valpellice en Italie et Kirill Kolpakov à l'AIK Stockholm en Suède.

D'ici à ce que le hockey ne devienne une priorité nationale comme en Lettonie, c'est toujours mieux que rien...

Bruno Cadène

 

 

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