Morzine, le miracle haut-savoyard ?

 

Alors que les bastions traditionnels de Haute-Savoie cherchent encore la bonne formule pour faire leur retour au firmament du hockey français, Morzine semble l'avoir trouvée. Au-dessus d'une base constituée par des joueurs locaux expérimentés et fidèles ont été ajoutés des étrangers particulièrement bien choisis qui ont fait monter le club en première division. Il y avait déjà fait un tour dans les années de dépression post-Albertville, lorsque la "Ligue Nationale" professionnelle dont il ne restait que cinq clubs avait dû fusionner avec la division 1 pour former un championnat particulièrement déséquilibré. Morzine débarquait alors de D2 et se retrouvait face à des adversaires insurmontables. Aujourd'hui, les conditions sont différentes. L'équipe entraînée par Stéphane Gros ne se retrouve pas au plus haut niveau par les circonstances mais par ses performances de l'an passé. Même si certains doutaient de sa capacité à monter pendant qu'elle survolait la poule finale de D1, elle a prouvé le contraire. Elle voit où elle met les pieds et ne prendra certainement pas vingt buts dans la musette comme cela avait été le cas à Rouen il y a dix ans.

On craignait pourtant que la mystérieuse alchimie qui avait semblé transformer le plomb en or l'an dernier ne puisse pas fonctionner deux fois de suite. Après tout, les bonnes trouvailles ne se présentent pas tous les jours, et les vedettes suédoises qui ont vite suscité les convoitises de voisins plus prestigieux pourraient vite se retrouver sous d'autres cieux, annonçant une saison sans lendemain. Sous les microscopes de l'élite, sous l'œil attentif de la science, les miracles se produisent rarement. Mais, contrairement à ce que suggéraient ces mauvais augures, si ce n'était pas un miracle ? Si Morzine cachait des fondations plus solides qu'il n'y paraît sous ses atours de petit club de village ? Dans ce cas, il faudrait reconsidérer tout le raisonnement.

Les dessous du "miracle"

Ce serait faire injure à ce club que de croire qu'il se résume à une équipe senior composée de préretraités du hockey haut-savoyard enrobés de sauce scandinavo-canadienne. Elle n'est que la partie émergée de l'iceberg. Morzine a également une équipe réserve engagée en division 3, composée en bonne partie de jeunes joueurs locaux. Cet effectif bis qui compte plus d'une vingtaine de membres est maintenant confié à Charles Lamblin, qui était autrefois l'entraîneur du club avant de partir en Italie (Courmaosta et Devils Milan) et qui s'occupait dernièrement de l'équipe suisse des Portes du Soleil. Il y a de plus une formation qui pratique le hockey loisir, des "vieilles crosses" qui ont encore un bon niveau puisqu'elles ont remportées la Coupe des Alpes, cette épreuve à élimination directe en aller-retour qui fait la joie des pratiquants occasionnels dans le sud-est. Et enfin, il existe aussi une équipe de "grands débutants", chose trop rare en France. Au total, ces quatre équipes représentent un total de 90 licenciés adultes, ce dont peu de clubs en France peuvent se vanter. Certes, l'avenir passe avant tout par le hockey mineur, ce qui n'est pas toujours facile dans un petit village d'où les joueurs ont tendance à émigrer pour leurs études. Alors qu'il ne restait plus qu'une poignée de cadets évoluant en association avec l'entente Mont-Blanc (parmi lesquels le gardien Damien Ackerer, qui sera la doublure de Bäckö cette saison car Grevat pourrait être retenu par des raisons professionnelles), les dirigeants tentent aujourd'hui de relancer le secteur du hockey mineur, et les premiers résultats obtenus dans les petites catégories sont à ce titre encourageants. De plus, une équipe minimes sera enfin re-créée à Morzine cette année.

Pour obtenir le maximum avec ses petits moyens, Morzine s'est appuyé sur sa spécificité de village de montagne, en essayant à la fois d'intéresser les habitants du coin et les touristes. Les rencontres de championnat du week-end ont suscité un intérêt accru de la population locale, qui peut ensuite revivre les temps forts du match puisqu'un résumé est concocté et diffusé sur MATV (Morzine Avoriaz Télévision). Et le mercredi, des matches exhibition sont organisés essentiellement à destination des vacanciers, non seulement pendant la saison hivernale, mais aussi pendant la saison estivale, dès juillet. Le niveau et la compétitivité sont évidemment plus faibles mais l'approche est avant tout pédagogique, avec un animateur et un vidéoprojecteur qui informent le public et lui expliquent les règles. Une initiation salutaire pour des spectateurs qui n'ont malheureusement guère l'occasion de connaître le hockey sur glace, absent de la scène médiatique. Au total, Morzine a ainsi disputé vingt-cinq matches amicaux la saison dernière et drainé près de quinze mille personnes dont certaines - espérons-le - ont été atteintes par le virus du hockey.

Corollaire, ces nombreuses rencontres exhibition (naturellement payantes, le touriste est d'ailleurs ainsi fait qu'il a davantage l'impression d'assister à un spectacle quand il paye pour le voir) constituent une ressource non négligeable du club. On peut ainsi dire que le HCMA optimise vraiment ses revenus, même si ailleurs dans le département on s'est plaint qu'il ait augmenté les tarifs d'entrée pour les derbys contre Chamonix et le Mont-Blanc, pour lesquels la demande était forte.

Vague d'euphorie ou lame de fond ?

Discret à l'automne, le public morzinois a en effet afflué à la fin de l'hiver lorsque son équipe a enchaîné les succès, et il n'a bientôt plus eu besoin des vacanciers pour remplir la patinoire. Alors, est-ce une vague d'euphorie passagère ou une vraie lame de fond ? Dans le premier cas, le contact avec l'élite risquerait de vite ramener à la réalité des supporters qui se sont un peu trop habitués à la victoire. Dans le second cas, il pourrait enfin s'agir du signe fort qui réveillerait la Haute-Savoie au hockey. Certains appellent de leurs vœux l'union sacrée autour de l'aventure morzinoise, pour que tout un département suive et soutienne les Pingouins, équipe sympathique et "neutre" par rapport aux querelles qui ont parfois eu cours un peu plus au sud, au pied du Mont-Blanc. L'avantage du HC Morzine est qu'il ne peut pas avoir la nostalgie d'un glorieux passé qui n'existe pas. Il pourrait ainsi montrer à ses voisins que le hockey sur glace peut avoir aussi un avenir dans le 74, et qu'il ne tient qu'à eux de suivre son exemple pour renouer avec leur tradition.

Rarement un promu aura autant fait parler de lui, ce qui est étonnant de la part d'un club généralement très discret, peut-être parce qu'il a toujours vécu dans l'ombre intimidante de Chamonix, Saint-Gervais et Megève. La soudaine impatience juvénile des Morzinois à communiquer leur bonheur de l'instant et à clamer sous tous les tons leur titre de "champion de division 1" a d'ailleurs parfois eu l'effet inverse de celui escompté. Leur présence parfois envahissante dans les forums de hockey en a clairement agacé certains, qui se rappelaient que l'on entendait jamais parler de Morzine quelques semaines plus tôt et qui se demandaient si cette génération spontanée de supporters n'était pas justement le signe de la vague éphémère évoquée plus haut. Si prolixe dans la victoire, n'allait-elle pas s'évanouir à nouveau dès que l'euphorie retomberait ?

Il n'y aurait en effet pire danger pour le promu que de rester sur son petit nuage et d'oublier les valeurs d'humilité qui ont fait sa force. On peut toutefois penser qu'il saura éviter cet écueil. Même si l'annonce rapide de recrues de haut niveau a rapidement fait de Morzine un candidat évident aux quarts de finale chez la plupart des pronostiqueurs en herbe, les dirigeants du club ne donnent pas dans la déclaration fracassante, et se contentent de tracer leur route. Comme les "parvenus" du HC Mulhouse ont désormais accaparé le nom HCM, le HC Morzine, qui pouvait pourtant se targuer de l'antériorité puisqu'il arbore ces initiales depuis sa création en 1963 à une époque où le hockey sur glace était complètement inconnu dans le Haut-Rhin, a même joué au novice docile. Il a changé sa dénomination pour devenir le HCMA, Hockey Club Morzine-Avoriaz, un accolement qui sera aussi l'occasion de mettre en avant le nom de la station voisine à vocation éminemment touristique. Or, s'il garde la même modestie et le même état d'esprit que la saison dernière, l'effectif morzinois a de quoi faire de belles choses.

Un recrutement intéressant

Dans les cages, on retrouve toujours Johan Bäckö. Le jeune gardien suédois est crédité de très bonnes statistiques en poule finale de division 1 d'après les chiffres du staff morzinois, mais il n'a pas d'expérience du haut niveau et il constitue encore une inconnue. Il passe maintenant au révélateur. Pour cette saison qui aura valeur de test, il aura devant lui une défense joliment renforcée.

Elle sera en effet emmenée par un mince Finlandais et un énorme Canadien qui forment un couple étonnant. Santeri Immonen a passé plusieurs saisons en SM-liiga au Jokerit Helsinki puis avec l'Ässät Pori. Il a été le joueur qui a le plus impressionné au début de la préparation morzinoise en juillet et devrait être un pilier de l'équipe. Son nouveau collègue Tony Bergin ne peut pas se prévaloir d'avoir joué à un niveau aussi élevé. Il a évolué dans des ligues mineures américaines (ECHL, WPHL et CHL) puis l'année dernière au troisième niveau suédois (1. division). En revanche, il a invariablement eu des stats très intéressantes pour un défenseur, et il n'y a aucune raison pour qu'il n'ait pas également un très fort impact à Morzine. Son gabarit massif sera en outre difficile à bouger.

En attaque, Morzine s'est résolument tourné vers la Suède. Rien de surprenant à cela après l'apport exceptionnel du duo Stenvall-Lindgrén (dont il ne reste malheureusement que le second) la saison passée. Ces deux joueurs avaient été recrutés en Allsvenskan, et le HCMA est donc bien placé pour connaître la qualité de la deuxième division suédoise. Avant de rejoindre Rungsted et un championnat danois en plein développement l'année dernière, c'est là que jouait Fredrik Håkansson, qui était un des cadres de Nyköping - où il était coéquipier d'Immonen. C'est aussi de là que vient Christian Magnusson, vice-champion d'Europe des moins de dix-huit ans 1997. Ce petit ailier dont le sens du but devrait faire fureur en Super 16 a contribué à la surprenante montée de Mora en Elitserien. Il ne participera pas à l'aventure de ce retour inattendu au plus haut niveau mais rejoint un autre promu qui aura a priori la tâche moins difficile.

Car l'attaque morzinoise a sans doute un vrai leader en la personne de Johan Forsander, ancien capitaine de l'équipe nationale junior suédoise. Cet ailier gauche est né à Jönköping et a été formé à HV 71, l'actuel champion de Suède. Il y a effectué une progression constante qui le destinait sans doute à être un des piliers du club, avec lequel il aurait peut-être aujourd'hui remporté le titre. Mais on ne refait pas l'histoire. Car la carrière de Forsander a connu une rupture en 2000/01 quand il a manqué l'intégralité de la saison en raison d'une grave blessure. Il a alors dû quitter sa ville natale pour Stockholm, où il a revêtu le maillot de Djurgården. Il a paru recouvrer d'emblée son meilleur niveau, mais sa seconde saison au DIF a ensuite été décevante. Ses quatre points dans les play-offs 2003 (après n'en avoir inscrit que trois en saison régulière) étaient le signe d'un potentiel toujours présent, mais il était trop tard et il dut rejoindre un autre club prestigieux de la capitale, l'AIK, aujourd'hui retombé en Allsvenskan. Malheureusement, la fédération suédoise refusa le réengagement du club multiple champion en raison de difficultés financières qui permettent aujourd'hui l'arrivée à Morzine de ce joueur au hockey très précis. Il allie à son intelligence de jeu des qualités physiques qu'il peut aussi bien utiliser offensivement que défensivement. Au milieu des Scandinaves, l'attaquant britannique - formé au Canada - Steven Kaye fait figure d'attraction. Crédité d'excellentes stats en British National League, il peut se prévaloir d'une grande aisance de patinage et d'un bon maniement du palet.

Cet afflux de joueurs suédois fait des émules. Il en restait très peu dans notre championnat, hormis l'éminent Daniel Carlsson à Rouen et une expérience moyennement concluante à Clermont-Ferrand. Aujourd'hui, d'autres clubs se sont empressés d'emboîter le pas au HCMA, dans l'élite - Dijon en tête - mais aussi en D1 avec Caen, Montpellier et... Chamonix. Ce rôle de "faiseur de mode" confère en soi un nouveau statut aux Morzinois, qui ne sont plus des suiveurs.

Si le club avait choisi de recruter à l'étranger, c'est parce qu'il était difficile de convaincre les Français de venir à Morzine. Difficile de rendre le village attractif, sachant qu'il n'y avait rien d'autre à leur offrir que des pistes de ski avec forfait gratuit pour les remontées mécaniques, un argument que d'autres ont. Cela ne pouvait être qu'un choix par défaut, sinon les recrues potentielles préféraient assurément des destinations plus clinquantes. Aujourd'hui, les mentalités changent. Deux joueurs locaux aux qualités reconnues, Lionel Maes de Chamonix et Marc Billieras du Mont-Blanc, n'ont pas hésité à rejoindre les Pingouins qui ont devancé leurs anciens clubs pour monter au plus haut niveau.

Jusqu'ici, les Morzinois étaient condamnés à voir leurs meilleurs jeunes partir, mais maintenant voilà que trois espoirs arrivent. Kévin Enselme est un joueur prometteur qui a fait de brèves apparitions en Super 16 à Grenoble, et il devrait avoir toute latitude pour montrer l'étendue de ses qualités. Gabriel Périllat est un joueur "à l'état d'esprit exceptionnel" selon son ex-entraîneur Perroton mais avait néanmoins peu de temps de jeu à Gap. Il devrait en avoir plus à Morzine au sein d'un effectif un peu moins dense. Quant à Christian Élian, s'il ne veut pas être définitivement taxé d'ex-espoir après avoir été un peu souvent relégué sur le banc à Brest, ce challenge constitue une bonne opportunité. Son expérience au plus haut niveau français ne manquera pas d'être utile et donnera plus de profondeur à la défense.

Alors, Morzine, c'est tendance ? On aura sans doute la réponse dans les mois qui suivent.

Marc Branchu

 

 

Départs : Stenvall (Piteå, SUE), Maltais (LNAH), J-N Bordeleau (Canada), Hubert (Canada), O. et B. Richard (arrêt), Michaud (arrêt), Gros (retraite, reste uniquement entraîneur).

Arrivées : Forsander (AIK Stockholm, SUE), C. Magnusson (Mora, SUE), Immonen (Nyköping, SUE), Périllat (Gap), Håkansson (Rungsted, DAN), M. Billieras (Mont-Blanc), Maes (Chamonix), Enselme (Grenoble), Élian (Brest), Bergin (Tingsryd, SUE), Kaye (Édimbourg, GBR).

Effectif :

Gardiens : Johan Bäckö (SUE, 22 ans), Damien Ackerer (16 ans), Erwann Grevat (20 ans).

Défenseurs : Santeri Immonen (FIN, 32 ans), Tony Bergin (CAN, 30 ans), Andreas Alnered (SUE, 25 ans), Christian Élian (26 ans), Louis Joullie (37 ans), Alain Boisson (36 ans), Clément Bleuze (17 ans).

Attaquants : Johan Forsander (SUE, 26 ans), Tomas Lindgren (SUE, 23 ans), Christian Magnusson (SUE, 25 ans), Fredrik Håkansson (SUE, 27 ans), Steven Kaye (GBR, 26 ans), Éric Lebey (36 ans), Marc Billieras (24 ans), Lionel Maes (27 ans), Jean-Yves Socquet (26 ans), Kévin Enselme (19 ans), Gabriel Périllat (21 ans), Anthony Richard (22 ans), Éric Dupieux (30 ans).

 

 

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