Journal d'un fou... de hockey (4)

 

Depuis deux mois, je vous parle du niveau de la Superliga, des arabesques sur glace des artistes comme Razine, Ovetchkine ou Moravec, des joueurs qui n'ont pas oublié d'apprendre à manier la crosse, de la rage d'un Pronine, du sens du but d'un Moziakine, ou des arrêts impeccables de Salficky, Labbé ou Eremeïev, pour ne parler que de ceux-là. Donc, sur la glace on met en pratique la célèbre maxime de l'est : "Si pas patine, pas gagne". Mais dans les tribunes, allez-vous me demander d'une manière extrêmement perspicace, est-on "Ultra" ou "Mastre" ? Euh, on est plutôt sous le regard du milicien et de la babouchka qui vend les programmes...

En général, le public moscovite est très calme. C'est, évidemment, un fin connaisseur du hockey. Vous n'allez pas lui "vendre" un défenseur de troisième division slovaque sans contrat de travail, en le présentant comme une vedette dans son pays, comme cela se fait dans des clubs français ayant oublié la formation (Faites gaffe, j'ai des noms...). Il apprécie donc, mais il ne hurle pas sa satisfaction ou sa colère. À peine une minorité "agissante" consent-elle à scander le nom de son équipe favorite, après que l'orgue qui meuble les temps morts en alternance avec des tubes mondialement connus a joué une phrase musicale clé, signifiant : "dès que j'ai fini de jouer, tu dois, cher ami spectateur, crier le nom de ton équipe préférée". En clair cela donne : "Tin, tin, tin, tin, tin, tintintin" (Vous aviez reconnu la phrase musicale en question... et le public de reprendre (au choix) : "Dynamo Moskva", "Armiensky Moskvy" ou "Moskovsky Spartak". Il n'y a que pour les Krylia Sovietov de Moscou que ça ne marche pas. D'abord, c'est trop long à dire, et ensuite, ils n'ont plus assez de sous pour un orgue...

Et puis, il y a la composition "sociologique" des spectateurs. Au CSKA, c'est quand même assez "chicos". D'abord, la patinoire du club de l'armée est située dans un quartier huppé. Le long de la "Leninsky Prospekt", entre les stations de métro "Aeroport" et "Dynamo", pour ceux qui comptent faire du business dans l'immobilier... D'ailleurs, à un moment, je cherchais un appart dans le coin, mais... Bref, revenons à nos moutons, euh, nos spectateurs.

Le "CSKAïste" est donc assez "bourgeois", si l'on me permet cette insulte du temps de Brejnev. Leonid Illitch Brejnev, grand supporter du CSKA, était quand même le cas typique du nouveau riche... Cela me fait penser à une vieille blague soviétique. C'est Brejnev qui fait visiter sa maison de rêve à sa mère. Ils arrivent au garage où sont rangées des voitures toutes plus luxueuses les unes que les autres. Leonid se penche vers sa mère, l'air satisfait, et lui dit : "Alors, il a réussi, ton fils, hein maman ?". Et la babouchka de répondre : "Oui, c'est bien, mais si les Communistes reviennent ?"

On remarque donc dans les travées du palais des sports de glace du CSKA pas mal de grandes demoiselles blondes avec manteaux de fourrures, bijoux et portables intégrés... Il y a bien quelques jeunes avec écharpes et maillots du club, et deux-trois drapeaux qui se courent après, mais rien de bien "chaud". D'ailleurs, au CSKA, pas de pom-pom girls, mais des grands-mères qui vendent des glaces... C'est la rigueur militaire.

Si le CSKA a un côté bourgeoisie installée, le Dynamo se veut beaucoup plus "occidental". À Loujniki ("Ah bon, ils jouent à Loujniki ?" Bon, cette histoire de patinoire a assez duré), c'est comme là-bas, dit. Sous-entendu, comme en NHL ! Pom-pom se trémoussant sur un plateau, présentation individualisée des joueurs lumières éteintes et projecteurs hyper-tendance et rock'n'roll a chaque interruption de jeu. Il y a même des jeux à la "..." pendant les tiers temps pour faire gagner aux spectateurs des cadeaux généreusement offerts par les sponsors... Ceci dit, les fans du Dynamo sont largement les plus bruyants de la ville. D'abord, ce sont les plus nombreux (ça aide), ils ont également une grande connaissance du hockey, et ils n'ont pas besoin de la phrase musicale magique (vous savez, "tin, tin, tin, etc") pour crier tous seuls "Dynamo" quand cela est nécessaire. Malgré tout, vous pouvez discuter avec votre voisin(e) sans que la conversation ne soit couverte par les hurlements. Je dis hurlement, car on ne chante pas dans les patinoires russes. C'est comme ça, ne me demandez pas pourquoi. Au Spartak et aux Krylia Sovietov, qui sont descendus en deuxième division, le public est beaucoup plus populaire. Il y a plus de jeunes au "look" de supporters. Plus de drapeaux au Spartak, plus de cris, mais toujours pas de chants !

Ce sont deux publics finalement assez sympas, car ils sont très fidèles malgré les difficultés. En particulier aux Krylia Sovietov qui pourraient bien descendre encore de division pour la deuxième année de suite. Je me suis donc demandé pourquoi il y avait finalement aussi peu d'ambiance dans les patinoires moscovites. Je dis bien moscovites, car sur les images des régions à la télé, cela me semble bouger plus.

La réponse est en partie dans la question. À Moscou, comme à Paris, toutes les formes de loisirs sont possibles. La classe moyenne naissante a une palette infinie de sorties le soir. Le hockey n'en est qu'une parmi d'autres. Le spectacle sur la glace doit donc à lui seul attirer un public qui a tendance à être blasé, voir parfois snob. Eh oui, c'est la capitale. En plus, ces dernières années, les clubs de Moscou se prenaient des "claques" contre les équipes de province. On va voir si l'embellie du Dynamo et du CSKA va faire souffler un vent de folie dans les patinoires de Moscou.

Et puis, il y a un aspect typiquement russe qui, en tant qu'occidental, me glace les os. La présence permanente, obsessionnelle des forces de sécurité. Aux abords de la patinoire, bon d'accord, entre les "risques" d'attentats et les bagarres (très fréquentes) entre supporters de foot, on peut comprendre. Mais, dans la patinoire, c'est insupportable. Alors que l'ambiance est plus que bon enfant, des miliciens (policiers) passent leur temps à scruter le moindre spectateur. Ils sont même aidés, comme si cela ne suffisait pas, par un service d'ordre en civil (avec brassard rouge quand même). Des types assez patibulaires, dos à la glace, qui surveillent les tribunes au cas où.

Le "cas où" pouvant être ce qui m'est arrivé lors d'un match du CSKA. Sans faire attention, je pose mon pied sur le dossier du siège de devant. Le sbire des forces de l'ordre se met alors à aboyer, me commandant immédiatement de retirer ma chaussure de la chose en plastique moche qui sert de siège. J'en suis resté tout bête, pour ne pas dire autre chose.

Une autre fois, aux Krylia Sovietov. J'entre dans les gradins pour m'asseoir. Je suis "accueilli" par un gars tout en noir, avec un mégaphone en bandoulière. Passé le premier moment d'étonnement, je me dis "Tiens, un supporter qui veut encourager son équipe, chouette". Pas du tout. C'est pour "engueuler" les "hooligans" éventuels ! Dans le même ordre d'idée, à la fin d'un tiers, un milicien a fait sortir un jeune spectateur. Pas bien compris pourquoi, lui non plus d'ailleurs.

Dans ces conditions, imaginer un "kop" chaud bouillant avec drapeaux, banderoles, fumigènes, c'est de la science-fiction. Heureusement, le spectacle est incroyable sur la glace...

Bruno Cadène

 

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