Journal d'un fou... de hockey (3)

 

Pour ce troisième tome, le fou (celui du journal du même nom) s'est transformé en marathonien. Mais de toutes façons, fou ou marathonien, c'est un peu la même chose... L'objectif est de voir (sans se tromper de patinoire...) cinq matches en huit jours !

Premier de ces travaux (cinq, pas douze, faut pas non plus exagérer) une visite au Dynamo de Moscou qui reçoit le Metallurg de Magnitogorsk... En plus, ce sont mes deux équipes préférées. Magnitka depuis l'EHL 1999 et le déplacement très sympa des BDL dans l'Oural, et le Dynamo, parce que c'est une équipe qui joue très bien. En plus, c'est le club d'origine de Dimitri Fokine qui a quand même passé de longues années à Grenoble...

Maintenant que je sais que le Dynamo ne joue pas au Dynamo, mais à Loujniki (voir le tome 2), je sais comment aller voir les Bleus et Blancs. Il suffit de descendre à la station de métro "Sportivnaya" et de traverser le parc olympique (des Jeux de 1980).

Sauf qu'une nouvelle fois, je suis en retard ! La faute à une interview à l'ambassade de Géorgie (un samedi matin, faut quand même le vouloir !). Du coup, le match étant à treize heures, va falloir faire "bistro", c'est-à-dire vite. Oui, mais vite, en Russie, ce n'est pas simple... À la sortie du métro, il faut traverser un immense marché aux vêtements en plein air qui semble attirer la ville entière. Et il y a onze millions de Moscovites ! Tiens, voilà un gars avec une écharpe du Dynamo autour du cou. Suivant mon flair (exceptionnel), j'en conclus qu'il va au match et que si je le suis, j'arriverai plus vite devant la patinoire. Malin, non ?

Une fois le marché derrière moi, voilà l'entrée du complexe sportif olympique de Loujniki. Argh ! Faut faire la queue pour aller acheter un billet. Bon, dix minutes d'attente. Tiens, c'est 40 roubles seulement (1 euro 17 !). Du coup, une pensée mercantile me vient à l'esprit : ben, dis donc, ils ne s'en font pas au CSKA avec leurs places à 150 roubles (4 euros 41). Pas étonnant qu'ils n'aient pas grand monde, du genre 2000 spectateurs...

Bon, bref, j'ai mon billet en main, mais je ne suis pas pour autant encore assis à ma place. Le problème des "parcs" moscovites, c'est qu'ils sont immenses. Après la grille d'entrée, il faut encore marcher un kilomètre pour contourner le stade olympique. Et voilà la Malaya Arena, la petite arène... de 8000 places ! Ensuite, il faut chercher sa tribune, la mienne c'est la "C", puis son "Sektor", le mien c'est le "C5", puis la rangée ("20"), puis ma place ("27"). Heureusement, la "babouchka" (grand-mère) qui inspecte les billets m'aide à trouver ma place. Ouf, j'y suis ! Un premier coup d'œil aux tribunes. La patinoire est tellement immense que même avec plus de 4500 spectateurs, cela paraît presque vide...

Bien sûr le match a débuté. D'ailleurs, quel est le score ? Caramba ! Impossible de voir d'où je suis les deux tableaux d'affichage. Celui de gauche est masqué par les fanions des maillots retirés des plus grands joueurs du club, celui de droite est masqué par les fanions des titres de champion du Dynamo ! Je me renseigne : 0-0. Ouf !

Sauf qu'il y a toujours 0-0 à la fin du premier tiers, et encore 0-0 à la mi-match. Cela commence à me rappeler des souvenirs (voir tome 1). Heureusement, cela joue bien, même très bien. En ce qui concerne les supporters, comme à l'habitude, cela ne chante pas ou ne crie pas comme en Occident. Les fans se contentent de pousser des "Dynamo" lorsque l'équipe pousse ou des "Dynamo Moskva" à la fin d'une phrase musicale spéciale jouée par un orgue. Et puis, pour l'ambiance, il y a quand même les pom-pom girls. Car, si je ne vois pas le tableau d'affichage, je suis pile en face du podium de ces demoiselles. On ne peut pas toujours se tromper ! De charmantes danseuses qui changent de "costumes" à chaque tiers-temps. Le Dynamo est un club riche ! Pendant que les Pom-pom se changent, le spectateur va lui comme un seul homme vers le buffet dans les couloirs. Tiens, la bière est plus chère que le billet d'entrée : 50 roubles pour 50 cl, contre 40 pour le ticket. Malin pour récupérer de l'argent ! Pourtant, parmi les sponsors du club, il y a un grand brasseur.

Bon, je ne vais pas non plus passer ma vie à voir des 0-0 ! Heureusement, le compteur se débloque. 2-2 à la fin du temps réglementaire et succès en prolongation du Dynamo. (Voir le résumé du match). Super, j'ai vu cinq buts et un magnifique match. Demain, je recommence. Direction Sokolniki, là où joue le Spartak. L'occasion de voir Spartak Moscou contre Dizelist Penza, un match de Visshaya Liga, la deuxième division. Deux clubs qui me disent quelque chose. J'étais venu voir il y a quatre ans un match de la Coupe Spartak qui chaque été accueille les joueurs russes de LNH qui se préparent pour les camps d'été d'Amérique du Nord. C'est aussi le club d'origine du Grenoblois Andreï Shchevelev. Quant au Dizelist Penza, il était venu jouer à Clémenceau en match amical en 1996 et avait facilement battu les Brûleurs de Loups 8-4.

Cette fois-ci, je ne serai pas en retard ! En plus, il pleut en ce dimanche sur Moscou, alors pas question de traîner. Tiens, mais c'est une manie. Encore un marché en plein air à la sortie du métro ! Sokolniki est un endroit très populaire avec en particulier un parc d'attraction très apprécié des enfants. La patinoire du Spartak est aux abords du parc. Comme le club est descendu en deuxième division cette saison, le club a réduit le prix des places au maximum. Le billet le moins cher coûte 10 roubles (trente centimes d'euros...). Étant quand même un Occidental, je prends un billet à 50 roubles.

Par rapport aux immenses enceintes du Dynamo et du CSKA, la patinoire du Spartak est à taille humaine. Elle a une capacité certes impressionnante (à vue de nez, cinq à six mille places), mais les tribunes sont juste au-dessus de la glace et permettent une vue parfaite de tous les sièges. Pas de fanions qui vous empêchent de voir le tableau d'affichage ! Il n'y a pas grand monde dans les tribunes. Entre trois et quatre cents spectateurs. Mais tout d'abord, le club est descendu de l'élite cette saison, ensuite le match est télévisé sur une télé locale de Moscou.

Peu de monde donc, mais des gens très concernés. Beaucoup de spectateurs avec écharpes, drapeaux, maillots. Beaucoup de pères avec leurs fils parfois tout jeunes. Il faut dire que le Spartak est un club "historique". Un club qui a été le plus populaire de la ville. À cela des explications presque politiques. Du temps de l'URSS, le pouvoir avait donné beaucoup de moyens aux clubs "politiques". Le CSKA, c'était le club de l'Armée Rouge (c'est d'ailleurs toujours le club de l'armée russe), le Dynamo, le club du ministère de l'intérieur (KGB). Ces clubs étaient "protégés" et bénéficiaient de moyens très importants. Du coup, pour le simple citoyen pas vraiment "supporter" du Politburo, il ne restait que les clubs moins "idéologiques" comme le Lokomotiv en foot (le club du ministère des chemins de fer) ou en hockey le Spartak, le club des professions intellectuelles. Un peu comme si en France, le ministère de la culture avait un club de hockey. En plus, la symbolique de Spartacus (Spartak), l'esclave se rebellant contre la puissance de l'empire romain, avait de quoi plaire en pleine dictature.

Donc, le Spartak a été un grand club populaire. Et il aimerait le redevenir. Tout est fait pour cela. Avant le match, une musique typique des années 50 annonce des images nostalgiques sur le grand écran. On voit des images d'archives qui retracent les grandes heures du club. Le public applaudit quand il reconnaît des joueurs qui ont marqué l'histoire du club. Derrière moi, un père de famille et son fils tous deux habillés en rouge et blanc avec maillots, écharpes et drapeau. Le gamin (4 ou 5 ans) demande à son père "C'est qui ?" en voyant les images en noir et blanc. "Ce sont les nôtres" répond fièrement le père ! Frissons ! On sent une culture du club unique. Je pense aux joueurs actuels du Spartak qui doivent avoir une pression énorme pour faire remonter le club en élite !

Il y a même un mini-kop avec des supporters plus bruyants que la moyenne moscovite, par rapport à leur nombre évidement ! "Moskovski Spartak" et "Spartak" égaient l'après-midi. Tiens, lors du premier but de Penza, deux supporters des visiteurs s'excitent en hurlant "Dizel". Pas facile d'ailleurs de supporter un club qui s'appelle "Diesel" ! Après un début tonitruant (3-0), le Spartak s'endort et ne s'impose que 4-2 (voir résumé). Mais les supporters sont contents, leur équipe est en tête de sa poule. Ils peuvent rêver à une remontée en élite. Pour retrouver les "riches" du Dynamo et du CSKA. Mais au Spartak, ils ont pour eux une foi inébranlable.

Mercredi et vendredi, je poursuis ce marathon du hockey moscovite en allant voir jouer le CSKA, l'ennemi de tous les clubs moscovites ! Changement d'ambiance. Le Club Sportif Central de l'Armée de Moscou, c'est un petit peu "l'aristocrate" des clubs moscovites. Le club a le plus riche palmarès de l'URSS, il a eu tous les plus grands joueurs de l'histoire du hockey russe (ou presque), il était le chouchou du Kremlin pendant des décennies, alors franchement, tous ces clubs nouveaux riches tapageurs qui prétendent dominer le hockey moderne, cela laisse froid le Grand CSKA.

Ici, les places sont donc plus chères, ici il n'y a pas de pom-pom girls, ici on n'affiche pas les fanions des titres du club au plafond, car il n'y aurait pas assez de place. À peine consent-on à suspendre les maillots de quelques joueurs "célèbres". Enfin, à peine célèbres, du genre : Bobrov, Tretiak ou Fetisov. Vous connaissez ? Bref, le CSKA, c'est du sérieux, du sérieux et encore du sérieux. Ce n'est pas le club de l'armée par hasard. Même si désormais, c'est un club professionnel comme les autres avec actionnaires et sponsors.

Cet aspect "militaire" est d'ailleurs assez drôle quand il s'agit des slogans des supporters. Entendre crier "Armienskii Moskve" me surprendra toujours. Cela signifie mot à mot "les représentants moscovites de l'armée". Imaginez vous en France, si le bataillon de Joinville s'était ensuite transformé en club professionnel, et qu'il jouait à Bercy, les supporters crier "Allez les militaires parisiens !" ou "Allez les troufions parigots !" ou encore "Vas-y le piou-piou de Paname !"...

Même lors des matches à la télé, les commentateurs y vont de leur "attaque des militaires", "arrêt du gardien militaire de Moscou"... ce qui pour un gardien tchèque est quand même surprenant ! Les temps changent !

Autre chose qui me surprend au CSKA, ce sont ce qu'avalent les spectateurs durant les pauses et même pendant le match. Du pop corn ? Non ! Des glaces ! Des babouchkas (grand-mères) sympathiques passent leur temps a sillonner les gradins pour vendre des glaces ! On est en octobre, il fait 10° en journée, 5° le soir et le matin, on annonce la neige pour la semaine prochaine, et les Moscovites mangent des tonnes de glace à la patinoire. Va comprendre. Cela doit être un décalage culturel...

En face, ce sont les "Régionaux Moscovites" (voir le résumé du match) du Khimik Oblast de Moscou - Voskresensk. Une équipe mal classée, scotchée à la dernière place. Un club qui arrive de deuxième division et qui pourrait bien y retourner. Pourtant, le Khimik est un club prestigieux qui a formé de très nombreux grands joueurs russes. Les plus anciens des Grenoblois qui lisent ces lignes se souviennent de la visite à Grenoble des Jaunes et Bleus du Khimik. C'était en 1984 pour un tournoi international au Palais des Sports (le dernier à avoir eu lieu dans cet endroit qui a accueilli les Jeux Olympiques de 1968), et les Russes avaient dominé les Suédois de l'AIK Stockholm et une sélection de Canadiens de France et de Suisse. Les Bordeleau, Ouimet, Huras, Peloffy, Dupuis ou Cloutier, qui avaient l'habitude de se "promener" en France avaient vu passer des Spoutnik jaunes et bleus pendant toute la soirée...

Bon, dernière ligne droite de ce marathon hockeyisto-moscovite, samedi chez les Krylia Sovietov. Les Ailes Soviétiques qui se sont écrasées en dernière place de la deuxième division, un an après être descendues de l'élite... Et comme au Spartak, on la joue "Ostalgie" aux Ailes Soviétiques ! Dans les couloirs de cette immense patinoire (il n'y a que des patinoires à 8000 places minimum dans cette ville ou quoi ?), sont placardées des photos en noir et blanc retraçant les grandes heures de ce club du ministère de l'aviation. Un club né en 1947, plus tard que ses congénères moscovites, mais qui a connu des moments mythiques, en particulier des années 1950 à 1970.

La bonne surprise, c'est qu'il y a du monde dans la patinoire. Peut-être même plus que la semaine dernière au Spartak. Beaucoup de jeunes également, écharpes du club autour du cou, accompagnés de leurs pères également aux couleurs rouges et bleues des KS.

La mauvaise surprise, c'est que je suis arrivé en retard et que j'ai raté le premier but, inscrit par le CSK-VVS (BBC en alphabet cyrillique !), au bout de cinquante-sept secondes seulement. Et comme il n'y a eu que 3-1 pour Samara dont un dernier but dans la cage vide... j'ai quand même manqué l'un des rares buts du match ! Je ne sais pas ce que c'est que cette manie d'arriver en retard aux matches que j'ai prise à Moscou... À Clémenceau ou Pôle Sud, j'étais toujours à l'heure... Il faut dire que Moscou, c'est grand...

Bref, Les KS ont encore perdu cet après midi, mais tout n'est pas noir, leur équipe-réserve se balade dans son championnat. Elle devant, les grands de Moscou, tous derrière !

L'autre bonne nouvelle, c'est que j'ai réussi mon marathon : 5 matches en 8 jours ! Bravo, je me félicite...

Bruno Cadène

 

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