L'honneur retrouvé des Russes

 

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Après des séries d'échecs cuisants en seniors comme en juniors, le hockey russe commençait à douter de ses talents. Mais la victoire aux championnats du monde juniors a encore prouvé sa richesse.

Malgré la qualité de l'effectif présenté, ce succès était pourtant loin d'être évident au vu des matches de qualification moyen. Mais, pour la première fois depuis longtemps, on a vu une formation russe trouver un vrai esprit d'équipe. On le doit peut-être à Vladimir Plyushchev, l'entraîneur qui avait déjà mené les moins de 18 ans au titre l'an dernier et qui commence à se faire un nom, malgré son handicap de ne pas présenter derrière lui une brillante carrière de joueur.

Après des incidents en fin de match contre la Suisse, il a été suspendu un match et la star de l'équipe, Aleksandr Svitov, a écopé de deux rencontres. Cette sanction, dont on aurait pu penser qu'elle allait affecter les Russes, a au contraire été le déclic qui les a conduits à la victoire. Sans Svitov, chacun a pris ses responsabilités et un collectif est né. Quant à Plyushchev, il est difficile de croire que se contenter de le reléguer dans les tribunes à moins de dix mètres de son banc peut l'empêcher d'officier. Ses gesticulations et sa voix ont une portée bien plus longue...

Un ancien du KGB comme entraîneur

Ce moustachu un peu bourru correspond assez à l'idée qu'on peut se faire d'un représentant de la vieille école soviétique, et ce n'est d'ailleurs pas qu'une façade puisqu'il a travaillé comme responsable d'une cellule anti-terroriste au sein du KGB de 1980 à 1993. Cela peut avoir du bon après les polémiques qui avaient entouré les précédentes sélections et mis en doute la probité de certains coaches supposés travailler pour des intérêts plus personnels. Plyushchev n'est rétribué par aucun agent, ne cherche pas à favoriser les joueurs d'un club ou d'un autre, mais tente de regrouper simplement les meilleurs. Il ne croit pas à la faillite du système de formation, ni aux générations dépourvues de talent : "Je ne peux pas croire que dans ce grand pays les gens puissent dire qu'il est impossible de trouver vingt-deux joueurs avec une mentalité de vainqueurs. Si vous ne pouvez pas les trouver à Moscou, allez en Sibérie, si vous n'obtenez toujours rien, allez au Kamtchatka. Vous trouverez bien quelque part le joueur qui a le potentiel pour se fondre dans les vieilles traditions de notre hockey." A savoir respecter le maillot et ne pas rechercher la gloire personnelle.

Voilà qui n'était pas évident dans le contexte des Mondiaux des moins de 20 ans où les recruteurs de NHL rôdent de partout. Ceux-ci ont d'ailleurs eu de quoi remplir leurs carnets.

Ils auront par exemple noté le second gardien Sergueï Mylnikov, toujours pas drafté, mais qui a très sûrement suppléé Andreï Medvedev lorsque celui-ci a été sorti au tout début du deuxième tiers-temps après avoir encaissé son troisième but sur un rebond. Ces deux portiers au style très classique ne paraissent toutefois pas être les futurs grands talents du hockey russe.

Une défense très complémentaire

En défense, en revanche, certains de ces joueurs pourraient vite faire parler d'eux. On pense notamment au premier duo composé d'Igor Knyazev, qui a pu gérer la relance et se joindre aux attaques (même s'il a été puni et laissé sur le banc par Plyushchev après avoir été en faute sur les buts canadiens en finale), et de Fedor Tyutin, cantonné à un rôle plus défensif, à son grand regret sans doute. Ce dernier avait pu être libéré pour l'occasion par son club d'OHL mais a moins réussi à se montrer que son partenaire, et n'a pas apporté la preuve de progrès qu'il aurait pu faire depuis son départ au Canada. Mais le meilleur défenseur russe du tournoi a été le capitaine Anton Volchenkov, qui n'a pas commis la moindre bavure et a parfaitement fait usage de son physique, même si son gabarit le handicape peut-être du point de vue de sa mobilité. Il avait en cela un parfait complément avec Denis Grebechkov, qui compense son manque de muscles par sa technique, son patinage et sa vision du jeu.

La complémentarité était encore le maître le mot de la troisième ligne défensive, avec un Maxim Kondratiev chargé d'un travail défensif pas exempt de petites erreurs et un Vladimir Korsunov plus porté sur l'attaque, et parfois en retard physiquement ou en patinage, ce qui lui a fait commettre des fautes. Les deux autres arrières ont très peu joué, Andreï Zabolotnev étant beaucoup efficace défensivement durant son maigre temps de glace que Vladimir Sapozhnikov, qui n'est apparu que dans trois matches et a terminé le tournoi avec un ratio de -2.

Déceptions et satisfactions en attaque

Après l'affaire Svitov/Chistov, ces deux joueurs étaient particulièrement attendus à ces championnats du monde juniors. Sauraient-ils se concentrer uniquement sur leur jeu ? Pour Aleksandr Svitov, la réponse semble être non. Trop nerveux, il a franchi plusieurs fois la limite séparant le jeu physique et la faute inutile, multipliant les pénalités stupides et les provocations, jusqu'à ce qu'il sorte les poings contre la Suisse et qu'il soit suspendu, ne revenant que pour la finale et seulement sur le troisième bloc. On l'a vu trop rarement développer ses qualités et trop souvent se limiter à faire valoir son physique. Stanislav Chistov, en revanche, a fait étalage de sa vitesse et de sa technique ainsi que de ses talents de buteur et de passeur. Il s'est peut-être un peu trop reposé sur des équipiers plus forts pour faire le travail dans les coins. Yuri Trubachev a débuté le tournoi à l'aile et ne s'est jamais fait à ce rôle très inconfortable. La suspension de Svitov lui a permis de passer au centre et de faire honneur à ce poste en répondant présent dans les compartiments du jeu.

Un autre bénéficiaire de l'absence de Svitov a été Igor Grigorenko, qui s'est ainsi retrouvé promu sur la première ligne. Il s'est créé de très bonnes occasions en excellent patineur et manieur de palet qu'il est, mais a peiné à les convertir, ne concluant qu'un seul de ses dix-huit tirs. La deuxième ligne prévue à l'origine a d'ailleurs été complètement évaporée puisqu'Aleksandr Perezhogin a été blessé au troisième match et qu'Andreï Tratukhin a été très en dessous de son talent offensif présumé, se répandant en outre en charges incorrectes qui ont occasionné des pénalités évitables.

La défaillance de certains leaders a permis à la ligne Frolov-Nepriaev-Polushin de se révéler. Avec six buts, Aleksandr Frolov a montré ses qualités de buteur qu'on lui connaît déjà dans le championnat russe et a rétabli la donne après quelques tournois médiocres sous le maillot de l'équipe nationale. Il a profité des bonnes passes d'un Ivan Nepriaev moins capable d'être décisif par lui-même, mais surtout de l'excellent travail défensif et offensif d'Aleksandr Polushin. Ce dernier a été tenace à la fois dans l'approche du but et dans la conquête du palet, et ses efforts de tous les instants ont été récompensés puisque la Russie n'a pas encaissé le moindre but pendant qu'il était sur la glace.

Les autres attaquants se sont montrés de manière plus individuelle. Aleksandr Suglobov a fait taire ses détracteurs qui lui reprochaient son faible sens du jeu, mais n'a pas pu s'exprimer pleinement par manque de temps. Sergueï Soïn a joué de façon encore plus personnelle, ce qui lui a permis de marquer deux buts mais pas de réellement participer à la réussite collective russe. Quant à Ruslan Zainoulline, il a vraiment été la dernière roue du carrosse.

S'il est habituel de saluer la prestation de l'ensemble des membres lorsqu'une équipe devient championne du monde, on constate donc que tout le monde n'a pas vraiment été logé à la même enseigne. Mais les retouches dans la composition et l'ordre de préséance des lignes, qui ont résulté des sanctions disciplinaires, ont créé une nouvelle alchimie dont certains ont profité pour apposer leur patte sur un collectif complètement rééquilibré et où la plupart ont pu trouver leur place.

Marc Branchu

 

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